La Parole de Jésus-Christ à la sauce Marguerat
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La Parole de Jésus-Christ à la sauce Marguerat
Cela fait un bon moment que je me dis qu'il faudrait faire une sujet sur le livre : " Introduction au Nouveau Testament, Son histoire, son écritures, sa théologie. " Ed. Labor et Fides. Sous la direction de Daniel Marguerat. 2008. ISBN : 978-2-8309-1289-0.
Je dédie ce sujet à Ahouva sans qui je n'aurais jamais eu l'idée de lire un tel livre !
L'occasion de relancer le débat m'en a été recemment donné par pauline.px et Libremax avec le sujet qui débute en : https://dialogueabraham.forum-pro.fr/t47p135-debats-sur-la-mise-par-ecrit-des-evangiles#40911 Je débute avec un post précédemment édité sur les postulats de l'approche de Marguerat et de son école : https://dialogueabraham.forum-pro.fr/t47p135-debats-sur-la-mise-par-ecrit-des-evangiles#41134
LES CINQ POSTULATS DE L'ECOLE DE MARGUERAT - dans l'INT.
1. Le postulat des micro-unités littéraires (INT page 15), c'est-à-dire qu’avant la mise par écrit, la tradition était fragmentée en micro-unités, quelle provienne de l’oral ou – essentiellement - de l’écrit tout en reconnaissant que certaines « collections » ont pu être mises à disposition des évangélistes : paroles prophétiques, collection de miracles, de paraboles ou de controverses ;
2. Le postulat de l’écrit (INT page 11), c'est-à-dire que l’évangile n’a été constitué en récit continu que lors de sa mise par écrit – pas avant ;
3. La contribution significative de la culture hellénistique à la conception et à l’élaboration des Evangiles, c’est à dire : à travers la langue, le modèle littéraire (biographie et arétalogie grecques) et les catégories philosophiques (INT page 17). Le début du passage à la traduction en grec est situé dans le judaïsme hellénistique – dans un espace non palestinien (INT page 13) - avec l’envoi de Barnabé à Antioche en 34 (INT page 17) ;
4. Le souvenir de Jésus-Christ (anamnèse) est une « construction théologique» (INT page 21), moins élégamment dit : une construction à visée de propagande qui n’est pas destinée, en priorité, à rappeler les faits et gestes d’un mort. Les faits et gestes du « Jésus terrestre » sont interprétés dans le souvenir du « Jésus élevé » sur les autels. Cette construction « théologique » repose, pour partie, sur le fait qu’il n’y a pas d’identité nécessaire entre les deux « Jésus » : entre le « Jésus terrestre » et le « Jésus élevé » ;
5. Une tradition orale qui s’est perpétuée pendant des siècles par les apocryphes, « surtout dans les milieux étrangers à la Grande Eglise, où se prépare au deuxième siècle l’orthodoxie chrétienne » (INT page 27). C’est « logique » puisque du point de vue de l’INT, les Evangiles canoniques, eux, dérivent de l’écrit.
Je dédie ce sujet à Ahouva sans qui je n'aurais jamais eu l'idée de lire un tel livre !
L'occasion de relancer le débat m'en a été recemment donné par pauline.px et Libremax avec le sujet qui débute en : https://dialogueabraham.forum-pro.fr/t47p135-debats-sur-la-mise-par-ecrit-des-evangiles#40911 Je débute avec un post précédemment édité sur les postulats de l'approche de Marguerat et de son école : https://dialogueabraham.forum-pro.fr/t47p135-debats-sur-la-mise-par-ecrit-des-evangiles#41134
LES CINQ POSTULATS DE L'ECOLE DE MARGUERAT - dans l'INT.
1. Le postulat des micro-unités littéraires (INT page 15), c'est-à-dire qu’avant la mise par écrit, la tradition était fragmentée en micro-unités, quelle provienne de l’oral ou – essentiellement - de l’écrit tout en reconnaissant que certaines « collections » ont pu être mises à disposition des évangélistes : paroles prophétiques, collection de miracles, de paraboles ou de controverses ;
2. Le postulat de l’écrit (INT page 11), c'est-à-dire que l’évangile n’a été constitué en récit continu que lors de sa mise par écrit – pas avant ;
3. La contribution significative de la culture hellénistique à la conception et à l’élaboration des Evangiles, c’est à dire : à travers la langue, le modèle littéraire (biographie et arétalogie grecques) et les catégories philosophiques (INT page 17). Le début du passage à la traduction en grec est situé dans le judaïsme hellénistique – dans un espace non palestinien (INT page 13) - avec l’envoi de Barnabé à Antioche en 34 (INT page 17) ;
4. Le souvenir de Jésus-Christ (anamnèse) est une « construction théologique» (INT page 21), moins élégamment dit : une construction à visée de propagande qui n’est pas destinée, en priorité, à rappeler les faits et gestes d’un mort. Les faits et gestes du « Jésus terrestre » sont interprétés dans le souvenir du « Jésus élevé » sur les autels. Cette construction « théologique » repose, pour partie, sur le fait qu’il n’y a pas d’identité nécessaire entre les deux « Jésus » : entre le « Jésus terrestre » et le « Jésus élevé » ;
5. Une tradition orale qui s’est perpétuée pendant des siècles par les apocryphes, « surtout dans les milieux étrangers à la Grande Eglise, où se prépare au deuxième siècle l’orthodoxie chrétienne » (INT page 27). C’est « logique » puisque du point de vue de l’INT, les Evangiles canoniques, eux, dérivent de l’écrit.
Roque- Messages : 5064
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Re: La Parole de Jésus-Christ à la sauce Marguerat
UN CONSTAT COMMUN CONDUISANT A DEUX INTERPRETATIONS OPPOSEES
Le constat de l’existence de micro-unités littéraires qui fonde un des postulats majeurs de l’analyse de la forme littéraire ou « Formgeschichte » est un constat assez ordinaire. Le débat actuel porte non sur l’existence de ces micro-unités littéraires, mais sur l’interprétation de ce constat.
1. Les micro-unités littéraires : le constat de Marguerat
Marguerat découpe le premier chapitre de Marc en 11 micro-unités (versets 2 à 45) :
Arrêtons-nous un instant sur le second paragraphe de ce texte de Marguerat. La méthode de l’analyse de la forme littéraire ou « Formgeschichte » est expliquée en deux étapes : une étape littéraire, puis une étape sociologique. Cette méthode chercherait même « à reconstruire son histoire [du texte écrit] en remontant de sa fixation littéraire au stade de l’oralité ».
- D’autre part, le travail de déduction de ce livre précisément ne « raccorde » jamais le texte littéraire à l’oralité, tout simplement parce dont l’école Marguerat ne connaît pas grand-chose de cette « oralité », plutôt traitée comme « l’arlésienne » de cette Introduction au Nouveau Testament. Voir un maigre paragraphe de 16 lignes sur ce sujet : page 27. D’autre part il n’y a pas dans ce livre aucune tentative de « reconstitution d’une histoire du texte » en amont de l’écrit. Tout au contraire :
Pierre Perrier découpe le premier chapitre de Marc en 10 micro-unités (versets 4 à 45) :
Nom de colliers : J = " de Jean Baptiste à Jésus " ; D = " vocation-mission des Douze " ; m = " des miracles " ; c = " des controverses "
Le découpage donc est identique entre les deux approches. Le débat ne porte donc pas sur l’existence ou non de ces micro-unités littéraires, mais sur leur « logique », c’est-à-dire sur leur signification. Ceci implique que le procédé rédactionnel soit finement analysé, par exemple : le choix des thèmes, l’ordonnancement, les liens ou ruptures et les enchaînements, etc.
3. Description de la structure du texte jusqu’à Mc 6, 30-33 dans l’hypothèse de Pierre Perrier
- Schématiquement le support principal de l’ensemble de cette partie du texte (Mc 1, 4 à 6, 30-33) est constitué de deux « micro-récits ». Ces « micro-récits » sont constitués de « micro-unités » comme le « collier » est constitué de plusieurs « perles ». Ces deux colliers, l’un traitant de la continuité « de Jean Baptiste à Jésus » et l’autre « de l’envoi et de la mission des Douze » voient leurs perles échangées par endroits, « tressées » ensemble. Cet entrelacement des deux colliers peut avoir un sens chronologique puisque l’histoire de Jean Baptiste se chevauche – de fait - avec l’histoire de l’appel des Douze et le début de leur mission.
- Un « collier » est un ensemble pourvu d’une forte cohérence interne – (décompte, thématique, ordrage et symétrie interne, voir : https://dialogueabraham.forum-pro.fr/t47-debats-sur-la-mise-par-ecrit-des-evangiles#411). Ces « colliers » sont tout le contraire des récits naïfs qu’on pourrait imaginer parfois. Ils sont fortement empreints de formalisme, c’est à dire que loin d’innover l’oralité a comme règle de mouler ses compositions sur les textes bibliques existants : paroles de sagesse, miracles, paraboles, paroles prophétiques, etc. Le traditionneur qui actualise de ces formulations préétablies, dans le présent, ne marque habituellement son intervention que par des nuances, des détails ajoutés. Il existe bien – une forme littéraire orale – issue d’un véritable travail d’orfèvre, mais Marguerat postulant l’écrit grec comme préalable du texte évangélique est incapable de la reconnaître. De surcroit - et bien évidemment - cette structure du texte n’est identifiable que sur l’araméen.
- Sur ce support principal sont accrochées 25 « perles » organisées en une structure très régulière de cinq « pendentifs » de 5 « perles » :
o Deux « colliers des miracles » commençant respectivement en (1, 21-28) et en (4, 35-41) ;
o Deux « colliers des controverses » commençant respectivement en (2, 1-12) et en (3, 20-21);
o Un « collier analogique des paraboles » qui commence en (4, 1-20).
Nous l’avons dit : la différence essentielle se trouve non au niveau du constat, mais au niveau de l'interprétation de ce constat.
Une première différence est que l’analyse de Marguerat – par application d’une liste ad hoc de « formes littéraires fixes » – ne parvient pas à rendre compte de la totalité du texte. La liste des micro-unités établie ci-dessus, omet en effet 6 versets sur 44 (14%). Le texte apparaît donc discontinu, morcelé, voire lacunaire. La raison de cette omission n’est pas expliquée. Les versets omis sont les suivants :
On ne parvient pas non plus à expliquer pourquoi dans les cinq versets 1, 35-39 - décrivant Jésus quittant Capharnaüm de façon clandestine - un seul verset est retenu (1, 38) comme « parole christique » et pourquoi les quatre autres versets sont écartés (1, 35-37 et 39). Est-ce à dire que le déroulement chronologique de cette sortie de Jésus de Capharnaüm est sans intérêt ou douteux ? On peut soupçonner la méthode de Marguerat d’être responsable, elle-même, de cet artefact parce qu’elle découpe et sélectionne le texte - dont les paroles de Jésus - en les isolant de leur contexte. Curieusement, le postulat de la « Formgeschichte » prétend tout le contraire : elle prétend que les micro-unités étaient isolées à l’origine. Mais ce n’est qu’un postulat, un « article de foi » de la méthode, c’est-à-dire une hypothèse non démontrée que nous rappelons encore ici : les miro-unités « étaient à l’origine indépendantes, et qu’elles ont été soudées et articulées les unes aux autres par les évangélistes en vue de former un récit continu ». L’idée en filigrane est - encore - que la remémoration à partir de souvenirs du Jésus historique est impossible, ce qui n’est qu’une reformulation du premier leitmotiv, ci-dessus.
Le second leitmotiv de ce livre est le suivant : les micro-unités, à l’origine indépendantes, c’est à dire isolées, devront être contextualisées en les plaçant dans un cadre de récit ou de discours qui n’est pas d’origine, donc fictif pour constituer un récit continu.
De son côté, Pierre Perrier signale « une suture de fin de tresse » (1, 33-34). Il s’agit donc d’une irrégularité dans le système des « colliers » et « perles », elle concerne 2 versets sur 222 (1, 4 jusqu’à 6, 33), soit 1%. Sur la totalité du texte de Marc, il n’y a qu’une seule autre « suture » en 9, 1. Cette disposition semble être expliquée par le procédé de confection du texte : en effet elle constitue la transition entre le quatrième « pendentif » de paraboles 5 « perles » (4, 1 à 32) et le cinquième pendentif de miracles de 5 « perles » (4, 35 à 5, 43). C’est pourquoi nous l’avons qualifiée d’irrégularité plutôt que de rupture. Nous ne voyons pas précisément cette structure en « tresse » laquelle supposerait la combinaison de trois « colliers », par exemple avec le troisième « pendentif » de controverse de 5 « perles » en (3, 20 à 35). Pour notre part, nous ne voyons qu’une structure en « torsade » laquelle combine deux « colliers » et non trois. Il faudrait interroger l’auteur directement ! Cette structure irrégulière pour cause rédactionnelle est donc la suivante :
Une seconde différence est que les micro-unités, pour Marguerat, sont juxtaposées sans lien clair entre elles, alors qu’elles sont reliées verticalement pour Pierre Perrier par groupes réguliers de 5, de 7 ou de 10 (soit 2 * 5). Le système proposé par Pierre Perrier est articulé à deux niveaux : la « perle » et le « collier », alors que le système de Marguerat ne propose qu’un ensemble disparate des micro-unités peu ou pas reliées entre elles.
5. Interprétations divergentes et évaluation comparée
Est-il vrai que pour Marguerat ces micro-unités sont juxtaposées sans lien clair entre elles ? A l’origine certainement : elles sont indépendantes et isolées. Mais ensuite que se passe-t-il entre les micro-unités et la fin d’élaboration du texte continu ? Malgré notre lecture attentive (toujours perfectible !), nous pensons que le livre de Marguerat n’en explique rien. Comme pour « l’oralité », ce passage des micro-unités au texte continu est une « boîte noire » une zone inexpliquée parmi les thèses de cette école. L’analyse de la forme littéraire prétend décrire comment « ces micro-unités [qui] étaient à l’origine indépendantes, […] ont été soudées et articulées les unes aux autres par les évangélistes en vue de former un récit continu », mais le livre ne répond jamais directement à cette question précise du travail d’artisan, du processus et des étapes d’élaboration du texte évangélique. Les ébauches de réponses campées sur des postulats ignorent largement les inputs (ressources, dont les méthodes …) et le processus de la production évangélique. Le livre se contente de réponses indirectes en s’appuyant sur des sujets connexes – souvent uniquement critique à l’égard des thèses adverses :
1. Le postulat des micro-unités indépendantes et isolées – donc sans véritable mémoire historique ;
2. Le postulat d’un contenu de sens produit – exclusivement - par la communauté dans son lieu de vie (Sitz im Leben) ;
3. Les échanges entre les sources synoptiques dans le cadre de théorie de la source Q ;
4. L’élaboration d’une fiction historique ; et
5. Une apologétique confortant ce que les communautés veulent croire – élaboration dite « théologique » !
Ce commentaire, dans le même livre, est d’Elian Cuvillier. Il faut être bien clair : l’existence des micro-unités n’est contestée par personne et le fait que ces « courtes séquences » ont été ordonnancées de façons différentes par les évangélistes, non plus. Effectivement, les chapitres 8-9 de Matthieu présentent une collection de 12 miracles, dont 9 se retrouvent chez Marc (entre 1, 29 et 6, 6) et 11 chez Luc (entre 4, 38 et 10, 2). Un seul de ces miracles est présent uniquement en Matthieu : les deux aveugles (9, 27-31).
Le contexte est effectivement différent parce que Matthieu place ces miracles à la suite des enseignements du Sermon sur la Montagne (Mt 5 à 7) alors que Marc ne rapporte pas du tout ce Sermon sur la Montagne de Jésus. Mais il s’agit là du plan d’exposé de Matthieu ou de Marc, donc il s’agit du contexte didactique. Malgré l’organisation très différente des deux textes, le contexte chronologique est similaire : 1. La proclamation de Jean Baptiste précède l’appel des premiers disciples par Jésus, 2. Les Douze sont institués et sont envoyés en mission avant la mort de Jean Baptiste et 3. Jean Baptiste est martyrisé avant le retour de mission des Douze. Ce canevas chronologique – vrai ou faux – est le même chez Luc. Il semble abusif de parler ici de « fiction historique » ou « d’orientations théologiques particulières ». C’est une reformulation du premier leitmotiv avec une nuance supplémentaire sur l’origine du contenu évangélique. Cette origine serait (exclusivement) sociale :
Pour notre part, nous pensons que ce commentaire d’Elian Cuvillier est inutilement offensif (« fiction historique ») et manque de rigueur. Elle nous semble que ce commentaire est plutôt de nature idéologique.
Ici encore c’est la variation du contexte didactique qui est soulignée.
Une troisième différence entre les deux thèses est que Marguerat partant de l'esthétique littéraire et de la sociologie de parvient pas déduire une représentation véritablement précise et détaillée sur la technique d’élaboration du récit continu, alors que dans la thèse de Pierre Perrier en partant du produit final – dans le texte araméen – permet d’obtenir une bonne de représentation du travail de « l’évangéliste ». Les étapes et les techniques de production sont déduites de façon assez logique du produit fini. Ces étapes possibles dans la thèse de Pierre Perrier sont :
- La confection des « perles » à partir des témoins dans l’esprit de l’oralité populaire et rabbinique (formulisme, prise en compte de la longueur de souffle définissant le rythme de récitation et la symétrie - en règle binaire, assonances, concision thématique, etc.) ;
- L’organisation en « colliers » pour la commodité de la remémoration, de la récitation et de la transmission (système de compte traditionnel des sofer = scribes) ;
- Les sutures rédactionnelles ;
- Les reprises et insertions de nouveaux « colliers » dans un texte pré-existant - créant une discontinuité dans la régularité d'ordrage des " perles " ;
- Les rédactions itératives menant à une amplification progressive du texte en strates successives (le cas particulier de Jean non développé ci-dessus) ;
- Etc.
L’absence de compréhension détaillée de la technique d’élaboration du récit continu a comme conséquence d’ouvrir la porte à tous les fantasmes. Il peut y avoir la tentative d’opposer :
- le rôle, en quelque sorte « passif », du secrétaire, collecteurs de micro-unités, simplement occupé à rabouter plus ou moins adroitement ces séquences disparates en récit continu ; et
- le rôle « actif » du théologien propagandiste, artiste en apologétique et pastiche « à la manière de Jésus », fabriquant de son propre chef la légende dorée du christianisme. Le premier étant un imbécile et le second un imposteur. Nous reviendrons plus bas sur ce sujet, sous le titre ambigu du « scribe inspiré » - tel que le conçoit l’école de Marguerat.
Toutes ces différences sur l'appréciation de la continuité/discontinuité, de la genèse/absence de généalogie ou de sens spécifique/absence de sens spécifique de l'ensemble des micro-unités repose sur l'appréciation de la cohérence de ces micro-unités - dans leur état brut - avant tout travail de recomposition en récit continu. Il faut souligner que l'inadéquation de la grille d'analyse peut, à elle seule, créer cette impression d'incohérence, d'éléments non assortis, non complémentaires, discontinus les uns avec les autres. Marguerat, lui-même, en a donné un exemple dans la première citation de ce post, ci-dessus.
Maintenant, si nous revenons au postulat de départ de la " Formgeschichte " que peut bien signifier ici l'expression : " à l'origine " ? Cela ne signifie certainement pas que ces micro-unités sont le produit d'une génération spontanée. Alors cela signifie qu'on ne sait pas très exactement " comment ces micro-unités sont arrivées là " ! Si on réfléchit un instant, l'idée de ces micro-unités " sans racine, livrées au hasard, ne sachant pas comment elles sont arrivées là " a beaucoup plus de chance d'être une fiction que l'idée inverse de micro-unités ayant une généalogie, liés à des groupes humains précis ayant existé et existant encore au moment de la création de ces micro-unités, donc, pourvus de représentations et de mémoire - même erronées - sur leur sens et sur leur génèse. Finalement, cette formule : " à l'origine " est, comme souvent, un aveu de méconnaissance. C'est là que cette théorie de la " Formgeschichte " a un gros problème de méthode, car aucune théorie solide ne peut reposer sur un aveu d'ignorance.
Actuellement notre évaluation en termes de forces et faiblesses est la suivante : les hypothèses et la méthode de Pierre Perrier (PP) l’emportent largement sur les hypothèses et la méthode de l’école de Marguerat (M) :
- La description du texte résultant de l’analyse est exhaustive (PP) ou lacunaire (M) ;
- L’ensemble de micro-unités décrit est complètement relié (PP) ou isolé et disparate (M) ;
- La représentation du travail d’élaboration du texte continu est présente (PP) ou absente (M) ;
- La description du processus de travail est faite à partir du produit fini : spécifique (PP) ou à partir des formes littéraire et fonctions communautaires – moins spécifique (M) ;
- L’ensemble explicatif semble cohérent (PP) ou est esquissé et hypothétique (M) - cependant on peut admettre l’inverse : que l’avantage soit donné au questionnement et le désavantage aux certitudes (M > PP) ;
- Le système interprétatif (colliers, perles) semble appuyé sur l’histoire (PP) (celle des communautés juives et chrétiennes de langue araméenne) ou est une construction ad hoc (micro-unités indépendantes et isolées) (M).
Bien entendu la pleine adhésion dépendra de la démonstration des postulats – ce qui n’est pas fait notamment pour M - et de la levée des diverses objections (voir : https://dialogueabraham.forum-pro.fr/t47p135-debats-sur-la-mise-par-ecrit-des-evangiles#41088 )
Le constat de l’existence de micro-unités littéraires qui fonde un des postulats majeurs de l’analyse de la forme littéraire ou « Formgeschichte » est un constat assez ordinaire. Le débat actuel porte non sur l’existence de ces micro-unités littéraires, mais sur l’interprétation de ce constat.
1. Les micro-unités littéraires : le constat de Marguerat
Marguerat découpe le premier chapitre de Marc en 11 micro-unités (versets 2 à 45) :
« L’analyse de la forme littéraire postule que ces micro-unités étaient à l’origine indépendantes, et qu’elles ont été soudées et articulées les unes aux autres par les évangélistes en vue de former un récit continu. La lecture de Mc 1 confirme ce constat en faisant apparaître une rapide succession de micro-unités de forme littéraire variées :
- une citation scripturaire (1, 2-3),
- une prédication (1, 4-8),
- un récit de baptême (1, 9-11),
- un récit de tentation (1, 13),
- une parole prophétique (1, 15),
- un récit de vocation de disciples (1, 16-20),
- un exorcisme (1, 21-28),
- un récit de guérison (1, 29-31),
- un sommaire de guérisons (1,32-34),
- une parole christique (1, 38),
- un récit de guérison (1, 40-45).
Après avoir identifié la forme littéraire, on cherche à reconstruire son histoire en remontant de sa fixation littéraire au stade de l’oralité.
L’analyse de la forme littéraire recourt aux deux disciplines : l’esthétique littéraire et la sociologie. En esthétique littéraire, elle étudie la forme du texte et adopte une classification des formes fixes en usage dans le Nouveau Testament. A l’aide de la sociologie ; elle relie la forme littéraire au lieu de vie (Sitz im Lebem) qui génère cette forme et détermine la fonction qui lui est affectée. Tout lieu de vie régule en effet sa communication en adoptant un code formel pourvu de fonctions spécifiques : le culte recourt à diverses formules liturgiques (plusieurs types de prières, amen, bénédictions, consécration), l’enseignement a des formes didactiques, etc. Cela signifie que la mémoire de Jésus a été préservée dans différents lieux de vie des communautés chrétiennes. » (INT pages 15-16)
Arrêtons-nous un instant sur le second paragraphe de ce texte de Marguerat. La méthode de l’analyse de la forme littéraire ou « Formgeschichte » est expliquée en deux étapes : une étape littéraire, puis une étape sociologique. Cette méthode chercherait même « à reconstruire son histoire [du texte écrit] en remontant de sa fixation littéraire au stade de l’oralité ».
- D’une part passer de la « forme littéraire » au lieu de vie (Sitz im Lebem) de la communauté est un travail jamais exempt de subjectivité et d'approximation. Prouver qu'un texte appartient à tel ou tel univers culturel suppose d'abord qu'on montre la parenté de ce texte avec d'autres dans une culture précise et ensuite " le tour est joué " parce que chaque communauté humaine - en particulier religieuse - est pourvue d'une grand nombre de fonctions d'enseignement ou cultuelle. Cette démonstration est donc peu spécifique et ne repose certainement pas sur la même « logique contraignante » que la déduction mathématique. Dans ce domaine, on ne peut déboucher que sur des arguments de vraisemblance, mais jamais sur une preuve : rationnelle, en rigueur de terme.
- D’autre part, le travail de déduction de ce livre précisément ne « raccorde » jamais le texte littéraire à l’oralité, tout simplement parce dont l’école Marguerat ne connaît pas grand-chose de cette « oralité », plutôt traitée comme « l’arlésienne » de cette Introduction au Nouveau Testament. Voir un maigre paragraphe de 16 lignes sur ce sujet : page 27. D’autre part il n’y a pas dans ce livre aucune tentative de « reconstitution d’une histoire du texte » en amont de l’écrit. Tout au contraire :
Le premier leitmotiv de ce livre est le suivant : le texte évangélique est une narration et non une histoire. En réalité, il faut comprendre que si cette mémoire est « préservée » par les communautés, c’est précisément parce que le déroulement chronologique exact a été perdu et que les témoins oculaires sont décédés La conclusion, apparemment bénigne, de Marguerat prête au contresens : « Cela signifie que la mémoire de Jésus a été préservée dans différents lieux de vie des communautés chrétiennes » veut signifier que le " Jésus terrestre " est dilué et gommé dans le " Jésus élevé " sur les autels. Il est bien clair pour Marguerat que la « remémoration » des communautés par le culte cherche justement à compenser (à cacher ?) la perte de mémoire historique. Comme la culture, cette " mémoire " de ces communautés " est ce qui reste quand on a tout oublié " ! Au demeurant, une éventuelle reconstitution des étapes entre la forme littéraire et l’émergence de l’oralité par la « Formgeschichte » dépasse les postulats et les moyens de cette méthode. Il y a là une sorte d’abus de langage, parmi d’autres.
2. Les micro-unités littéraires : le constat de Pierre Perrier
Pierre Perrier découpe le premier chapitre de Marc en 10 micro-unités (versets 4 à 45) :
Versets | Colliers | Titre de la perle |
1, 2-3 | Incipit | du volumen (en-tête du livre édité) |
1, 4-6 | J1 | Jean Baptiste au désert |
1, 7-8 | J2 | Jean Baptiste annonce Jésus et baptise |
1, 9-11 | J3 | Baptême de Jésus |
1, 12-13 | J4 | Tentation au désert |
1, 14-15 | J5 | Annonce en Galilée |
1, 16-20 | D1 | Appel des 4 premiers |
1, 21-28 | m1 | Possédé de la synagogue |
1, 29-31 | m2 | Belle-mère de Pierre |
1, 32-34 | m3 | Nombreux malade / prière |
1, 35-39 | D2 | Départ en mission avec Jésus |
1, 40-45 | m4 | Lépreux (appel de Simon) |
2, 1-12 | m5 / c1, 1 | Paralytique pécheur |
2, 13-14 | D3 | Appel de Lévi |
2, 15-17 | c1, 2 | Controverse sur les pécheurs |
2, 18-20 | J6 / c1, 3 | Jeûn de Jean Baptiste |
2, 21 | J7 | Vêtement usé pour la noce |
2, 22 | J8 | Outre vieille pour vin nouveau |
2, 23-28 | c1, 4 | Epis froissés du sabbat |
3, 1-6 | m6 / c1, 5 | Main paralysée, le sabbat |
3, 7-12 | m7 | Miracle et mission |
3, 13-19 | D4 | Choix des Douze |
etc… | etc… | etc… |
6, 17-29 | J10 | Martyre de Jean Baptiste |
6, 30-33 | D’7 | Retour des Douze |
Nom de colliers : J = " de Jean Baptiste à Jésus " ; D = " vocation-mission des Douze " ; m = " des miracles " ; c = " des controverses "
Le découpage donc est identique entre les deux approches. Le débat ne porte donc pas sur l’existence ou non de ces micro-unités littéraires, mais sur leur « logique », c’est-à-dire sur leur signification. Ceci implique que le procédé rédactionnel soit finement analysé, par exemple : le choix des thèmes, l’ordonnancement, les liens ou ruptures et les enchaînements, etc.
3. Description de la structure du texte jusqu’à Mc 6, 30-33 dans l’hypothèse de Pierre Perrier
- Schématiquement le support principal de l’ensemble de cette partie du texte (Mc 1, 4 à 6, 30-33) est constitué de deux « micro-récits ». Ces « micro-récits » sont constitués de « micro-unités » comme le « collier » est constitué de plusieurs « perles ». Ces deux colliers, l’un traitant de la continuité « de Jean Baptiste à Jésus » et l’autre « de l’envoi et de la mission des Douze » voient leurs perles échangées par endroits, « tressées » ensemble. Cet entrelacement des deux colliers peut avoir un sens chronologique puisque l’histoire de Jean Baptiste se chevauche – de fait - avec l’histoire de l’appel des Douze et le début de leur mission.
- Un « collier » est un ensemble pourvu d’une forte cohérence interne – (décompte, thématique, ordrage et symétrie interne, voir : https://dialogueabraham.forum-pro.fr/t47-debats-sur-la-mise-par-ecrit-des-evangiles#411). Ces « colliers » sont tout le contraire des récits naïfs qu’on pourrait imaginer parfois. Ils sont fortement empreints de formalisme, c’est à dire que loin d’innover l’oralité a comme règle de mouler ses compositions sur les textes bibliques existants : paroles de sagesse, miracles, paraboles, paroles prophétiques, etc. Le traditionneur qui actualise de ces formulations préétablies, dans le présent, ne marque habituellement son intervention que par des nuances, des détails ajoutés. Il existe bien – une forme littéraire orale – issue d’un véritable travail d’orfèvre, mais Marguerat postulant l’écrit grec comme préalable du texte évangélique est incapable de la reconnaître. De surcroit - et bien évidemment - cette structure du texte n’est identifiable que sur l’araméen.
- Sur ce support principal sont accrochées 25 « perles » organisées en une structure très régulière de cinq « pendentifs » de 5 « perles » :
o Deux « colliers des miracles » commençant respectivement en (1, 21-28) et en (4, 35-41) ;
o Deux « colliers des controverses » commençant respectivement en (2, 1-12) et en (3, 20-21);
o Un « collier analogique des paraboles » qui commence en (4, 1-20).
- Deux principes de construction ou « d’ordrage » des « perles » sont possibles : l’ « ordrage » est chronologique ou didactique. Dans l’exemple ci-dessus, l’ordre est chronologique pour les colliers principaux, mais didactique pour les cinq pendentifs. Marguerat note bien la structure didactique, mais relève jamais la structure chronologique. Ceci qui ne doit pas surprendre, puisqu’il est postulé que le texte évangélique ne prend corps et sens que par « recomposition » d’un mémoire perdue.
4. Les différences
Nous l’avons dit : la différence essentielle se trouve non au niveau du constat, mais au niveau de l'interprétation de ce constat.
Une première différence est que l’analyse de Marguerat – par application d’une liste ad hoc de « formes littéraires fixes » – ne parvient pas à rendre compte de la totalité du texte. La liste des micro-unités établie ci-dessus, omet en effet 6 versets sur 44 (14%). Le texte apparaît donc discontinu, morcelé, voire lacunaire. La raison de cette omission n’est pas expliquée. Les versets omis sont les suivants :
1, 12 : « Aussitôt l’Esprit pousse jésus au désert » ;
1, 14 : « Après que Jean eut été livré, Jésus vint en Galilée. Il proclamait l’Evangile de Dieu et disait : » ;
1, 35-37 : « Au matin, à la nuit noire, Jésus se leva, sortit et s’en alla dans un lieu désert ; là il priait. Simon se mit à sa recherche ainsi que se compagnons. Ils disaient tout le monde te cherche » ;
1, 39 : « Et il alla par toute la Galilée ; il prêchait dans leurs synagogues et chassait les démons ».
On ne parvient pas non plus à expliquer pourquoi dans les cinq versets 1, 35-39 - décrivant Jésus quittant Capharnaüm de façon clandestine - un seul verset est retenu (1, 38) comme « parole christique » et pourquoi les quatre autres versets sont écartés (1, 35-37 et 39). Est-ce à dire que le déroulement chronologique de cette sortie de Jésus de Capharnaüm est sans intérêt ou douteux ? On peut soupçonner la méthode de Marguerat d’être responsable, elle-même, de cet artefact parce qu’elle découpe et sélectionne le texte - dont les paroles de Jésus - en les isolant de leur contexte. Curieusement, le postulat de la « Formgeschichte » prétend tout le contraire : elle prétend que les micro-unités étaient isolées à l’origine. Mais ce n’est qu’un postulat, un « article de foi » de la méthode, c’est-à-dire une hypothèse non démontrée que nous rappelons encore ici : les miro-unités « étaient à l’origine indépendantes, et qu’elles ont été soudées et articulées les unes aux autres par les évangélistes en vue de former un récit continu ». L’idée en filigrane est - encore - que la remémoration à partir de souvenirs du Jésus historique est impossible, ce qui n’est qu’une reformulation du premier leitmotiv, ci-dessus.
Le second leitmotiv de ce livre est le suivant : les micro-unités, à l’origine indépendantes, c’est à dire isolées, devront être contextualisées en les plaçant dans un cadre de récit ou de discours qui n’est pas d’origine, donc fictif pour constituer un récit continu.
De son côté, Pierre Perrier signale « une suture de fin de tresse » (1, 33-34). Il s’agit donc d’une irrégularité dans le système des « colliers » et « perles », elle concerne 2 versets sur 222 (1, 4 jusqu’à 6, 33), soit 1%. Sur la totalité du texte de Marc, il n’y a qu’une seule autre « suture » en 9, 1. Cette disposition semble être expliquée par le procédé de confection du texte : en effet elle constitue la transition entre le quatrième « pendentif » de paraboles 5 « perles » (4, 1 à 32) et le cinquième pendentif de miracles de 5 « perles » (4, 35 à 5, 43). C’est pourquoi nous l’avons qualifiée d’irrégularité plutôt que de rupture. Nous ne voyons pas précisément cette structure en « tresse » laquelle supposerait la combinaison de trois « colliers », par exemple avec le troisième « pendentif » de controverse de 5 « perles » en (3, 20 à 35). Pour notre part, nous ne voyons qu’une structure en « torsade » laquelle combine deux « colliers » et non trois. Il faudrait interroger l’auteur directement ! Cette structure irrégulière pour cause rédactionnelle est donc la suivante :
4, 33-34 : « Par de nombreuses paraboles de ce genre, il leur annonçait la Parole, dans la mesure où ils étaient capables de l’entendre. Il ne leur parlait pas sans parabole, mais, en particulier, il expliquait tout à ses disciples.
Une seconde différence est que les micro-unités, pour Marguerat, sont juxtaposées sans lien clair entre elles, alors qu’elles sont reliées verticalement pour Pierre Perrier par groupes réguliers de 5, de 7 ou de 10 (soit 2 * 5). Le système proposé par Pierre Perrier est articulé à deux niveaux : la « perle » et le « collier », alors que le système de Marguerat ne propose qu’un ensemble disparate des micro-unités peu ou pas reliées entre elles.
5. Interprétations divergentes et évaluation comparée
Est-il vrai que pour Marguerat ces micro-unités sont juxtaposées sans lien clair entre elles ? A l’origine certainement : elles sont indépendantes et isolées. Mais ensuite que se passe-t-il entre les micro-unités et la fin d’élaboration du texte continu ? Malgré notre lecture attentive (toujours perfectible !), nous pensons que le livre de Marguerat n’en explique rien. Comme pour « l’oralité », ce passage des micro-unités au texte continu est une « boîte noire » une zone inexpliquée parmi les thèses de cette école. L’analyse de la forme littéraire prétend décrire comment « ces micro-unités [qui] étaient à l’origine indépendantes, […] ont été soudées et articulées les unes aux autres par les évangélistes en vue de former un récit continu », mais le livre ne répond jamais directement à cette question précise du travail d’artisan, du processus et des étapes d’élaboration du texte évangélique. Les ébauches de réponses campées sur des postulats ignorent largement les inputs (ressources, dont les méthodes …) et le processus de la production évangélique. Le livre se contente de réponses indirectes en s’appuyant sur des sujets connexes – souvent uniquement critique à l’égard des thèses adverses :
1. Le postulat des micro-unités indépendantes et isolées – donc sans véritable mémoire historique ;
2. Le postulat d’un contenu de sens produit – exclusivement - par la communauté dans son lieu de vie (Sitz im Leben) ;
3. Les échanges entre les sources synoptiques dans le cadre de théorie de la source Q ;
4. L’élaboration d’une fiction historique ; et
5. Une apologétique confortant ce que les communautés veulent croire – élaboration dite « théologique » !
« Matthieu manifeste une grande fidélité vis à vis des traditions qu’il a reçues autant qu’une grande liberté. D’une certaine manière on peut dire qu’il crée une fiction historique : ainsi le regroupement des miracles en 8-9 qui réunit une longue scène de récits que Marc situe à des moments différents. Se dessine là des orientations théologiques particulières et un contexte de communication spécifiques : les évangélistes écrivent une certaine histoire de Jésus, mais une histoire qui renvoie aussi à l’histoire et aux préoccupations des communautés auxquelles ils s’adressent. » (INT page 94).
Ce commentaire, dans le même livre, est d’Elian Cuvillier. Il faut être bien clair : l’existence des micro-unités n’est contestée par personne et le fait que ces « courtes séquences » ont été ordonnancées de façons différentes par les évangélistes, non plus. Effectivement, les chapitres 8-9 de Matthieu présentent une collection de 12 miracles, dont 9 se retrouvent chez Marc (entre 1, 29 et 6, 6) et 11 chez Luc (entre 4, 38 et 10, 2). Un seul de ces miracles est présent uniquement en Matthieu : les deux aveugles (9, 27-31).
Le contexte est effectivement différent parce que Matthieu place ces miracles à la suite des enseignements du Sermon sur la Montagne (Mt 5 à 7) alors que Marc ne rapporte pas du tout ce Sermon sur la Montagne de Jésus. Mais il s’agit là du plan d’exposé de Matthieu ou de Marc, donc il s’agit du contexte didactique. Malgré l’organisation très différente des deux textes, le contexte chronologique est similaire : 1. La proclamation de Jean Baptiste précède l’appel des premiers disciples par Jésus, 2. Les Douze sont institués et sont envoyés en mission avant la mort de Jean Baptiste et 3. Jean Baptiste est martyrisé avant le retour de mission des Douze. Ce canevas chronologique – vrai ou faux – est le même chez Luc. Il semble abusif de parler ici de « fiction historique » ou « d’orientations théologiques particulières ». C’est une reformulation du premier leitmotiv avec une nuance supplémentaire sur l’origine du contenu évangélique. Cette origine serait (exclusivement) sociale :
Le troisième leitmotiv est le suivant : l’histoire racontée par les Évangiles est, d’abord sinon exclusivement, le reflet des préoccupations des communautés auxquelles s’adressent les « évangélistes ». On revient donc toujours aux postulats de départ : « … la sociologie […] relie la forme littéraire au lieu de vie (Sitz im Lebem) qui génère cette forme et détermine la fonction qui lui est affectée. Tout lieu de vie régule en effet sa communication en adoptant un code formel pourvu de fonctions spécifiques. »
Pour notre part, nous pensons que ce commentaire d’Elian Cuvillier est inutilement offensif (« fiction historique ») et manque de rigueur. Elle nous semble que ce commentaire est plutôt de nature idéologique.
« De façon générale, les micro-récits dégagés par l’analyse de la forme littéraire se signalent par une extrême sobriété narrative, à laquelle les évangélistes ont souvent remédié en les insérant dans un cadre narratif ou discursif plus élaboré. On s’en convainc en comparant la façon dont Matthieu (18, 10-14) et Luc (15, 1-7) ont différemment mis en valeur les paraboles de la brebis perdue, le premier en l’insérant dans une catéchèse communautaire sur le respect dû aux petits, le second en réponse à la critique des Pharisiens et des scribes comme l’accueil par Jésus des collecteurs d’impôts et des pécheurs. » (INT page 27)
Ici encore c’est la variation du contexte didactique qui est soulignée.
Une troisième différence entre les deux thèses est que Marguerat partant de l'esthétique littéraire et de la sociologie de parvient pas déduire une représentation véritablement précise et détaillée sur la technique d’élaboration du récit continu, alors que dans la thèse de Pierre Perrier en partant du produit final – dans le texte araméen – permet d’obtenir une bonne de représentation du travail de « l’évangéliste ». Les étapes et les techniques de production sont déduites de façon assez logique du produit fini. Ces étapes possibles dans la thèse de Pierre Perrier sont :
- La confection des « perles » à partir des témoins dans l’esprit de l’oralité populaire et rabbinique (formulisme, prise en compte de la longueur de souffle définissant le rythme de récitation et la symétrie - en règle binaire, assonances, concision thématique, etc.) ;
- L’organisation en « colliers » pour la commodité de la remémoration, de la récitation et de la transmission (système de compte traditionnel des sofer = scribes) ;
- Les sutures rédactionnelles ;
- Les reprises et insertions de nouveaux « colliers » dans un texte pré-existant - créant une discontinuité dans la régularité d'ordrage des " perles " ;
- Les rédactions itératives menant à une amplification progressive du texte en strates successives (le cas particulier de Jean non développé ci-dessus) ;
- Etc.
L’absence de compréhension détaillée de la technique d’élaboration du récit continu a comme conséquence d’ouvrir la porte à tous les fantasmes. Il peut y avoir la tentative d’opposer :
- le rôle, en quelque sorte « passif », du secrétaire, collecteurs de micro-unités, simplement occupé à rabouter plus ou moins adroitement ces séquences disparates en récit continu ; et
- le rôle « actif » du théologien propagandiste, artiste en apologétique et pastiche « à la manière de Jésus », fabriquant de son propre chef la légende dorée du christianisme. Le premier étant un imbécile et le second un imposteur. Nous reviendrons plus bas sur ce sujet, sous le titre ambigu du « scribe inspiré » - tel que le conçoit l’école de Marguerat.
Toutes ces différences sur l'appréciation de la continuité/discontinuité, de la genèse/absence de généalogie ou de sens spécifique/absence de sens spécifique de l'ensemble des micro-unités repose sur l'appréciation de la cohérence de ces micro-unités - dans leur état brut - avant tout travail de recomposition en récit continu. Il faut souligner que l'inadéquation de la grille d'analyse peut, à elle seule, créer cette impression d'incohérence, d'éléments non assortis, non complémentaires, discontinus les uns avec les autres. Marguerat, lui-même, en a donné un exemple dans la première citation de ce post, ci-dessus.
L’analyse de la forme littéraire postule que ces micro-unités étaient à l’origine indépendantes, et qu’elles ont été soudées et articulées les unes aux autres par les évangélistes en vue de former un récit continu.
Maintenant, si nous revenons au postulat de départ de la " Formgeschichte " que peut bien signifier ici l'expression : " à l'origine " ? Cela ne signifie certainement pas que ces micro-unités sont le produit d'une génération spontanée. Alors cela signifie qu'on ne sait pas très exactement " comment ces micro-unités sont arrivées là " ! Si on réfléchit un instant, l'idée de ces micro-unités " sans racine, livrées au hasard, ne sachant pas comment elles sont arrivées là " a beaucoup plus de chance d'être une fiction que l'idée inverse de micro-unités ayant une généalogie, liés à des groupes humains précis ayant existé et existant encore au moment de la création de ces micro-unités, donc, pourvus de représentations et de mémoire - même erronées - sur leur sens et sur leur génèse. Finalement, cette formule : " à l'origine " est, comme souvent, un aveu de méconnaissance. C'est là que cette théorie de la " Formgeschichte " a un gros problème de méthode, car aucune théorie solide ne peut reposer sur un aveu d'ignorance.
Actuellement notre évaluation en termes de forces et faiblesses est la suivante : les hypothèses et la méthode de Pierre Perrier (PP) l’emportent largement sur les hypothèses et la méthode de l’école de Marguerat (M) :
- La description du texte résultant de l’analyse est exhaustive (PP) ou lacunaire (M) ;
- L’ensemble de micro-unités décrit est complètement relié (PP) ou isolé et disparate (M) ;
- La représentation du travail d’élaboration du texte continu est présente (PP) ou absente (M) ;
- La description du processus de travail est faite à partir du produit fini : spécifique (PP) ou à partir des formes littéraire et fonctions communautaires – moins spécifique (M) ;
- L’ensemble explicatif semble cohérent (PP) ou est esquissé et hypothétique (M) - cependant on peut admettre l’inverse : que l’avantage soit donné au questionnement et le désavantage aux certitudes (M > PP) ;
- Le système interprétatif (colliers, perles) semble appuyé sur l’histoire (PP) (celle des communautés juives et chrétiennes de langue araméenne) ou est une construction ad hoc (micro-unités indépendantes et isolées) (M).
Bien entendu la pleine adhésion dépendra de la démonstration des postulats – ce qui n’est pas fait notamment pour M - et de la levée des diverses objections (voir : https://dialogueabraham.forum-pro.fr/t47p135-debats-sur-la-mise-par-ecrit-des-evangiles#41088 )
Dernière édition par Roque le Mer 16 Avr - 14:46, édité 6 fois (Raison : Reformulation des paragraphes sur la cohérence et sur le postulat de départ)
Roque- Messages : 5064
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Re: La Parole de Jésus-Christ à la sauce Marguerat
QUI PEUT AFFIRMER QUE JESUS N’A PAS PRONONCE TELLE OU TELLE PHRASE DES EVANGILES ?
Marguerat est tout à fait affirmatif à ce sujet : « Jésus n’a pas prononcé ce complément » (Cf. : texte ci-dessous). Le fait que cette affirmation soit entre parenthèses ne change rien au fait que Marguerat outrepasse les limites rationnelles de sa méthode. L’analyse de la forme littéraire par le moyen de l’esthétique littéraire est une méthode comparative. La comparaison entre textes existants permet de confirmer ou de mettre en doute l’authenticité d’un passage de texte. L’absence de contenu comparable permet une solide mise en doute - mais jamais une négation formelle et définitive - car dans ce domaine une marge d'incertitude subsiste toujours. L’affirmation par Marguerat de la " falsification " du texte par Marc est le résultat d’un manque de rigueur, c’est à dire de la non reconnaissance des limites de la méthode. Ici entrent en jeu l’idéologie générale et la conviction subjective de Marguerat.
Marguerat est tout à fait affirmatif à ce sujet : « Jésus n’a pas prononcé ce complément » (Cf. : texte ci-dessous). Le fait que cette affirmation soit entre parenthèses ne change rien au fait que Marguerat outrepasse les limites rationnelles de sa méthode. L’analyse de la forme littéraire par le moyen de l’esthétique littéraire est une méthode comparative. La comparaison entre textes existants permet de confirmer ou de mettre en doute l’authenticité d’un passage de texte. L’absence de contenu comparable permet une solide mise en doute - mais jamais une négation formelle et définitive - car dans ce domaine une marge d'incertitude subsiste toujours. L’affirmation par Marguerat de la " falsification " du texte par Marc est le résultat d’un manque de rigueur, c’est à dire de la non reconnaissance des limites de la méthode. Ici entrent en jeu l’idéologie générale et la conviction subjective de Marguerat.
« En outre l’éthique de Jésus a été adaptée au contexte de la société gréco-romaine. La prescription de ne pas répudier sa femme et en épouser une autre, sous peine d’être adultère (Mt 19, 9), a été complétée en Mc 10, 12 par l’injonction : « et si la femme répudie son mari et en épouse un autre est adultère ». Etablir une symétrie homme/femme dans l’interdit de la répudiation et du remariage ne reflète pas les conditions de la conjugalité juive, où la femme ne détient pas le droit de répudier, mais correspond en revanche, mais correspond en revanche au droit conjugal romain. En conséquence, la parole de Jésus a été dotée d’une réciprocité qui ne correspond pas à l’étude documentaire (Jésus n’a pas prononcé ce complément), mais à l’esprit de la sentence.
Encore une fois, dès le moment ou l’enseignement de Jésus n’était pas reproduit pour alimenter une mémoire du passé, mais pour gérer la vie des croyants sous l’égide du Ressuscité, ses paroles devaient être adaptées pour être reçues comme une vérité dans le présent. » (INT page 22)
Roque- Messages : 5064
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Re: La Parole de Jésus-Christ à la sauce Marguerat
" Il y a une différence fondamentale entre la rhétorique grecque et son équivalent sémitique : « Le Grec veut convaincre en imposant un raisonnement imparable ; le Juif au contraire indique le chemin que le lecteur doit emprunter s'il désire comprendre. « Com-prendre » : prendre ensemble " Roland Meynet
Bonjour Roch ( pardon Roque .....un lien avec le Saint? )
Je suis dans la Rhétorique biblique et sémitique en ce moment ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Rh%C3%A9torique_s%C3%A9mitique ) donc ton sujet, que l'ai survolé me parle un peu.
J'ai l'intuition que dans le genre d'étude mené par Marguerat , comme nombre d'études menés sur le Coran il y a un biais "culturel" : on applique une grille d'analyse construite sur structure mentale culturel "Grecque" à des textes "sémitiques". Du coup on passe à coté du sujet et crée des contre sens. On passe à coté de la logique des textes...
Je ne vais pas trop développer ici mais j'espére ouvrir prochainement ( inch'Allah) un sujet propre à cette question de "rhétorique sémitique " dés que j'aurais un peu approfondis la question ...
- Spoiler:
- Marcel Jousse, chercheur et jésuite, s'est intéressé de par ses recherches sur la pédagogie du rythme à la transmission orale de la Bible, et, plus spécifiquement encore, à la formation orale des Évangiles, à leur transmission orale ainsi qu'à leur traduction et à leur mise par écrit. Il passa sa vie à étudier le fonctionnement des traditions orales dans l'ethnologie du premier siècle palestinien. En mettant au jour le mode de transmission par les rabbis d'Israël et l'importance du rôle de la mémorisation, il explique de manière anthropologique le pourquoi de l'importance des structures orales présentes dans la Bible et définit des « lois » qui les précisent : mimisme, rythmo-énergétisme, bilatéralisme, formulisme. Le parallélisme, le rythme binaire, sont pour lui les caractéristiques de l'être humain et de son langage, en particulier quand il s'agit de mémoriser un texte oral5.
L'originalité de Marcel Jousse est de n'être pas resté sur le plan théorique en ce qui concerne ces questions mais de les avoir rendues accessibles en la pratique de récitations rythmo-pédagogiques de l'Évangile. Plusieurs courants actuels de transmission orale de la Bible sont tributaires de ses recherches. À l'heure actuelle, ses travaux sont principalement continués par les recherches menées par Pierre Perrier (auteur notamment de Karozoutha, De la Bonne Nouvelle en araméen et Evangiles gréco-latins ; et de Evangiles de l'Oral à l'Ecrit).
Enrico Galbiati et Albert Vanhoye, prêtre jésuite, sont les premiers à porter l'analyse sur un livre entier. wikipédia
Idriss- Messages : 7124
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Re: La Parole de Jésus-Christ à la sauce Marguerat
Oui, je pense que c'est une piste solide. Au delà de la grilles d'analyse qui morcelle, tronque et désoriente le texte à analyser, il y a un défaut de conception, de perception de l'objet à analyser et corrélativement une méconnaissance de l'attitude nécessaire pour l'approche du texte, par exemple la méditation, la prière ou une vie décentrée par la compassion (souffrance avec) et l'humble service - l'intellectuel occidental est comme du bois vert saturé d'eau auquel on tente en vain de mettre le feu ... tout le contraire des anciens philosophes qui mouillaient parfois la chemise de leur propre sang. Mais je ne saurais le dire complètement, je n'ai pas les ouils pour ça.Idriss a écrit:J'ai l'intuition que dans le genre d'étude mené par Marguerat , comme nombre d'études menés sur le Coran il y a un biais "culturel" : on applique une grille d'analyse construite sur structure mentale culturel "Grecque" à des textes "sémitiques". Du coup on passe à coté du sujet et crée des contre sens. On passe à coté de la logique des textes...
Je ne vais pas trop développer ici mais j'espére ouvrir prochainement ( inch'Allah) un sujet propre à cette question de "rhétorique sémitique " dés que j'aurais un peu approfondis la question ...
Roque vient du " roque " au échecs, soit un mouvement tactique qui consiste à renverser la perspective de jeu au moment opportun. Cela symbolise justement, pour moi, la fonction de l'intelligence qu'on appelle " décadrage ". Elle consiste à changer le cadre d'analyse pour respecter et mieux comprendre l'objet analysé (les personnes aussi). Lorsqu'on ne parvient pas à pratiquer ce " décadrage " l'intelligence est vide, inutile, abstraite (= sans rapport avec la réalité) ou même catastrophique parfois. Cette fonction de décadrage rend compte d'une bonne partie de la puissance de l'intelligence, pour moi.
Si tu peux ouvrir une sujet, ce serait bien !
Roque- Messages : 5064
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Re: La Parole de Jésus-Christ à la sauce Marguerat
RECUSER TOUTES LES ATTESTATIONS PATRISTIQUES, PUIS REINVENTER L’HISTOIRE ?
OUI, MAIS REINVENTER A PARTIR DE QUOI ?
Ayant commencé à lire les écrits de Pierre Perrier (« Colliers évangéliques ») j’ai d’abord été surpris par le peu de cas fait par le livre de Marguerat des attestations patristiques sur la mise par écrit des Évangiles. Très concrètement ce livre ne fait aucune citation explicite de ces attestations, sauf trois : l’une d’Eusèbe est une citation qui parle de « λόγια » (page 90), une référence d’Eusèbe rapportant Papias (HE III, 39, 15) (page 67), mais sans citation et dans le dernier cas : une citation d'Irénée concernant Luc (page 118). La fameuse attestation d’Irénée parlant de l’« έχοδος » (exode ou exil) de Pierre et Paul est juste évoquée (page 68). Rien d’autre en matière de citation, pour ce qui concerne les quatre Évangiles.
Ces citations sont d’ailleurs très orientées. D’une part : ces « logia » ne sont pas les micro-unités indépendantes postulées par la « Formgeschichte » (comme des « post-it » de prédication ou de catéchèse), mais « l’ensemble des dires relatifs, c’est-à-dire à la fois les choses dites par le Seigneur et les choses dites sur le Seigneur », l’équivalent de la formule plus précise employé par Papias au sujet de Marc : « ce qui a été dit et fait par le Seigneur ». « Ainsi les « logia » de Matthieu ne sont pas une de ses sources, mais bien l’Évangile lui-même tel que Papias le connaissait et tel qu’il a jugé bon de la commenter » ( http://enfant-prodigue.com/spip/spip.php?article4433 ). D’autre part : cet « έχοδος » n’est pas la « mort » de Pierre et de Paul, mais un " départ ", un exil temporaire à l’occasion de la décapitation de Jacques le Majeur, puis de la fuite de Pierre de Jérusalem (+42) dans une ambiance de persécutions ayant été inaugurée 10 ans plus tôt par le martyr d’Etienne (+32).
La position du problème pour l’école de Marguerat est simple. D’abord, il est certain qu’il n’existe actuellement aucun témoin historique connu de l’élaboration des Évangiles hors des traditions des Églises d’orient ou d’occident. Ensuite, appuyer toute l’argumentation sur la seule critique textuelle (preuves ou indices internes) en ne prenant ouvertement aucun compte de la totalité des attestations patristiques serait une position intenable. Mais ces attestations patristiques posent un réel problème – à l’école de Marguerat : même si on essaie de les minimiser, elles sont nombreuses et - pour l’essentiel – assez cohérentes. Elles situent l’élaboration des Évangile « [i]en hébreu », à des dates globalement une génération avant les dates avancées par l’école de Marguerat.
Alors la position de l’école de Marguerat doit se faire subtile. Si elle ne récuse pas ouvertement la totalité des attestations patristiques, c’est quand même ce qu’elle fait en pratique. Les attestations patristiques sont citées au compte-goutte (2 citation, 1 référence sans citation et 8 ou 9 évocations sans référence, ni citation) et leur contenu est finalement complètement rejeté. En effet, les conclusions ou orientations du livre de Marguerat vont directement à l’encontre du contenu de la quasi totalité des attestations patristiques cités ou évoquées, pendant que d'autres sont totalement ignorées. De certaines attestations « filtrent » quand même des éléments : la ville de Rome pour la rédaction de l’Évangile de Marc ou éventuellement la ville d’Antioche pour l’Évangile de Matthieu, bien évidemment sans référence, ni citation. Nous avons déjà vu, plus haut, que les citations à propos de « λόγια » et de « έχοδος » sont orientées.
Ce qu’on peut reprocher encore à ce livre est qu’il « prend et laisse » ce qui lui convient des attestations patristiques qu’il évoque – c'est à dire qu'il sélectionne ce qui lui " convient " sans prendre en compte la totalité de leur contenu. Ces attestations donnent pourtant des réponses directes aux questions sur le rôle des « évangélistes », sur les étapes de la mise par écrits des Évangiles, mais cela « n’intéresse » semble-t-il pas Marguerat. Les commentaires de ce livre sont donc quelque peu empreints de partialité et d’opportunisme. On estime à un peu plus de 70 les attestations patristiques connues (Pierre Perrier et d’autres sources complémentaires) concernant le sujet des quatre Évangiles. Un auteur, cité en conclusion de ce post, qualifie de « peu scientifique » le rejet en bloc de toutes ces attestations patristiques.
1. L'Evangile de Marc et les attestations patristiques.
Pour être bien clair, commençons par citer les trois principales attestations auxquelles font plus ou moins directement allusion ce paragraphe :
Notons que le fait de retenir Rome (INT page 69) comme lieu de rédaction vient d’une attestation patristique qui a été prise en compte sans être citée et avec quelque « opportunisme » par rapport à toutes les autres attestations qui ont été récusées. Les attestations qui prétendent que Marc a rédigé l’Évangile au vivant de Pierre (spoiler suivant) sont récusées au profit de l’attestation d’Irénée, mal traduite par ailleurs. Il est tendancieux de prétendre que « toute la tradition s’appuie sur le seul témoignage de Papias ». En réalité, il existe beaucoup d’autres attestations, dont certaines sont indépendantes de Papias. Le livre « les Colliers évangéliques » de Pierre Perrier (pages 774 à 801) donne même une liste de 70 attestations concernant les quatre Évangiles. Dans l’immédiat : 13 attestations (« Les Colliers évangéliques », pages 778 à 780) concernant l’Évangile de Marc, seul. Pierre Perrier insiste tout particulièrement sur le fait que ces attestations distinguent clairement et de façon cohérente plusieurs actions à chaque étape de l’élaboration de l’Evangile : mettre en ordre, composer, laisser un écrit, mettre par écrit, éditer et publier (chacune de ces actions est en gras dans le spoiler).
2. L'Evangile de Matthieu et les attestations patristiques
Pour être clair, commençons par citer quelques attestations parmi les 11 attestations concernant l’Évangile de Matthieu, seul (les « Colliers évangéliques » pages 775 à 777) :
3. Les Évangiles de Luc et de Jean et les attestations patristiques.
Pour l'Évangile de Luc : une citation d'Irénée : " Et Luc, le compagnon de Paul, a consigné dans un livre l'Évangile que Paul prêchait " (AH III, 1 , 1) (INT page 118). C'est une des rares attestations patristiques qui ne sont pas récusée par l'INT. Il existe une autre citation d'Irénée sur Luc (AH, III, 19) qui explique que c'est par la Bonne Nouvelle et par les apôtres " que nous avons connu la Vérité, c'est à dire l'enseignement du Fils de Dieu ", mais elle n'est pas prise en compte. A noter que Pierre Perrier donne une liste de 15 attestations patristiques concernant l'Évangile de Luc, seul. Aucune citation ou référence dans le chapitre consacré à l'Évangile de Jean.
4. Le message - concernant la mise par écrit des Evangiles - envoyé par l'exégèse " moderne " dans la ligne de Marguerat
Le message envoyé par le groupe des collaborateurs de cet ouvrage (Corina Combet-Galland, Elian Cuvillier, Daniel Marguerat et Jean Zumstein) est que les évangélistes ont écrit après la mort de tous les Apôtres, y compris Jean, à la deuxième ou troisième génération et que ces « évangélistes » n’étaient pas nécessairement proches des apôtres (Marc/Pierre ou Luc/Paul) – d’où rupture de la transmission :
1. Marc : « a écrit après la mort de Pierre » […] « on a observé le rôle important que joue ce disciple [Pierre] joue dans le récit de Marc. Mais en quoi l’image qu’il en dégage présupposerait-elle le contact direct d’un disciple ou interprète ? » (INT page 68). Du fait de la théorie Q pris en compte par l'école de Marguerat Matthieu et Luc seraient nécessairement écrits après Marc ;
2. Matthieu : « la paternité de l’apôtre n’est plus retenue aujourd’hui » (INT page 90) « L’hypothèse la plus couramment admise aujourd’hui est que l’auteur du premier évangile vit à la fin du premier siècle. » (INT page 91) ;
3. Luc : « le portrait lucanien de l’apôtre [Paul] dans les Actes ne plaide pas en faveur d’une proximité chronologique de l’auteur [Luc] avec l’apôtre des Gentils [Paul] » (INT page 119) ;
4. Jean : « Si le disciple bien-aimé est le fondateur de l’école johannique, il est en revanche peu probable qu’il soit l’auteur de l’évangile. Il faut penser à un rédacteur distinct de lui, plus jeune d’une génération et que l’on nomme d’ordinaire l’évangéliste. » « il convient cependant de prendre acte du fait que l’évangéliste canonique n’est pas l’œuvre de l’évangéliste, mais du rédacteur final (faut-il penser à un individu ou à une groupe ?). » (INT page 385) […] « L’évangile n’est pas l’œuvre d’un témoin oculaire » […] « la mort du disciple bien-aimé semble avoir constitué un problème pour les cercles johanniques ». (INT page 386)
L’allégation de la « mort » de Jean extrapolée à partir d’un « indice interne », seul, est sans valeur. Elle constitue encore une transgression des limites de l’analyse littéraire, laquelle permet certainement de mettre en doute la continuité ou l’uniformité du texte de Jean, mais ne permet surement pas de conclure positivement à une événement comme à la mort de l’auteur. On tente ici de réinventer l’histoire sans aucune source valide.
Le quatrième leitmotiv est le suivant : les évangiles ont été rédigés par des « évangélistes » après la mort de Pierre (+67), de Paul (+68) et de tous les Apôtres. Notons-le : ce message est remarquablement passé dans les médias et une grande partie de l’opinion publique.
Nous mettons ici dans le spoiler quelques attestations tirées d’un site de juifs messianiques prétendant que l’Évangile de Matthieu a été écrit en grec. Pour ma part je trouve tout à fait impressionnante l’attestation de Jérôme : « En outre, l'hébreu lui-même est préservé à ce jour dans la bibliothèque de Césarée. » Pourquoi impressionnante ? Parce que Jérôme connaissant l’hébreu a été voir de ses yeux cet ouvrage à la bibliothèque de Césarée à la fin du 4ème siècle ! Ce témoignage pèse, de mon point de vue, aussi lourd que plusieurs dizaines « d’indices internes » à la mode Marguerat. L’attestation de Jérôme est aussi recoupée par celle d'Epipohane (4ème siècle) et celle d’Isho'dad (9ème siècle), deux sources a priori indépendantes de Jérôme.
5. La question de l’Évangile en Hébreu
Les liens sont entièrement tirés d'un site Juif messianique. L'Administratrice Ruth qui a traduit l'Evangile de Shem Tov en français pense que cet Evangile n'est pas une traduction du grec, mais un Evangile en hébreu d'origine :
http://messianique.forumpro.fr/t3076p15-des-perles-dans-le-texte-hebreu-de-matthieu-shem-tov#30693
http://messianique.forumpro.fr/t3182-matthieu-hebreu-shem-tov-en-francais-ch-1-au-ch-10#32096
http://messianique.forumpro.fr/t3324-traduction-corrigee-evangile-de-matthieu-en-hebreu-shem-tov#34019
http://messianique.forumpro.fr/t3330-preuves-de-l-authenticite-du-texte-shem-tov-matthieu-hebreu#34131
6. Est-il scientifique de rejeter un si grand nombre d’attestations patristiques ?
Cette réserve qui vaut pour la question de l’Évangile de Matthieu en hébreu, vaut aussi pour la question des quatre Évangiles éventuellement « en langue des hébreux », c’est à dire en araméen.
OUI, MAIS REINVENTER A PARTIR DE QUOI ?
Ayant commencé à lire les écrits de Pierre Perrier (« Colliers évangéliques ») j’ai d’abord été surpris par le peu de cas fait par le livre de Marguerat des attestations patristiques sur la mise par écrit des Évangiles. Très concrètement ce livre ne fait aucune citation explicite de ces attestations, sauf trois : l’une d’Eusèbe est une citation qui parle de « λόγια » (page 90), une référence d’Eusèbe rapportant Papias (HE III, 39, 15) (page 67), mais sans citation et dans le dernier cas : une citation d'Irénée concernant Luc (page 118). La fameuse attestation d’Irénée parlant de l’« έχοδος » (exode ou exil) de Pierre et Paul est juste évoquée (page 68). Rien d’autre en matière de citation, pour ce qui concerne les quatre Évangiles.
Ces citations sont d’ailleurs très orientées. D’une part : ces « logia » ne sont pas les micro-unités indépendantes postulées par la « Formgeschichte » (comme des « post-it » de prédication ou de catéchèse), mais « l’ensemble des dires relatifs, c’est-à-dire à la fois les choses dites par le Seigneur et les choses dites sur le Seigneur », l’équivalent de la formule plus précise employé par Papias au sujet de Marc : « ce qui a été dit et fait par le Seigneur ». « Ainsi les « logia » de Matthieu ne sont pas une de ses sources, mais bien l’Évangile lui-même tel que Papias le connaissait et tel qu’il a jugé bon de la commenter » ( http://enfant-prodigue.com/spip/spip.php?article4433 ). D’autre part : cet « έχοδος » n’est pas la « mort » de Pierre et de Paul, mais un " départ ", un exil temporaire à l’occasion de la décapitation de Jacques le Majeur, puis de la fuite de Pierre de Jérusalem (+42) dans une ambiance de persécutions ayant été inaugurée 10 ans plus tôt par le martyr d’Etienne (+32).
La position du problème pour l’école de Marguerat est simple. D’abord, il est certain qu’il n’existe actuellement aucun témoin historique connu de l’élaboration des Évangiles hors des traditions des Églises d’orient ou d’occident. Ensuite, appuyer toute l’argumentation sur la seule critique textuelle (preuves ou indices internes) en ne prenant ouvertement aucun compte de la totalité des attestations patristiques serait une position intenable. Mais ces attestations patristiques posent un réel problème – à l’école de Marguerat : même si on essaie de les minimiser, elles sont nombreuses et - pour l’essentiel – assez cohérentes. Elles situent l’élaboration des Évangile « [i]en hébreu », à des dates globalement une génération avant les dates avancées par l’école de Marguerat.
Alors la position de l’école de Marguerat doit se faire subtile. Si elle ne récuse pas ouvertement la totalité des attestations patristiques, c’est quand même ce qu’elle fait en pratique. Les attestations patristiques sont citées au compte-goutte (2 citation, 1 référence sans citation et 8 ou 9 évocations sans référence, ni citation) et leur contenu est finalement complètement rejeté. En effet, les conclusions ou orientations du livre de Marguerat vont directement à l’encontre du contenu de la quasi totalité des attestations patristiques cités ou évoquées, pendant que d'autres sont totalement ignorées. De certaines attestations « filtrent » quand même des éléments : la ville de Rome pour la rédaction de l’Évangile de Marc ou éventuellement la ville d’Antioche pour l’Évangile de Matthieu, bien évidemment sans référence, ni citation. Nous avons déjà vu, plus haut, que les citations à propos de « λόγια » et de « έχοδος » sont orientées.
Ce qu’on peut reprocher encore à ce livre est qu’il « prend et laisse » ce qui lui convient des attestations patristiques qu’il évoque – c'est à dire qu'il sélectionne ce qui lui " convient " sans prendre en compte la totalité de leur contenu. Ces attestations donnent pourtant des réponses directes aux questions sur le rôle des « évangélistes », sur les étapes de la mise par écrits des Évangiles, mais cela « n’intéresse » semble-t-il pas Marguerat. Les commentaires de ce livre sont donc quelque peu empreints de partialité et d’opportunisme. On estime à un peu plus de 70 les attestations patristiques connues (Pierre Perrier et d’autres sources complémentaires) concernant le sujet des quatre Évangiles. Un auteur, cité en conclusion de ce post, qualifie de « peu scientifique » le rejet en bloc de toutes ces attestations patristiques.
1. L'Evangile de Marc et les attestations patristiques.
« La suscription « selon Marc » (κατά Μάρκον), un nom d’origine romaine fort répandu, est secondaire ; attestée depuis Irénée (fin du IIème siècle), elle reflète de nouvelles conditions de réception. Pour situer de récit, toute la tradition patristique s’est appuyée sur le témoignage de Papias, Évêque de Hiérapolis en Phrygie (vers 125) rapportée par Eusèbe de Césarée (Histoire ecclésiastique III, 39, 15). Commentant l’affirmation d’un presbytre Jean, Papias qualifie Marc d’interprète de Pierre (έρμηνευτής, mais dans quel sens ? traducteur ? commentateur ?), qui fait œuvre de mémoire des paroles et actes du Seigneur : la tradition n’était-elle plus accessible directement ?), sans omission ni mensonges, écrivant sans ordre mais avec exactitude (sa mémoire était-elle sélective ou sans défaut ?). A côté des questions qu’elle soulève, une telle attestation parait apologétique : elle a pour intention de rattacher les évangiles, même indirectement, à la figure de l’apôtre et ne peut donc être prise à la lettre. Le contenu du récit lui-même fait glisser le regard de l’auteur vers les destinataires de l’évangile : celui-ci s’explique bien plus comme une réponse aux questions des communautés auxquelles il s’adresse que comme un témoignage oculaire direct. La référence à Papias a soutenu cependant l’hypothèse que Marc avait écrit à Rome après la mort de Pierre. » (INT page 67-68)
Pour être bien clair, commençons par citer les trois principales attestations auxquelles font plus ou moins directement allusion ce paragraphe :
- Spoiler:
« Par contre l’éclat de la piété brilla tellement dans l’esprit des auditeurs de Pierre qu’ils ne tinrent pas pour suffisant de l’avoir entendu une fois pour toutes, ni d’avoir reçu l’enseignement oral du message divin, mais que, par toutes sortes d’instances ils supplièrent Marc, par lequel l’Évangile leur était parvenu et qui était le collaborateur de Pierre, de leur laisser son mémorial écrit de l’enseignement qui leur avait été transmis oralement : ils ne cessèrent pas leur demande avant d’avoir contraint Marc et ainsi ils furent cause de la mise par écrit de l’Évangile appelé « selon saint Marc ». L’Apôtre dit-on connu cela par une révélation de l’Esprit : il se réjouit du désir de ces hommes et il confirma le livre pour la proclamation dans les assemblées » (Eusèbe HE II, 15).
« Marc était l’interprète de Pierre ainsi fixa-t-il par écrit sa traduction (en grec) exactement mais il ne fit pas un ordrage de tout ce qu’on disait avoir été prononcé, soit fait par le Seigneur. Il n’avait pas été avec le Seigneur ni n’avait pu le suivre, aussi plus tard le reçut-il de Pierre comme je l’ai dit. Or celui-ci donnait ses catéchèses selon les besoins mais sans faire un enchaînement des paroles du Seigneur. Ainsi Marc n’a pas fait d’erreur en mettant par écrit comme il se souvenait. Il n’a eu en effet qu’un seul dessein, celui de ne rien laisser de côté de ce qu’il avait entendu sans se tromper sur le contenu de ce qu’il rapportait » (Jean le Presbytre rapporté par Eusèbe H.E. III, 39, 15-16).
« Aussi Matthieu parmi les Hébreux produisit au dehors aussi dans leur propre dialecte un texte écrit d’Évangile, Pierre et Paul, étant en train parmi les Romains d’évangéliser et de fonder Ecclésia. Après le départ en exil (« έχοδος ») de ceux-ci, Marc, le disciple et traducteur de Pierre, lui aussi nous transmit une mise par écrit de ce qu’était en train de prêcher Pierre. Et Luc aussi accompagnateur de Paul établit dans un manuscrit (rouleau) l’Évangile qu’était en train de prêcher Paul. Après Jean … aussi livra au-delà de son entourage un texte … » (Irénée, A .H III.1.1).
- Spoiler:
1. « La suscription « selon Marc » (κατά Μάρκον), […] est secondaire ; attestée depuis Irénée (fin du IIème siècle) » La vraie suscription du texte de Marc ne comporte pas la formule « κατά Μάρκον », mais : « Commencement de l’Évangile (εὐαγγέλιον) de Jésus-Christ Fils de Dieu » (Mc 1, 1). Il est juste de faire remarquer que cette « bonne Nouvelle » (εὐαγγέλιον) désigne l’annonce d’un évènement heureux et non le livre – de même, dans la tradition musulmane, tradition orale également, le Coran (la récitation) n’est pas le mushaf, c’est-à-dire : le support d’écriture (donc le codex ou le livre). Il n’en reste pas moins que le terme « εὐαγγέλιον » fait partie de l’édition d’origine du texte de Marc. Maintenant que l’appellation « κατά Μάρκον » soit attestée par Irénée ne signifie ni qu’elle soit secondaire, ni qu’elle n’ait pas existé beaucoup plus tôt. Il existe – au contraire – une attestation patristique d’Eusèbe qui prétend que cette dénomination « κατά Μάρκον » date de la période même où Pierre en autorisa la proclamation dans la grande assemblée. Par ailleurs, l’INT, elle-même, signale que Justin de Naplouse (+150) utilise l'expression " les évangiles " (au pluriel) pour désigner " les écrits qui font mémoire des paroles et des actes de Jésus, de sa passion et de sa résurrection " (Apologie I, 66, 3) (INT page 48) ce qui correspond exactement au sens des " logia ", terme utilisé par Papias (+125) au sujet de Marc désignant l'ensemble de « ce qui a été dit et fait par le Seigneur » et non les " micro-unités " conçues par la Formgeschichte (voir l'introduction du post précédent). Par ailleurs cet usage de l'expressions " les évangiles " semble utilisée des la fin du premier siècle (INT page 49) ;
2. « elle reflète de nouvelles conditions de réception » : argument qui, comme un paragraphe de même signification plus bas : « Le contenu du récit lui-même fait glisser le regard de l’auteur vers les destinataires de l’évangile celui-ci s’explique bien plus comme une réponse aux questions des communautés auxquelles il s’adresse que comme un témoignage oculaire direct. » repose sur l’hypothèse que l’Évangile aurait été fabriqué – au fur et à mesure - en fonction des destinataires et non en fonction d'une source comme le « Jésus terrestre » ou les témoins oculaires, une rupture de la transmission, en amont des « évangélistes » est postulée. Nous reviendrons sur ce postulat idéologique dans un autre post ;
3. Marc interprète (έρμηνευτής), ça veut dire quoi ? La mémoire était-elle accessible directement ou bien sélective et lacunaire ? Ce sont de bonnes questions auxquelles les trois attestations ci-dessus (premier spoiler) et les dix autres attestations ci-dessous (second spoiler) répondent de façon cohérente et précise : Marc a été le « metteur par écrit en traduction précise » de la proclamation orale de Pierre. Ajoutons qu’il existe aussi des arguments internes (concordants avec ces attestations) sur le sens de « έρμηνευτής » dans les textes de Papias qui signifie traducteur et jamais commentateur (voir : http://enfant-prodigue.com/spip/spip.php?article4433 ). Évidemment si on ne cite pas clairement ces attestations, on peut toujours suggérer qu’on ignorerait les réponses proposées à ces questions. Sérieusement, qu’est-ce qui laisse entendre dans ces attestations que « la tradition n’aurait plus été accessible directement » ? Rien, sauf l’idée a priori de l’auteure ;
4. « une telle attestation parait apologétique : elle a pour intention de rattacher les évangiles, même indirectement, à la figure de l’apôtre et ne peut donc être prise à la lettre » : cette objection est purement idéologique et fera l’objet du post suivant :
5. « La référence à Papias a soutenu cependant l’hypothèse que Marc avait écrit à Rome après la mort de Pierre ». D’abord : la formulation de cette phrase prête à contresens : l’hypothèse n’est pas de Papias, mais des exégètes modernes sur la ligne de l’école de Marguerat. Ensuite : prêter cette attestation d’Irénée à Papias c’est implicitement accuser Papias de se contredire. Encore : traduite « έξοδος » par « mort » est une erreur de traduction. La bonne traduction est « exode, exil ou départ ». Enfin, l’auteure se montre ici opportuniste : comme par hasard elle ne récuse pas cette attestation parce qu’elle semble pouvoir « profiter » à ses thèses – mais elle est mal traduite. Voici, ci-dessous, l’explication donné par Pierre Perrier de cette traduction :Un exode post-daté
« Après l’exode de Pierre et Paul « est le plus souvent traduit par « après la mort » sans note explicative pour justifier une datation de Matthieu écrit en araméen et postérieure à 68. En fait le contrôle par ordinateur a pu confirmer qu’Irénée ne traduit jamais la mort d’un personnage par « exodos », mais emploie ce mot au sens biblique hébreu-araméen de exode « galoutha », être forcé à quitter son pays par la persécution » (Les « Colliers évangéliques », page 795)
6. Premier « indice interne » : l’image de Pierre qui se dégagerait du texte de Marc ne présupposerait pas un contact direct tel qu’il peut exister avec un disciple ou un traducteur (INT page 68). L'importance de Pierre dans cet évangile ne signifierait pas qu'il en soit l'inspirateur puisqu'on retrouverait la même prééminence dans différents écrits pauliniens. Quelle peut-être l'objectivité d'une telle assertion ? Remarquons également que Marc a été le secrétaire-traducteur successivement de Paul et de Pierre ;
7. Second « indice interne » : l'origine judéenne voire hiérosolomytaine du rédacteur semble douteuse pour un texte rédigé en grec qui dénote d'une méconnaissance de la géographie palestinienne … tout en reconnaissant que l’évaluation de ce point est rendue difficile par la « pluralité des traditions » :« Les imprécisions géographiques du récit ont pesé en faveur d’une certaine distance de l’évangile par rapport à une tradition du cheminement en Galilée liée à Pierre. Mais c’est surtout la pluralité des traditions qu’assemble Marc, dans leur diversité, qui distend les attaches et complexifie la question des héritages ».(INT page 68)
Notons que le fait de retenir Rome (INT page 69) comme lieu de rédaction vient d’une attestation patristique qui a été prise en compte sans être citée et avec quelque « opportunisme » par rapport à toutes les autres attestations qui ont été récusées. Les attestations qui prétendent que Marc a rédigé l’Évangile au vivant de Pierre (spoiler suivant) sont récusées au profit de l’attestation d’Irénée, mal traduite par ailleurs. Il est tendancieux de prétendre que « toute la tradition s’appuie sur le seul témoignage de Papias ». En réalité, il existe beaucoup d’autres attestations, dont certaines sont indépendantes de Papias. Le livre « les Colliers évangéliques » de Pierre Perrier (pages 774 à 801) donne même une liste de 70 attestations concernant les quatre Évangiles. Dans l’immédiat : 13 attestations (« Les Colliers évangéliques », pages 778 à 780) concernant l’Évangile de Marc, seul. Pierre Perrier insiste tout particulièrement sur le fait que ces attestations distinguent clairement et de façon cohérente plusieurs actions à chaque étape de l’élaboration de l’Evangile : mettre en ordre, composer, laisser un écrit, mettre par écrit, éditer et publier (chacune de ces actions est en gras dans le spoiler).
- Spoiler:
Évangelion selon Marc
(texte de Pierre Perrier : les mots en gras détaillent les étapes d'élaboration du texte de l'Evangile.)
La mise en place de la catéchèse de Pierre aux Romains ; lors de son premier voyagé en 42-45, ne peut être qu’étayée par la datation historique précise de ce premier « exode des chefs de l’Église » qui ne reviendront plus de façon permanente, sauf exceptionnelle à Jérusalem. Deux traditions le confirment :
1. « D’après une tradition le Seigneur ordonna à ses apôtres de ne s’éloigner de Jérusalem pendant douze ans » (Appollonius cité par Eusèbe HE V, 18, 14).
2. « Le Seigneur prescrit à ses Apôtres de se disperser après douze ans d’apostolat à Jérusalem » (Clément d’Alexandrie VII 5-43).
3. « Après le départ de ces derniers, Marc le traducteur de Pierre nous transmet lui aussi par écrit pendant que Pierre était en train de prêcher » (Irénée. Adv. H., 1-1).
4. « Par contre l’éclat de la piété brilla tellement dans l’esprit des auditeurs de Pierre qu’ils ne tinrent pas pour suffisant de l’avoir entendu une fois pour toutes, ni d’avoir reçu l’enseignement oral du message divin, mais que, par toutes sortes d’instances ils supplièrent Marc, par lequel l’Évangile leur était parvenu et qui était le collaborateur de Pierre, de leur laisser son mémorial écrit de l’enseignement qui leur avait été transmis oralement : ils ne cessèrent pas leur demande avant d’avoir contraint Marc et ainsi ils furent cause de la mise par écrit de l’Évangile appelé « selon saint Marc ». L’Apôtre dit-on connu cela par une révélation de l’Esprit : il se réjouit du désir de ces hommes et il confirma le livre pour la proclamation dans les assemblées » (Eusèbe HE II, 15-1).
On note que l’Évangile de Pierre fut ainsi mis par écrit (en araméen puis sous forme de l’Evangile prêché par le traducteur Marc, c'est-à-dire en grec) et confirmé pour la lecture liturgique en 45 selon un processus oral puis écrit :
5. « Paul avait Tite comme collaborateur-interprète (sunergos-metergouman) comme le bienheureux Pierre avait Marc dont l’Évangile a été fixé Pierre disant et lui écrivant. » (Jérôme PL. 10.0002).
6. « Alors Pierre commença à expliquer à Théon les grandeurs de Dieu et la manière dont le Seigneur l’avait choisi comme l’un des Apôtres et la raison de son voyage en Italie. Chaque jour il lui communiquait la Parole de Dieu » (Actes de Pierre 4).
7. « Marc l’évangéliste a dicté son Évangile à Rome, 15 ans après l’Ascension du Seigneur en langue de l’empire romain » (Ischo dad, Morceaux choisis).
8. « Alors Pierre entra dans le triclinium et vit qu’on lisait l’Évangile. Il le réenroula et dit : « Hommes qui croyez et espérez dans le Christ sachez comme la Sainte Écriture de Notre Seigneur doit être proclamée. Ce que par sa grâce nous avons assimilé bien que cela nous paraisse « encore faible », nous l’avons fait mettre par écrit selon nos forces » (Actes de Pierre 20).
Ces textes montrent l’existence d’une catéchèse orale, dont la récitation par cœur est prioritaire par rapport à la lecture. Il faut d’abord assimiler, c'est-à-dire savoir par cœur, même si cette connaissance est encore faible au début.
9. « Aux enseignements de Pierre, Marc était présent, ainsi put-il écrire … » (Fragment de Muratori).
10. « Pierre annonçait la Parole publiquement à Rome et proférait l’Évangile sous l’inspiration de l’Esprit. Ceux qui étaient présents, et ils étaient nombreux, demandèrent à Marc, vu qu’ils l’accompagnaient depuis longtemps et savait par cœur les choses dites de les mettre par écrit. Il le fit et donna « l’Evangelion » à ceux qui le demandaient. Ce qu’ayant appris, Pierre ne fit rien pour empêcher, ni pour pousser ce projet » (Clément d’Alexandrie dans Eusèbe H.E III).
11. « Marc était l’interprète de Pierre ainsi fixa-t-il par écrit sa traduction (en grec) exactement mais il ne fit pas un ordrage de tout ce qu’on disait avoir été prononcé, soit fait par le Seigneur. Il n’avait pas été avec le Seigneur ni n’avait pu le suivre, aussi plus tard le reçut-il de Pierre comme je l’ai dit. Or celui-ci donnait ses catéchèses selon les besoins mais sans faire un enchaînement des paroles du Seigneur. Ainsi Marc n’a pas fait d’erreur en mettant par écrit comme il se souvenait. Il n’a eu en effet qu’un seul dessein, celui de ne rien laisser de côté de ce qu’il avait entendu sans se tromper sur le contenu de ce qu’il rapportait » (Jean le Presbytre rapporté par Eusèbe H.E. III, 39, 15-16).
Marc se contente d’être le metteur par écrit en traduction précise de ce que prêchait Pierre.
12. « Marc a été mis par écrit dans la langue des Romains à Rome » (manuscrit de Mardin, morceaux choisis).
13. « Marc l’évangéliste a dicté son « Evangelion » quinze ans après l’Ascension du Seigneur à Rome en langue des Romains » (Abdisho Bar Briha, Marganitha).
La langue des Romains pour un oriental est le grec. Marc a bien dicté son « Evangelion » en grec à Rome pour « publication » à la mode romaine, en 45, avec le titre nouveau de « Evangelion » alors que Pierre était toujours en train d’enseigner.
2. L'Evangile de Matthieu et les attestations patristiques
« La tradition qui fait de l’apôtre Matthieu (Mt 10, 3, cf. 9,9) l’auteur de premier évangile se fonde sur le témoignage de Papias rapporté par Eusèbe (Histoire ecclésiastique III, 39, 16) : « Ματθαῖος μὲν οὖν ἑβραΐδι διαλέκτῳ τὰ λόγια συνετάξατο, ἡρμήνευσεν δ' αὐτὰ ὡς ἧν δυνατὸς ἕκαστος. » (que l’on peut traduire : « Matthieu réunit donc en langue hébraïque les logia [de Jésus] et chacun les interpréta comme il en était capable »). Le commentaire de Papias ne repose cependant sur aucune information historique solide ; il n’existe en particulier, aucune trace d’une version ancienne de l’évangile de Matthieu. En outre il est très surprenant qu’un témoin oculaire (en l’occurrence le disciple Matthieu) utilise une source secondaire pour rédiger son propre récit. La transformation du nom de Lévi en Matthieu (Mc 2, 14 // Mt 9, 9) reflète d’ailleurs un processus secondaire qui n’est pas l’œuvre d’un témoin oculaire (on en retrouve un autre exemple en Mt 27, 56 où Salomé – Mc 15, 40 – devient la mère des fils de Zébédée, cf. Mt 20, 20). Peut-être le disciple Matthieu a-t-il joué un rôle dans la communauté dont l’auteur de l’évangile est originaire ? Cette hypothèse pourrait expliquer le changement de nom et l’addition ό τελώνης (« collecteur d’impôts », Mt 10;3). » (INT page 90)
Pour être clair, commençons par citer quelques attestations parmi les 11 attestations concernant l’Évangile de Matthieu, seul (les « Colliers évangéliques » pages 775 à 777) :
- Spoiler:
« Matthieu mit sous forme ordrée les paroles du Seigneur en dialecte hébraïque et chacun en fit la traduction comme il le pouvait » (Papias citée par Eusèbe H.E. 3, 39, 16)
« Matthieu en effet prêcha d’abord aux Hébreux. Comme il devait aller vers d’autres, il livra à l’écrit dans la langue de ses pères son Évangile comme aide pendant son absence pour ceux dont il s’éloignait » (Eusèbe, HE., 3, 24, 3)
« Aussi Matthieu parmi les Hébreux produisit au dehors aussi dans leur propre dialecte un texte écrit d’Évangile, Pierre et Paul, étant en train parmi les Romains d’évangéliser et de fonder Ecclésia. Après le départ en exil de ceux-ci, Marc, le disciple et traducteur de Pierre, lui aussi nous transmit une mise par écrit de ce qu’était en train de prêcher Pierre. Et Luc aussi accompagnateur de Paul établit dans un manuscrit (rouleau) l’Évangile qu’était en train de prêcher Paul. Après Jean … aussi livra au-delà de son entourage un texte … » (Irénée, A .H III.1.1).
« Pantène fut aussi signalé comme un prédicateur de l’Évangile du Christ vers les Nations de l’Orient, jusqu’en Indes : mais on dit qu’il trouva sa venue devancée par l’Évangile de Matthieu que connaissaient certains des habitants du pays auxquels Barthelemy, l’un des Apôtres, aurait prêché et aurait laissé l’ouvrage de Matthieu écrit en lettres hébraïques et qu’il auraient conservé jusque-là (Eusèbe H.E. voir la référence dans un numéro des « Sources Chrétiennes » n° 41, sur : http://enfant-prodigue.com/spip/spip.php?article4433 ). Barthélémy-Nathanaël est martyrisé en +45.
« Sous l’empereur Zénon, on trouva à Chypre le corps de saint Barnabé sur la poitrine duquel fut trouvé un exemplaire de l’Évangile selon saint Matthieu copié de la main même de saint Barnabé » (Georges le Moine, Chronicon T. Il-619). Barnabé par avec Paul au plus tard en +50.
- Spoiler:
1. « Le commentaire de Papias ne repose cependant sur aucune information historique solide » : il est vrai qu’il n’existe actuellement pas de source non chrétienne connue recoupant ce qui est dit par les traditions chrétiennes sur cette élaboration des Évangiles. Il serait étonnant qu’il en fût autrement. Cependant, il existe des sources indépendantes qui sont celles qui appartiennent à des langues, à des traditions, à des Églises qui se sont progressivement « autonomisées » par rapport à l’Église siégeant à Rome. L’exemple le plus frappant est celui de la tradition araméophone qui a très précocement « disparu » du paysage des Églises de langue grecque dont les Écritures et les traditions sont une « redécouverte » depuis peu : à la fin du 20ème siècle ;
2. « aucune trace d’une version araméenne ancienne de l’Évangile de Matthieu » : cet argument est un problème réel, il faut le reconnaître. C’est encore une manière de dire que Papias n’est pas fiable. Cependant ce n’est pas tout à fait vrai, il existe plusieurs texte homologues – c’est-à-dire identiques à la langue près – en grec et latin : Codex de Bèze, en latin : manuscrit Brixianus et en araméen : manuscrit Vat Syr12 qui remontent au 2ème siècle. En particulier, le texte du Codex de Bèze (ou D05) est cité par Justin de Naplouse (+150) et Irénée (+170). ( https://dialogueabraham.forum-pro.fr/t47-debats-sur-la-mise-par-ecrit-des-evangiles#338 ). Source : « Les Colliers évangéliques »). D’autres attestations sur un Évangile de Matthieu en hébreu ou en dialecte parlé par le Hébreux, voir spoilers précédent et suivant) ;
3. La contestation de « Matthieu, témoin oculaire » renvoie à d’autres attestations non citées dans le livre (spoiler ci-dessus et ci-dessous). L’hypothèse est d’abord que le travail d’auteur des « évangélistes » serait un travail individuel de logique écrite, c'est à dire : sans communication avec ses pairs. La seconde hypothèse que les ajouts ou corrections ne fonctionnent mécaniquement de la source d’origine (par exemple Marc) vers la cible sans aucune variation (par exemple Matthieu ou Luc). C’est ignorer plusieurs éventualités : le système traditionnel des noms multiples (Matthieu/Levi, Salomé, mère des fils de Zébédée) ou l’éventualité d’une autre source plus en amont que Marc ou que les corrections de Matthieu seraient plus exactes que celles de Marc, du fait que le vrai témoin oculaire ne serait pas Marc (s’appuyant sur d’autres témoins que Pierre, par exemple), mais bien Matthieu reprenant les sources de Marc ;
4. « la paternité de l’apôtre n’est plus retenue aujourd’hui » : donc les attestations patristiques sont donc récusées en bloc ;
5. « Matthieu utilise Marc (daté autour de 70 comme source) » (INT page 91) : remet en cause la fiabilité des attestations qui indiquent Matthieu comme auteur de cet Évangile. Il est à noter que plusieurs auteurs situent le texte Marc en grec avant +70 : vers +60 et encore plus tôt dans plusieurs attestations patristiques (spoiler) : 15 après l’Ascension ;
6. Trois « indices internes » : 1. « l’image du judaïsme est celle du judaïsme d’après 70 » ; 2. « l’usage de l’expression « leurs synagogues » (6 fois) serait l’indice d’une séparation consommée avec la synagogue pharisienne ; 3. serait une « allusion à des persécutions ». Les repères « persécution », fuite et « séparation » ne sont pas objectivement liés à l’année +70 : la persécution a débuté par le martyr d’Etienne (Ac 7, 54) en +32, s’est poursuivi par une « persécution violente à Jérusalem » (Ac 8, 1) entraînant la dispersion des premiers disciples du Christ – sauf les apôtres - hors de Jérusalem en Judée et Samarie, elle s’est accentuée avec l’accession au pouvoir d’Hérode Agrippa (+37) qui fit décapiter Jacques (+42) à la « satisfaction des Juifs » (Ac 12, 3) et emprisonner Pierre (+32). La sortie miraculeuse de prison de Pierre est suivie par une période de silence de 7 ans puisqu’il ne réapparait (Ac 15, 7) qu’au Concile de Jérusalem (+49). Pierre a quitté Jérusalem à ce moment : « Hérode le fit rechercher sans réussir à le trouver » (Ac 12, 19). C’est cette fuite devant la persécution qui est qualifiée d’ « έξοδος » (exode, exil) par l’attestation d’Irénée de Lyon (+170), plus haut. A cette époque, la fuite de tous les apôtres de Jérusalem, sauf Jacques le mineur, plus proche des judaïsants est déjà une sorte de pré-rupture « avec la synagogue » (+42) confirmé par la décision du Concile de Jérusalem (+49) – avec l’aval de Jacques le mineur (Ac 15, 20). Le livre de Pierre Perrier explique de façon très savante la composition en récitation orale de la période s’étendant entre +30 et +45 (« Les Colliers évangéliques », page 750). Les 12 premiers chapitres des Actes sont composés de sept septénaires (7 * 7 = 49) de « perles » centrés sur l’enseignement et le martyr d’Etienne – donc sur la persécution de l’Église de Jérusalem ;
7. Un quatrième « indice interne » : « allusion possible à la destruction de Jérusalem » cet argument repose sur l’hypothèse qu’aucune prophétie n’est possible (thèse rationaliste). C’est un parti pris sur l’enjeu du débat : Jésus prophète ou homme-Dieu. Le type d’argument consiste à prendre pour acquis ce qu’il convient justement de démontrer.
3. Les Évangiles de Luc et de Jean et les attestations patristiques.
Pour l'Évangile de Luc : une citation d'Irénée : " Et Luc, le compagnon de Paul, a consigné dans un livre l'Évangile que Paul prêchait " (AH III, 1 , 1) (INT page 118). C'est une des rares attestations patristiques qui ne sont pas récusée par l'INT. Il existe une autre citation d'Irénée sur Luc (AH, III, 19) qui explique que c'est par la Bonne Nouvelle et par les apôtres " que nous avons connu la Vérité, c'est à dire l'enseignement du Fils de Dieu ", mais elle n'est pas prise en compte. A noter que Pierre Perrier donne une liste de 15 attestations patristiques concernant l'Évangile de Luc, seul. Aucune citation ou référence dans le chapitre consacré à l'Évangile de Jean.
4. Le message - concernant la mise par écrit des Evangiles - envoyé par l'exégèse " moderne " dans la ligne de Marguerat
Le message envoyé par le groupe des collaborateurs de cet ouvrage (Corina Combet-Galland, Elian Cuvillier, Daniel Marguerat et Jean Zumstein) est que les évangélistes ont écrit après la mort de tous les Apôtres, y compris Jean, à la deuxième ou troisième génération et que ces « évangélistes » n’étaient pas nécessairement proches des apôtres (Marc/Pierre ou Luc/Paul) – d’où rupture de la transmission :
1. Marc : « a écrit après la mort de Pierre » […] « on a observé le rôle important que joue ce disciple [Pierre] joue dans le récit de Marc. Mais en quoi l’image qu’il en dégage présupposerait-elle le contact direct d’un disciple ou interprète ? » (INT page 68). Du fait de la théorie Q pris en compte par l'école de Marguerat Matthieu et Luc seraient nécessairement écrits après Marc ;
2. Matthieu : « la paternité de l’apôtre n’est plus retenue aujourd’hui » (INT page 90) « L’hypothèse la plus couramment admise aujourd’hui est que l’auteur du premier évangile vit à la fin du premier siècle. » (INT page 91) ;
3. Luc : « le portrait lucanien de l’apôtre [Paul] dans les Actes ne plaide pas en faveur d’une proximité chronologique de l’auteur [Luc] avec l’apôtre des Gentils [Paul] » (INT page 119) ;
4. Jean : « Si le disciple bien-aimé est le fondateur de l’école johannique, il est en revanche peu probable qu’il soit l’auteur de l’évangile. Il faut penser à un rédacteur distinct de lui, plus jeune d’une génération et que l’on nomme d’ordinaire l’évangéliste. » « il convient cependant de prendre acte du fait que l’évangéliste canonique n’est pas l’œuvre de l’évangéliste, mais du rédacteur final (faut-il penser à un individu ou à une groupe ?). » (INT page 385) […] « L’évangile n’est pas l’œuvre d’un témoin oculaire » […] « la mort du disciple bien-aimé semble avoir constitué un problème pour les cercles johanniques ». (INT page 386)
L’allégation de la « mort » de Jean extrapolée à partir d’un « indice interne », seul, est sans valeur. Elle constitue encore une transgression des limites de l’analyse littéraire, laquelle permet certainement de mettre en doute la continuité ou l’uniformité du texte de Jean, mais ne permet surement pas de conclure positivement à une événement comme à la mort de l’auteur. On tente ici de réinventer l’histoire sans aucune source valide.
Le quatrième leitmotiv est le suivant : les évangiles ont été rédigés par des « évangélistes » après la mort de Pierre (+67), de Paul (+68) et de tous les Apôtres. Notons-le : ce message est remarquablement passé dans les médias et une grande partie de l’opinion publique.
Nous mettons ici dans le spoiler quelques attestations tirées d’un site de juifs messianiques prétendant que l’Évangile de Matthieu a été écrit en grec. Pour ma part je trouve tout à fait impressionnante l’attestation de Jérôme : « En outre, l'hébreu lui-même est préservé à ce jour dans la bibliothèque de Césarée. » Pourquoi impressionnante ? Parce que Jérôme connaissant l’hébreu a été voir de ses yeux cet ouvrage à la bibliothèque de Césarée à la fin du 4ème siècle ! Ce témoignage pèse, de mon point de vue, aussi lourd que plusieurs dizaines « d’indices internes » à la mode Marguerat. L’attestation de Jérôme est aussi recoupée par celle d'Epipohane (4ème siècle) et celle d’Isho'dad (9ème siècle), deux sources a priori indépendantes de Jérôme.
5. La question de l’Évangile en Hébreu
Les liens sont entièrement tirés d'un site Juif messianique. L'Administratrice Ruth qui a traduit l'Evangile de Shem Tov en français pense que cet Evangile n'est pas une traduction du grec, mais un Evangile en hébreu d'origine :
http://messianique.forumpro.fr/t3076p15-des-perles-dans-le-texte-hebreu-de-matthieu-shem-tov#30693
http://messianique.forumpro.fr/t3182-matthieu-hebreu-shem-tov-en-francais-ch-1-au-ch-10#32096
http://messianique.forumpro.fr/t3324-traduction-corrigee-evangile-de-matthieu-en-hebreu-shem-tov#34019
http://messianique.forumpro.fr/t3330-preuves-de-l-authenticite-du-texte-shem-tov-matthieu-hebreu#34131
- Spoiler:
Citations historiques qui affirment qu'au moins l'Évangile de Matthieu a d'abord été écrit en Hébreu avant d'être traduit en Grec.
Papias (150-170 CE) – « Matthieu a composé des paroles en langue hébraïque, et chacun traduit comme il a pu. » [Une citation par Eusèbe ; Eccl. Hist. 3]
Irénée (170 CE) – « Matthieu a également publié un Évangile parmi les Hébreux dans leur propre dialecte. » [Contre les hérésies 03]
Origène (210 CE) – « Le première [Évangile] est écrit selon Matthieu, le même qui était autrefois un collecteur d'impôts, mais après un apôtre de Jésus-Christ qui pour les croyants juifs l'a écrit en hébreu. » [Une citation par Eusèbe ; Eccl. Hist. 6]
Eusèbe (315 CE) – « Matthieu a également, après avoir proclamé l'Évangile en hébreu, quand sur le point d'aller aussi aux autres nations, il s'est engagé à écrire dans sa langue maternelle, et donc fourni le besoin de sa présence à leur disposition par ses écrits. » [Eusèbe ; Eccl. Hist. 3]
Épiphane (370 CE) – « Ils [Les Nazaréens] ont l'Évangile selon Matthieu assez complète en hébreu, cet Évangile est certainement encore préservé entre eux tel qu'il a été écrit, en lettres hébraïques. » [Panarion 29]
Jérôme (382 CE) – « Matthieu, qui est aussi Lévi, et collecteur d'impôt (...) composa un Évangile du Christ dans la Judée, dans la langue hébraïque, pour le bénéfice de ceux de la circoncision qui avait cru. Qui l'a traduit en grec n'est pas suffisamment établie. En outre, l'hébreu lui-même est préservé à ce jour dans la bibliothèque de Césarée (...) J'ai également été accueilli par les Nazaréens qui utilisent ce volume dans la ville syrienne de Borea pour le copier. (...)[Vies des hommes illustres, tome 5]
Isho'dad (850 CE) – « le livre de Matthieu [existait] à Césarée de Palestine, et tout le monde reconnaît qu'il l'a écrit de ses mains en hébreu. » [Commentaire sur l'Évangile de Matthieu]
Trois Évangiles de Matthieu en hébreu signalés entre le 14ème et le 16ème siècle.
1. Aux environs de 1385, un Juif appelé Shem Tob ben Shaprut, de Tudela en Castille, Espagne, a écrit une œuvre polémique contre le christianisme intitulé Eben Bohan dans lequel il incorpore [l’évangile de] Matthieu en hébreu dans un chapitre séparé. » Le fait qu’il est une traduction sur la grec ou non est controversée. L’Administratrice d’un site juif messianique () assure la traduction en français de ce texte, sur le premier lien :
http://livredemattityahoutemoignagedeyeshoua.blogspot.fr/
http://hebrewnewtestament.com/shemtob.htm
2. Vers 1550, Sebastian Munster, un Juif converti au christianisme reçoit une manuscrit de Matthieu en hébreu d’autres juifs utilisant le texte pour contrer le christianisme. Munster a estimé que le texte était défectueux, et s’est mis à retravailler. Le manuscrit original qu’il a reçu n'existe plus. Il ne persiste que le texte remanié sous forme imprimée. Ce texte n’est donc pas utilisabe en critique textuelle. Il ressemble beaucoup à l’Évangile en hébreu de Dutillet.
http://hebrewnewtestament.com/shemtob.htm
3. La version Dutillet de Matthieu est tirée d'un manuscrit hébreu de Matthieu qui a été confisqué des Juifs à Rome, en 1553. Le 12 Août 1553, à la demande du cardinal Pierre Caraffa, inquisiteur général, le pape Jules III a signé un décret interdisant le Talmud à Rome. Le décret a été exécuté le 9 Septembre (Rosh HaShanna) et quelque chose qui ressemblait à un Talmud, c’est-à-dire quelque chose écrit en caractères hébraïques a été confisqué comme des maisons et les synagogues juives ont été saisies. Jean Dutillet, évêque de Brieuc, France était en visite à Rome à l'époque. Dutillet a été étonné de découvrir un manuscrit hébreu de Matthieu parmi les autres manuscrits hébreux. Dutillet a acquis le manuscrit et revint en France, le déposant à la Bibliothèque Nationale, Paris. Il y reste jusqu'à ce jour que l'hébreu ms. N ° 132. » Il n’est pas précisé si ce texte est une traduction du grec ou non.
:arrow:http://nazarenespace.com/profiles/blogs/dutillet-hebrew-matthew
:arrow:http://www.torahresource.com/Dutillet.html
6. Est-il scientifique de rejeter un si grand nombre d’attestations patristiques ?
« Une vingtaine d’autres témoignages patristiques plus tardifs, dont ceux de S. Epiphane et de S. Jérôme, qui l’un et l’autre savaient l’hébreu et l’araméen, affirment de même que Matthieu a écrit son Evangile en hébreu. Nous ne pouvons absolument pas récuser une tradition aussi ancienne (depuis les auditeurs des Apôtres), aussi stable (aucune voix discordante) et aussi universelle (des Indes jusqu’à la Gaule). Les exégètes, trop nombreux, hélas, qui refusent d’en tenir compte ne font pas œuvre scientifique. »
http://enfant-prodigue.com/spip/spip.php?article4433
Cette réserve qui vaut pour la question de l’Évangile de Matthieu en hébreu, vaut aussi pour la question des quatre Évangiles éventuellement « en langue des hébreux », c’est à dire en araméen.
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Re: La Parole de Jésus-Christ à la sauce Marguerat
LES INTENTIONS « APOLOGETIQUES » DE LA NARRATION EVANGELIQUE, DE LA REMEMORATION ET DU « SCRIBE CHRETIEN »
Notre attention sur ce sujet a été alertée par une utilisation assez particulière - et, pour tout dire, difficile à comprendre - du terme « apologétique » (INT page 68). Voici quelques affirmations de l’école de Marguerat sur les Évangiles dans ce domaine :
1. Le message évangélique vise à convaincre, c’est d’abord une réponse aux questions de la communauté avant d’être une information sur un passé révolu – il est donc foncièrement « apologétique » ;
2. Le choix de rédiger une « vie de Jésus » - c’est-à-dire « choisir le style narratif » - est une stratégie apologétique des premiers chrétiens ;
3. La « remémoration » des premiers chrétiens est un aménagement de la mémoire du « Jésus élevé » par le culte des autels - à fin de prosélytisme, c’est-à-dire d’apologétique ;
4. La remémoration de Jésus est d’abord une construction de théologie apologétique ;
5. Les déclarations de Jésus introduites par « je suis venu » ou « le Fils de l’homme est venu » sont des réflexions rétrospectives à partir de la confession de foi ecclésiale ;
6. Le « scribe inspiré » chrétien devrait se comprendre comme un « écrivain prophétique » créant de nouvelles paroles de Jésus, de nouvelles traditions correspondant à une nouvelle situation et dans la fidélité au Maître.
Première observation : il ne faut pas perdre de vue que cet ouvrage prétend être un manuel « destiné aux biblistes, aux étudiant et étudiantes des facultés et écoles de théologie ». Nul doute que les principes de lectures des Évangiles en orientent fortement la compréhension.
Deuxième observation : toutes ces affirmations – sauf la 6. - dérivent du postulat de base de la Formgeschichte résumé comme suit : « le texte évangélique est une narration et non une histoire ». Ce qui signifie que le récit ne renvoie nécessairement ni à une origine (Jésus), ni à des souvenirs exacts, ni à une généalogie de la transmission. Mais à aucun moment, il n’y a de démonstration de ce point. Le même postulat est sans cesse reformulé et ré-asséné au point qu’il pourrait devenir une évidence dès lors qu’on ne sort pas du paysage intellectuel de cet ouvrage. La mise en cause du postulat de base – ou à tout le moins sa relativisation - est la voie de sortie de cette idéologie fermée.
Cet ensemble d’affirmations repose – sauf la 6. - sur une seule idée : « l’évangile est un texte dont on ne sait vraiment ni par qui elle a été proférée, ni par qui elle a été transmis », ce qui revient à dire que c’est un texte (une parole morte), sans corps ou sans réalité historique, ni généalogie de transmission. Nous insistons sur le fait que le postulat fondateur repose, en partie, sur l’ignorance assumée de l’origine, des conditions d’élaboration (la phase orale est une boite noire) et de la transmission. La livre affiche très clairement : « la moindre importance reconnue à l’hypothétique reconstruction de l’identité de l’auteur » (INT page 7) – c’est-à-dire de savoir qui sont les évangélistes.
Bien entendu, il ne faut pas voir les choses « toutes blanches ou toutes noires ». Par certains côtés l’argumentation de l’école de Marguerat est neutre, rationnelle. C’est un aspect que nous n’avons pas souligné dans notre analyse ; mais il existe bel et bien. Mais cette argumentation neutre, ce questionnement légitime glisse progressivement vers des affirmations non plus sur la forme littéraire ou sur le milieu sociologique de production, mais vers des affirmations sur le contenu des Évangiles. Et c’est à partir de là que la doctrine de l’école de Marguerat témoigne de ses convictions « non traditionnelles ». Par exemple s’il peut paraitre légitime de prendre la croyance en la Résurrection pour une pieuse illusion des communautés croyantes, suggérer que ces premiers chrétiens auraient manipulé les déclarations de Jésus sur Sa propre mission, c’est-à-dire sur Lui-même, ne relève plus du tout de la « fidélité au Maître » (INT page 96), mais de l’imposture. Dans le même sens, l’affirmation 6. est un peu « la cerise sur le gâteau » : après la mise en cause de l’authenticité des déclarations de Jésus sur Sa mission et sur Lui-même, l’école de Marguerat avoue que dans sa conception les « évangélistes » seraient des « écrivains prophétiques » auraient inventé un personnage de Jésus (paroles et actes) en fonction des convenances du moment. Au passage on appréciera l’hommage rendu à l’honnête et à la fiabilité de ces prétendus « prophètes » !
1. Un paragraphe difficile sur une attestation qualifiée d’« apologétique ».
Le message évangélique vise à convaincre, c’est d’abord une réponse aux questions de la communauté avant d’être une information sur un passé révolu – il est donc « apologétique ».
Le sixième leitmotiv est le suivant : pour expliquer le contenu des Évangiles, il convient d’abord de les questionner à partir de leur message aux destinataires.
En effet les Évangiles seraient un phénomène littéraire qui viserait plus à édifier ou à convaincre qu’à informer ou transmettre le souvenir d’un passé révolu. Cette idée va être déclinée de multiples manières tout au long de l’INT. En voici quelques exemples (non exhaustif) :
2. L’enjeu de la christologie narrative
Le choix de rédiger une « vie de Jésus » - c’est-à-dire « choisir le style narratif » - est une stratégie apologétique des premiers chrétiens.
3. L’anamnèse christologique
La « remémoration » des premiers chrétiens est un aménagement de la mémoire du « Jésus élevé » dans le cadre du culte à fin de prosélytisme, c’est-à-dire apologétique.
4. Le travail littéraire et théologique
La remémoration de Jésus est d’abord une construction de théologie apologétique.
5. Les paroles et récits christiques
Les déclarations de Jésus introduites par « je suis venu » ou « le Fils de l’homme est venu » sont des réflexions rétrospectives à partir de la confession de foi ecclésiale.
Il peut paraitre légitime de prendre la croyance en la Résurrection pour une pieuse illusion des communautés croyantes, mais suggérer que ces premiers chrétiens - croyant en la Résurrection - auraient manipulé les déclarations de Jésus sur Sa propre mission, c’est-à-dire sur Lui-même ne relève plus de la « fidélité au Maître », mais de l’imposture.
6. Le scribe inspiré
Le « scribe inspiré » chrétien devrait se comprendre comme un « écrivain prophétique » créant de nouvelles paroles de Jésus, de nouvelles traditions correspondant à une nouvelle situation et « dans la fidélité au Maître ».
La formule « dans la fidélité au Maître » fait partie des savoureux euphémismes qui parsème l’INT. Le sens de l'expression est assez perverti : il s'agit en fait, ici, de manipulation des souvenirs, traditions ou écrits parvenus après la disparition de Jésus.
Notre attention sur ce sujet a été alertée par une utilisation assez particulière - et, pour tout dire, difficile à comprendre - du terme « apologétique » (INT page 68). Voici quelques affirmations de l’école de Marguerat sur les Évangiles dans ce domaine :
1. Le message évangélique vise à convaincre, c’est d’abord une réponse aux questions de la communauté avant d’être une information sur un passé révolu – il est donc foncièrement « apologétique » ;
2. Le choix de rédiger une « vie de Jésus » - c’est-à-dire « choisir le style narratif » - est une stratégie apologétique des premiers chrétiens ;
3. La « remémoration » des premiers chrétiens est un aménagement de la mémoire du « Jésus élevé » par le culte des autels - à fin de prosélytisme, c’est-à-dire d’apologétique ;
4. La remémoration de Jésus est d’abord une construction de théologie apologétique ;
5. Les déclarations de Jésus introduites par « je suis venu » ou « le Fils de l’homme est venu » sont des réflexions rétrospectives à partir de la confession de foi ecclésiale ;
6. Le « scribe inspiré » chrétien devrait se comprendre comme un « écrivain prophétique » créant de nouvelles paroles de Jésus, de nouvelles traditions correspondant à une nouvelle situation et dans la fidélité au Maître.
Première observation : il ne faut pas perdre de vue que cet ouvrage prétend être un manuel « destiné aux biblistes, aux étudiant et étudiantes des facultés et écoles de théologie ». Nul doute que les principes de lectures des Évangiles en orientent fortement la compréhension.
Deuxième observation : toutes ces affirmations – sauf la 6. - dérivent du postulat de base de la Formgeschichte résumé comme suit : « le texte évangélique est une narration et non une histoire ». Ce qui signifie que le récit ne renvoie nécessairement ni à une origine (Jésus), ni à des souvenirs exacts, ni à une généalogie de la transmission. Mais à aucun moment, il n’y a de démonstration de ce point. Le même postulat est sans cesse reformulé et ré-asséné au point qu’il pourrait devenir une évidence dès lors qu’on ne sort pas du paysage intellectuel de cet ouvrage. La mise en cause du postulat de base – ou à tout le moins sa relativisation - est la voie de sortie de cette idéologie fermée.
Cet ensemble d’affirmations repose – sauf la 6. - sur une seule idée : « l’évangile est un texte dont on ne sait vraiment ni par qui elle a été proférée, ni par qui elle a été transmis », ce qui revient à dire que c’est un texte (une parole morte), sans corps ou sans réalité historique, ni généalogie de transmission. Nous insistons sur le fait que le postulat fondateur repose, en partie, sur l’ignorance assumée de l’origine, des conditions d’élaboration (la phase orale est une boite noire) et de la transmission. La livre affiche très clairement : « la moindre importance reconnue à l’hypothétique reconstruction de l’identité de l’auteur » (INT page 7) – c’est-à-dire de savoir qui sont les évangélistes.
Bien entendu, il ne faut pas voir les choses « toutes blanches ou toutes noires ». Par certains côtés l’argumentation de l’école de Marguerat est neutre, rationnelle. C’est un aspect que nous n’avons pas souligné dans notre analyse ; mais il existe bel et bien. Mais cette argumentation neutre, ce questionnement légitime glisse progressivement vers des affirmations non plus sur la forme littéraire ou sur le milieu sociologique de production, mais vers des affirmations sur le contenu des Évangiles. Et c’est à partir de là que la doctrine de l’école de Marguerat témoigne de ses convictions « non traditionnelles ». Par exemple s’il peut paraitre légitime de prendre la croyance en la Résurrection pour une pieuse illusion des communautés croyantes, suggérer que ces premiers chrétiens auraient manipulé les déclarations de Jésus sur Sa propre mission, c’est-à-dire sur Lui-même, ne relève plus du tout de la « fidélité au Maître » (INT page 96), mais de l’imposture. Dans le même sens, l’affirmation 6. est un peu « la cerise sur le gâteau » : après la mise en cause de l’authenticité des déclarations de Jésus sur Sa mission et sur Lui-même, l’école de Marguerat avoue que dans sa conception les « évangélistes » seraient des « écrivains prophétiques » auraient inventé un personnage de Jésus (paroles et actes) en fonction des convenances du moment. Au passage on appréciera l’hommage rendu à l’honnête et à la fiabilité de ces prétendus « prophètes » !
1. Un paragraphe difficile sur une attestation qualifiée d’« apologétique ».
Le message évangélique vise à convaincre, c’est d’abord une réponse aux questions de la communauté avant d’être une information sur un passé révolu – il est donc « apologétique ».
- Spoiler:
Ces deux premières phrases nous ont paru difficiles à comprendre. Je n’ai pas osé penser que l’auteure, Mme Corina Combet-Galland, voudrait dire « que cette attestation paraît apologétique parce qu’elle a pour intention de rattacher les évangiles, même indirectement, à la figure de l’apôtre et donc : ne peut être prise à la lettre ». Ce serait une marque trop affligeante de parti pris et de mépris de l'auteure de ce paragraphe pour les opinions contraires à la sienne.« Commentant l’affirmation d’un presbytre Jean, Papias qualifie Marc d’interprète de Pierre (έρμηνευτής, mais dans quel sens ? traducteur ? commentateur ?), qui fait œuvre de mémoire des paroles et actes du Seigneur : la tradition n’était-elle plus accessible directement ?), sans omission ni mensonges, écrivant sans ordre mais avec exactitude (sa mémoire était-elle sélective ou sans défaut ?). A côté des questions qu’elle soulève, une telle attestation parait apologétique : elle a pour intention de rattacher les évangiles, même indirectement, à la figure de l’apôtre et ne peut donc être prise à la lettre. » (INT page 68)
Alors, il est probable qu’elle a voulu signifier que cette attestation serait jugée « apologétique » du fait des questions qu’elle soulève - sur le rôle d’interprète (ou de commentateur) et sur le travail de mémoire de Marc - et que de ce fait elle « ne peut donc être prise à la lettre ».
Les questions sur le rôle et le « travail de mémoire » de Marc sont légitimes, cependant il semble que ces questions soient celle de l’auteure de ce paragraphe au 21ème siècle et non celles de l’attestation de Jean au 2ème siècle. Nous l’avons dit : il est fort surprenant que l’auteure de ce chapitre ne fasse pas état des attestations patristiques qui proposent des réponses à ces questions. Nous rappelons que les 13 attestations patristiques (spoiler ci-dessus sur l’Évangile de Marc) sont cohérentes. D’après ces attestations : le rôle de Marc est de mettre par écrit en traduction précise de ce que prêchait Pierre. L’attestation de Jean le Presbytre ne dit pas autre chose : Marc se souvient de l’enseignement de Pierre, le traduit en grec et le met par écrit. Mais cette attestation de Jean insiste sur le travail de mémoire de Marc : ne rien omettre de ce qu’il avait entendu, ne pas se tromper sur le contenu, même l’ordre de ce qui avait été enseigné par Pierre n’est pas respecté.
« Dans son ouvrage, il nous donne encore d'autres récits d'Aristion dont nous avons parlé plus haut, sur les discours du Seigneur, ainsi que des traditions de Jean le presbytre auxquelles nous renvoyons les lecteurs désireux de s'instruire. Pour le moment, il est utile que nous ajoutions à tout ce que nous avons rapporté de lui [Papias] la tradition qu'il nous transmet au sujet de Marc qui a écrit l'évangile, voici en quels termes. « Et le presbytre disait ceci : « Marc, étant l'interprète de Pierre, écrivit exactement, mais sans ordre, tout ce qu'il se rappelait des paroles ou des actions du Christ; car il n'a ni entendu ni accompagné le Sauveur. Plus tard, ainsi que je l'ai rappelé, il a suivi Pierre. Or celui-ci donnait son enseignement selon les besoins et sans nul souci d'établir une liaison entre les sentences du Seigneur. Marc ne se trompe donc pas en écrivant selon qu'il se souvient ; il n'a eu qu'un souci, ne rien laisser de ce qu'il avait entendu et ne rien dire de mensonger. » (Jean le Presbytre rapporté par Eusèbe H.E. III, 39, 14-16).
Dans ce texte d’Eusèbe (commentant un livre de Papias), l’attestation de Jean est présentée comme une tradition (les dires) du presbytre directement rapportée à Papias. On ne voit donc pas pourquoi l’auteure de ce chapitre se permet d’écrire que Marc qualifié d’« interprète de Pierre (έρμηνευτής) » serait un commentaire de Papias. Bien entendu cette tradition peut être vraie ou fausse, mais rien n’autorise à confondre entre une « tradition » et « commentaire ». Pour le coup, c’est le commentaire de cette auteure qui est « apologétique » au sens péjoratif de faux et tendancieux. Faire œuvre « apologétique » signifie habituellement défendre une position, une thèse, mais – nous venons de la voir - dans un sens péjoratif cette formulation peut indiquer de la partialité, voire une volonté de tromper. En quel sens cette attestation de Jean serait-elle donc « apologétique » ? En fait, étant donné qu’il n’existe pas d’attestation contraire à celle de Jean le presbytre, nous ne voyons pas pourquoi (et contre qui), aurait dû développer une argumentation défensive sur le point du rôle de traducteur de Marc. Rappelons que Jean le presbytre est un chrétien de seconde génération « disciple du Seigneur » d’après Papias (Eusèbe III, 39, 4). Par contre on peut comprendre plus facilement que présenter Marc comme une « mémoire sans défaut » pourrait être « apologétique », bien qu’en tradition orale (récitation par cœur de la Torah), par exemple, ce qualificatif soit attribué à certains sujets particulièrement doués. Pour finir, il nous semble que qualifier cette attestation d’« apologétique » revient à mettre en doute sa validité « d’attestation historique » étant donné que les attestations patristiques sur l’élaboration des Évangiles ne sont recoupée par aucune attestations – hors des Églises chrétiennes. Ce procès en « historicité » repose sur une vision étroite de la « preuve historique » aboutissant à disqualifier la quasi-totalité des attestations patristiques (voir le post précédent).
Si nous relisons l’Histoire Ecclésiastique d’Eusèbe, troisième livre, au dernier chapitre (39) sur les écrits de Papias (http://remacle.org/bloodwolf/historiens/eusebe/histoire3.htm ). On ne voit pas pourquoi l’auteure prétend que « Le contenu du récit lui-même fait glisser le regard de l’auteur vers les destinataires de l’évangile ». D’après ce qu’on peut en savoir, cette partie du livre de Papias est surtout centrée sur la démonstration de sa proximité historique avec la tradition des Apôtres et de la fiabilité de sa mémoire de témoin, la citation du presbytre Jean fait partie de cet objectif.« Le contenu du récit lui-même fait glisser le regard de l’auteur vers les destinataires de l’évangile : celui-ci s’explique bien plus comme une réponse aux questions des communautés auxquelles il s’adresse que comme un témoignage oculaire direct. La référence à Papias a soutenu cependant l’hypothèse que Marc avait écrit à Rome après la mort de Pierre. » (INT page 68)
L’idée introduite ici est LE postulat de base de la Formgeschichte : le contenu du « récit » s’expliquerait en premier lieu comme une réponse aux questions des communautés. Cette affirmation met en doute que l’attestation puisse s’expliquer par le recueil d’une tradition –elle contredit directement Papias et Jean le presbytre. Noter aussi que l’attestation du presbytre Jean n’est plus un « commentaire », mais est devenu un « récit », c’est-à-dire une narration et que presbytre cité par Papias ne serait pas (sur quel argument ?) un témoin oculaire. On en revient toujours au premier postulat de la Formgeschichte : « le texte évangélique est une narration et non une histoire ». Ici on peut développer ce premier postulat en deux autres postulats (leitmotive).
Le sixième leitmotiv est le suivant : pour expliquer le contenu des Évangiles, il convient d’abord de les questionner à partir de leur message aux destinataires.
En effet les Évangiles seraient un phénomène littéraire qui viserait plus à édifier ou à convaincre qu’à informer ou transmettre le souvenir d’un passé révolu. Cette idée va être déclinée de multiples manières tout au long de l’INT. En voici quelques exemples (non exhaustif) :
- Spoiler:
- « En réalité, la mémoire de Jésus n’a pas été dictée par un intérêt biographique. Les premiers chrétiens n’ont pas cherché à archiver les paroles et les faits et gestes du Nazaréen à la manière d’un chroniste, fixant le souvenir d’un passé révolu. » (INT page 21) « La Formgeschichte (histoire de la forme littéraire) a défendu l’idée que les évangiles constituaient un phénomène littéraire sui generis, né des besoins de la communauté ; visant à édifier plutôt qu’à instruire leurs lecteurs, ils seraient un produit de la littérature populaire qui n’est pas à mesurer avec les œuvres littéraires issues de la culture gréco-romaine (M. Dibelius, R. Bultman) (INT page 49) « Car la tradition de Jésus n’a pas été retenue par les premiers chrétiens dans un intérêt documentaire ; elle l’a été en vue de répondre aux besoins d’enseignement, de proclamation missionnaire, de célébration liturgique ou de codification éthique des premières communautés chrétiennes. » (INT page 31-32) « Comme la biographie, l’évangile a un faible intérêt documentaire ou anecdotique : les traditions rapportées pointent exclusivement un message à transmettre. » (INT page 51) « S’inspirer du modèle des biographies antiques traduit l’insistance de Luc sur la médiation choisie par Dieu pour manifester l’événement décisif du salut : un homme Jésus dont la vie s’est déroulée dans la monde. Mais dans son intention, l’évangéliste rejoint les auteurs des livres historiques de l’Ancien Testament, il veut convaincre plutôt que d’informer. » (INT page 107)
2. L’enjeu de la christologie narrative
Le choix de rédiger une « vie de Jésus » - c’est-à-dire « choisir le style narratif » - est une stratégie apologétique des premiers chrétiens.
- Spoiler:
L’idée 1 est que les chrétiens auraient choisi le style littéraire narratif (le récit) pour montrer que l’histoire de Jésus est la continuation de l’histoire du salut de la Bible et que ce Dieu fait homme, venu parmi les hommes, n’est pas un mythe païen. Ce choix littéraires serait donc un artifice apologétique.« Les chrétiens ont donc voulu en empruntant un genre littéraire connu de la Bible juive, montrer comment Dieu poursuivait au travers de l’histoire de Jésus son histoire du salut. Disposer d’une narration de cette histoire du salut répondait à un impérieux besoin identitaire.
L’enjeu théologique inhérent au choix d’une christologie narrative mérite d’être perçu. Raconter la vie du Fils de Dieu plutôt que seulement rapporter ses paroles, c’est l’insérer dans le tissu de l’histoire humaine. La mise en récit répond à une logique d’incarnation : elle montre comment Dieu s’infiltre au creux des intrigues, des misères et des espoirs humaine. L’évangile de l’histoire du Dieu fait homme parmi les humains. L’oubli de l’histoire expose la foi chrétienne aux dérives spiritualistes et confond l’évènement de Jésus avec la concrétion d’un mythe rédempteur : la littérature copte gnostique de Nag Hammadi en offre l’ample démonstration. » (INT page 29)
Le but de ce post n’est pas de critiquer les affirmations de l’école de Marguerat, mais d’abord d'en décrire la logique. Cependant Il me semble tout à fait improbable que les chrétiens tentant de sauvegarder la tradition de Jésus dans leurs lieux de vie et activités – au demeurant assez rustiques (culte, catéchèse, prédication et dialogue avec la Synagogue (INT page 15) – et parfois en état d’urgence à cause de la mission et des persécutions – soient délibérément parvenus à élaborer une stratégie aussi sophistiquée que le choix d’un style de littérature en fonction de la notion d’histoire du salut propre à la Bible et pour se démarquer des mythes païens. Stratégie cohérente entre les quatre évangélistes pour le choix d’une même forme littéraire, alors que certaines hypothèses sur la source Q postule l’absence de contact entre certains évangélistes. Par ailleurs, ces mythes païens ne souffraient d’aucune insuffisance aux yeux du peuple et de pas mal de gens éduqués pour montrer « comment Dieu s’infiltre au creux des intrigues, des misères et des espoirs humains ». Alors pourquoi s’en démarquer, d’autant que le leitmotiv peut-être le plus insistant de Marguerat est les évangiles auraient été élaborés à travers le modèle littéraire et les catégories philosophiques du monde grec (INT page 17) ?
3. L’anamnèse christologique
La « remémoration » des premiers chrétiens est un aménagement de la mémoire du « Jésus élevé » dans le cadre du culte à fin de prosélytisme, c’est-à-dire apologétique.
- Spoiler:
L’idée 2 est que le travail de mémoire des premiers chrétiens a consisté plus à actualiser les paroles et gestes de Jésus pour conserver leur pertinence dans le présent des communautés qu’à archiver les paroles, faits et gestes de Jésus de Nazareth. Ce qui revient à dire que ce travail de mémoire produit non d’abord des souvenirs, mais une élaboration illustrative et défensive, c’est à dire une apologétique. En revenant sur le premier leitmotiv énoncé plus haut, on peut reformuler de la façon suivante : « le travail de remémoration des premiers chrétiens a produit un texte évangélique qui est une narration et non une histoire. »« En réalité la mémoire de Jésus n’a pas été dictée par un intérêt biographique. Les premiers chrétiens n’ont pas cherché à archiver les paroles et les faits et gestes du Nazaréen à la manière d’un chromiste, fixant le souvenir d’un passé révolu. La raison en est simple, à leurs yeux, Jésus n’était pas qu’un illustre défunt. La foi de Pâques les conduisait à croire que Celui qui avait, un jour, arpenté les chemins de Galilée était aussi le Seigneur présent au milieu de sa communauté. Le Christ élève, invoqué dans la prière, n’était autre que Jésus dans son itinéraire terrestre. Ce n’étaient donc pas les semences d’un mort qu’il s’agissait d’embaumer pour les préserver, mais les paroles prononcées autrefois, de Celui qu’on confessait comme le Seigneur de l’Église. Cette structure christologique, axée sur l’identité du Jésus terrestre et du Christ élevé, explique la dialectique qui anime la transmission de la tradition de Jésus : d’une part il s’agit de préserver les paroles et les actes de Jésus de Nazareth, d’autre part il s’agit de les actualiser pour qu’ils conservent leur pertinence dans le présent de la communauté. Reconnaître cette double contrainte de fidélité au passé et de liberté interprétative est capitale si l’on veut saisir la spécificité de la mémoire chrétienne de Jésus » (INT page 21)
L’idée 3 qui complète la précédente est la suivante : Le " Christ élevé " est identique au " Christ terrestre ". Le « Christ élevé » est le " Jésus terrestre " livré au culte des autels comme « Seigneur ». En clair : il ne reste du « Jésus terrestre » que le « Jésus de la foi », c’est à dire une conviction et un culte, ce qui signifie aussi que Jésus étant bien mort et enterré, il ne reste plus de lui que la rumeur des invocations des croyants. Pour Marguerat, auteur de ce paragraphe – et dans la ligne de Bultman - la Résurrection est, au mieux, une pieuse illusion, sinon une élaboration apologétique délibérée, donc une imposture.
4. Le travail littéraire et théologique
La remémoration de Jésus est d’abord une construction de théologie apologétique.
- Spoiler:
L’idée 4 est que et le récit des miracles de Jésus - qui semblait perçu comme un homme divin – pourrait avoir été utilisés par la propagande missionnaire pour attirer la foule.« La prédication missionnaire nécessitait un matériau narratif et discursif sur lequel appuyer l’argumentation pour appeler à la conversion. Même si les prédications des Actes à l’intention des juifs ont été rédigés tardivement par Luc, elles donnent un aperçu de la lecture messianique des Écritures à laquelle se livraient les premiers chrétiens (Ac 2, 14-36 ; 3, 12-26 ; 7, 2-53 ; 13, 16-41). A l’intention des non-juifs, dans le marché religieux très concurrentiel de l’Empire au premier siècle, les récits de miracles peuvent avoir été utilisés pour déployer la puissance du Seigneur qu’annonçaient les prédicateurs chrétiens (Mc 1, 27 ; 2, 12 ; 4, 41 ; 7, 37 ; Lc 7, 16 ; 9, 43 ; 13, 17 ; 18, 43 ; etc.) (INT page 19)« On peut illustrer l’impact du travail de l’évangéliste par rapport à ses sources dans un mouvement à la fois de respect et de reprise critique, par l’analyse que C. Senft a proposé des récits de miracles. Il suppose que la tradition voyait dans ces récits influencés par la sensibilité hellénistique à la rencontre du divin, une rencontre libératrice qui suscitait une admiration stupéfaire devant l’autorité charismatique du Christ ; Jésus semblait perçu comme un homme divin (θεϊος ανήρ) et le récit de ses actes attirant la foule servant sans doute la propagande missionnaire. L’évidence du miracle et la célébration de son auteur s’infléchissent en une démarche de questionnement. Pour Marc, si le miracle libère, il risque aussi d’asservir au libérateur ; d’où les traits nouveaux d’un Christ qui libère en provoquant des ruptures, en venant porter la contestation au sein même des mages que l’homme se fait de la liberté de Dieu. Le dernier miracle, celui dont Jésus est l’objet, sa résurrection par Dieu, laisse un tombeau ouvert, mais vide ; Jésus donne, se donne, mais ne se laisse pas retenir. »
[…]
Marc a fait le même travail de problématisation avec les paraboles, qui semble moins communiquer un contenu qu’elles ne font réfléchir à l’enseignement en mettant en crise la compréhension. Jésus à la fois éclaire et cache le Règne qu’il met en image. » (INT page 73)
L’idée 5 est que les miracles comme les paraboles font l’objet d’une « problématisation » c’est-à-dire d’une mise en scène par les évangélistes.
5. Les paroles et récits christiques
Les déclarations de Jésus introduites par « je suis venu » ou « le Fils de l’homme est venu » sont des réflexions rétrospectives à partir de la confession de foi ecclésiale.
- Spoiler:
- « Les paroles relatives au Christ (ou paroles christiques). Ces sentences énoncent le but de la mission de Jésus, en des clauses introduites par le « je suis venu » ou « le Fils de l’homme est venu ». Leur formulation remonte souvent à la communauté chrétienne, car elle présuppose un examen rétrospectif de l’œuvre achevée de Jésus :
1. Mc 2, 17 : « Je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs ».
2. Mc 10, 45 : le Fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude ».
3. MT 5, 17 : « N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi et les Prophètes ; je ne suis pas venu abroger mais accomplir » (INT page 24).« Les récits christiques sont le pendant narratif des paroles christiques ; ils déploient, sous forme narrative, le signification de la venue du Christ. Ils sont donc imprégnés de la confession de foi ecclésiale. On peut parler à leur propos d’une christologie mise par en récit. Les amplifications narratives auxquelles ils donnent lieu servent à illustrer l’identité unique et incomparable de Jésus.
1. Le baptême et la tentation de Jésus ;
2. La transfiguration (Mc 9, 2-10) ;
3. L’Évangile de l’enfance (Mt 1-2 ; Lc 1-2) ;
4. Le cycle pascal (Mc 16 ; Mt 28 ; Lc 24) (INT page 26).
Il est bien évident que si la mission de salut, d’accomplissement de la Loi et de sacrifice d’expiation de Jésus, si le baptême, la transfiguration, l’Évangile de l’enfance et le cycle pascal sont des inventions de la confession de la foi ecclésiale, les Évangiles ont un sens complètement différent … à supposer qu’ils aient encore un sens et un quelconque intérêt !
Il peut paraitre légitime de prendre la croyance en la Résurrection pour une pieuse illusion des communautés croyantes, mais suggérer que ces premiers chrétiens - croyant en la Résurrection - auraient manipulé les déclarations de Jésus sur Sa propre mission, c’est-à-dire sur Lui-même ne relève plus de la « fidélité au Maître », mais de l’imposture.
6. Le scribe inspiré
Le « scribe inspiré » chrétien devrait se comprendre comme un « écrivain prophétique » créant de nouvelles paroles de Jésus, de nouvelles traditions correspondant à une nouvelle situation et « dans la fidélité au Maître ».
- Spoiler:
L’idée que l’évangéliste aurait une conscience de sa propre importance comme « prophète » peut être jugée « audacieuse » donc « intéressante » dans les milieux intellectuels « branchés » … cependant elle est sans équivalent dans aucune tradition chrétienne. Elle parait tout à fait exorbitante. Il y a bien eu des phénomènes de « prophétie » dans les communautés chrétiennes, bien racontées par l’épitre aux Corinthiens, par exemple, mais cela n’a rien à voir - explicitement dans les textes - ni avec la rédaction, ni avec le « service de la Parole » (Ac 6, 4), ni avec la transmission des Évangiles.« On parle parfois de style midrachique pour évoquer le travail de Matthieu dans la composition de son évangile. A strictement, parler le midrach est lié à l’Ancien Testament (méthode d’interprétation et de commentaire du texte biblique, de caractère homélitique) et constitue un qualificatif réducteur pour rendre compte du travail de l’évangéliste. L’expression d’ « interprète créatif » est peut-être plus exacte. Mt adapte et étend ses sources, créant de « nouvelles » paroles de Jésus dans le but d’élucider pour la communauté telle ou telle tradition sur Jésus : ainsi en 9, 13 et 12, 7, le citation d’Osée 6, 6 comme élucidation de la façon dont, selon Matthieu, il convient de comprendre les péricopes marciennes (voir aussi Mt 21, 41c et 43, l’élucidation de Mc 12, 9-11). Quelle est donc l’autorité que Matthieu s’octroie pour agir ainsi ? On explique parfois ce phénomène en parlant des prophètes inspirés (similaires à ceux qui ont transmis la Source Q) qui, dans les communautés primitives transmettaient les paroles de Jésus glorifié.
On parle également de la compréhension que Matthieu a de son rôle d’auteur comme celui de « scribe inspiré » à la manière de la littérature juive du second Temple (écrits post-exiliques de l’Ancien Testament, littérature apocalyptique, écrits de Qumran). Pour Matthieu l’idéal du scribe s’inspire peut-être de la notion du scribe telle qu’elle est développée dans les écrits mentionnés ci-dessus : pratique de la sagesse, don de compréhension des paraboles et des mystères, notion d’autorité et de la vraie justice, interprétation de la Loi et des prophètes. Cette conscience prophétique d’écrivains inspirés implique une capacité de créer et de transmettre, de la part de Dieu, de nouvelles paroles de sagesse (pour Matthieu, ces paroles sont celles du scribe idéal, à savoir Jésus lui-même). Dans cette perspective, Mt 13, 52 est parfois interprète comme une référence implicite à Matthieu lui-même : »Et il leur dit : Ainsi tout scribe instruit du Royaume des cieux est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et du vieux » Il y aurait chez Matthieu, deux types de scribes : les scribes juifs qui ont perverti l’enseignement de Moïse et les « scribes chrétiens » peut-être des enseignants dans la communauté. Dans la pensée de l’évangéliste, le scribe chrétien ressemble à un propriétaire bien pourvu parce que son enseignement repose non seulement sur la révélation faite aux pères par Moïse et les prophètes. C’est grâce à l’intelligence de cette double révélation que le didascale chrétien se trouve en mesure de faire face à tous les besoins de son enseignement. Matthieu appliquerait ce logion à sa propre activité d’évangéliste. Il se comprendrait comme un scribe inspiré capable de tirer de son trésor du vieux (les traditions fidèlement transmises) et du neuf (l’adaptation des traditions reçues par la création de nouvelles traditions correspondant à une nouvelle situation et dans la fidélité au Maître). (INT pages 95-96)
La formule « dans la fidélité au Maître » fait partie des savoureux euphémismes qui parsème l’INT. Le sens de l'expression est assez perverti : il s'agit en fait, ici, de manipulation des souvenirs, traditions ou écrits parvenus après la disparition de Jésus.
Dernière édition par Roque le Dim 7 Juil - 19:01, édité 2 fois
Roque- Messages : 5064
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Re: La Parole de Jésus-Christ à la sauce Marguerat
Roque a écrit: [A propos de "rhétorique sémitique " ] Si tu peux ouvrir une sujet, ce serait bien !
Salut Roque,
J'ai fini mon livre ( La composition du Coran. Collection « Rhétorique Sémitique » Michel Cuypers ) que j'ai trouvé passionnant , et en attendant que j'ouvre enfin un sujet un lien qui éclairera peut-être un peu la question du style littéraire évoqué ici où là dans le présent sujet :
http://www.retoricabiblicaesemitica.org/Articolo/francese_121014.pdf
Voir à la fin l'analyse de la parabole du fils prodigue (page 15 et 16) qui peut sembler si ce n'est "apologétique " pour le moins un bon outils de propagande pour l'évangélisation ....
Hors l’analyse selon les principes de la rhétorique sémitique fait apparaitre que des deux fils c'est l'ainé le principal....
Idriss- Messages : 7124
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Re: La Parole de Jésus-Christ à la sauce Marguerat
Salut Idriss, tu vois ... je continue à bosser sur ce livre de Marguerat. J'avoue qui la doctrine de cette école qui provient de la Formgeschichte au début du 20ème siècle est ce que je considère de plus dangereux pour le christianisme aujourd'hui - très très au dessus de l'athéïsme. Ce sont de prétendus " chrétiens " qui réduisent en miettes incohérentes les Évangiles. Cette doctrine est très bien passée dans les médias et le grand public. J'ai encore un peu a écrire sur ce sujet, j'essaie d'aller - pour une fois - jusqu'au bout.
Je vais essayer de regarder ce que tu m'indiques et je participerai dans la mesure de mes moyens à ton sujet quand il sera ouvert. Pour commencer, je ne connais rien à l'analyse rhétorique ....http://www.retoricabiblicaesemitica.org/Articolo/francese_121014.pdf
Voir à la fin l'analyse de la parabole du fils prodigue (page 15 et 16) qui peut sembler si ce n'est "apologétique " pour le moins un bon outils de propagande pour l'évangélisation ....
Hors l’analyse selon les principes de la rhétorique sémitique fait apparaitre que des deux fils c'est l'ainé le principal....
Roque- Messages : 5064
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Re: La Parole de Jésus-Christ à la sauce Marguerat
LES EVANGILES SERAIENT UNE SOUS-CATEGORIE DE LA BIOGRAPHIE GRECO-ROMAINE !
Les Évangiles seraient une forme de biographie grecque ou romaine ! Oui, je sais ça peut surprendre. Mais comment a-t-on pu en arriver à une telle affirmation ?
On a passé en revue toutes les formes littéraires auxquelles qui a pu être comparé le style littéraire des Évangiles : un récit à la manière de la Bible, un récit à contenu merveilleux (arétalogie), un roman grec ou une biographie gréco-romaine. Bien évidemment, dans chaque cas, on peut trouver des ressemblances et des dissemblances. On doit aussi avoir à l’esprit que ce travail de comparaison de l’esthétique littéraire ne peut produire de vraies « preuves », mais seulement des arguments de vraisemblance.
L’école de Marguerat a tiré sa propre conclusion : les Évangiles seraient « une sous-catégorie de la biographie gréco-romaine ». Mais pour notre part, notre lecture attentive nous permet d’affirmer que l’INT ne produit aucune démonstration menant à une telle « conclusion ». Cette affirmation de Marguerat n'est que la reformulation d’un des postulats de base de la Formgeschichte : « les évangiles ont été élaborés en milieu hellénistiques avec les formes littéraires et les catégories philosophiques grecques pour un public hellénophone » ... alors de là à dire que les Évangile sont une forme de biographie gréco-romaine ... il n'y a qu'un pas qu'on peut franchir allègrement.
Tout ce travail de comparaison des formes littéraires dans l’INT est sous-tendu par un autre postulat du rationalisme et de la Formgeschichte : les Évangiles (qu’ils soient narration, arétalogie, roman ou biographie) sont des fictions, des constructions déconnectées de la réalité.
Toutes les opinions sont tout à fait légitimes bien évidemment. Nous soulignons simplement qu’il faut soigneusement distinguer « répétition/reformulation des postulats » et « démonstration ». L’INT pratique la reformulation de ses postulats, mais non la démonstration. C’est une de nos critiques de fond de l’INT.
De notre point de vue, l’analyse comparée des styles littéraires avec le style littéraire des Évangiles montre dans chaque cas des ressemblances, mais aussi des dissemblances significatives qui ne permettent absolument pas d’assimiler ou d’affilier l’Évangile à l’un ou l’autre de ces styles littéraires « candidats » à la ressemblance avec les Évangiles. Cette étude fastidieuse de l’INT est – pour nous – totalement non concluante. En un mot : dire que « l’Évangile est une sous-catégorie des biographies gréco-romaine » est une affirmation qui peut passer pour « logique » quand on adhère « philosophiquement » aux thèses du rationalisme et de la Formgeschichte, mais il est beaucoup plus embarrassant de soutenir cette affirmation quand on a effectivement lu l’INT. On peut tout au plus tenir cette affirmation pour une posture d’école sur un sujet ouvert et controversé, même au sein des affidés de la Formgeschichte.
Dans l’INT, la méthode de la Formgeschichte nous a pourtant été doctement exposée :
Cette étude de l’analyse littéraire comparée est pour nous totalement non concluante, nous le répétons. Le plus ironique est que cette analyse littéraire comparée fait par elle-même la preuve même de la faiblesse et de l’arbitraire de ses « conclusions ». On pourrrait aussi bien en tirer comme conclusion que le style littéraire des Évangiles est un style « sui generis ». Bultman a souligné, à juste titre, la visée confessante des évangélistes, mais cela ne permet d'affirmer ni que le récit reposerait sur des témoignages et souvenirs inexacts, ni qu’il ne peut s’agir d’une biographie ou d’histoire - sans doute dans un sens un peu différent de ce qui est admis de façon classique.
Ainsi, de notre point de vue, le premier pilier de la Formgeschichte, c’est à dire : l’analyse de l’esthétique littéraire, fait la preuve qu’elle est le maillon faible de la méthode.
Par ailleurs, l’analyse prétendument « sociologique » qui devrait suivre l’analyse de l’esthétique littéraire se résume à une liste de formes littéraires préétablies sensées correspondre à des situations de vie de la communauté (enseignement, culte ou controverses, etc.). Mais il ne s’agit, en aucun cas, d’une approche au sens de la sociologie classique laquelle repose sur des enquêtes dans les populations réelles, vivantes. Il ne s’agit dans ce cas que de catégories imaginées par les tenants de la méthode de la Formgeschichte projetées sur une réalité du passé, ce qui conduit à des affirmations impossibles à vérifier (révolues) et « infalsifiables » - donc non scientifiques. C’est, à notre sens, un autre point faible de la méthode de la Formgeschichte. Cette approche pseudo-sociologique, au demeurant, très peu développée dans l’INT ne peut donner matière à un commentaire plus développé.
A. Un récit à la manière de la Bible ?
Le style littéraire des Évangiles pourrait être celui de la Bible avec sa combinaison d’histoire et de confession de foi. Mais dans la Bible l’intérêt biographique n’est pas concentré sur une seule personne. Enfin, on ne mettait pas habituellement les enseignements des rabbins sur forme de biographie narrative, mais ils étaient seulement conservés sous forme de paroles ou de courts récits.
B. Une biographie idéalisée ?
Le style littéraire des Évangiles pourrait être celui des « biographies idéales » de la culture gréco-romaine avec sa volonté d’exemplarité poussant à l’imitation et son contenu édifiant gommant de l’aspect psychologique du personnage (« biographie idéalisée »). Cependant, il existe dans la Bible des récits très semblables aux Évangiles comme le livre de Jérémie qui offre une grande similitude : avec un récit de vocation, une collection de paroles et d’actions, des prophéties et la passion du prophète. La Vie des prophètes, écrite en Palestine au premier siècle pour la dévotion populaire autour ces figures du passé d’Israël est également assez similaire (etc.).
C. Un récit à contenu « merveilleux » ou « arétalogie » ?
On essaie aussi de rapprocher les Évangiles de l’arétalogie dans le cas des « biographies décrivant des miracles réalisés par des « hommes divins » (θεϊοι άνδρες) » (Helmut Köster et James Robinson. 1971). Tout d’abord, cette présentation est un peu confuse, car l’arétalogie est un contenu à caractère merveilleux qui peut s’insérer dans n’importe quel style et non un genre littéraire, en soi. Ensuite et en tout état de cause, les arétalogies contant les miracles des « hommes divins » – donc à contenu jugé : « biographique » - sont très minoritaires parmi les arétalogies. Un exemple d’arétalogie est donné ci-dessous : Isis énumère, à la première personne (« Je »), ses actes de puissance (cf. : spoiler). Il s’agit d’une litanie permettant de vanter les exploits d'un dieu – dans laquelle n’apparait clairement ni le caractère « biographique », ni « l’homme divin faisant des miracles ». L’idée de James Robinson a fait long feu, il semble que l’arétalogie serait un genre tardif par rapport aux Évangiles et s’en serait même inspiré (http://academia.edu/1197126/Les_evangiles_sont-ils_une_biographie_de_Jesus ). Finalement, parmi les analogies de style possibles, l’arétalogie nous semble la moins convaincante.
D. Un roman grec ?
Le style littéraire des Évangiles pourrait être celui du roman grec en raison de sa construction narrative et du processus de réflexion qu’il amorce. Si on admet que l’excellente construction narrative, que le fait déclencher un processus cognitif de remise en question des valeurs et que la narration sont des points qui rapproche le style littéraire des Évangiles et le roman grec, par contre on ne voit pas que ces caractéristiques seraient spécifiques du roman grec. On peut trouver les mêmes caractéristiques dans les contes, les exposés philosophiques ou, même, dans les récits de l’histoire familiale au coin du feu, etc … Nous avons traité plus haut de la question du choix du « style narratif » qui serait un choix délibéré de narration apologétique pour appuyer la théologie de l’incarnation (voir, ci-dessus, le post sur les intentions apologétiques de la narration évangélique). L’INT souligne que le roman grec « fait à la fiction et au merveilleux une part bien plus considérable » que les Évangiles. Néanmoins, l’affirmation reste, ici, que les Évangiles sont une fiction.
E. Une biographie gréco-romaine mêlant histoire et art du portrait ?
Le style « biographique » des Évangiles a été comparé à des œuvres de Plutarque, Suétone, Philostrate ou Diogène Laërce. Mais, toutes ces œuvres ont comme points communs d’être postérieures au premier siècle – donc postérieures aux Évangiles - et d’avoir été écrites un ou plusieurs siècles après les faits. Ce sont des portraits construits à partir de paroles, de discours et de faits d’intérêt historiographique discutable. Seules les Memorabilia de Xénophon ont été écrites avant notre ère quelques dizaines d’années après les événements par un témoin oculaire. Ce sont des récits sur la vie de Socrate où Xénophon se veut le porte-parole de son ancien maître. C'est un mélange entre le traité philosophique et un livre de souvenirs assez proche, donc, des conditions de rédactions des Évangiles. L’examen de toutes ces formes littéraires, appelées « biographies », est encore sous-tendu par le propos de fond du rationalisme et de la Formgeschichte : les Évangiles sont des fictions. Toutes ces « biographies gréco-romaines » reposent, en effet, sur des portraits romancés – donc en partie fictifs - et des détails historiographiques sujets à caution, voire complètement faux.
F. Petite histoire des genres littéraires successivement attribués aux Évangiles
Le style littéraire des Évangiles va être compris de façon variée sur les deux derniers siècles. A partir du 18ème siècle, le rationalisme a mis en doute l’historicité des Évangiles. Renan nie l’historicité des Évangile et considère qu’ils font partie des « biographies légendaires », Bultman opte pour un récit sui generis, une mauvaise synthèse folklorique, d’origine populaire, enfin les commentateurs des années 1970 vont inventer des genres inédits (arétalogie, roman, biographie, etc …) auxquels sera comparé de genre littéraire des Évangiles. En fait, c’est toute l’histoire de l’interprétation littéraire qui défile sous nos yeux. Le point commun est que, pour tous ces commentateurs, les Évangiles sont une fiction.
G. Les Évangiles sont-ils - finalement - des biographies ?
Le huitième leitmotiv est le suivant : les Évangiles auraient été élaborés dans le milieu hellénistique en ayant recours aux formes littéraires et catégories philosophiques grecques. C’est un leitmotiv est particulièrement insistant de l’INT.
Le neuvième leitmotiv est le suivant : les Évangiles seraient une sous-catégorie des biographies gréco-romaines. Ce leitmotiv est également particulièrement insistant dans l’INT.
Le dixième leitmotiv est le suivant : les Évangiles – quelque qu’en soit le style – biographie gréco-romaine ou narration auraient un contenu fictif, en partie ou en totalité. Ce leitmotiv particulièrement insistant dans l’INT est un postulat de la Formgeschichte.
Ces trois leitmotive sont aussi très cohérents avec la description de « scribe inspiré » (voir post précédent) inventée par l’école de Marguerat. Ce « scribe » invente au fur et à mesure une nouvelle traditions en fonction des besoins d’édification et d’identité des communautés chrétiennes, au besoin, même, il pastiche « à la manière de Jésus ». Cette conception du « scribe chrétien » n’a rien plus rien à voir avec le « scribe juif » (le « sapré » en araméen) qui sait trouver de mémoire dans les rouleaux l’emplacement de la citation juste à l’appui d’un jugement ou d’une controverse, mais avec le sophiste, c’est-à-dire l’orateur d’agrément dans le monde grec qui peut inventer et raconter tout ce qui est jugé plaisant ou vraisemblable par son auditoire.
G. Quand même, une différence incontournable et historique …
Les Évangiles seraient une forme de biographie grecque ou romaine ! Oui, je sais ça peut surprendre. Mais comment a-t-on pu en arriver à une telle affirmation ?
On a passé en revue toutes les formes littéraires auxquelles qui a pu être comparé le style littéraire des Évangiles : un récit à la manière de la Bible, un récit à contenu merveilleux (arétalogie), un roman grec ou une biographie gréco-romaine. Bien évidemment, dans chaque cas, on peut trouver des ressemblances et des dissemblances. On doit aussi avoir à l’esprit que ce travail de comparaison de l’esthétique littéraire ne peut produire de vraies « preuves », mais seulement des arguments de vraisemblance.
L’école de Marguerat a tiré sa propre conclusion : les Évangiles seraient « une sous-catégorie de la biographie gréco-romaine ». Mais pour notre part, notre lecture attentive nous permet d’affirmer que l’INT ne produit aucune démonstration menant à une telle « conclusion ». Cette affirmation de Marguerat n'est que la reformulation d’un des postulats de base de la Formgeschichte : « les évangiles ont été élaborés en milieu hellénistiques avec les formes littéraires et les catégories philosophiques grecques pour un public hellénophone » ... alors de là à dire que les Évangile sont une forme de biographie gréco-romaine ... il n'y a qu'un pas qu'on peut franchir allègrement.
Tout ce travail de comparaison des formes littéraires dans l’INT est sous-tendu par un autre postulat du rationalisme et de la Formgeschichte : les Évangiles (qu’ils soient narration, arétalogie, roman ou biographie) sont des fictions, des constructions déconnectées de la réalité.
Toutes les opinions sont tout à fait légitimes bien évidemment. Nous soulignons simplement qu’il faut soigneusement distinguer « répétition/reformulation des postulats » et « démonstration ». L’INT pratique la reformulation de ses postulats, mais non la démonstration. C’est une de nos critiques de fond de l’INT.
De notre point de vue, l’analyse comparée des styles littéraires avec le style littéraire des Évangiles montre dans chaque cas des ressemblances, mais aussi des dissemblances significatives qui ne permettent absolument pas d’assimiler ou d’affilier l’Évangile à l’un ou l’autre de ces styles littéraires « candidats » à la ressemblance avec les Évangiles. Cette étude fastidieuse de l’INT est – pour nous – totalement non concluante. En un mot : dire que « l’Évangile est une sous-catégorie des biographies gréco-romaine » est une affirmation qui peut passer pour « logique » quand on adhère « philosophiquement » aux thèses du rationalisme et de la Formgeschichte, mais il est beaucoup plus embarrassant de soutenir cette affirmation quand on a effectivement lu l’INT. On peut tout au plus tenir cette affirmation pour une posture d’école sur un sujet ouvert et controversé, même au sein des affidés de la Formgeschichte.
Dans l’INT, la méthode de la Formgeschichte nous a pourtant été doctement exposée :
« L’analyse de la forme littéraire recourt à deux disciplines : l’esthétique littéraire et la sociologie. En esthétique littéraire, elle étudie la forme du texte et adopte une classification des formes fixes en usage dans le Nouveau Testament. A l’aide de la sociologie, elle relie la forme littéraire au lieu de vie (Sitz im Leben) qui génère cette forme et détermine la fonction qui lui est affectée. » (INT page 15)
Cette étude de l’analyse littéraire comparée est pour nous totalement non concluante, nous le répétons. Le plus ironique est que cette analyse littéraire comparée fait par elle-même la preuve même de la faiblesse et de l’arbitraire de ses « conclusions ». On pourrrait aussi bien en tirer comme conclusion que le style littéraire des Évangiles est un style « sui generis ». Bultman a souligné, à juste titre, la visée confessante des évangélistes, mais cela ne permet d'affirmer ni que le récit reposerait sur des témoignages et souvenirs inexacts, ni qu’il ne peut s’agir d’une biographie ou d’histoire - sans doute dans un sens un peu différent de ce qui est admis de façon classique.
Ainsi, de notre point de vue, le premier pilier de la Formgeschichte, c’est à dire : l’analyse de l’esthétique littéraire, fait la preuve qu’elle est le maillon faible de la méthode.
Par ailleurs, l’analyse prétendument « sociologique » qui devrait suivre l’analyse de l’esthétique littéraire se résume à une liste de formes littéraires préétablies sensées correspondre à des situations de vie de la communauté (enseignement, culte ou controverses, etc.). Mais il ne s’agit, en aucun cas, d’une approche au sens de la sociologie classique laquelle repose sur des enquêtes dans les populations réelles, vivantes. Il ne s’agit dans ce cas que de catégories imaginées par les tenants de la méthode de la Formgeschichte projetées sur une réalité du passé, ce qui conduit à des affirmations impossibles à vérifier (révolues) et « infalsifiables » - donc non scientifiques. C’est, à notre sens, un autre point faible de la méthode de la Formgeschichte. Cette approche pseudo-sociologique, au demeurant, très peu développée dans l’INT ne peut donner matière à un commentaire plus développé.
A. Un récit à la manière de la Bible ?
Le style littéraire des Évangiles pourrait être celui de la Bible avec sa combinaison d’histoire et de confession de foi. Mais dans la Bible l’intérêt biographique n’est pas concentré sur une seule personne. Enfin, on ne mettait pas habituellement les enseignements des rabbins sur forme de biographie narrative, mais ils étaient seulement conservés sous forme de paroles ou de courts récits.
- Spoiler:
Effectivement si les apôtres avaient été des écrivains modernes rédigeant leurs souvenirs, on ne voit pas pourquoi on aurait un récit ainsi fragmenté en micro-unités. Mais justement, les apôtres ne sont pas des auteurs modernes de tradition écrite, ce sont des hommes de la tradition orale. La théorie des « perles » et des « colliers » de récitation orale par cœur de Pierre Perrier rend compte d’un travail de « rédaction » reposant sur l’assemblage de micro-unités (en partie des récits de témoins) formant finalement un ensemble cohérent. Cette théorie fait aussi le lien sociologique avec le milieu et les pratiques rabbiniques des premiers siècles. Nous avons vu également, plus haut qu’il est faux de prétendre que le point en discussion est l’existence des micro-unités. Ce qui est contesté en réalité, ce sont deux affirmations de la Formgeschichte : 1. Ces micro-unités auraient été à l’origine indépendantes et 2. Elles auraient été transmises « au hasard » sans lien entre elles, ne prenant corps et sens qu’après leur mise par écrit en récit continu. Rien n’indique, dans la culture orale, que ces micro-unités auraient été transmises « en pièces détachées » sans aucun lien narratif, logique ou mnémotechnique – donc sans lien avec le sens, d’autant que la plupart des interprétations sont construites en rapport avec l’Ancien Testament servant de matrice de sens.« Le modèle traditionnel qui attribue l’écriture des évangiles aux apôtres ou à leur élèves considère que l’écrit consigne les témoignages oculaires ; mais ce modèle échoue à expliquer pourquoi la tradition s’est d’abord cristallisée en petites unités avant de se fixer dans les récits continus que sont les évangiles. Le modèle de transmission rabbinique bute sur la mise par écrit, car on ne trouve aucun phénomène similaire chez les rabbins ; l’enseignement des maîtres est conservé sous la forme de paroles ou de petits épisodes, mais sans narration biographiques. » (INT page 28).« Le précédent littéraire et théologique le plus proche est évidemment la Bible Juive : la foi d’Israël vit de (se) raconter l’histoire de Dieu avec son peuple. Les livres historiques de l’Ancien Testament ont développé un genre littéraire spécifique combinant historiographie et confession de foi, auquel s’affilient les évangiles ; mais à la différence des premiers, qui relatent l’histoire d’une collectivité ; les évangiles ont un intérêt biographique prononcé, puisqu’ils focalisent sur la destinée d’un individu. » (INT page 28)
B. Une biographie idéalisée ?
Le style littéraire des Évangiles pourrait être celui des « biographies idéales » de la culture gréco-romaine avec sa volonté d’exemplarité poussant à l’imitation et son contenu édifiant gommant de l’aspect psychologique du personnage (« biographie idéalisée »). Cependant, il existe dans la Bible des récits très semblables aux Évangiles comme le livre de Jérémie qui offre une grande similitude : avec un récit de vocation, une collection de paroles et d’actions, des prophéties et la passion du prophète. La Vie des prophètes, écrite en Palestine au premier siècle pour la dévotion populaire autour ces figures du passé d’Israël est également assez similaire (etc.).
- Spoiler:
- « K. Baltzer a identifié dans l’Ancien Testament un genre de « biographies idéales » qui comme l’évangile se concentrent sur l’aspect théologique et se désintéressent de la dimension psychologique des personnages (David en 2 S 23, 17 ; Gédéon en Jg 6-8 ; Moïse d’Ex 2 à Dt 34). […] Manifestement, les évangiles arborent plusieurs traits semblables : anonymat de l’auteur (qui s’efface derrière la parole qu’il annonce) ; dimension théologique de la biographie ; visée édifiante de l’œuvre. Mais de la littérature hébraïque, la première analogie venant à l’esprit est le livre prophétique qui expose l’intervention de Dieu d’Israël au travers de la vie, des paroles et des actes de son envoyé. Le livre de Jérémie offre la plus grande proximité, car il combine les éléments présents dans l’Évangiles : un récit d’appel incluant une vocation prophétique (Jr 1, 4-10), une énumération des paroles mêlée à des actions prophétiques (cf. l’action dans le Temple : Jr 7), l’annonce de la ruine de Jérusalem et une forme de passion du prophète (Jr 26 ; 37-38). La Vie des prophètes, écrite en Palestine, déploie l’histoire de ces figures du passé d’Israël auxquelles s’attache la dévotion populaire ; des biographies idéales enseignent les lecteurs sur la naissance, sur les paroles, les actions symboliques, la mort et la sépulture des saints hommes. Manifestement, les évangiles arborent plusieurs traits semblables : anonymat de l’auteur (qui s’efface derrière la parole qu’il annonce) ; dimension théologique de la biographie ; visée édifiante de l’œuvre. Mais il est vrai que dans l’ensemble la littérature prophétique est plus intéressée à transmettre l’enseignement qu’à faire mémoire de la vie du prophète. » (INT pages 49-50)
C. Un récit à contenu « merveilleux » ou « arétalogie » ?
On essaie aussi de rapprocher les Évangiles de l’arétalogie dans le cas des « biographies décrivant des miracles réalisés par des « hommes divins » (θεϊοι άνδρες) » (Helmut Köster et James Robinson. 1971). Tout d’abord, cette présentation est un peu confuse, car l’arétalogie est un contenu à caractère merveilleux qui peut s’insérer dans n’importe quel style et non un genre littéraire, en soi. Ensuite et en tout état de cause, les arétalogies contant les miracles des « hommes divins » – donc à contenu jugé : « biographique » - sont très minoritaires parmi les arétalogies. Un exemple d’arétalogie est donné ci-dessous : Isis énumère, à la première personne (« Je »), ses actes de puissance (cf. : spoiler). Il s’agit d’une litanie permettant de vanter les exploits d'un dieu – dans laquelle n’apparait clairement ni le caractère « biographique », ni « l’homme divin faisant des miracles ». L’idée de James Robinson a fait long feu, il semble que l’arétalogie serait un genre tardif par rapport aux Évangiles et s’en serait même inspiré (http://academia.edu/1197126/Les_evangiles_sont-ils_une_biographie_de_Jesus ). Finalement, parmi les analogies de style possibles, l’arétalogie nous semble la moins convaincante.
- Spoiler:
Étant donné la défiance de principe de l’école de Marguerat à l’encontre de tout ce qui est « merveilleux » ou dire que « les évangiles ont à coup sûr une « visée arétalogique » signifie simplement que les Évangiles ont un contenu fictif : romancé ou mythologique. Si l’école de Marguerat peut bien décider que tout ce qui est « merveilleux » ou « surnaturel » sera désormais classé comme « à visée arétalogique », il reste qu’une « collection de miracles » à la manière des Évangiles synoptiques n’est pas une arétalogie et que son insertion dans une narration ou un cadre biographique plus large n’en fait pas non plus - de facto - une arétalogie. On est là un peu dans un abus de mots de sens voisin, mais ni totalement équivalents, ni réversibles. Enfin, l’arétalogie n’est en général - et principalement - ni ce contenu « merveilleux » ou miraculeux, ni une « biographie ».« La littérature gréco-romaine offre plusieurs analogies possibles. On a pensé aux arétologies ces biographies décrivant des miracles réalisés par des « hommes divins » (θεϊοι άνδρες). H. Köster y a songé pour Mc et pour Jn, qui chacun à leur façon auraient intégré des collections de miracles dans un cadre biographique plus large. Mais il est douteux que dans la littérature antique, on puisse parler de l’arétalogie comme du macro-genre d’un écrit ; arétalogie ne désigne pas une forme littéraire, mais plutôt son contenu (narration d’actes surnaturels) d’écrit aussi divers que des hymnes, des lettres, des inscriptions votives ou des biographies romanesques. Les évangiles ont à coup sûr une visée, notamment, arétalogique » (INT page 50).Une arètalogie (du grec : ἀρεταλογία : vanter les exploits d'un dieu / déesse) est une liste des actes de puissance et les fonctionnalités d'une divinité. Les arétalogies traditionnelles sont principalement à la première personne, comme une liste à puces des propriétés et des actions du dieu. Des exemples bien connus de ce type de formulaire sont : l‘Epiphanie d'Isis (un roman, en fait) d‘Apulée (2ème siècle) et l’arétalogie d‘Isis de Kyme au 1er siècle, dont voici l‘exemple :Je suis Isis, la maîtresse de l'ensemble du pays
...
Je suis la fille aînée de Chronos.
Je suis l‘épouse et la sœur du roi Osiris.
Je suis celle qui a inventé le fruit humain.
Je suis la mère du roi Horus.
Je suis celle qui prend sa source dans la constellation du chien.
...
J'ai fait le droit plus fort que l'argent et l'or.
J'ai déterminé que la vérité soit reconnue comme bien.
J'ai inventé les contrats.
J'ai les Grecs et les barbares, les langues prescrites …
http://de.wikipedia.org/wiki/Aretalogie_(Religion)
D. Un roman grec ?
Le style littéraire des Évangiles pourrait être celui du roman grec en raison de sa construction narrative et du processus de réflexion qu’il amorce. Si on admet que l’excellente construction narrative, que le fait déclencher un processus cognitif de remise en question des valeurs et que la narration sont des points qui rapproche le style littéraire des Évangiles et le roman grec, par contre on ne voit pas que ces caractéristiques seraient spécifiques du roman grec. On peut trouver les mêmes caractéristiques dans les contes, les exposés philosophiques ou, même, dans les récits de l’histoire familiale au coin du feu, etc … Nous avons traité plus haut de la question du choix du « style narratif » qui serait un choix délibéré de narration apologétique pour appuyer la théologie de l’incarnation (voir, ci-dessus, le post sur les intentions apologétiques de la narration évangélique). L’INT souligne que le roman grec « fait à la fiction et au merveilleux une part bien plus considérable » que les Évangiles. Néanmoins, l’affirmation reste, ici, que les Évangiles sont une fiction.
- Spoiler:
- « Le roman grec a été évoqué à cause de l’excellence de sa construction narrative (voir le roman d’Alexandre ou Leucippé ou Clitophon d’Achille Tatius). M.A. Tolbert a proposé ce modèle pour Mc. Agencement des épisodes, effets dramatiques, mise en place d’une intrigue caractérisent aussi le travail des évangélistes, dont l’écrit constitue une christologie mise en récit. La lecture de l’évangile, comme celle d’un roman déclenche un processus cognitif au cours duquel le lecteur est entrainé à mettre à l’épreuve ses conceptions et son système de valeurs ; en l’occurrence chaque évangile s’attache à falsifier d’autres christologies. La comparaison avec le roman pointe sur le choix évangélique de la narration : raconter Jésus (plutôt que retranscrire ses discours comme l’a fait la source des logias), c’est inscrire la destinée du fils de Dieu dans une histoire d’hommes et de femmes. La Parole est devenue chair : elle s’est faite humanité. La narrativité est l’indice de l’incarnation. On ne confondra pas cependant le choix théologique de la narrativité et l’adoption littéraire des canons du roman grec ; ce dernier fait à la fiction et au merveilleux on part bien plus considérable. » (INT page 50 et 51)
E. Une biographie gréco-romaine mêlant histoire et art du portrait ?
Le style « biographique » des Évangiles a été comparé à des œuvres de Plutarque, Suétone, Philostrate ou Diogène Laërce. Mais, toutes ces œuvres ont comme points communs d’être postérieures au premier siècle – donc postérieures aux Évangiles - et d’avoir été écrites un ou plusieurs siècles après les faits. Ce sont des portraits construits à partir de paroles, de discours et de faits d’intérêt historiographique discutable. Seules les Memorabilia de Xénophon ont été écrites avant notre ère quelques dizaines d’années après les événements par un témoin oculaire. Ce sont des récits sur la vie de Socrate où Xénophon se veut le porte-parole de son ancien maître. C'est un mélange entre le traité philosophique et un livre de souvenirs assez proche, donc, des conditions de rédactions des Évangiles. L’examen de toutes ces formes littéraires, appelées « biographies », est encore sous-tendu par le propos de fond du rationalisme et de la Formgeschichte : les Évangiles sont des fictions. Toutes ces « biographies gréco-romaines » reposent, en effet, sur des portraits romancés – donc en partie fictifs - et des détails historiographiques sujets à caution, voire complètement faux.
- Spoiler:
1. Lorsque Plutarque (+46 à +120) écrit, en +110 à Delphes en Grèce, les « Vies d’hommes célèbres », il compare les vies d’hommes illustres ayant vécu entre un à quatre siècle avant lui, il met en parallèle un grand personnage de la Grèce et son homologue à Rome : César (-100 à -44) est comparé avec Alexandre (-356 à -323) ou Cicéron (-106 à -43) est comparé avec Démosthène (-384 à -322). Dans cette œuvre, Plutarque est plus portraitiste et de moraliste qu'historien, c’est-à-dire que les éléments historiographiques ne sont pas nécessairement tous vérifiés et que Plutarque a pu en inventer une partie ;« Dans la production littéraire gréco-romaine aux alentours du premier siècle, on rencontre à côté des grandes œuvres historiographiques, un certain nombre de biographies : les Vies d’hommes célèbres de Plutarque, les Vies des Douze Césars de Suétone, les Memoriabilia de Socrate par Xénophon, la vie d’Appolonius de Tyame, les Vies des anciens philosophes de Diogène Laërce, etc … » (INT page 51)
2. Lorsque Suétone (+69 à + 130 ?) écrit, en +119 à Rome, les « Vies des Douze Césars », il dresse un portrait détaillé des douze premiers Césars. Comme secrétaire de l’empereur Hadrien, il a pu avoir accès aux archives de l’empire et de la cité, mais de nombreux détails sont issus de la rumeur et sont donc faux. Même si l’ambiance générale de décadence est juste, l’ensemble n’est pas considéré comme fiable d’un point de vue historique. Suétone écrit en outre un siècle après le premier César (Jules César), mais est bien contemporain du dernier César décrit. Les 12 premiers Césars s’échelonnent en effet de César (-100 à 44) à Domitien (+51 à +96) ;
3. Lorsque Xénophon (426 ou 430 à - 355) écrit, en -370 à Thèbes en Grèce, les « Memoriabilia de Socrate » qui sont un mélange de traité philosophique et de souvenirs de Socrate dont il a été l’élève direct. Lorsqu’il écrit il ne se trouve qu’à quelques dizaines d’années de la mort de Socrate (-470 à - 399). Sa mémoire était probablement soutenue par la sténographie dont il semble être un des premiers contributeurs et par les entretiens prolongeant l’œuvre de Socrate dans le cercle des sophistes dont il faisait partie. Cependant les Memorabilia de Xénophon qui parlent de Socrate semblent être jugées moins fiables que l’Apologie de Socrate écrite et publiée par Platon quelques années auparavant
4. Lorsque Philostrate d'Athènes (170 – 244 ou 249), vers 212 à Rome, consacre huit livres à la vie d’Appolonius de Tyame (+16 à +97 à 98), il se situe 100 ans après la mort de ce pythagoricien. Philostrate est sophiste, c’est-à-dire orateur d’agrément. Son œuvre est une biographie romancée d’Appolonius faite, semble-t-il, à la demande de Julia Domna épouse de l’empereur Septime Sévère. Plusieurs épisodes racontés ont un caractère fantastique, voire merveilleux lesquels ne peuvent être que des inventions.
5. Diogène Laërce est mal connu, le fait est d’autant plus surprenant qu’il représente souvent l’unique source que nous ayons sur la vie et la doctrine de nombreux philosophes – comme par exemple les lettres d’Épicure ainsi que les testaments de certains philosophes. il aurait vécu dans la première moitié du 3ème siècle de notre ère, car il ne mentionne ni le néoplatonisme de Plotin, ni Porphyre de Tyr. Il fait œuvre de doxographe au sens où il retranscrit et décrit la vie des philosophes les plus importants de son époque. Il y ajoute une abondance d'anecdotes diverses, qui situent notamment les relations que celui-ci aurait eues avec les autres philosophes Certains de ses écrit restent sujet à caution comme un échange de lettres entre Pisistrate à Solon (6ème siècle avant JC) qui sont considérés comme des apocryphes, donc des faux.
F. Petite histoire des genres littéraires successivement attribués aux Évangiles
Le style littéraire des Évangiles va être compris de façon variée sur les deux derniers siècles. A partir du 18ème siècle, le rationalisme a mis en doute l’historicité des Évangiles. Renan nie l’historicité des Évangile et considère qu’ils font partie des « biographies légendaires », Bultman opte pour un récit sui generis, une mauvaise synthèse folklorique, d’origine populaire, enfin les commentateurs des années 1970 vont inventer des genres inédits (arétalogie, roman, biographie, etc …) auxquels sera comparé de genre littéraire des Évangiles. En fait, c’est toute l’histoire de l’interprétation littéraire qui défile sous nos yeux. Le point commun est que, pour tous ces commentateurs, les Évangiles sont une fiction.
- Spoiler:
1. Ernest Renan (La vie de Jésus. 1863)
Nous ne développons pas le lien qui vient d’être indiqué, ci-dessus. Si on s’y reporte, on verra que plusieurs critères on servi à classifier les Évangiles dans la littérature mineure et - en tout état de cause - dans les ouvrages « pas sérieux » sur le plan historique. Les Évangiles ont été successivement qualifiés de : 1. « biographie légendaire » ; 2. « biographie populaire », c’est-à-dire inexacte ; 3. « memorabilia déconnectées du réel ». L’histoire positiviste, depuis Ranke, s’est trouvé des modèles en Hérodote, Thucydide et Tite-Live et les évangélistes font les frais de cette classification ; le point constant de cette approche est que les Évangiles sont considérés comme légendaires. La Formgeschichte oppose la Hochliteratur et la Kleinliteratur, c’est-à-dire la littérature populaire ou folklorique. « Nous sommes bien dans du protestantisme libéral allemand d’entre-deux-guerres, imprégné d’hégélianisme et de mépris bourgeois. » (http://regis.burnet.free.fr/Textes/Biographie.pdf ). L’anonymat de l’évangéliste a été utilisé aussi pour suggérer qu’en l’absence d’une « intention d’auteur » identifiable, le texte évangélique n’avait probablement pas d’auteur du tout.« Ce ne sont ni des biographies à la façon de Suétone, ni de légendes fictives à la manière de Philostrate : ce sont des biographies légendaires. Je le rapprocherais volontiers des légendes des saints, des Vies de Plotin, de Proclus, et d’autres récits du même genre où la vérité historique et l’intention de présenter des modèles de vertu se combinent à des degrés divers. L’inexactitude, qui est un des traits de toute composition populaire, est partout présente ».
http://regis.burnet.free.fr/Textes/Biographie.pdf
2. Bultman (1926)« En partant de Renan, cherchant à déshistoriciser Jésus, en passant par Bultmann, renvoyant les évangiles à une mauvaise synthèse folklorique, jusqu’aux commentateurs des années 1970, inventant des genres inédits, c’est toute l’histoire de l’interprétation littéraire qui défile sous nos yeux. »
http://regis.burnet.free.fr/Textes/Biographie.pdf« Avec le temps, ce soupçon [d’être une biographie fictive] s’est affermi et est arrivé à son expression la plus extrême chez un auteur comme Bultmann. Dans son livre Jésus de 1926, il écrit : « je pense définitivement que nous ne pouvons rien savoir de la vie et de la personnalité de Jésus, parce que les sources chrétiennes ne s’y sont pas intéressées. » Pour lui, il n’y a aucune relation possible entre le Jésus de l’histoire et celui de la foi : nous ne savons rien du Jésus historique (cet homme concret qui aurait vécu en Palestine il y a vingt siècles), mais il faut croire au Christ de la foi (Jésus-Christ, le Sauveur de l’humanité). »
http://qe.catholique.org/historicite-du-christ-et-des-evangiles/13114-l-evangile-un-mythe-devenu-best-seller« Schmidt réhabilite Philostrate, à qui il attribue des intentions, mais rejette les évangiles dans le folklore, en les assimilant aux traditions sur le Docteur Faust, sur François d’Assise ou sur le Grand Magid hassidique. Bultmann donnait le coup d’arrêt de toute assimilation dans son livre fondateur Die Geschichte der synoptischen Tradition dans un raisonnement en trois points :
1° les évangiles sont de la Kleinliteratur car ils réalisent la compilation entre un kérygme d’origine hellénistique et d’une série de traditions et de légendes cultuelles ;
2° le manque de technique de cette union trahit l’absence de personnalité d’auteur ;
3° cette création est sui generis au christianisme et toute comparaison avec la littérature grecque est nulle et non avenue. »
http://academia.edu/1197126/Les_evangiles_sont-ils_une_biographie_de_Jesus
G. Les Évangiles sont-ils - finalement - des biographies ?
- Spoiler:
- 1. Les Évangiles présentent effectivement des différences avec les biographies classiques
Avec l’avènement du rationalisme, des intellectuels ont commencé à considérer les Évangiles comme une sorte de « biographie ingénue », c’est-à-dire : un conte de fée très bien monté mais qui ne résisterait pas à un examen critique. On peut énumérer les « défauts » des Évangiles de ce point de vue, par exemple :
- contradictions entre les récits d’un même fait : Jésus a-t-il prononcé huit béatitudes ou seulement quatre ? (Cf. Matthieu 5, Luc 6)
- silence sur 30 années du personnage principal (c’est un peu fort pour le Sauveur du monde !),
- on ne dispose pas d’une description rigoureuse de Jésus (quelle est sa psychologie, son aspect physique ?), etc.
2. Par contre, les Évangiles ont des points communs avec les biographies classiques
3. Alors, les Évangiles sont-ils un genre littéraire « sui generis » ou une sous-catégorie des biographies gréco-romaines ?Mais utilisons les outils de la science moderne pour soutenir Luc dans son intention. Pour ce faire, il suffit de comparer les évangiles à d’autres livres de l’époque qui se sont présentées comme des biographies rigoureuses de personnages célèbres. Un résumé de ce travail est présenté par le chercheur R. Burridge (1), où la vie de Jésus est mise en parallèle avec dix biographies célèbres de l’antiquité, comme la fameuse série des Césars de Suétone. La comparaison est étonnante : c’est exactement la même structure et la même manière de présenter l’histoire, bien loin des récits mythologiques qui abondaient à l’époque. Ainsi :
- les évangiles commencent par une brève introduction (nous avons mentionné celle de Luc)
- Jésus lui-même est bien le protagoniste principal, comme dans toutes les œuvres comparées
- il est décrit à travers ses actes (notamment ses miracles et ses discours), comme tous les personnages célèbres de l’Antiquité
- la Passion prend une place très importante, comme c’est le cas dans les autres biographies (par exemple celle de Caton décrite par Plutarque.
http://qe.catholique.org/historicite-du-christ-et-des-evangiles/13114-l-evangile-un-mythe-devenu-best-seller
i. Un genre « sui generis », le style évangélique serait un « hapax », c’est à dire un style littéraire qui n’apparait qu'une seule occurrence dans l’histoire de la littérature :
ii. Cette même conception d’un style évangélique « sui generis » est défendue par Bultmann :« Tous ces éléments nous convainquent d’une chose : le genre évangélique est un hapax. S’il faut lui trouver une filiation, ce serait certainement du côté juif qu’il faudrait la chercher. […] D’ailleurs, si le genre évangélique a certainement servi de modèle à toute une série d’écrits chrétiens – à l’instar des vies de saints – mais aussi à toute la littérature occidentale, il est certain qu’il n’eût pas de postérité claire. […] L’évangile, genre qui entretient un certain lien avec la biographie, qui a certainement plus d’accointances avec le judaïsme qu’avec l’hellénisme, est bien le produit « sui generis » d’une époque particulière, celle du christianisme encore enfant. […] Nous savons que dans l’Antiquité le genre littéraire remplissait une fonction normative, en fixant les prérequis de style et de référence aux anciens (philosophes et dramaturges grecs). Pour être reconnu comme littéraire, il fallait obligatoire s’y plier, faute de quoi on avait peu de chance de convaincre un lectorat cultivé. Or les évangiles ne passent pas sous ces fourches caudines. D’emblée, ils entendent donc sortir du système littéraire, afin d’avoir une autre visée ; ils entendent trancher sur tout ce qui s’était écrit jusqu’alors afin de fonder un nouveau mode d’expression. »
http://regis.burnet.free.fr/Textes/Biographie.pdf
iii. Une sous-catégorie des biographies gréco-romaines« La Formgeschichte (histoire de la forme littéraire) a défendu l’idée que les évangiles constituaient un phénomène littéraire sui generis, né des besoins de la communauté ; visant à édifier plutôt qu’à instruire leurs lecteurs, ils seraient un produit de le littérature populaire, qui n’est pas à mesurer avec les œuvres littéraires issues de la culture gréco-romaine (M. Dibelius, R. Bultman). » (INT page 49)« Comme la biographie, l’évangile a un faible intérêt documentaire ou anecdotique ; les traditions rapportées pointent exclusivement sur le message à transmettre. Tous les traits du récit sont mobilisés pour éclairer la signification de la parole et des gestes du héros. L’évangile peut donc être qualifié de « sous-genre de la biographie gréco-romaine » (D.E. Aune), mais en tenant compte du fait qu’il constitue une littérature populaire qui contraste avec le standard culturel élevé de la biographie. Cette affiliation coïncide avec la double composante de l’évangile qui est la fixation sur la vie d’un personnage et l’intérêt pour son inscription dans l’histoire. » (INT page 51)
Bien noter le commentaire tendancieux de cette citation. Le « judéo-christianisme syro-palestinien » est bien évidemment de langue hébraïque ou araméenne, cependant ce paragraphe suggère que le glissement d’ensemble s’est fait de « l’araméen au grec » et cela très précocement puisqu’elle aurait déterminé l’élaboration et la rédaction des Évangiles vers +70 et après . On passe très rapidement sur ce « judéo-christianisme syro-palestinien » qui, lui, n’est pas tout passé au grec – sinon parce qu’une hiérarchie hellénophone lui a été imposée par la force des choses et sur l’histoire des « judéo-chrétiens » qui commence à être mieux connue depuis la fin de ce 20ème siècle – histoire distincte de l’Église de Rome de culture gréco-romaine.« La mission chrétienne, à partir d’Antioche, s’adresse aux non-juifs (Ac 11,19-26) ; elle doit recourir à des catégories philosophiques grecques, pour devenir intelligible à des populations ignorantes de la tradition juive et des Écritures. […] Par ailleurs, le judéo-christianisme syro-palestinien a conservé pendant des siècles son attachement à la langue, aux rites et aux traditions du judaïsme. […] De l’araméen au grec, de la campagne à la ville, de la culture juive au monde religieux gréco-romain, l’essor de l’évangélisation a fait subir à la tradition de Jésus une cascade de mutation » (INT page 17-18)
Le huitième leitmotiv est le suivant : les Évangiles auraient été élaborés dans le milieu hellénistique en ayant recours aux formes littéraires et catégories philosophiques grecques. C’est un leitmotiv est particulièrement insistant de l’INT.
Le neuvième leitmotiv est le suivant : les Évangiles seraient une sous-catégorie des biographies gréco-romaines. Ce leitmotiv est également particulièrement insistant dans l’INT.
Le dixième leitmotiv est le suivant : les Évangiles – quelque qu’en soit le style – biographie gréco-romaine ou narration auraient un contenu fictif, en partie ou en totalité. Ce leitmotiv particulièrement insistant dans l’INT est un postulat de la Formgeschichte.
Ces trois leitmotive sont aussi très cohérents avec la description de « scribe inspiré » (voir post précédent) inventée par l’école de Marguerat. Ce « scribe » invente au fur et à mesure une nouvelle traditions en fonction des besoins d’édification et d’identité des communautés chrétiennes, au besoin, même, il pastiche « à la manière de Jésus ». Cette conception du « scribe chrétien » n’a rien plus rien à voir avec le « scribe juif » (le « sapré » en araméen) qui sait trouver de mémoire dans les rouleaux l’emplacement de la citation juste à l’appui d’un jugement ou d’une controverse, mais avec le sophiste, c’est-à-dire l’orateur d’agrément dans le monde grec qui peut inventer et raconter tout ce qui est jugé plaisant ou vraisemblable par son auditoire.
G. Quand même, une différence incontournable et historique …
Cela n’empêche pourtant pas les auteurs(es) des différents chapitres de l’INT de répéter que les Évangiles sont des sous-catégories de la biographie gréco-romaine … il me semble que cette option est la position d’école de Marguerat afin se démarquer de Bultman qui, lui, pense que le style évangélique serait « sui generis ».« Mais l’affiliation littéraire ne doit pas dissimuler l’originalité de l’évangile, qui tient à l’émergence d’un phénomène historiquement identifiable : le développement de la foi en Jésus. Car l’évangile naît d’un programme théologique sans pareil qui es de manifester l’identité du Crucifié et du Ressuscité, l’identité de l’homme de Nazareth et du Seigneur vivant. […] Ce programme théologique totalement nouveau s’est moulé dans un type d’écrit qui ne connaît pas immédiatement de précédent, sinon au plus proche, la biographie » (INT page 52)
Dernière édition par Roque le Dim 9 Mar - 19:13, édité 1 fois
Roque- Messages : 5064
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Re: La Parole de Jésus-Christ à la sauce Marguerat
Merci pour ce travail de réflexion
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Re: La Parole de Jésus-Christ à la sauce Marguerat
j'avais ouvert autrefois ce sujet sur Mejliss....mais cela ne passionne pas les foulesIdriss a écrit:Salut Roque,Roque a écrit: [A propos de "rhétorique sémitique " ] Si tu peux ouvrir une sujet, ce serait bien !
J'ai fini mon livre ( La composition du Coran. Collection « Rhétorique Sémitique » Michel Cuypers ) que j'ai trouvé passionnant , et en attendant que j'ouvre enfin un sujet un lien qui éclairera peut-être un peu la question du style littéraire évoqué ici où là dans le présent sujet :
http://www.retoricabiblicaesemitica.org/Articolo/francese_121014.pdf
Voir à la fin l'analyse de la parabole du fils prodigue (page 15 et 16) qui peut sembler si ce n'est "apologétique " pour le moins un bon outils de propagande pour l'évangélisation ....
Hors l’analyse selon les principes de la rhétorique sémitique fait apparaitre que des deux fils c'est l'ainé le principal....
http://forum.mejliss.com/bible-coran-selon-lanalyse-rhetorique-semitique
depuis je ne suis jamais allé plus loin que ce qui est disponible en libre accès sur le web.
si tu as des éléments supplémentaires, ce serait bien de nous en faire profiter
rosarum- Messages : 1021
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Re: La Parole de Jésus-Christ à la sauce Marguerat
rosarum, je me souviens que tu as ouvert aussi le sujet de l'analyse rhétorique sur ce forum, même ... et que je t'avais dit que je n'y connaissais rien :)Je sais qu'il existe plusieurs type d'analyse du texte biblique et j'avais même imprimé - à la suite de ta question - un long document (environ 30 pages dans mon souvenir) sur ces différentes d'approches ... trop abondant sans doute car je ne l'ai pas lu ! Moitié paresse, moitié doute sur ma capacité de spéculation sur ces approches qu'il faut très bien comprendre une par une avant de saisir leur spécificité et l'apport de chacune par rapport aux autres. Ce serait plus court si je trouvais un enseignement sur ce sujet ultra pointu.rosarum a écrit:j'avais ouvert autrefois ce sujet sur Mejliss....mais cela ne passionne pas les foules
http://forum.mejliss.com/bible-coran-selon-lanalyse-rhetorique-semitique
depuis je ne suis jamais allé plus loin que ce qui est disponible en libre accès sur le web.
si tu as des éléments supplémentaires, ce serait bien de nous en faire profiter
Pour le présent sujet, j'essaie simplement de savoir en quoi consiste la pensée de Marguerat qui est, finalement, une variante de Bultman. Elle appartient à l'approche historico-critique, mais ne la résume pas car du coté protestant comme du coté catholique cette intégration des " sciences nouvelles " du début du 20ème siècle : sociologie, critique textuelle, histoire, etc (psychologie ...) ... a été bien assimilée depuis un siècle et il existe une approche historico-critique " croyante-compatible " (belief friendly ?) qui se démarque de l'approche bultmanienne pour laquelle, sommairement dit, la foi relève du folklore.
La plupart des affirmations de Marguerat dans l’INT sont une reformulation du postulat cardinal de la Formgeschichte que je résume comme suit : " le texte évangélique est une narration et non une histoire " Ce qui signifie que le récit évangélique ne renvoie nécessairement NI à une origine (Jésus), NI à des souvenirs exacts, NI à une « généalogie » de transmission (x transmet à y, puis à z).
Rationnellement le point faible de cette approche de la Formgeschichte est facile à déceler : elle repose seulement sur une affirmation qui est un postulat. Marguerat le répète et le " martelle " à l'envi, mais cette affirmation n'est nulle part démontrée dans l'analyse que je fais de l'INT (voir notamment le premier post sur les " micro-unités "). C'est une théorie qui en vaut une autre et dont la popularité, dans les médias et le milieu intellectuel " moderne " notamment, ne tient que parce qu'elle correspond aux (mé)croyances de notre temps.
Il existe aussi une approche historico-critique réellement neutre par rapport à la foi : elle ne suppose ni vraies, ni fausses - a priori - les affirmations de la foi, la résurrection, les miracles ou les prophéties ... elle ne suppose pas- a priori - que les évangiles auraient été écrits par des inconnus coupés de toute mémoire exacte (témoignage) et de toute tradition antérieure ... en un mot : la pire des hypothèses pour la Parole de la Vérité incarnée !
Roque- Messages : 5064
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Re: La Parole de Jésus-Christ à la sauce Marguerat
sans aller jusqu'à parler de folklore, je considère que les evangiles ne sont pas une histoire de la vie de Jesus mais sont déjà une sorte de catéchisme primitif assorti d'arguments destinés à répondre aux objections des juifs (tout comme le coran contient des arguments pour répondre aux objections des juifs et des chrétiens)Roque a écrit:
Pour le présent sujet, j'essaie simplement de savoir en quoi consiste la pensée de Marguerat qui est, finalement, une variante de Bultman. Elle appartient à l'approche historico-critique, mais ne la résume pas car du coté protestant comme du coté catholique cette intégration des " sciences nouvelles " du début du 20ème siècle : sociologie, critique textuelle, histoire, etc (psychologie ...) ... a été bien assimilée depuis un siècle et il existe une approche historico-critique " croyante-compatible " (belief friendly ?) qui se démarque de l'approche bultmanienne pour laquelle, sommairement dit, la foi relève du folklore.
quand à D Marguerat, je ne le connaissais que par cette video que j'avais trouvée intéressante.
http://www.akadem.org/sommaire/colloques/rome-jerusalem-ou-qoumran-d-ou-vient-le-christianisme-/le-juif-jesus-22-05-2007-6941_4205.php
rosarum- Messages : 1021
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Re: La Parole de Jésus-Christ à la sauce Marguerat
Bonjour Rosarum,rosarum a écrit:
sans aller jusqu'à parler de folklore, je considère que les evangiles ne sont pas une histoire de la vie de Jesus mais sont déjà une sorte de catéchisme primitif assorti d'arguments destinés à répondre aux objections des juifs
ce serait intéressant que vous nous redisiez en quoi un catéchisme primitif ne saurait être pour vous une histoire de la vie de Jésus.
Cher Roque,
il est temps, je pense, aujourd'hui, de désenclaver la thèse des colliers évangélique de la seule oeuvre de Pierre Perrier : il n'est pas tout seul à la soutenir, il n'en est pas à l'origine.
Il faut au moins prendre en compte Marcel Jousse et Frédéric Guigain.
Libremax- Messages : 1367
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Re: La Parole de Jésus-Christ à la sauce Marguerat
L'idée de Bultman est que les Evangiles seraient de la " littérature populaire ", c'est à dire une composition de " basse " qualité littéraire (et donc de faible exigence quant à l'exactitude historique) par rapport à une littérature " haute " de bonne qualité littéraire et plus fiable sur le plan historique. C'est un cadre d'analyse (haute/basse littérature) qui était en vogue au début du 20ème siècle dans les cercles protestants allemands, si j'ai bien compris dans la mouvance de la pensée hégélienne ... marquée par un préjugé élitiste certain.rosarum a écrit:sans aller jusqu'à parler de folklore, je considère que les evangiles ne sont pas une histoire de la vie de Jesus mais sont déjà une sorte de catéchisme primitif assorti d'arguments destinés à répondre aux objections des juifs (tout comme le coran contient des arguments pour répondre aux objections des juifs et des chrétiens)
Dans cette vidéo, Marguerat explique très clairement des notions assez complexes et fait preuve d'une vaste érudition, il faut le reconnaître. Mais il y a une différence très sensible de présentation de Jésus entre cette vidéo et la livre de Marguerat que je commente sur dans ce sujet :rosarum a écrit:quand à D Marguerat, je ne le connaissais que par cette video que j'avais trouvée intéressante.
http://www.akadem.org/sommaire/colloques/rome-jerusalem-ou-qoumran-d-ou-vient-le-christianisme-/le-juif-jesus-22-05-2007-6941_4205.php
- dans la vidéo : Marguerat affirme que l'existence historique est un des faits historiques les mieux attestés de l'antiquité, l'activité guérissante de Jésus est une des traditions les mieux attestées par les Evangiles, que Jésus prend partie - en tant que juif à part entière - dans le débat rabbinique de sont époque, mais ne se singularise que par une radicalité dont les conséquences sur les relations avec les autres courants juifs n'apparaitront que progressivement ...
Dans cette vidéo, Marguerat a un discours positif sur Jésus parfaitement identifiable. Je m'y retrouve assez bien et j'ajoute que ce n'est pas vraiment original, car d'autres auteurs comme Pierre Perrier et Frédéric Guigain - (voir le rappel de Libremax) - développement des thèses autrement passionnantes, bien plus riches - de mon point de vue - et nettement plus structurées dans un sens authentifiant la récitation orale de Yéhoua comme parfaitement conforme à la méthode de composition, de remémoration et de transmission orale rabbinique du premier siècle - rien d'original sur la technique orale donc ;
- dans le livre que je commente, par contre il n'existe aucune affirmation positive ... le contraste avec la vidéo est assez saisissant. Ca peut sembler excessif, oui je sais mais j'ai lu au moins 15 fois les chapitres introductif et 4 ou 5 fois intégralement et très attentivement tous les chapitres de l'Introduction au Nouveau Testament concernant les quatre Evangiles : Matthieu, Marc Luc et Jean et je n'y ai trouvé aucune affirmation positive sur quoi que ce soit d'exact ou authentique ou de sur un reliquat qui renverrait à un auteur effectif comme Jésus. Au contraire, ce qui y est affirmé (voir tous les leitmotive que j'ai listés dans mes différents posts) c'est que le texte évangélique n'est pas historique et n'est pas élaboré par les Apôtres ou des témoins oculaires. Dire comme tu le fais que : " les évangiles seraient une sorte de catéchisme primitif assorti d'arguments destinés à répondre aux objections des juifs " est encore assez acceptable pour moi, SI on n'ajoute pas - comme le fait à longueur de pages Marguerat - que le texte évangélique n'est qu'apologétique, c'est à dire qu'il fait le silence complet sur son origine : Jésus , sur celui qui a profèré en premier cette parole et sur la qualité de témoins (témoignage) des " transmetteurs " et bloquant TOUTE l'interprétation sur le fait que c'est un message élaboré à la seconde ou la troisième génération - coupé de toute tradition antérieure - en fonction " des situations de vie " et des besoins des auditeurs dans chaque communauté ... et en ajoutant que ces écrivains s'arrogeaient toute liberté pour créer de nouvelles traditions " à la mode de Jésus " (cf. le scribe chrétien inspiré : plus haut).
Je dois dire que tout ça me semble très " culotté " et même un peu pervers quand on essaie de comprendre comme un tout " cohérent " ce discours par petites touches, par omission (angles morts de l'analyse) et par glissements de sens - finalement très complexe et négatif de cet ouvrage collectif. J'ai bien distingué la pensée de Marguerat lui-même qui se trouve dans les deux chapitres introductifs et le chapitre sur l'Evangile de Luc. J'ai fait un gros effort d'objectivité afin d'éviter d'amplifier les différences qui me séparent du discours de Marguerat (dans le livre) ... et je peux m'être trompé en fin de compte
Tout mon acharnement à lire et relire cet ouvrage - dont je ne partage pas du tout la plupart des soupçons sur le texte évangélique - vient de ma sidération totale quand j'ai lu la première fois ce texte. Je n'interdis bien entendu à personne de penser cela, mais je me suis demandé et je me demande encore à quel titre on peut se prétendre " chrétien " avec ce genre de " déconstruction " - sans aucune contrepartie positive - du texte des Evangiles (dans le livre : l'INT), alors que, je le répète, le contenu de la vidéo est tout a fait bénin et converge avec d'autres auteurs dont il ne parle pas dans la vidéo.
Maintenant, c'est une chose d'avoir une opinion à priori et une autre chose d'étayer et d'argumenter son opinion. Tout mon sujet essaie de montrer que l'argumentation de Marguerat (dans le livre) n'est que la répétition d'un postulat jamais démontré de mon point de vue (le texte du livre est très répétitif et lourd sur ce point, ce postulat est le point faible de la thèse en question, d'après moi).
Et c'est là que viens la question de Libremax :
Libremax a écrit:Bonjour Rosarum,
ce serait intéressant que vous nous redisiez en quoi un catéchisme primitif ne saurait être pour vous une histoire de la vie de Jésus.
Roque- Messages : 5064
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Re: La Parole de Jésus-Christ à la sauce Marguerat
ne connaissant de D Marguerat que cette video, je vois que nous sommes d'accord sur ce sujet. pour le reste, je suis surpris par les positions qu'il prend dans le texte que tu étudies mais que je ne connais pas.Roque a écrit:L'idée de Bultman est que les Evangiles seraient de la " littérature populaire ", c'est à dire une composition de " basse " qualité littéraire (et donc de faible exigence quant à l'exactitude historique) par rapport à une littérature " haute " de bonne qualité littéraire et plus fiable sur le plan historique. C'est un cadre d'analyse (haute/basse littérature) qui était en vogue au début du 20ème siècle dans les cercles protestants allemands, si j'ai bien compris dans la mouvance de la pensée hégélienne ... marquée par un préjugé élitiste certain.rosarum a écrit:sans aller jusqu'à parler de folklore, je considère que les evangiles ne sont pas une histoire de la vie de Jesus mais sont déjà une sorte de catéchisme primitif assorti d'arguments destinés à répondre aux objections des juifs (tout comme le coran contient des arguments pour répondre aux objections des juifs et des chrétiens)Dans cette vidéo, Marguerat explique très clairement des notions assez complexes et fait preuve d'une vaste érudition, il faut le reconnaître. Mais il y a une différence très sensible de présentation de Jésus entre cette vidéo et la livre de Marguerat que je commente sur dans ce sujet :rosarum a écrit:quand à D Marguerat, je ne le connaissais que par cette video que j'avais trouvée intéressante.
http://www.akadem.org/sommaire/colloques/rome-jerusalem-ou-qoumran-d-ou-vient-le-christianisme-/le-juif-jesus-22-05-2007-6941_4205.php
- dans la vidéo : Marguerat affirme que l'existence historique est un des faits historiques les mieux attestés de l'antiquité, l'activité guérissante de Jésus est une des traditions les mieux attestées par les Evangiles, que Jésus prend partie - en tant que juif à part entière - dans le débat rabbinique de sont époque, mais ne se singularise que par une radicalité dont les conséquences sur les relations avec les autres courants juifs n'apparaitront que progressivement ...
Dans cette vidéo, Marguerat a un discours positif sur Jésus parfaitement identifiable. Je m'y retrouve assez bien et j'ajoute que ce n'est pas vraiment original, car d'autres auteurs comme Pierre Perrier et Frédéric Guigain - (voir le rappel de Libremax) - développement des thèses autrement passionnantes, bien plus riches - de mon point de vue - et nettement plus structurées dans un sens authentifiant la récitation orale de Yéhoua comme parfaitement conforme à la méthode de composition, de remémoration et de transmission orale rabbinique du premier siècle - rien d'original sur la technique orale donc ;
Et c'est là que viens la question de Libremax :
je ne dis pas que les deux sont exclusifs mais je dis que les évangiles ne sont pas une biographie de la vie de Jesus.Libremax a écrit:Bonjour Rosarum,
ce serait intéressant que vous nous redisiez en quoi un catéchisme primitif ne saurait être pour vous une histoire de la vie de Jésus.
les épisodes qui sont rapportés ont été sélectionnés en fonction de leur intérêt théologique.
c'est pourquoi on ne sait pratiquement rien de son enfance ni de sa vie quotidienne, mais à contrario les évangélistes détaillent sa généalogie afin de "prouver" qu'il est de la descendance de David parce que c'est l'une des conditions que doit remplir le Messie.
voir ici : http://www.lamed.fr/index.php?id=1&art=657
Le Messie doit être un descendant du côté paternel du roi David (Voir Genèse 49, 10 et Isaïe 11, 1). Or, selon la thèse des Chrétiens, Jésus est né d'une femme vierge, et donc n'avait pas de père. Il est par conséquent impossible qu'il ait pu satisfaire aux exigences d'une filiation paternelle remontant au roi David !
il y a d'autres exemples qui montrent que le souci premier des évangélistes est de "prouver" la foi chrétienne et non pas de rapporter fidèlement des évènements.
si l'on y ajoute le fait que le merveilleux et le surnaturel étaient "naturels" avant que la rationalité moderne ne vienne jeter la suspicion sur toute forme de "miracle" et d'irrationnel, on peut penser que la valeur historique des évangiles peut être fortement relativisée.
rosarum- Messages : 1021
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Re: La Parole de Jésus-Christ à la sauce Marguerat
Ce qui est intéressant de constater dans ce que vous résumez ici, c'est le fondement, je crois, de toute l'argumentation de Marguerat, qu'il ne fait que développer de manière logique:rosarum a écrit:je ne dis pas que les deux sont exclusifs mais je dis que les évangiles ne sont pas une biographie de la vie de Jesus.Libremax a écrit:Bonjour Rosarum,
ce serait intéressant que vous nous redisiez en quoi un catéchisme primitif ne saurait être pour vous une histoire de la vie de Jésus.
les épisodes qui sont rapportés ont été sélectionnés en fonction de leur intérêt théologique.
c'est pourquoi on ne sait pratiquement rien de son enfance ni de sa vie quotidienne, mais à contrario les évangélistes détaillent sa généalogie afin de "prouver" qu'il est de la descendance de David parce que c'est l'une des conditions que doit remplir le Messie.
voir ici : http://www.lamed.fr/index.php?id=1&art=657
Le Messie doit être un descendant du côté paternel du roi David (Voir Genèse 49, 10 et Isaïe 11, 1). Or, selon la thèse des Chrétiens, Jésus est né d'une femme vierge, et donc n'avait pas de père. Il est par conséquent impossible qu'il ait pu satisfaire aux exigences d'une filiation paternelle remontant au roi David !
il y a d'autres exemples qui montrent que le souci premier des évangélistes est de "prouver" la foi chrétienne et non pas de rapporter fidèlement des évènements.
si l'on y ajoute le fait que le merveilleux et le surnaturel étaient "naturels" avant que la rationalité moderne ne vienne jeter la suspicion sur toute forme de "miracle" et d'irrationnel, on peut penser que la valeur historique des évangiles peut être fortement relativisée.
Il y a quelques présupposés à ce que vous écrivez, qui méritent d'être examinés :
-"Prouver" la foi chrétienne est plus important que de reporter fidèlement des évènements : il ne s'agit donc pas de prouver, et vous faites bien d'utiliser le verbe entre guillemets, vu qu'une foi ne se prouve pas, et que la fidélité aux évènements (qui seraient les seuls à pouvoir éventuellement prouver quelque chose) est secondaire. Pourquoi ?
-La rationalité moderne jette une suspicion sur toute forme de "miracle" et d'irrationnel, ce qui permet ce penser que l'historicité des évangiles est relative. Les évangiles mentent donc (ils se présentent comme des témoignages de personnes ayant vu concrètement lesdits miracles), car le surnaturel et l'inexpliqué ne saurait être factuel. Quelle pourrait être la valeur de tels récits (dont les miracles n'ont été remis en cause par personne à l'époque, pas même les adversaires juifs), puisqu'ils ne songent même pas à relater fidèlement les évènements?
-Les épisodes rapportés sont sélectionnés en fonction de leur intérêt théologique. Quel est "l'intérêt théologique" de récits qui ne veulent pas rapporter des faits et se permettent de raconter des évènements qui ne se sont pas passés (puisqu'ils sont miraculeux)?
Enfin, et pour rentrer dans le détail de la question des généalogies du Christ : en quoi l'adoption par Joseph était-elle un frein à la reconnaissance ultérieure de Jésus comme appartenant à la maison de David? En Israël, l'enfant adopté héritait des mêmes privilèges que le fils de sang.
Ne voyez pas forcément ici , cher rosarum, de désir de vouloir à tout prix polémiquer.
J'ai juste voulu observer que ce que vous avanciez pouvait poser de grâves questions de cohérence quant aux intentions des auteurs des évangiles, tout en étant généralement admis de manière à servir d'arrière-plan aux thèses des chercheurs comme M.Marguerat.
Libremax- Messages : 1367
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Re: La Parole de Jésus-Christ à la sauce Marguerat
Pour faire court, Marguerat exclut que le témoignage des évangélistes puisse renvoyer à des souvenirs exacts (pour être plus précis, il fait totalement d'impasse sur cette question). Toute la lignée des " penseurs du christianisme " comme : Renan, Bultman et Marguerat nie ou fait l'impasse sur la question de l'exactitude des souvenirs et l'historicité des faits rapportés par les Evangiles, c'est une constante depuis 150 ans. Sur quoi repose ce postulat méthodique, comment se justifie-t-il ?Libremax a écrit:Ce qui est intéressant de constater dans ce que vous résumez ici, c'est le fondement, je crois, de toute l'argumentation de Marguerat, qu'il ne fait que développer de manière logique:rosarum a écrit:je ne dis pas que les deux sont exclusifs mais je dis que les évangiles ne sont pas une biographie de la vie de Jesus.Libremax a écrit:Bonjour Rosarum,
ce serait intéressant que vous nous redisiez en quoi un catéchisme primitif ne saurait être pour vous une histoire de la vie de Jésus.
les épisodes qui sont rapportés ont été sélectionnés en fonction de leur intérêt théologique.
c'est pourquoi on ne sait pratiquement rien de son enfance ni de sa vie quotidienne, mais à contrario les évangélistes détaillent sa généalogie afin de "prouver" qu'il est de la descendance de David parce que c'est l'une des conditions que doit remplir le Messie.
voir ici : http://www.lamed.fr/index.php?id=1&art=657
Le Messie doit être un descendant du côté paternel du roi David (Voir Genèse 49, 10 et Isaïe 11, 1). Or, selon la thèse des Chrétiens, Jésus est né d'une femme vierge, et donc n'avait pas de père. Il est par conséquent impossible qu'il ait pu satisfaire aux exigences d'une filiation paternelle remontant au roi David !
il y a d'autres exemples qui montrent que le souci premier des évangélistes est de "prouver" la foi chrétienne et non pas de rapporter fidèlement des évènements.
si l'on y ajoute le fait que le merveilleux et le surnaturel étaient "naturels" avant que la rationalité moderne ne vienne jeter la suspicion sur toute forme de "miracle" et d'irrationnel, on peut penser que la valeur historique des évangiles peut être fortement relativisée.
Selon ma manière de résumer la pensée de Marguerat, les évangiles sont une narration, mais pas une histoire (habile glissement de sens qui ne fait que reformuler - c'est à dire qu'il ne démontrer rien du tout - le postulat méthodique de base du rationalisme). Marguerat fait finalement des évangélistes des sophistes, c'est à dire des rhéteurs d'agrément qui disent ou écrivent pour leur auditoire ce qu'ils veulent entendre (prescriptions morales, rituelles et besoins identitaires). Logique car Marguerat pense - et ses co-auteurs aussi (très répétitif) - que les Evangiles sont une construction dans l'univers culturel hellénistique. Pour Marguerat (thème très insistant aussi) les Evangiles sont une sous-catégorie de la biographie gréco-romaineLibremax a écrit:Il y a quelques présupposés à ce que vous écrivez, qui méritent d'être examinés :
-"Prouver" la foi chrétienne est plus important que de reporter fidèlement des évènements : il ne s'agit donc pas de prouver, et vous faites bien d'utiliser le verbe entre guillemets, vu qu'une foi ne se prouve pas, et que la fidélité aux évènements (qui seraient les seuls à pouvoir éventuellement prouver quelque chose) est secondaire. Pourquoi ?
L'avis d'un médecin du bureau médical de Lourdes (je viens d'y aller avec ma femme) : les guérisons inexpliquées sont un phénomène qui peut réveiller une fond de paganisme, car il s'agit de la mise en œuvre de forces naturelles par une force surnaturelle. C'est une manifestation nécessaire - pour certains esprits ancrés dans des certitudes fermées - pour les déstabiliser, c'est à dire pour les ouvrir à l'existence d'une Réalité surplombant nos réalités. Ce n'est pas d'abord une preuve de la foi chrétienne par les mécanismes éventuellement interprétés dans le " paganisme " que ces guérisons inexpliquées mettent en œuvre. Pour ma part, j'ai assisté au moins à deux phénomènes inexpliqués (Père Tardiff et un autre lieu) devant moi et j'ai entendu le témoignage direct de trois miraculés de Lourdes (guéris avant 1945 tous très vieux) reconnus. 66 guérisons inexpliquées reconnues et environ 100 fois plus de déclarations depuis le début des apparitions de Lourdes (2 à 3 par mois). Nombre de médecins ou scientifiques rationalistes venus avec " le fusil chargé " participer à l'examen des dossiers et les décisions de ce bureau médical (ouvert à tous quelque soient les convictions, vote à l'unanimité) ont vécu des moments difficiles avec leur postulat méthodique ... étant vrai également que tous les dossiers litigieux sont définitivement classés aussi par les membres croyants de cette commission trop soucieux d'éviter toute mise en cause du sérieux de ce bureau médical (c'est comme ça que s'explique de 1% de reconnaissance des guérisons inexpliquées).Libremax a écrit:-La rationalité moderne jette une suspicion sur toute forme de "miracle" et d'irrationnel, ce qui permet ce penser que l'historicité des évangiles est relative. Les évangiles mentent donc (ils se présentent comme des témoignages de personnes ayant vu concrètement lesdits miracles), car le surnaturel et l'inexpliqué ne saurait être factuel. Quelle pourrait être la valeur de tels récits (dont les miracles n'ont été remis en cause par personne à l'époque, pas même les adversaires juifs), puisqu'ils ne songent même pas à relater fidèlement les évènements ?
Dans l'idée des juifs (AT) le sens des choses ou l'inspiration divine vient des faits, de l'histoire, c'est le sens du mot hébreu " dabar " qui signifie à la fois parole et événement. Tout au contraire, pour Marguerat l'annonce évangélique n'est qu'une spéculation ou travail des méninges des évangélistes. Dans une autre formule subtile de Marguerat la remémoration des évangélistes est un travail d'élaboration théologique - exclusivement un travail élaboration théologique et non des souvenirs exact. On retrouve encore une reformulation du postulat méthodique. Cette formulation, d'ailleurs un peu sournoise, signifie que la perspective apologétique prime complètement sur l'exactitude du témoignage, du souvenir, dans un univers religieux concurrentiel. Dire que la remémoration c'est une réflexion qui invente ce qu'il convient de dire aux auditeurs - comme le fait sans vergogne Marguerat ... c'est un peu se f..tre du monde, tu en conviendras je suppose. L'idée va tout droit vers l'idée suivante qu'en respect pour le Maître la communauté croyant aura inventé - après coup - des faits et des paroles, y compris de Jésus sur Son identité de Messie et Sauveur, utiles pour maintenir le Jésus de Nazareth mort et enterré dans le culte des autels comme Christ et Seigneur. Qu'on ne croit pas à cette illusion chrétienne me paraît tout à fait acceptable, mais prétendre que cette imposture a été faite en fidélité au Maître (sic, INT page 96) est encore une fois se f..tre du monde, tu en conviendras encore.Libremax a écrit:-Les épisodes rapportés sont sélectionnés en fonction de leur intérêt théologique. Quel est "l'intérêt théologique" de récits qui ne veulent pas rapporter des faits et se permettent de raconter des évènements qui ne se sont pas passés (puisqu'ils sont miraculeux)?
Arrivé à ce point de l'ouvrage collectif, j'avoue que je bloque un peu ... quel scénario inventer pour expliquer que les évangélistes se soient prêtés à une telle falsification ? J'en " vois " un seul avec des variantes : la construction théologique est un pur jeu intellectuel destiné à recruter de nouveaux adeptes (le cynisme) ou les évangélistes se seraient autorisés à faire le sale boulot (forger des bobards) pour " le bien " des communautés naissantes. Dans les deux cas je ne peux que m'interroger sur la réalité de la foi de ces " évangélistes " au Dieu, Père comme à Son Fils, Messie et Seigneur puisqu'ils en sont littéralement les inventeurs. On est automatiquement dans des scénarios à la Da Vinci Code. Plus grave, je m'interroge la perception de l'auteur sur ce qui est compatible ou non avec l'expérience et la cohérence interne de la foi ... ce que cet auteur en conçoit (cynisme, sale boulot pour faire le " bien " ) est inquiétant et évoque une totale méconnaissance de cette expérience de foi - autre que son contenu intellectuel lequel n'est comme chacun sait pas la foi en elle-même. L'imposture pourrait alors être du coté des auteurs du livre !
Après lecture, j'ai l'impression que pour certains collaborateurs de Marguerat, imbus de ce même postulat méthodique pousse leur " avantage " au maximum (sur le troupeau des croyants conformistes présumés naïfs) - poussent le culot, voire même l'arrogance - jusqu'à se moquer ouvertement de toute vraisemblance et du respect véritable dû au Maître.
Tout à fait juste Libremax. Je ne vois pas où est la difficulté par rapport à la loi juive. Mais ce principe n'existe pas que dans la Bible. La relation mère-enfant est vérifiable à la naissance (l'enfant apparaît lors de l'accouchement), alors que la relation père-enfant repose sur l'acceptation d'un évènement dont personne n'est témoin (la conception). Quand le père " accepte " un enfant comme étant de lui, il fait un acte de volonté et de confiance qui s'apparente de toute façon à une adoption (que l'enfant soit de lui ou non). La présomption de paternité encore inscrite dans la loi française (sauf erreur ) repose sur ce mécanisme anthropologique et social qui tend a protéger et intégrer la plupart des enfants (que l'enfant soit de lui ou non).Libremax a écrit:Enfin, et pour rentrer dans le détail de la question des généalogies du Christ : en quoi l'adoption par Joseph était-elle un frein à la reconnaissance ultérieure de Jésus comme appartenant à la maison de David ? En Israël, l'enfant adopté héritait des mêmes privilèges que le fils de sang.
Autre chose est d'avoir des convictions et autre chose est de construire rationnellement ces convictions au delà du postulat méthodique de base (qui est simplement dit : " je ne crois pas du tout à ces balivernes ! "). Même les rationalistes devraient se sentir obligés (moralement) d'articuler positivement leur critique et d'en faire un tout aussi cohérent que possible sinon on est dans la " conviction à l'état brut " ... respectable, mais n'offrant pas matière à débat.Libremax a écrit:J'ai juste voulu observer que ce que vous avanciez pouvait poser de graves questions de cohérence quant aux intentions des auteurs des évangiles, tout en étant généralement admis de manière à servir d'arrière-plan aux thèses des chercheurs comme M.Marguerat.
Roque- Messages : 5064
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Re: La Parole de Jésus-Christ à la sauce Marguerat
La « Formgeschichte » a fait des émules dans le petit monde de la sinologie : les cours d’Anne Cheng au Collège de France en offrent une illustration exemplaire : http://www.college-de-france.fr/site/anne-cheng/index.htm#|m=course|
Confucius revisité : textes anciens, nouveaux discours (2008-2012)
Confucius ressuscité ? Quelques hypothèses (2012-2013)
Le confucianisme est-il un humanisme ? (2013-214)
Anne Cheng s’inscrit, je reprends ses termes, dans « un mouvement de déconstruction de la figure de Confucius et du texte des Entretiens qui prend de l’ampleur surtout dans les milieux sinologiques occidentaux. » (Résumé du Cours de l’année 2011-2012, p. 496).
Elle récuse toute « conception de la composition du Lunyu [les "Entretiens" de Confucius] comme processus de transmission continue depuis les paroles mêmes du maître, ses ipsissima verba […] » (ibid, p. 201) ; elle récuse également la théorie de la "stratification textuelle", qui permettrait d’isoler, au sein du canon attribué à Confucius, un texte primitif de ses ajouts ultérieurs.
Elle et d’autres sinologues influencés par la formgeschichte, ont souligné la présence pour la littérature chinoise ancienne d’unités textuelles de base, similaires au péricopes du NT : les zangh. Il s’agirait d’unités mobiles, appartenant à un fonds culturel commun (ni taoïste ni confucéen), susceptibles d’être insérées dans des corpus textuels différents, leur changement de contexte produisant à chaque fois de nouveaux effets de sens.
Le texte des Entretiens, soutient Anne Cheng, devrait être relu « comme une "concrétion" d’unités textuelles mobiles qui se retrouvent dans diverses sources dont les contextes différents leur confèrent des portées et des significations variables. Ces unités textuelles peuvent même se retrouver sur des supports aussi inattendus que des embouts de tuiles d’époque han dont le rapprochement avec des unités textuelles tirées du Lunyu nous amènent à nous demander si elles ne reflèteraient pas davantage des messages politiques caractéristiques de l’instauration du nouvel ordre impérial centralisé aux alentours des IIe-Ier siècles, plutôt que l’enseignement authentique de maître Kong qui a vécu aux VIe –Ve siècles. » (ibid., p. 507)
C’est là sa thèse : la composition des Entretiens ne remonterait pas au-delà des Han ; cet ouvrage répondait aux besoins de la propagande politique du moment et ne nous dira jamais rien du Confucius historique, dont l’existence même est sujette à caution.
La déconstruction historico-critique de la Bible et des Evangiles lui sert de modèle constant dans ses cours : la divinisation de Confucius et de Jésus sont mis en équivalence ; et Anne Cheng n’hésite pas à citer des passages des Evangiles pour mieux illustrer par quels procédés s’élabore une "légende" (voir Confucius ressuscité).
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Anne Cheng s’inscrit, je reprends ses termes, dans « un mouvement de déconstruction de la figure de Confucius et du texte des Entretiens qui prend de l’ampleur surtout dans les milieux sinologiques occidentaux. » (Résumé du Cours de l’année 2011-2012, p. 496).
Elle récuse toute « conception de la composition du Lunyu [les "Entretiens" de Confucius] comme processus de transmission continue depuis les paroles mêmes du maître, ses ipsissima verba […] » (ibid, p. 201) ; elle récuse également la théorie de la "stratification textuelle", qui permettrait d’isoler, au sein du canon attribué à Confucius, un texte primitif de ses ajouts ultérieurs.
Elle et d’autres sinologues influencés par la formgeschichte, ont souligné la présence pour la littérature chinoise ancienne d’unités textuelles de base, similaires au péricopes du NT : les zangh. Il s’agirait d’unités mobiles, appartenant à un fonds culturel commun (ni taoïste ni confucéen), susceptibles d’être insérées dans des corpus textuels différents, leur changement de contexte produisant à chaque fois de nouveaux effets de sens.
Le texte des Entretiens, soutient Anne Cheng, devrait être relu « comme une "concrétion" d’unités textuelles mobiles qui se retrouvent dans diverses sources dont les contextes différents leur confèrent des portées et des significations variables. Ces unités textuelles peuvent même se retrouver sur des supports aussi inattendus que des embouts de tuiles d’époque han dont le rapprochement avec des unités textuelles tirées du Lunyu nous amènent à nous demander si elles ne reflèteraient pas davantage des messages politiques caractéristiques de l’instauration du nouvel ordre impérial centralisé aux alentours des IIe-Ier siècles, plutôt que l’enseignement authentique de maître Kong qui a vécu aux VIe –Ve siècles. » (ibid., p. 507)
C’est là sa thèse : la composition des Entretiens ne remonterait pas au-delà des Han ; cet ouvrage répondait aux besoins de la propagande politique du moment et ne nous dira jamais rien du Confucius historique, dont l’existence même est sujette à caution.
La déconstruction historico-critique de la Bible et des Evangiles lui sert de modèle constant dans ses cours : la divinisation de Confucius et de Jésus sont mis en équivalence ; et Anne Cheng n’hésite pas à citer des passages des Evangiles pour mieux illustrer par quels procédés s’élabore une "légende" (voir Confucius ressuscité).
Dernière édition par Blaise le Mer 2 Oct - 19:32, édité 1 fois
Blaise- Messages : 220
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Re: La Parole de Jésus-Christ à la sauce Marguerat
Merci pour cet apport qui nous sort des sentiers battus
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Re: La Parole de Jésus-Christ à la sauce Marguerat
Blaise a écrit:La « Formgeschichte » a fait des émules dans le petit monde de la sinologie : les cours d’Anne Cheng au Collège de France en offrent une illustration exemplaire : http://www.college-de-france.fr/site/anne-cheng/index.htm#|m=course|
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Anne Cheng s’inscrit, je reprends ses termes, dans « un mouvement de déconstruction de la figure de Confucius et du texte des Entretiens qui prend de l’ampleur surtout dans les milieux sinologiques occidentaux. » (Résumé du Cours de l’année 2011-2012, p. 496).
Blaise, je n'ai pas répondu à cette très intéressante contribution ... un peu fatigué par mon propre sujet. Je penche pour une hypothèse : c'est la méthode d'analyse - elle-même - qui, pour une part, aboutit à ce résidu d'analyse en partie impossible à identifier ... et je cherche à comprendre comment se produit cet " artefact ". Je pense donc qu'aucun texte soumis à ce traitement ne peut rester indemne. J'aimerais par exemple qu'on fasse cet exercice sur la Constitution française ou le Code civil ... je suis sûr qu'on parviendrait à démontrer que ce sont des textes composées à partir de sources multiples par des " écoles " dont l'histoire reste actuellement en grande partie inconnue. Il y a une limite de la méthode d'analyse elle-même, elle démonte le témoignage historique, mais est absolument incapable de percevoir à quel moment elle rompt les liens pertinent (déconstruction : non, mais plutôt démolition, voire éradication).Blaise a écrit:La déconstruction historico-critique de la Bible et des Evangiles lui sert de modèle constant dans ses cours : la divinisation de Confucius et de Jésus sont mis en équivalence ; et Anne Cheng n’hésite pas à citer des passages des Evangiles pour mieux illustrer par quels procédés s’élabore une "légende" (voir Confucius ressuscité).
Comme j'ai retrouvé un peu de courage pour ce travail fastidieux, je reprends ...
Roque- Messages : 5064
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Re: La Parole de Jésus-Christ à la sauce Marguerat
UNE EXEGESE PARTIALE, VOIRE AU CULOT ?
Dans ce livre j’ai été intéressé par tout ce qui touche à la Formgeschichte, par ce qui concerne les micro-unités, par le traitement réservé aux attestations patristiques, par ce qui est dit de l’apologétique chrétienne ou par la (pénible) comparaison stylistique aboutissant à prétendre que les Evangiles seraient une sous-catégorie de la biographie gréco-romaine … mais curieusement j’ai été beaucoup moins intéressé par les sections de chaque chapitre sur le « contenu » des Évangiles et à la « visée théologique ».
Pour les exposés sur le « contenu » des Évangiles, je crois que je les ai trouvés trop énumératifs et succincts. Pour un habitué de la lecture des méditations sur les Évangiles (par exemple dans Magnificat) et de recherche des sens des textes – par exemple dans les Pères de l’Église, ces quelques pages (5 ou 6 pages au plus) laissent un goût de « trop peu ». A la réflexion, je pense aussi que cette impression de « platitude » du commentaire provient du fait que c’est un commentaire surtout du registre littéraire, très peu théologique.
Pour les exposés sur la « visée théologique », même impression de « lassitude » et de lecture laissant très peu d’idées saillantes. La cause de cette impression est, je crois, que pour les sections sur la « visée théologique », il ne s’agit que des quelques points généraux qui singulariseraient la « théologie » de chaque évangéliste par rapport aux autres. On ne retrouve donc ni la richesse, ni la globalité des idées de l’évangéliste, mais une lecture sélective, évidemment plus pauvre que la lecture traditionnelle plus habituelle.
.
Mais ces sections ont quand même un intérêt, car elles font nécessairement ressortir les conceptions et convictions des rédacteurs de ces chapitres. A cette occasion les rédacteurs vont nécessairement de départir de l’apparente « neutralité » qui a prévalu sur les questions énumérées précédemment.
L’exposé est toujours soutenu par le postulat bultmannien que l’Évangile est un reflet de la foi de l’évangéliste ou de la communauté - mais pas du Jésus historique. Sur ce point, le parti pris est constant, le texte ne laisse jamais ouvertes des questions où d’autres alternatives seraient également possibles. C’est donc un enseignement soutenant de façon unilatérale – parfois de façon partiale – les thèse de l’école de Marguerat.
On va y découvrir des idées parfois surprenantes qui relèvent éventuellement d’une certaine forme de culot. Enumérons en quelques unes :
1. L’histoire assez rocambolesque de « La blancheur de son vêtement ne brillera que dans la tombe une fois la mort traversée » (impossible à résumer … il faut le lire !) ;
2. Le Christ nouveau portant la contestation au sein même des images que l’homme se fait de la liberté de Dieu !
3. La reprise critique des images de Dieu ou sommeil de Jésus métaphore du « Dieu présent dans l’absence » ;
4. Les loggias de Jésus tronquées d’un côté, puis ventilée et amplifiées d’un autre côté entre plusieurs textes ;
5. Jésus captant momentanément les manifestations de l’Esprit ;
6. Le Fils préexistant médiateur de la création ; ou
7. Le Christ « qui est véritablement Dieu dans la mesure où il est Son envoyé ».
Ce qui nous a paru le plus intéressant dans ces sections du livre, ce sont donc les positions partisanes et les interprétations discutables. Dans ce post, nous avons relevé 17 points discutables, dont 10 sont d'un impact théologie faible ou nul. Je suis convaincu que les auteurs y apparaissent - eux aussi - comme des interprètes ou témoins de l’Évangile – à leur manière - avec leur vision propre et leur grille de lecture qui n’engagent qu’eux.
Évangile de Marc (chapitre écrit par Mme Corina Combet Galland)
1. « La blancheur de son vêtement ne brillera que dans la tombe une fois la mort traversée » ?
L’auteure reprend la thèse de B. Standaert (1984). Elle ne retient de la Transfiguration et de la Résurrection qu’une simple affaire de vêtement blanc et de lecture d’une fable édifiante dans la nuit de Pâques comme de symbole du « dépassement de la mort ». Marc aurait, à dessein, inventé la figure du jeune homme nu comme symbole du nouveau baptisé et l’aurait replacée dans le tombeau vide comme symbole de la résurrection.
Nous récusons cette interprétation pour plusieurs raisons (cf. : spoiler) et la principale est que le mot linceul /drap (σινδονα) qui sert de fil directeur à cette interprétation ne se retrouve ni dans le récit de la Transfiguration, ni dans le verset du jeune homme dans le tombeau (Mc 16, 5).
L’auteure utilise littéralement le texte lorsque cela lui convient, sinon elle s’ en affranchit. Son interprétation ne repose finalement que sur la vigueur de ses affirmations : c’est donc ce que nous appellerons une « exégèse au culot ». Cette interprétation est, au demeurant, complexe et assez embrouillée.
Finalement, on a bien l’impression que cette interprétation très discutable n’est qu’une tentative pour trouver un argument de plus en faveur de la thèse bultmanienne selon laquelle la divinité de Jésus serait une invention des évangélistes et que Jésus ressuscité n’existerait que par la profession de foi des chrétiens.
2. Le secret messianique : un moyen de masquer que Jésus n’avait pas clairement conscience de sa messianité ?
Ici l’auteure reprend la thèse de Wrede (1901) : le secret messianique serait le moyen – rétrospectivement – de reverser sa foi pascale en Christ ressuscité sur la vie du Jésus historique, alors que celui-ci n’avait pas de conscience claire de sa messianité. Cette manipulation des faits – donc cette imposture - serait imputable soit à la communauté, soit à l’évangéliste lui-même.
Cet argument n’est que la reformulation du postulat de base de Bultman que les Évangiles ne reposent sur aucun fait historique et que la messianité de Jésus – ou Sa Résurrection - n’auraient été qu’une invention après-coup des évangélistes. Cette vision bultmanienne est celle de l’auteure, non celle de Marc.
Cependant tant que ce postulat de base bultmanien n’est pas définitivement démontré, il est raisonnable de soutenir une thèse opposée, par exemple que Jésus aurait Lui-même volontairement voulu éviter d’être confondu avec le Fils de David, c’est-à-dire le Messie-Roi politique jusqu’à Sa passion et Sa résurrection.
Compte tenu du fait que l’antériorité de Marc (voir post suivant sur « Les tentatives de modélisation du processus synoptique ») n’est pas non plus définitivement démontrée les autres Évangiles (Mt 8, 4 ; Lc 4, 41 ; 5, 14 ; 8, 56) pourraient constituer des témoignages convergents.
3. L’élaboration théologique d’un Christ qui libère des images que l’homme se fait de la liberté de Dieu ?
L’auteure reprend une thèse de Senft (1991) sur les récits de miracles de Jésus. Pour que la célébration des miracles n’asservisse les croyants à Jésus, Marc aurait voulu dépeindre « les traits nouveaux d'un Christ qui libère en provoquant des ruptures, en venant porter la contestation au sein même des images que l'homme se fait de la liberté de Dieu ». Et c’est à dessein que le dernier miracle de Jésus est « un tombeau laissé ouvert, mais vide ». Jésus donne, se donne, mais ne se laisse pas retenir.
Encore une interprétation très discutable, car il nous semble qu’on est en plein anachronisme. En effet, la problématique de vouloir libérer « des images que l’homme se fait de la liberté de Dieu » appartient au monde moderne, notamment avec l’émergence de l’incroyance ou l’athéisme de masse (XIXème et XXème siècle). Cette problématique des « fausses images de Dieu » semble très réduite dans le judaïsme qui la résout de façon simple : en bannissant le culte des idoles. En dépit du fait que Marc s’adressait également à des païens, il ne faut pas perdre de vue qu’une bonne partie de son auditoire à Rome même était juif, araméophone. Cette problématique – sauf preuve du contraire - ne peut appartenir – à un évangéliste juif au premier siècle de notre ère. Encore une fois : cette questionnement est celui de l’auteure, non celle de Marc.
Il reste que ce qui est présenté comme une « élaboration théologique » relève - dans le sens que donne à ce mot la Formgeschichte - de la production idéologique propre à l’évangéliste – sans rapport nécessaire avec les paroles et la vie de Jésus. En provoquant des ruptures et en contestant les images que l’homme se serait faites de Dieu, Jésus aurait pratiqué une sorte « contre-apologétique » ou de prévention contre les fausses compréhension de son propre message. C’est une vision d’un Christ intellectuel « porteur d’idée » ou « provocateur de sens » qui n’engage que son auteur. Cette conception, très discutable, n’a rien de commun avec l’adhésion à la personne du Christ-Dieu comme source du salut ou avec l’action éducatrice de l’Esprit Saint « le Paraclet, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit. » (Jn 14, 26).
A coté du Christ " maïeuticien " qui existe certainement, l'Evangile présente aussi un Christ guérisseur et libérateur qui fait accéder au sens, à la vérité, à la santé, à la liberté spirituelle par guérison des infirmités et levée des blocages ou liens visibles qui sont des images des infirmités et liens invisibles, intérieurs, intellectuels comme spirituels de l'humanité.
4. La « plus belle image de la foi » ?
L’auteure prétend que l’homme qui doute de Mc 9, 24 permettrait à Marc de construire sa « plus belle image de la foi qui prie ».
Rien ne l’atteste, ni Marc, ni Jésus … nulle part. On ne voit pas ce qui permet d’émettre cet avis, au demeurant assez gratuit. Cette vision, ce jugement de valeur n’engagent que leur auteure.
Toute personne ayant un minimum de culture évangélique sait que Jésus ne manifesta d’admiration que pour la foi du centurion romain : « En l'entendant, Jésus fut plein d'admiration et dit à ceux qui le suivaient : « En vérité, je vous le déclare, chez personne en Israël je n'ai trouvé une telle foi. » (Mt 8, 5)
5. La « reprise critique des images de Dieu » ou le sommeil de Jésus métaphore du « Dieu présent dans l’absence » ?
L’auteure revient sur la question des « images de Dieu » – déjà rencontrée ci-dessus. Il est ici question de la « reprise critique des images de Dieu », du sommeil de Jésus « métaphore du Dieu présent dans l’absence ». Le commentaire conclut même que « Jésus, et le récit de Marc, mènent vers l’inconnaissable ».
Nous sommes convaincus que cette question est complètement anachronique (voir ci-dessus) et est totalement étrangère non seulement à un évangéliste juif du premier siècle, mais également à un penseur grec de la même époque.
6. Une parole qui n’ordonne pas d’en répéter les gestes à sa mémoire ?
L’auteure souligne au passage que Mc n’ordonne pas à ses disciples de répéter le dernier repas à Sa mémoire. C’est exact, mais incomplet. L'ouvrage étant destiné également aux simples étudiants (INT page 5), il conviendra peut-être de leur donner le moyen d'avaoir une vision plus large du sujet.
Dans ce cas, ce n’est pas Marc, mais bien Paul et Luc qui sont les témoins de la tradition la plus ancienne. La première épitre aux Corinthiens qui présente Jésus disant « faites cela en mémoire de moi » sur pain comme sur le vin (1 Co 11, 23-26) est datée du printemps 56 (TOB). Il faudra maintenant expliquer d’où Marc tient sa tradition (récit absent de la source Q) et/ou pourquoi il aurait adopté cette formulation plus brève ...
Évangile de Matthieu (chapitre écrit par M. Elian Cuvelier)
La transformation d’un nom propre indiquerait un processus secondaire ?
L’auteur prétend au moins deux choses : 1. Le passage du nom de Lévi à Mattieu serait une « transformation » ; 2. Cette transformation serait la preuve d’un processus secondaire, c’est-à-dire d’un remaniement du texte de Marc - écrit en premier - par Matthieu écrit ultérieurement.
En réalité, Marc utilise lui-même les deux appellations pour désigner le même apôtre. Deux traditions concurrentes ne sont pas nécessairement une « transformation ».
Une piste de solution : Mattaï signifie : « je suis précis » : en araméen. Mattaï pourrait donc être le surnom de Lévi. De la même façon Nathanaël a comme surnom araméen Bartoulmaï (1) ou bar Tolmaï (2, 3) :
Finalement cette discussion sur Lévi/Matthieu paraît un peu confuse tant qu’on ne rappelle pas que la plupart des apôtres avaient un nom et un surnom : au moins six autres apôtres ont un surnom (spoiler) (4). Cela aussi il serait utile de la rappeler dans un ouvrage destiné à de simples étudiants ....
1. La transmission des Evangiles. Pierre Perrier. Ed. Jubilé. 2006. page 106. ISBN : 2-86679-422-2.
2. http://dsmyers.com/homepage/God/nathanaelbartolmai.htm
3. http://www.britannica.com/EBchecked/topic/54362/Saint-Bartholomew
4. Evangiles de l'oral à l'écrit. Pierre Perrier. Ed Jubilé. 2007. page 292. ISBN : 2-86679-296-3.
Dans ce livre j’ai été intéressé par tout ce qui touche à la Formgeschichte, par ce qui concerne les micro-unités, par le traitement réservé aux attestations patristiques, par ce qui est dit de l’apologétique chrétienne ou par la (pénible) comparaison stylistique aboutissant à prétendre que les Evangiles seraient une sous-catégorie de la biographie gréco-romaine … mais curieusement j’ai été beaucoup moins intéressé par les sections de chaque chapitre sur le « contenu » des Évangiles et à la « visée théologique ».
Pour les exposés sur le « contenu » des Évangiles, je crois que je les ai trouvés trop énumératifs et succincts. Pour un habitué de la lecture des méditations sur les Évangiles (par exemple dans Magnificat) et de recherche des sens des textes – par exemple dans les Pères de l’Église, ces quelques pages (5 ou 6 pages au plus) laissent un goût de « trop peu ». A la réflexion, je pense aussi que cette impression de « platitude » du commentaire provient du fait que c’est un commentaire surtout du registre littéraire, très peu théologique.
Pour les exposés sur la « visée théologique », même impression de « lassitude » et de lecture laissant très peu d’idées saillantes. La cause de cette impression est, je crois, que pour les sections sur la « visée théologique », il ne s’agit que des quelques points généraux qui singulariseraient la « théologie » de chaque évangéliste par rapport aux autres. On ne retrouve donc ni la richesse, ni la globalité des idées de l’évangéliste, mais une lecture sélective, évidemment plus pauvre que la lecture traditionnelle plus habituelle.
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Mais ces sections ont quand même un intérêt, car elles font nécessairement ressortir les conceptions et convictions des rédacteurs de ces chapitres. A cette occasion les rédacteurs vont nécessairement de départir de l’apparente « neutralité » qui a prévalu sur les questions énumérées précédemment.
L’exposé est toujours soutenu par le postulat bultmannien que l’Évangile est un reflet de la foi de l’évangéliste ou de la communauté - mais pas du Jésus historique. Sur ce point, le parti pris est constant, le texte ne laisse jamais ouvertes des questions où d’autres alternatives seraient également possibles. C’est donc un enseignement soutenant de façon unilatérale – parfois de façon partiale – les thèse de l’école de Marguerat.
On va y découvrir des idées parfois surprenantes qui relèvent éventuellement d’une certaine forme de culot. Enumérons en quelques unes :
1. L’histoire assez rocambolesque de « La blancheur de son vêtement ne brillera que dans la tombe une fois la mort traversée » (impossible à résumer … il faut le lire !) ;
2. Le Christ nouveau portant la contestation au sein même des images que l’homme se fait de la liberté de Dieu !
3. La reprise critique des images de Dieu ou sommeil de Jésus métaphore du « Dieu présent dans l’absence » ;
4. Les loggias de Jésus tronquées d’un côté, puis ventilée et amplifiées d’un autre côté entre plusieurs textes ;
5. Jésus captant momentanément les manifestations de l’Esprit ;
6. Le Fils préexistant médiateur de la création ; ou
7. Le Christ « qui est véritablement Dieu dans la mesure où il est Son envoyé ».
Ce qui nous a paru le plus intéressant dans ces sections du livre, ce sont donc les positions partisanes et les interprétations discutables. Dans ce post, nous avons relevé 17 points discutables, dont 10 sont d'un impact théologie faible ou nul. Je suis convaincu que les auteurs y apparaissent - eux aussi - comme des interprètes ou témoins de l’Évangile – à leur manière - avec leur vision propre et leur grille de lecture qui n’engagent qu’eux.
Évangile de Marc (chapitre écrit par Mme Corina Combet Galland)
1. « La blancheur de son vêtement ne brillera que dans la tombe une fois la mort traversée » ?
L’auteure reprend la thèse de B. Standaert (1984). Elle ne retient de la Transfiguration et de la Résurrection qu’une simple affaire de vêtement blanc et de lecture d’une fable édifiante dans la nuit de Pâques comme de symbole du « dépassement de la mort ». Marc aurait, à dessein, inventé la figure du jeune homme nu comme symbole du nouveau baptisé et l’aurait replacée dans le tombeau vide comme symbole de la résurrection.
Nous récusons cette interprétation pour plusieurs raisons (cf. : spoiler) et la principale est que le mot linceul /drap (σινδονα) qui sert de fil directeur à cette interprétation ne se retrouve ni dans le récit de la Transfiguration, ni dans le verset du jeune homme dans le tombeau (Mc 16, 5).
L’auteure utilise littéralement le texte lorsque cela lui convient, sinon elle s’ en affranchit. Son interprétation ne repose finalement que sur la vigueur de ses affirmations : c’est donc ce que nous appellerons une « exégèse au culot ». Cette interprétation est, au demeurant, complexe et assez embrouillée.
- Spoiler:
Ce que suggère Mme Corina Combet Galland :
La pensée de Mme Corina Combet Galland est suggérée par petites touches. Elle reprend une idée de B. Standaert (1984) sur les occurrences du mot linceul / drap (σινδονα) en Mc, mais elle la développe en y rattachant les « vêtements éblouissants » du récit de la Transfiguration (INT p. 64).« Appuyé sur une fine observation des corrélations internes du récit, cette perception s’articule à une hypothèse sur sa fonction externe, dans la communauté : il serait une narration pour la fête de Pâques, une haggadah chrétienne évoquant le « passage » de Jésus parmi les siens et sa dernière Pâque la nuit où il fut livré ; sa lecture aurait préparé le baptême à l’aube des nouveaux convertis, dont le récit a inséré une image sous les traits du jeune homme nu, enveloppé d’une seul drapé comme d’un linceul, et qu’on retrouve au matin de Pâques dans le tombeau ouvert, revêtu de blanc (14.51-52 et 16,5). » (INT page 60)« Mais Jésus qui est apparu dans la parole partagée avec Elie et Moïse, redescend seul avec les disciples parmi les hommes ; la blancheur de son vêtement ne brillera que dans la tombe, habillant un jeune homme une fois la mort traversée (16, 5) » (INT page 64)
Il en résulte l’interprétation suivante : Marc aurait composé un récit édifiant destiné à être lu la nuit de Pâques (haggadah de Pâques) pour expliquer au nouveau converti comment le vêtement blanc de la transfiguration – « symbole de résurrection, de dépassement de la mort » - serait passé des épaules de Jésus à ses épaules de nouveau baptisé.« L’autre représentation de la nudité, celle de l’évangile suggère discrètement, apparaît dans la figure fugitive du jeune homme qui suit Jésus quand ses disciples l’ont tous abandonné (14,52). Vêtu du seul drapé de lin – le mot est celui même du linceul qui enveloppa le corps de Jésus pour l’ensevelissement (15, 46) – il lâche son drap quand on, veut l’arrêter avec Jésus, et s’enfuit nu. Ici l‘évangile porte au plus loin, ou serre au plus près, son intention théologique : dans la fuite même, dans la perte de tout pouvoir jusqu’à celui de suivre Jésus livré, la fidélité vraie est réinterprétée comme impossible à l’homme, comme pur don de Dieu. Un même et tout autre jeune homme vêtu de blanc, apparaît dans la tombe ouverte à la place du corps absent du Crucifié (16, 1-8) ; par lui, messager de Dieu, la parole de Jésus est réactualisée au lieu même de la mort pour un rendez-vous des vivants, par où l’histoire peut commencer à nouveau. » (INT page 81)
L’auteure croit même pouvoir en tirer la double leçon théologique qui aurait été élaborée par Marc :
1. Le jeune homme fuyant nu en lâchant le drap couvrant son corps de Mc 14, 51-52 : signifierait que « la fidélité vraie [à suivre Jésus livré] est impossible à l’homme et ne peut être qu’un pur don de Dieu » ;
2. Le jeune homme vêtu d’une robe blanche assis dans le tombeau [vide] de Mc 16, 5 signifierait que « la parole de Jésus est réactualisée au lieu même de la mort pour un rendez-vous des vivants, par où l’histoire peut commencer à nouveau », c’est-à-dire que pour Marc le travail effectué à travers la lecture de l’Évangile oriente vers un dépassement de toutes les limites, y compris de la mort. Cette conception s’appuie sur la conviction que la résurrection est elle-même une métaphore de ce dépassement ou de cette libération que le croyant est amené à opérer en lui-même et par lui-même. Cette interprétation s’appuie donc sur la conviction que la résurrection n’est qu’une métaphore et non une réalité.
Le texte de Mc :
Peut-on faire de tels rapprochements : entre la Transfiguration (Mc 9, 2b-3), le jeune homme fuyant nu (Mc 14, 51-52) et l’ « autre jeune homme » vêtu de blanc dans le tombeau vide (Mc 16, 1-8) ?
« Il fut transfiguré (μετεμορφωθη) devant eux, et ses vêtements (ιματια) devinrent éblouissants, si blancs qu'aucun foulon sur terre ne saurait blanchir ainsi (γναφευς επι της γης ου δυναται ουτως λευκαναι). » (Mc 9, 2b-3)
« Un jeune homme (νεανισκος) le suivait, n'ayant qu'un drap (σινδονα) sur le corps. On l'arrête, mais lui, lâchant le drap (σινδονα), s'enfuit tout nu. » (Mc 14, 51-52)
« Après avoir acheté un linceul (σινδονα), Joseph descendit Jésus de la croix et l'enroula dans le linceul (σινδονι). Il le déposa dans une tombe qui était creusée dans le rocher et il roula une pierre à l'entrée du tombeau. » (Mc 15, 46)
« Entrées dans le tombeau, elles virent, assis à droite, un jeune homme (νεανισκον), vêtu d'une robe (στολην) blanche, et elles furent saisies de frayeur. » (Mc 16, 5)
On voit immédiatement que seuls deux mots sont communs à certains de ces versets : le linceul / drap (σινδονα) et le jeune homme (νεανισκος). Pour le reste, Mme Corina Combet Galland fait des rapprochements qui ne sont pas dans le texte : il n’est pas non plus spécifié que le linceul serait blanc et les vêtements désignés dans certains versets (ιματια, στολην) ne sont pas un linceul / drap (σινδονα).
Le texte de la transfiguration décrit deux choses : 1. la métamorphose de Jésus (μετεμορφωθη) et 2. ses vêtements devenus éblouissants – d’un blanc qui n’existe pas sur terre. Le texte ne suggère pas qu’il s’agirait uniquement d’un simple vêtement blanc, fut-il lumineux. Par contre, dans tous les autres versets les termes employés désignent des vêtements bien concrets (ιματια, στολην, σινδονα) et de notre monde. Ainsi d’un côté l’auteure suit le texte (σινδονα) et de l’autre elle s’affranchit du texte (μετεμορφωθη, γναφευς επι της γης ου δυναται ουτως λευκαναι). Il ne faut donc pas trop s’étonner que nous récusions son interprétation faisant « deux poids deux mesure » selon que le texte lui convient ou non. Cette interprétation « romancée » ne repose que sur sa seule subjectivité.
La cohérence théologique de cette interprétation nous semble faible. S’il s’agit effectivement d’une haggadah de Pâques, un auditeur juif baigné par la Bible comprendra difficilement que le « jeune homme » puisse devenir un « ange ». En effet dans la conception biblique l’homme fait de chair et de sang est complètement différent de l’ange qui est un esprit et n’a donc ni chair, ni sang. Par contre, l’ange est très couramment un message de Dieu voire Dieu Lui-même dans la conception de la Bible.
Finalement, on a bien l’impression que cette interprétation très discutable n’est qu’une tentative pour trouver un argument de plus en faveur de la thèse bultmanienne selon laquelle la divinité de Jésus serait une invention des évangélistes et que Jésus ressuscité n’existerait que par la profession de foi des chrétiens.
2. Le secret messianique : un moyen de masquer que Jésus n’avait pas clairement conscience de sa messianité ?
Ici l’auteure reprend la thèse de Wrede (1901) : le secret messianique serait le moyen – rétrospectivement – de reverser sa foi pascale en Christ ressuscité sur la vie du Jésus historique, alors que celui-ci n’avait pas de conscience claire de sa messianité. Cette manipulation des faits – donc cette imposture - serait imputable soit à la communauté, soit à l’évangéliste lui-même.
Cet argument n’est que la reformulation du postulat de base de Bultman que les Évangiles ne reposent sur aucun fait historique et que la messianité de Jésus – ou Sa Résurrection - n’auraient été qu’une invention après-coup des évangélistes. Cette vision bultmanienne est celle de l’auteure, non celle de Marc.
Cependant tant que ce postulat de base bultmanien n’est pas définitivement démontré, il est raisonnable de soutenir une thèse opposée, par exemple que Jésus aurait Lui-même volontairement voulu éviter d’être confondu avec le Fils de David, c’est-à-dire le Messie-Roi politique jusqu’à Sa passion et Sa résurrection.
Compte tenu du fait que l’antériorité de Marc (voir post suivant sur « Les tentatives de modélisation du processus synoptique ») n’est pas non plus définitivement démontrée les autres Évangiles (Mt 8, 4 ; Lc 4, 41 ; 5, 14 ; 8, 56) pourraient constituer des témoignages convergents.
- Spoiler:
- « Le ressort essentiel de la composition de Marc, qui assure une cohérence théologique aux traditions recueillies, a été désigné sous le terme de « secret messianique ». ll recouvre les ordres de silence adressés par Jésus à ceux qu’il guérit (1, 44 ; 5.43; 7, 36 ; 8, 26) ou à ses disciples après une révélation (8, 30 ; 9, 9) et le thème de l'incompréhension des disciples (4, 13; 40 ; 6, 50-52 ; 8, 16-21, etc.). Ces deux motifs font de la révélation une « épiphanie secrète », selon la belle formule devenue classique de Martin Dibelius. Certains y associent la théorie des paraboles (4, 10-12). L’enseignement voilé de Jésus expliqué en particulier à « ceux du dedans ». La thèse du secret messianique a été formulée pour la première fois par W. Wrede en 1901. A ses yeux, le secret est le moyen, pour la communauté primitive, de reverser sa foi pascale en Christ ressuscité sur la vie du Jésus historique, alors que celui-ci n’avait pas de conscience claire de sa messianité. Dès lors, si jésus n’a pas dit qu’il était le Messie, c’est qu’il a voulu en différer la divulgation jusqu’à la résurrection et en a gardé le secret. D’autres auteurs pensent que la théorie est imputable non à la tradition, mais à la réflexion théologique de l’évangéliste. » (INT p. 72-73)
3. L’élaboration théologique d’un Christ qui libère des images que l’homme se fait de la liberté de Dieu ?
L’auteure reprend une thèse de Senft (1991) sur les récits de miracles de Jésus. Pour que la célébration des miracles n’asservisse les croyants à Jésus, Marc aurait voulu dépeindre « les traits nouveaux d'un Christ qui libère en provoquant des ruptures, en venant porter la contestation au sein même des images que l'homme se fait de la liberté de Dieu ». Et c’est à dessein que le dernier miracle de Jésus est « un tombeau laissé ouvert, mais vide ». Jésus donne, se donne, mais ne se laisse pas retenir.
Encore une interprétation très discutable, car il nous semble qu’on est en plein anachronisme. En effet, la problématique de vouloir libérer « des images que l’homme se fait de la liberté de Dieu » appartient au monde moderne, notamment avec l’émergence de l’incroyance ou l’athéisme de masse (XIXème et XXème siècle). Cette problématique des « fausses images de Dieu » semble très réduite dans le judaïsme qui la résout de façon simple : en bannissant le culte des idoles. En dépit du fait que Marc s’adressait également à des païens, il ne faut pas perdre de vue qu’une bonne partie de son auditoire à Rome même était juif, araméophone. Cette problématique – sauf preuve du contraire - ne peut appartenir – à un évangéliste juif au premier siècle de notre ère. Encore une fois : cette questionnement est celui de l’auteure, non celle de Marc.
- Spoiler:
- « On peut illustrer l'impact du travail de l'évangéliste par rapport à ses sources dans un mouvement à la fois de respect et de reprise critique, par l’analyse que C. Senft a proposée des récits de miracles. ll suppose que la tradition voyait dans ces récits, influencés par la sensibilité hellénistique à la présence du divin, une rencontre libératrice qui suscitait une admiration stupéfaite devant l'autorité charismatique du Christ ; Jésus semblait perçu comme un homme divin (θεἳος ᾁνἡρ) et le récit de ses actes attirant les foules servait sans doute la propagande missionnaire. L'évangile garde une grande importance à ces récits, mais les réinterprète en fonction de son projet théologique. L’évidence du miracle et la célébration de son auteur s'infléchissent en une démarche de questionnement. Pour Marc, si le miracle libère, il risque aussi d'asservir au libérateur ; d'où les traits nouveaux d'un Christ qui libère en provoquant des ruptures, en venant porter la contestation au sein même des images que l'homme se fait de la liberté de Dieu. Les résistances se disent dès lors par l’opposition de faire périr celui qui fait vivre à ce prix. L'accès à la connaissance de « qui est en vérité celui-là » est problématisé : au niveau du vouloir, par la présence des adversaires qui réclament un signe du ciel au lieu de déchiffrer en Jésus le signe de Dieu ; au niveau du pouvoir par la figure des disciples qui peinent à comprendre ; au niveau du savoir, par les démons qui possèdent et ne s'interrogent pas et par les consignes de silence à garder - dont la transgression d'ailleurs n'amène même pas la foule à une reconnaissance adéquate. Le dernier miracle, celui dont Jésus est l'objet, sa résurrection par Dieu, laisse un tombeau ouvert mais vide ; Jésus donne, se donne, mais ne se laisse pas retenir. » (INT p. 73)
Il reste que ce qui est présenté comme une « élaboration théologique » relève - dans le sens que donne à ce mot la Formgeschichte - de la production idéologique propre à l’évangéliste – sans rapport nécessaire avec les paroles et la vie de Jésus. En provoquant des ruptures et en contestant les images que l’homme se serait faites de Dieu, Jésus aurait pratiqué une sorte « contre-apologétique » ou de prévention contre les fausses compréhension de son propre message. C’est une vision d’un Christ intellectuel « porteur d’idée » ou « provocateur de sens » qui n’engage que son auteur. Cette conception, très discutable, n’a rien de commun avec l’adhésion à la personne du Christ-Dieu comme source du salut ou avec l’action éducatrice de l’Esprit Saint « le Paraclet, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit. » (Jn 14, 26).
A coté du Christ " maïeuticien " qui existe certainement, l'Evangile présente aussi un Christ guérisseur et libérateur qui fait accéder au sens, à la vérité, à la santé, à la liberté spirituelle par guérison des infirmités et levée des blocages ou liens visibles qui sont des images des infirmités et liens invisibles, intérieurs, intellectuels comme spirituels de l'humanité.
4. La « plus belle image de la foi » ?
L’auteure prétend que l’homme qui doute de Mc 9, 24 permettrait à Marc de construire sa « plus belle image de la foi qui prie ».
Rien ne l’atteste, ni Marc, ni Jésus … nulle part. On ne voit pas ce qui permet d’émettre cet avis, au demeurant assez gratuit. Cette vision, ce jugement de valeur n’engagent que leur auteure.
Toute personne ayant un minimum de culture évangélique sait que Jésus ne manifesta d’admiration que pour la foi du centurion romain : « En l'entendant, Jésus fut plein d'admiration et dit à ceux qui le suivaient : « En vérité, je vous le déclare, chez personne en Israël je n'ai trouvé une telle foi. » (Mt 8, 5)
- Spoiler:
- « Au pied de la montagne Jésus relève un fils défiguré des hommes, l’enfant épileptique, muet possédé ; la figure du père qui sort de la foule pour porter devant Jésus sa plainte, permet à l’évangile de construire sa plus belle image de la foi qui prie : « Je crois ! Viens au secours de mon manque de foi ! » (INT p. 64)
5. La « reprise critique des images de Dieu » ou le sommeil de Jésus métaphore du « Dieu présent dans l’absence » ?
L’auteure revient sur la question des « images de Dieu » – déjà rencontrée ci-dessus. Il est ici question de la « reprise critique des images de Dieu », du sommeil de Jésus « métaphore du Dieu présent dans l’absence ». Le commentaire conclut même que « Jésus, et le récit de Marc, mènent vers l’inconnaissable ».
Nous sommes convaincus que cette question est complètement anachronique (voir ci-dessus) et est totalement étrangère non seulement à un évangéliste juif du premier siècle, mais également à un penseur grec de la même époque.
- Spoiler:
- « Le récit de la tempête apaisée peut illustrer la reprise critique des images de Dieu que l’évangile opère en Jésus (4, 35-41). Dans la cadre de la tempête, Jésus apparaît dominant le vent et la mer comme le Dieu créateur qui gère le chaos ; mais il reproche du « pas encore la foi », adressé disciples qui l’ont éveillé dans la peur de périr, fait pencher le lecteur vers le cœur du récit où le sommeil du maître en plein remous peut être perçu comme une métaphore du crucifié, du Dieu présent dans l’absence. Le récit va plus loin encore : sa finale s’ouvre sur une question qui, si on la prend au sens fort –« Qui donc est-il, pour que le vent et la mer lui obéissent ? » (4, 41) – mènent vers le Dieu inconnu. Le secret à garder sur la résurrection de la fille je Jaïre (« que personne ne le connaisse », 4, 43) ou sur la transfiguration (9, 9), peut aussi signifier que Jésus, et le récit de Marc, mènent vers l’inconnaissable. » (INT page 79)
6. Une parole qui n’ordonne pas d’en répéter les gestes à sa mémoire ?
L’auteure souligne au passage que Mc n’ordonne pas à ses disciples de répéter le dernier repas à Sa mémoire. C’est exact, mais incomplet. L'ouvrage étant destiné également aux simples étudiants (INT page 5), il conviendra peut-être de leur donner le moyen d'avaoir une vision plus large du sujet.
Dans ce cas, ce n’est pas Marc, mais bien Paul et Luc qui sont les témoins de la tradition la plus ancienne. La première épitre aux Corinthiens qui présente Jésus disant « faites cela en mémoire de moi » sur pain comme sur le vin (1 Co 11, 23-26) est datée du printemps 56 (TOB). Il faudra maintenant expliquer d’où Marc tient sa tradition (récit absent de la source Q) et/ou pourquoi il aurait adopté cette formulation plus brève ...
- Spoiler:
- « Le second repas [après celui de Béthanie], à Jérusalem, est le dernier que Jésus partage avec ses disciples (14,22-25) ; il y distribue le pain rompu comme son corps, le vin versé comme son sang, d’une parole qui n’ordonne pas d’en répéter les gestes à sa mémoire, comme dans la tradition de Paul et Luc, mais creuse le vide entre un « jamais plus » et un « jusqu’au jour » où du vin nouveau dans le Royaume. » (INT page 65)
Évangile de Matthieu (chapitre écrit par M. Elian Cuvelier)
La transformation d’un nom propre indiquerait un processus secondaire ?
L’auteur prétend au moins deux choses : 1. Le passage du nom de Lévi à Mattieu serait une « transformation » ; 2. Cette transformation serait la preuve d’un processus secondaire, c’est-à-dire d’un remaniement du texte de Marc - écrit en premier - par Matthieu écrit ultérieurement.
En réalité, Marc utilise lui-même les deux appellations pour désigner le même apôtre. Deux traditions concurrentes ne sont pas nécessairement une « transformation ».
Une piste de solution : Mattaï signifie : « je suis précis » : en araméen. Mattaï pourrait donc être le surnom de Lévi. De la même façon Nathanaël a comme surnom araméen Bartoulmaï (1) ou bar Tolmaï (2, 3) :
« Par contre, ce n’est pas nécessaire en araméen, car la graphie est plus simple : l’écriture rapide est possible directement sur l’oral et il est probable que certains prirent des notes (note : en particulier, le percepteur Lévi-Matthieu) pour eux, tel le bon connaisseur de la Torah qu’était Nathanaël , puisqu’il reçut le surnom de Bartoulmaï (fils de la jarre) employé chez les rabbis pour désigner ceux qui conservaient tout sans perte. (1 : dans un paragraphe sur la tachygraphie en araméen)
Finalement cette discussion sur Lévi/Matthieu paraît un peu confuse tant qu’on ne rappelle pas que la plupart des apôtres avaient un nom et un surnom : au moins six autres apôtres ont un surnom (spoiler) (4). Cela aussi il serait utile de la rappeler dans un ouvrage destiné à de simples étudiants ....
1. La transmission des Evangiles. Pierre Perrier. Ed. Jubilé. 2006. page 106. ISBN : 2-86679-422-2.
2. http://dsmyers.com/homepage/God/nathanaelbartolmai.htm
3. http://www.britannica.com/EBchecked/topic/54362/Saint-Bartholomew
4. Evangiles de l'oral à l'écrit. Pierre Perrier. Ed Jubilé. 2007. page 292. ISBN : 2-86679-296-3.
- Spoiler:
- « En outre il est très surprenant qu’un témoin oculaire (en l’occurrence le disciple Matthieu) utilise une source secondaire pour rédiger son propre récit. La transformation du nom de Lévi en Matthieu (Mc 2, 14 // Mt 9, 9) reflète d’ailleurs un processus secondaire qui n’est pas l’œuvre d’un témoin oculaire (on en retrouve un autre exemple en Mt 27, 56 où Salomé – Mc 15, 40 – devient la mère des fils de Zébédée, cf. Mt 20, 20). Peut-être le disciple Matthieu a-t-il joué un rôle dans la communauté dont l’auteur de l’évangile est originaire ? Cette hypothèse pourrait expliquer le changement de nom et l’addition ό τελώνης (« collecteur d’impôts », Mt 10, 3). » (INT page 90)
De fait, les évangélistes ne désignent pas l’apôtre par le même nom. Pour Marc c’est « Lévi » : « il vit Lévi, le fils d'Alphée, assis au bureau des taxes » (Mc 2, 14). Pour Luc c’est également « Lévi » : « il sortit et vit un collecteur d'impôts du nom de Lévi assis au bureau des taxes. » (Lc 5, 27). Pour Matthieu c’est « Matthieu » : « Jésus vit, en passant, assis au bureau des taxes, un homme qui s'appelait Matthieu. » (Mt 9, 9). Par contre dans les « listes des douze », c’est toujours « Matthieu » (Mc 3, 1, Lc 6, 15, Ac 1, 13 et Mt 10,3).
Pas facile de prendre en compte par tout ce qui est rapidement suggéré par ce court paragraphe. L'auteur se contentant d'une série de questions … commençons par quelques questions en réponse aux question:
- Qu’est qui permet d’exclure que Lévi puisse avoir porté un deuxième nom ou un surnom ?
- Comment s’étonner qu’un témoin direct (Matthieu) ait corrigé son nom s’il a repris le témoignage de Marc ?
- Pourquoi la liste des douze adopte-t-elle le nom « Matthieu » même dans Marc qui l’appelle « Lévi » au début de son Évangile ?
- Au nom de quelle conception de « l’évangéliste » va-t-on s’étonner qu’un témoin oculaire ait utilisé le témoignage d’un autre évangéliste ?
- Le fait que Matthieu aurait joué un rôle dans la communauté dont Marc est originaire est-elle la seule hypothèse possible pour expliquer l’addition ό τελώνης (« collecteur d’impôts », Mt 10, 3) au texte de Marc alors que tous les évangélistes parlent bien d’un homme « assis au bureau des taxes » ?
- Etc.
Tout va dépendre de savoir si Marc est antérieur aux autres Évangiles. Comme je l’ai dit plus haut cette question, trop souvent, considérée comme réglée n’est – en réalité – pas définitivement tranchée (voir post suivant : Les tentatives de modélisation du processus synoptique).
Toujours sur les surnoms des apôtres en araméen : Shimon : Kepha (pierre), Iakob et Ioannan : Bnergès (fils du tonnerre), Iakob : Zhora (petit ou cadet), Iouda : Thaddaï (chou chou) ; Thomas : Didyme (jumeau) (4).
Ou encore : Judas, ischariote et Simon, le zélote.
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Re: La Parole de Jésus-Christ à la sauce Marguerat
(Suite)
Évangile de Luc (chapitre écrit par M. Daniel Marguerat).
1. Luc aurait tronqué les logias de Jésus dans l’évangile pour les replacer dans les Actes.
L’auteur d’abord soutient que Luc aurait tronqué une partie d’une logia de Jésus pour la reporter à la fin des Actes. C’est toujours l’idée d’une libre utilisation des paroles – non véritablement de Jésus – mais attribuées à Jésus par l’évangéliste.
Si on examine attentivement ces versets (spoiler), la situation est la suivante : Lc paraphrase une partie de verset d’Isaïe (6, 9a ou 6, 10a), par contre Mc cite le verset Isaïe 6, 9 en entier et Ac cite deux versets (Is 6, 9 et 10).
En définitive, il n’est pas possible de savoir si Luc a voulu faire une citation courte paraphrasée ou s’il a voulu « tronquer » le verset cité par Marc. Il n’est pas raisonnablement possible de choisir pour l’une ou l’autre alternative. L’auteur soutient ensuite que Luc aurait encore « tronqué » une parole critique de Jésus contre le Temple lors de son procès devant le Sanhédrin pour la replacer dans le procès contre Etienne. Finalement, rien ne permet de rejeter l’idée que les deux procès soient semblables, mais distincts ou que ces deux procès seraient en définitive le même.
Il semble un peu abusif de parler de « logia » de Jésus. Dans le premier exemple, il s’agit non d’une parole (logia) de Jésus au sens propre – mais d’une citation d’Isaïe et dans le second exemple la parole critique contre le Temple n’est jamais de Jésus mais des faux témoins à chacun des deux procès : celui de Jésus ou celui d’Etienne. La présentation qu’en fait l’auteur se veut subtile, elle confond logia entendu comme les paroles propres de Jésus et logia au sens des citations de Jésus, comprenant donc les paroles que Jésus reprend dans les Écritures.
L’auteur pense que ces exemples sont « significatifs », mais l’impression est que la thèse de l’auteur, à partir de ces deux seuls exemples dépareillés, n’est pas probante. L’interprétation de l’auteur doit cependant être prise en compte (surtout pour le procès d’Etienne), mais avec les éléments disponibles, il n’est pas raisonnablement possible de trancher définitivement sur cette question. La volonté de trancher de l’auteur provient de son parti pris bultmannien qui est que l'évangéliste aura manipulé à sa guise les dits et gestes de Jésus.
Par contre, ce qui serait éventuellement « significatif » est que l’auteur semble vouloir tirer avantage des déclarations des faux témoins. Comprenne qui pourra !
2. Luc aurait souci de faire œuvre d’historien ou de biographe à la façon gréco-romaine ?
Ici nous ne contestons pas complètement l’avis de l’auteur. Notre conviction à ce sujet est très mesurée en raison de l'incertitude qui existe dans le domaine des comparaisons sur le style et la forme des évangi(https://dialogueabraham.forum-pro.fr/t1976-la-parole-de-jesus-christ-a-la-sauce-marguerat#42196 ). Ce que nous avons compris jusqu'à maintenant de la Formgeschichte, loin de nous jeter dans un nouveau dogmatisme - nous rend certes plutôt sceptique (la lecture du livre ne nous a pas enthousiasmé). Je reste certes accessible aux questions, mais très prudent sur les réponses ...
Nous voulons seulement souligner deux choses :
- D’une part, l’ouvrage collectif de Marguerat a comparé un peu tous les styles littéraires gréco romains de la même époque avec les Évangiles : récit à la manière de la Bible, biographie idéalisée, récit à contenu merveilleux ou arétalogie, roman grec, pour insister de façon toute particulière sur la biographie. L’Évangile selon l'école de Marguerat serait donc une « sous-catégorie » de la biographie gréco-romaine (Voir : https://dialogueabraham.forum-pro.fr/t1976-la-parole-de-jesus-christ-a-la-sauce-marguerat#42196 ) Et voila, maintenant que l'auteur rajoute que les Évangiles seraient une biographie dépeignant la biographie d'un homme célèbre ou d'un héros comme dans les Vies des philosophes ou le récit historique de Flavius Josèphe. Tout a été dit, tout a été proposé – mais mon idée reste que rien n’est vraiment totalement convainquant. Rappelons que Bultmann pensait - à la différence de Marguerat - que les Évangiles avaient un style « sui generis », donc d'un style unique. Je ne vois aucune raison de pencher pour l'un ou l'autre des convictions de ces grands érudits !
- Ensuite dans le spoiler : un paragraphe sur les limites de la Formgeschichte. Comme toujours, il y a un écart entre la théorie et la pratique. La Formgeschichte peut être en échec quand on ne dispose ni de vrai parallèle littéraire, ni d’attestations apocryphes ou autres (https://dialogueabraham.forum-pro.fr/t1976-la-parole-de-jesus-christ-a-la-sauce-marguerat#41687 ). Dans le cas de l’Évangile de Luc, la critique interne échoue à situer le lieu de rédaction plus précisément que « la partie orientale du bassin méditerranéen », c’est-à-dire : entre Rome, la Macédoine, le Péloponnèse et la Turquie ...et prétendre que la rédaction n'a pas pu se faire en Palestine après 70 n'est pas non plus un scoop !
3. Lc 1, 2 indiquerait que Luc est un chrétien « de la troisième génération » ?
L’auteur prétend que le verset 2 de Luc : « d'après ce que nous ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires et qui sont devenus serviteurs de la parole. » (Lc 1, 2) signifierait que Luc serait un chrétien de la troisième génération, c’est-à-dire dont l’activité serait située dans le dernier quart du premier siècle.
Le fait de ne pas être témoin oculaire ne donne aucun indication d'âge précise et la notion de génération est assez vague (25 ans ?). Faisons une supposition Luc aurait été témoin (à cause du " nous " utilisé à partir de Ac 16, 10-17) de la fondation de l'Eglise d'Antioche en 38 par Pierre et Paul. Cela fait entre 10 et 30 ans d'écart avec Paul (né en 8) selon que l'on suppose que Luc était déjà suffisamment adulte (20 ans ?) pour partir pour un voyage missionnaire en Macédoine avec Paul (Ac 16, 10) ou qu'il venait tout juste de naître. Pareillement Luc aura une génération de plus ou une génération de moins selon qu'on le comparera à Jean (né éventuellement vers la même date que Paul) ou à Nathanaël, réputé le plus vieux du groupe des apôtres. Rien dans ce verset Lc 1, 2 ne permet d'affirmer qu'il y aurait eu une génération d'intervalle entre Luc et ces témoins oculaires empêchant éventuellement Luc de les avoir entendus. Le texte de Luc affirme tout au contraire qu'il a bien rencontré ces témoins oculaires. Il ne faut pas être naïf : l'expression : " chrétien de la troisième génération " suggère habituellement la fameuse rupture de contact direct avec les témoins oculaires. Cette rupture de la tradition directeest un des postulats de base de la Formgeschichte.
Et c'est de bien peu d'importance ... En définitive la datation de l’Évangile de Luc pour l’école de Marguerat ne dépend pas de ce verset 1, 2 de Luc, mais plutôt de la prise de position de cette école pour le modèle des deux sources (voir le post suivant : « Les tentatives de modélisation du processus synoptique ») et de l’interprétation du verset sur l’encerclement de Jérusalem (Luc 21, 20).
4. Après son baptême, Jésus aurait concentré toute l’inspiration céleste disponible ?
L’auteur prétend que Jésus, dès son baptême aurait concentré « sur lui toute l’inspiration céleste disponible ».
Il est tout à fait légitime que l’auteur tente de faire une interprétation de la chronologie des manifestations de l’Esprit dans l’évangile de Marc. Mais il est inutile d’en « rajouter ». Nulle part l’évangile de Luc ne parle de motions de l’esprit, de vision ou d’extase de Jésus. A la Transfiguration ce sont les apôtres qui ont une vision, non Jésus. Pour le reste aucune mention de visions, d’extase ou de motion de l’Esprit chez les apôtres dans l’Évangile de Marc, vraiment rien d'extraordinaire, sauf les apparitions angéliques à la résurrection ... et le Christ ressuscité, Lui-même.
De quoi l’auteur veut-il finalement parler ?
Et sur le fond ... le « signe du Messie » n’est pas d’être habité par l’Esprit, c’est le lot commun des prophètes. La « signe du Messie » est que l’Esprit repose à demeure sur lui (Is 11, 1-2 ; Jn 1, 32-33). L'évangile de Marc n'en fait pas mention, il est vrai.
5. Luc, à la suite des traditions ébionites, interpellerait les riches dans son audience ?
Ici notre critique est légère : on veut bien admettre que Luc ait eu des contact avec les ébionite - sans doute après leur fuite de Jérusalem - qu'il ait adopté les règles de morale stricte de ces groupes plutôt judaïsant, cependant qu'est-ce qui permet d'être si affirmatif sur l'origine ébionite, donc juive et antérieure à Jésus, de cette morale de conversion prêchée par Luc ? On retrouve les exigences semblables chez Jean Baptiste (Lc 3, 10-14) et chez le Rabbi Jésus qui a enseigné : « Heureux les pauvres : le Royaume de Dieu est à vous [...] Mais malheureux les riches : vous tenez votre consolation. » (Lc 6, 20.24). Finalement, on ne voit pas pourquoi l'auteur insiste tant sur les traditions ébionites ... lesquelles pouvaient certainement créer des tiraillements en milieu hellénistique.
Évangile de Jean (chapitre écrit par M. Jean Zumstein).
1. Le « Fils préexistant médiateur de la création » ?
Pour l’auteur, Jean aurait la thèse suivante : « le Fils préexistant, en unité avec le Père, est médiateur de la création ».
Plusieurs choses sont très discutables dans cette formulation ;
- D’une part, l’expression « médiateur de la création » est totalement absente des écrits de Jean et - de façon plus générale - de la totalité de la Bible ;
- Ensuite, si l’Évangile de Jean suggère bien une " existence " du Verbe avec le Père, tournée vers le Père : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu. » (Jn 1, 1) et une antériorité du Verbe (Jn 1, 1-2) ou de Jésus (Jn 8, 58, Jn 17, 5) par rapport « à la fondation du monde » (Jn 17, 24) pour autant la notion de « Fils préexistant » n’est pas pensable avant Origène au 3ème siècle (spoiler) ;
- Enfin, l’expression « médiateur de la création » est très ambiguë. Elle risque de déborder et donc brouiller la problématique théologique de Jean sur le Verbe, Fils unique engendré de Dieu :
o Le « médiateur de la création » pourrait être l’intermédiaire « fonctionnel » - comme un messager, un envoyé ou un prophète - entre Dieu et les hommes ou la création ; … et c’est une question du 2ème siècle - postérieure à Jean ;
o Le « médiateur de la création » pourrait être l’agent intermédiaire « opérationnel » de la création voulue et pensée par le Père – dans le même sens que Pr 8, 22 - c’est également une question du 2ème siècle - postérieure à Jean ;
o Dans les deux cas, LA question décisive sera celle de la place du Verbe entre Dieu et Sa création : est-il du coté de Dieu ou du côté de la création ? Mais il n’y a aucune réponse à cette question dans l’Évangile de Jean à la fin du 1er siècle.
L’auteur se permet d’éluder cette question décisive. C’est tout à fait son droit, bien que dans le Prologue de Jean la réponse soit claire : « et le Verbe était Dieu » (Jn 1, 1).
Cependant, si l'auteur veut – par souci de méthode - en rester au seul texte et à l’horizon théologique de l’Évangile de Jean, c’est entièrement son droit. Mais pour autant, il ne devrait pas se permettre :
- d’introduire des notions étrangères à Jean (« médiateur de la création ») ou des notions anachroniques (« Fils préexistant ») ; et
- de présenter comme identifiées et énoncées (préexistence du Verbe ou du Fils) des thèmes qui ne sont qu’ébauchés et « ouverts » dans l’Évangile de Jean.
En effet ces questions ouvertes par les affirmations de Jean ne vont être débattues qu’au 2ème siècle et 3ème siècle, La réflexion sur les Écritures va débattre de questions comme (spoiler) :
- Le Verbe est-il un « autre dieu » ?
- La Sagesse créatrice existe-t-elle depuis toujours en Dieu ou existe-t-elle seulement au moment où la création est décidée par Dieu ?
- Les personnes divines sont-elles fonctionnelles (modalisme) ?
- Le Fils peut-il exister depuis toujours s’il vient (est engendré) « après » le Père ?
Le choix de vocabulaire de l’auteur semble profondément discutable. D’une part il pourrait laisser croire que la notion de « Fils préexistant » dérive simplement et directement de l’Évangile de Jean. Or rien n’est plus faux. D’autre part, la réflexion sur la préexistence du Fils s’appuie certes sur le prologue de Jean qui induit « le paradoxe chrétien », voir : https://dialogueabraham.forum-pro.fr/t1245-histoire-du-dogme-de-l-engendrement-eternel-du-fils) mais pas seulement. Historiquement, le texte de l’Ancien Testament sur la Sagesse créatrice (Pr 8, 22-31) qui est le point d’appui de la réflexion des apologistes qui mènera à la conception de la préexistence du Fils un siècle et plus tard.
2. Le Christ est « véritablement Dieu dans la mesure où il est Son envoyé » ?
Pour l’auteur, le récit johannique est un récit christologique, donc centré sur la personne du Christ. « Le Christ johannique est fondamentalement présenté comme le Révélateur de Dieu dans le monde. » Cette fonction révélatrice serait développée d’une double façon : une « christologie de l’incarnation » et une « christologie de l’envoyé ».
En clair, la conception de Jean serait la suivante : le Verbe, uni au Père, s’est incarné pour être Son envoyé. Mais l’auteur, corrige substantiellement cette vision, somme toute assez neutre, voire classique lorsqu’il ajoute : « le Christ est véritablement Dieu dans la mesure où il est Son envoyé ». Cette « divinité » serait donc liée à l’exercice de la fonction révélatrice du Christ. Une divinité « fonctionnelle », en quelque sorte, et non « de nature », une « divinité » sous condition ou transitoire … nous aurons l'explication de cette bizarrerie un peu plus bas.
Cette réduction du Christ à une seule fonction : la fonction révélatrice est une lecture sélective du texte de Jean. L’auteur a une position réductrice et partiale. On peut facilement trouver, au moins, trois autres « fonctions » dans le court texte de prologue de Jean :
1.- La fonction créatrice : « Tout fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui. » (Jn 1, 3) ;
2.- La fonction " d’apporter ce que Moïse n'a pas apporté ", que nous appellerons fonction d'accomplissement : « Si la Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ. » (Jn 1, 17) L’auteur suggère que « Le Christ réalise ensuite sa fonction de révélateur par ses discours » (INT page 390), mais rien ne permet d’écarter l’autre thèse que « le Christ est révélateur par la réalisation de sa personne ou de son être-même » ;
3.- La fonction de " donner au croyant le pouvoir de devenir enfant de Dieu ", que nous appellerons fonction de restauration et d'empowerment (pour éviter : " fonction salvatrice " qui est souvent mal compris) : « Il est venu dans son propre bien et les siens ne l'ont pas accueilli. Mais à ceux qui l'ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. » (Jn 1, 11-12).
Ce n’est pas parce que Jésus « ne prononce pas ses propres paroles », mais celles du Père, « n’effectue pas ses propres œuvres », mais celles du Père ou « ne fait pas sa volonté », mais celle du Père qu’il n’est " rien " pour les hommes. Qui est-il d’après Jean ? Le prologue suggère une réponse sur la position du Verbe par rapport à Dieu et qui est le Verbe pour Dieu : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu. » (Jn 1, 1).
Comme dit plus haut, le Prologue de Jean ne permet pas de répondre à la question de savoir, si cette divinité est « fonctionnelle » ou « de nature ». Ce type de problématique, totalement absente au premier siècle, renvoie aux siècles suivants.
3. Ne pas prendre les notions de préexistence et d’incarnation à la lettre ?
Lorsque l’auteur ajoute que les deux notions de préexistence et d’incarnation « ne doivent pas être interprétées de façon objectivante, mais elles qualifient Jésus comme le révélateur du Père » on a un peu du mal à suivre, cela paraît obscur ... (spoiler)…
L’auteur semble vouloir dire que c’est - essentiellement - la fonction révélatrice du Christ johannique qui est à retenir et que pour le reste, les notions de préexistence et d’incarnation sont des « figures de style » et ne sont donc pas des réalités. Nous émettons une hypothèse sur la position philosophique de l’auteur : la « fonction révélatrice » serait un absolu philosophique - c'est à dire la réalité fondatrice et ultime, la seule réalité qui vaille, donc, supplantant toute autre idée : de « préexistence », « d'incarnation » ou même de « divinité ». Il est naturellement tout à fait impossible de démontrer que c’est l’idée implicite de Jean, mais il est clair, par contre, que l’auteur, lui, en est convaincu.
L’auteur présente la mission du Christ johannique en deux activités : des miracles « qui renvoient au Dieu créateur et donateur de vie en abondance » et à des discours, puis par la croix il fait « son retour » vers le Père.
Cette présentation est, de nouveau, très sélective et partiale. On ne voit pas pourquoi l’auteur qui est sensé présenter le Christ selon Jean passe sous silence d’autres aspects de la mission et de l’œuvre du Messie bien identifiables dans l’Évangile de Jean. L’auteur omet certainement des aspects importants du Christ comme :
- L’œuvre du Messie « pain descendu du ciel » pour se donner en vraie nourriture ;
- L’accomplissement du Messie, c’est-à-dire : une œuvre unique, singulière en sa propre personne qui apporte au monde, aux hommes ce qu’aucun autre n’a jamais apporté.
Du fait du parti pris de l’auteur, sa présentation du Christ johannique est très partielle et redoutablement faussée.
L’auteur dit que le Christ johannique a fondamentalement une fonction révélatrice. Mais le problème est que l'auteur ne voit que cela, il ne dit rien d’autre. Ceci fait que le Christ johannique, vu pas l’auteur, est en quelque sorte « unidimensionnel » : il est révélateur, messager ou envoyé du Père (quelque soit la dénomination) et rien de plus. Cette construction intellectuelle du Christ johannique autour de la seule idée de « l’envoi » n’est évidemment qu’une vision universitaire et même une " idéologie " au sens où elle masque la complexité et les contradictions éventuelles du Christ de Jean.
Pour finir, disons que traiter du « contenu » ou de la « visée théologique » de l’Évangile de Jean sans aucun développement sur deux expressions spécifiques de Jean comme « μονογενους » et « εγω ειμι » semble également très partial. Une belle preuve de culot.
Nous pensons avoir repéré chez cet auteur, un de ces délicieux glissements de sens dont l'INT a le secret. Lorsque l'auteur dit : " A la différence des synoptiques, le contenu de ses discours est strictement christologique (cf. les paroles en " Je Suis ") En tant qu'envoyé du Père Jésus répond aux besoins les plus fondamentaux qui se manifestent dans toute existence humaine : il les comble." ... il est bien probable que " christologie " signifie seulement une parole sur l'homme Jésus Christ - sans aucun rapport avec la " théologie " qui serait une parole sur Dieu, voire sur la Trinité. La référence à la formule " Je suis " (ego eimi) serait un manière de dire que Jésus ne parlerait que de lui-même au sens limité de l'homme Jésus " sans rapport avec la théologie ou Sa divinité " ... Une façon en quelque sorte astucieuse de banaliser les occurrences de " ego eimi " et d'en disqualifier le contenu théologique ...
4. Don du Fils et don de la vie seraient « un seul et même événement » ?
L’auteur conclut finalement : « Don du Fils et don de la vie sont un seul et même événement : ils constituent le contenu de l’évangile qui appelle à la foi. »
C’est un peu la cerise sur le gâteau ! Reprenons la thèse de l’auteur : 1. un Christ johannique dont la divinité dépend de sa fonction d’envoyé, 2. dont la préexistence et l’incarnation ne sont que des figures de style … et 3. qui finalement délivre le message suivant : « le don du fils et le don de la vie c’est la même chose » … un message insignifiant !
C’est un peu comme de dire : « le Fils est venu célébrer la bonté de Dieu, la vie, les fleurs, l’amour … quoi d’autre dans les Évangiles ? ». Selon l'accentuation, c'est soit un message déjà contenu dans l'Ancien Testament (Jésus ne sert à rien), soit même le paganisme le plus courant.
Il semble qu’on soit dans la dilution complète du message évangélique. Un message où le Messie ne tient finalement aucune place. Cette vision à la fois intellectualisante et inconsistante concorde très bien avec la mise en doute radicale que l’Évangile ait contenu une quelconque parole propre de Jésus. C'est le postulat bultmannien qui, par un juste retour des choses, mène à ne saisir moins que des bribes, qu'une ombre ou qu'une illusion de Jésus, mais jamais rien de " vrai " à son sujet - si tant est que la Formgeschichte ait la capacité de distinguer le vrai du faux. L’excès d’intellectualisme - comme un soufflé raté - retombe dans une naïveté sans fond et l’image « new âge » de Jésus retombe avec ce soufflé raté !
C’est ce genre de vision du Christ qui rend la lecture de l’INT si insipide et ennuyeuse, par moments !
Évangile de Luc (chapitre écrit par M. Daniel Marguerat).
1. Luc aurait tronqué les logias de Jésus dans l’évangile pour les replacer dans les Actes.
L’auteur d’abord soutient que Luc aurait tronqué une partie d’une logia de Jésus pour la reporter à la fin des Actes. C’est toujours l’idée d’une libre utilisation des paroles – non véritablement de Jésus – mais attribuées à Jésus par l’évangéliste.
Si on examine attentivement ces versets (spoiler), la situation est la suivante : Lc paraphrase une partie de verset d’Isaïe (6, 9a ou 6, 10a), par contre Mc cite le verset Isaïe 6, 9 en entier et Ac cite deux versets (Is 6, 9 et 10).
En définitive, il n’est pas possible de savoir si Luc a voulu faire une citation courte paraphrasée ou s’il a voulu « tronquer » le verset cité par Marc. Il n’est pas raisonnablement possible de choisir pour l’une ou l’autre alternative. L’auteur soutient ensuite que Luc aurait encore « tronqué » une parole critique de Jésus contre le Temple lors de son procès devant le Sanhédrin pour la replacer dans le procès contre Etienne. Finalement, rien ne permet de rejeter l’idée que les deux procès soient semblables, mais distincts ou que ces deux procès seraient en définitive le même.
Il semble un peu abusif de parler de « logia » de Jésus. Dans le premier exemple, il s’agit non d’une parole (logia) de Jésus au sens propre – mais d’une citation d’Isaïe et dans le second exemple la parole critique contre le Temple n’est jamais de Jésus mais des faux témoins à chacun des deux procès : celui de Jésus ou celui d’Etienne. La présentation qu’en fait l’auteur se veut subtile, elle confond logia entendu comme les paroles propres de Jésus et logia au sens des citations de Jésus, comprenant donc les paroles que Jésus reprend dans les Écritures.
L’auteur pense que ces exemples sont « significatifs », mais l’impression est que la thèse de l’auteur, à partir de ces deux seuls exemples dépareillés, n’est pas probante. L’interprétation de l’auteur doit cependant être prise en compte (surtout pour le procès d’Etienne), mais avec les éléments disponibles, il n’est pas raisonnablement possible de trancher définitivement sur cette question. La volonté de trancher de l’auteur provient de son parti pris bultmannien qui est que l'évangéliste aura manipulé à sa guise les dits et gestes de Jésus.
Par contre, ce qui serait éventuellement « significatif » est que l’auteur semble vouloir tirer avantage des déclarations des faux témoins. Comprenne qui pourra !
- Spoiler:
Ce que soutient Daniel Marguerat :« Fait significatif, l’auteur s’est retenu d’insérer des logias de Jésus dans l’évangile pour les réserver aux Actes : la citation d’Es 6, 9 sur l’endurcissement d’Israël est tronquée en Lc 8, 10 (cf Mc 4, 12) pour paraître in extenso à la fin des Acte (28, 26s). La critique de Jésus contre le Temple est supprimée de la comparution au Sanhédrin (Lc 22, 67-71 ; cf. Mc 14, 58) pour intervenir lors du procès d’Etienne (Ac 7, 14). » (INT page 106)
Examinons les textes ici discutés :
A propos de Lc 8, 10
« Il dit : « Va, tu diras à ce peuple: Ecoutez bien, mais sans comprendre, regardez bien, mais sans reconnaître. Engourdis le cœur de ce peuple, appesantis ses oreilles, colle-lui les yeux! Que de ses yeux il ne voie pas, ni n'entende de ses oreilles! Que son cœur ne comprenne pas! Qu'il ne puisse se convertir et être guéri ! (Is 6, 9-10)
« Il dit : « A vous il est donné de connaître les mystères du Royaume de Dieu; mais pour les autres, c'est en paraboles, pour qu'ils voient sans voir et qu'ils entendent sans comprendre. » (Lc 8, 10)
« Et il leur disait : « A vous, le mystère du Règne de Dieu est donné, mais pour ceux du dehors tout devient énigme pour que, tout en regardant, ils ne voient pas et que, tout en entendant, ils ne comprennent pas de peur qu'ils ne se convertissent et qu'il leur soit pardonné. » (Mc 4, 11-12)
« Va trouver ce peuple et dis-lui: Vous aurez beau entendre, vous ne comprendrez pas; vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas. » Car le cœur de ce peuple s'est épaissi, ils sont devenus durs d'oreille, ils se sont bouché les yeux, pour ne pas voir de leurs yeux, ne pas entendre de leurs oreilles, ne pas comprendre avec leur cœur et pour ne pas se tourner vers Dieu. Et je les guérirais. » (Actes 28, 26-27)
A propos de Lc 22, 67-71
La citation d’Isaïe à laquelle renvoie Lc 8, 10 : « pour qu'ils voient sans voir et qu'ils entendent sans comprendre » peut être :
- Soit : Is 6, 9a : « Ecoutez bien, mais sans comprendre, regardez bien, mais sans reconnaître » ;
- Soit : Is 6, 10a : « Que de ses yeux il ne voie pas, ni n'entende de ses oreilles! »
Les deux segments de versets Is 6, 9b et Is 6, 10b concernant « l’endurcissement du cœur » et « la guérison » ne sont pas directement cités - même si, selon la tradition juive, ils sont certainement évoqués.
« Lorsqu'il fit jour, le conseil des anciens du peuple, grands prêtres et scribes, se réunit, et ils l'emmenèrent dans leur Sanhédrin, et lui dirent : « Si tu es le Messie, dis-le-nous. « Il leur répondit : « Si je vous le dis, vous ne me croirez pas ; et si j'interroge, vous ne répondrez pas. Mais désormais le Fils de l'homme siégera à la droite du Dieu puissant. » Ils dirent tous : « Tu es donc le Fils de Dieu ! » Il leur répondit : « Vous-mêmes, vous dites que je le suis. » Ils dirent alors : « Qu'avons-nous encore besoin de témoignage, puisque nous l'avons entendu nous-mêmes de sa bouche ? » (Lc 22, 66-71).
« Nous l'avons entendu dire: « Moi, je détruirai ce sanctuaire fait de main d'homme et, en trois jours, j'en bâtirai un autre, qui ne sera pas fait de main d'homme. » (Mc 14, 58)
« Joseph envoya alors chercher Jacob son père et toute sa parenté, en tout soixante-quinze personnes. » (Ac 7 14)
En fait la référence à Ac 7, 14 est erronée. La parole en question est un chapitre plus haut : « Ils ameutèrent le peuple, les anciens et les scribes, se saisirent d'Étienne à l'improviste et le conduisirent au Sanhédrin. Là ils produisirent de faux témoins : L'homme que voici, disaient-ils, tient sans arrêt des propos hostiles au Lieu saint et à la Loi ; de fait, nous lui avons entendu dire que ce Jésus le Nazôréen détruirait ce Lieu et changerait les règles que Moïse nous a transmises. » (Ac 6, 12-14)
Dans les trois cas Luc et Marc et Actes ce sont de faux témoins qui se présentent devant le Sanhédrin et les paroles sont de ces faux témoins - et non Jésus. Il est cependant possible que la répétition en communauté ou en public par Etienne des vraies paroles (logia, au sens premier) et actes de Jésus signifiant le rejet du Temple (Lc 13, 6-9 ; Mc 11, 13. 20-21, Mt 21, 18-19) aient été mal interprétées et aient entraîné la condamnation et la lapidation d’Etienne.
NB : la prophétie du rejet du Temple – qui concerne en premier l’alliance - est au centre de la prophétie de Jésus – et non la question de la destruction du temple. Les deux questions ne sont pas nécessairement liée, non plus - comme l’explique Benoit XVI (Jésus de Nazareth, tome I).
2. Luc aurait souci de faire œuvre d’historien ou de biographe à la façon gréco-romaine ?
Ici nous ne contestons pas complètement l’avis de l’auteur. Notre conviction à ce sujet est très mesurée en raison de l'incertitude qui existe dans le domaine des comparaisons sur le style et la forme des évangi(https://dialogueabraham.forum-pro.fr/t1976-la-parole-de-jesus-christ-a-la-sauce-marguerat#42196 ). Ce que nous avons compris jusqu'à maintenant de la Formgeschichte, loin de nous jeter dans un nouveau dogmatisme - nous rend certes plutôt sceptique (la lecture du livre ne nous a pas enthousiasmé). Je reste certes accessible aux questions, mais très prudent sur les réponses ...
Nous voulons seulement souligner deux choses :
- D’une part, l’ouvrage collectif de Marguerat a comparé un peu tous les styles littéraires gréco romains de la même époque avec les Évangiles : récit à la manière de la Bible, biographie idéalisée, récit à contenu merveilleux ou arétalogie, roman grec, pour insister de façon toute particulière sur la biographie. L’Évangile selon l'école de Marguerat serait donc une « sous-catégorie » de la biographie gréco-romaine (Voir : https://dialogueabraham.forum-pro.fr/t1976-la-parole-de-jesus-christ-a-la-sauce-marguerat#42196 ) Et voila, maintenant que l'auteur rajoute que les Évangiles seraient une biographie dépeignant la biographie d'un homme célèbre ou d'un héros comme dans les Vies des philosophes ou le récit historique de Flavius Josèphe. Tout a été dit, tout a été proposé – mais mon idée reste que rien n’est vraiment totalement convainquant. Rappelons que Bultmann pensait - à la différence de Marguerat - que les Évangiles avaient un style « sui generis », donc d'un style unique. Je ne vois aucune raison de pencher pour l'un ou l'autre des convictions de ces grands érudits !
- Ensuite dans le spoiler : un paragraphe sur les limites de la Formgeschichte. Comme toujours, il y a un écart entre la théorie et la pratique. La Formgeschichte peut être en échec quand on ne dispose ni de vrai parallèle littéraire, ni d’attestations apocryphes ou autres (https://dialogueabraham.forum-pro.fr/t1976-la-parole-de-jesus-christ-a-la-sauce-marguerat#41687 ). Dans le cas de l’Évangile de Luc, la critique interne échoue à situer le lieu de rédaction plus précisément que « la partie orientale du bassin méditerranéen », c’est-à-dire : entre Rome, la Macédoine, le Péloponnèse et la Turquie ...et prétendre que la rédaction n'a pas pu se faire en Palestine après 70 n'est pas non plus un scoop !
- Spoiler:
- « L’auteur s’est efforcé de doter son récit d’un cadre biographique allant de la naissance du héros à la séparation d’avec les siens ; c’est ainsi que se présentent dans l’Antiquité les Vies des philosophes. S’inspirer du modèle des biographies antiques traduit l’insistance de Luc sur la médiation choisie par Dieu pour manifester l’évènement décisif du salut : un homme, Jésus, dont la vie s’est déroulée en ce monde. Mais dans son intention, l’évangéliste rejoint les auteurs des livres historiques de l’Ancien Testament : il veut convaincre plutôt qu’informer. » (INT page 107)
« Suivant la règle, l’auteur de Lc-Ac déploie synthétiquement son programme d’historien : il rappelle le travail des précurseurs (v. 1), indique ses sources (v. 2) expose ses principes méthodologiques (v. 3), dédie son œuvre (v. 3) et énonce la visée (v. 4).On reconnaît ces différents points dans la préface de la Guerre des Juifs écrit par Flavius Josèphe peu avant Lc-Ac … […]. La dédicace manque, mais par contre l’auteur se présente. » (INT page 116)
« Que peut-on savoir du lieu et de la date de rédaction de l’évangile ? Le lieu n’est assurément pas la Palestine (l’auteur connaît assez mal la géographie locale (cf. : 4, 44 et 17, 11). Il a été proposé Ephese, Antioche (à cause d’une mention des Reconnaissances pseudoclémentines 10, 71), l’Achaïe (à cause des prologues antimarcionites), la Macédoine (parce que la première des « sections en nous » des Ac s’y déroule), Rome (parce que les Ac s’y terminent). Cette indécision est révélatrice d’une certaine universalité de l’auteur et de son œuvre : l’auteur de Lc-Ac est localisable dans la partie orientale du bassin méditerranéen, sans qu’on puisse ne dire plus ; son écrit n’est pas destiné à une communauté aux contours identifiables (à la différence de Mt et Mc). » (INT page 119)
3. Lc 1, 2 indiquerait que Luc est un chrétien « de la troisième génération » ?
L’auteur prétend que le verset 2 de Luc : « d'après ce que nous ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires et qui sont devenus serviteurs de la parole. » (Lc 1, 2) signifierait que Luc serait un chrétien de la troisième génération, c’est-à-dire dont l’activité serait située dans le dernier quart du premier siècle.
Le fait de ne pas être témoin oculaire ne donne aucun indication d'âge précise et la notion de génération est assez vague (25 ans ?). Faisons une supposition Luc aurait été témoin (à cause du " nous " utilisé à partir de Ac 16, 10-17) de la fondation de l'Eglise d'Antioche en 38 par Pierre et Paul. Cela fait entre 10 et 30 ans d'écart avec Paul (né en 8) selon que l'on suppose que Luc était déjà suffisamment adulte (20 ans ?) pour partir pour un voyage missionnaire en Macédoine avec Paul (Ac 16, 10) ou qu'il venait tout juste de naître. Pareillement Luc aura une génération de plus ou une génération de moins selon qu'on le comparera à Jean (né éventuellement vers la même date que Paul) ou à Nathanaël, réputé le plus vieux du groupe des apôtres. Rien dans ce verset Lc 1, 2 ne permet d'affirmer qu'il y aurait eu une génération d'intervalle entre Luc et ces témoins oculaires empêchant éventuellement Luc de les avoir entendus. Le texte de Luc affirme tout au contraire qu'il a bien rencontré ces témoins oculaires. Il ne faut pas être naïf : l'expression : " chrétien de la troisième génération " suggère habituellement la fameuse rupture de contact direct avec les témoins oculaires. Cette rupture de la tradition directeest un des postulats de base de la Formgeschichte.
Et c'est de bien peu d'importance ... En définitive la datation de l’Évangile de Luc pour l’école de Marguerat ne dépend pas de ce verset 1, 2 de Luc, mais plutôt de la prise de position de cette école pour le modèle des deux sources (voir le post suivant : « Les tentatives de modélisation du processus synoptique ») et de l’interprétation du verset sur l’encerclement de Jérusalem (Luc 21, 20).
- Spoiler:
- « L’indication des sources (v. 2) positionne le travail de Luc comme un travail d’historien à distance des faits : il n’appartient ni à la génération des témoins oculaires, ni à celle des devanciers, donc à la troisième génération chrétienne » (INT page 117)
4. Après son baptême, Jésus aurait concentré toute l’inspiration céleste disponible ?
L’auteur prétend que Jésus, dès son baptême aurait concentré « sur lui toute l’inspiration céleste disponible ».
Il est tout à fait légitime que l’auteur tente de faire une interprétation de la chronologie des manifestations de l’Esprit dans l’évangile de Marc. Mais il est inutile d’en « rajouter ». Nulle part l’évangile de Luc ne parle de motions de l’esprit, de vision ou d’extase de Jésus. A la Transfiguration ce sont les apôtres qui ont une vision, non Jésus. Pour le reste aucune mention de visions, d’extase ou de motion de l’Esprit chez les apôtres dans l’Évangile de Marc, vraiment rien d'extraordinaire, sauf les apparitions angéliques à la résurrection ... et le Christ ressuscité, Lui-même.
De quoi l’auteur veut-il finalement parler ?
Et sur le fond ... le « signe du Messie » n’est pas d’être habité par l’Esprit, c’est le lot commun des prophètes. La « signe du Messie » est que l’Esprit repose à demeure sur lui (Is 11, 1-2 ; Jn 1, 32-33). L'évangile de Marc n'en fait pas mention, il est vrai.
- Spoiler:
- « La distribution des interventions de l’Esprit est représentative de ce scénario historico-salutaire. L’Esprit est accordé à quelques figures de l’Évangile de l’enfance (1, 13-17.35.41.67; 2, 25-28), mais dès que Jésus est baptisé (3, 22), il en devient seul porteur. Dès sa venue, le Fils concentre sur lui toute l’inspiration céleste disponible : motion de l’Esprit, vision, extase, intervention angélique. Cette puissance il promet d’en faire le don à ses disciples près sa disparition (Lc 24, 49 ; Ac 1, 8) ce qui réalisera la Pentecôte. » (INT page 122)
5. Luc, à la suite des traditions ébionites, interpellerait les riches dans son audience ?
Ici notre critique est légère : on veut bien admettre que Luc ait eu des contact avec les ébionite - sans doute après leur fuite de Jérusalem - qu'il ait adopté les règles de morale stricte de ces groupes plutôt judaïsant, cependant qu'est-ce qui permet d'être si affirmatif sur l'origine ébionite, donc juive et antérieure à Jésus, de cette morale de conversion prêchée par Luc ? On retrouve les exigences semblables chez Jean Baptiste (Lc 3, 10-14) et chez le Rabbi Jésus qui a enseigné : « Heureux les pauvres : le Royaume de Dieu est à vous [...] Mais malheureux les riches : vous tenez votre consolation. » (Lc 6, 20.24). Finalement, on ne voit pas pourquoi l'auteur insiste tant sur les traditions ébionites ... lesquelles pouvaient certainement créer des tiraillements en milieu hellénistique.
- Spoiler:
- « On identifie dans l’évangile la valorisation des traditions ébionites (1, 46-55; 6, 20-26; 16, 19-26) liées à l’attente d’un renversement eschatologique des valeurs que l’évangéliste a intégrées à son éthique de la conversion. Avec la rupture des liens familiaux et l’acceptation de la souffrance, le renoncement aux biens s’inscrit dans la norme de la suivance. Il n’est pas difficile de pressentir dans cette insistance le souci de Luc de s’adresser à une chrétienté riche, ou plutôt, d’interpeller les riches parmi l’audience chrétienne visée par son œuvre. » (INT page 124)
Évangile de Jean (chapitre écrit par M. Jean Zumstein).
1. Le « Fils préexistant médiateur de la création » ?
Pour l’auteur, Jean aurait la thèse suivante : « le Fils préexistant, en unité avec le Père, est médiateur de la création ».
Plusieurs choses sont très discutables dans cette formulation ;
- D’une part, l’expression « médiateur de la création » est totalement absente des écrits de Jean et - de façon plus générale - de la totalité de la Bible ;
- Ensuite, si l’Évangile de Jean suggère bien une " existence " du Verbe avec le Père, tournée vers le Père : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu. » (Jn 1, 1) et une antériorité du Verbe (Jn 1, 1-2) ou de Jésus (Jn 8, 58, Jn 17, 5) par rapport « à la fondation du monde » (Jn 17, 24) pour autant la notion de « Fils préexistant » n’est pas pensable avant Origène au 3ème siècle (spoiler) ;
- Enfin, l’expression « médiateur de la création » est très ambiguë. Elle risque de déborder et donc brouiller la problématique théologique de Jean sur le Verbe, Fils unique engendré de Dieu :
o Le « médiateur de la création » pourrait être l’intermédiaire « fonctionnel » - comme un messager, un envoyé ou un prophète - entre Dieu et les hommes ou la création ; … et c’est une question du 2ème siècle - postérieure à Jean ;
o Le « médiateur de la création » pourrait être l’agent intermédiaire « opérationnel » de la création voulue et pensée par le Père – dans le même sens que Pr 8, 22 - c’est également une question du 2ème siècle - postérieure à Jean ;
o Dans les deux cas, LA question décisive sera celle de la place du Verbe entre Dieu et Sa création : est-il du coté de Dieu ou du côté de la création ? Mais il n’y a aucune réponse à cette question dans l’Évangile de Jean à la fin du 1er siècle.
L’auteur se permet d’éluder cette question décisive. C’est tout à fait son droit, bien que dans le Prologue de Jean la réponse soit claire : « et le Verbe était Dieu » (Jn 1, 1).
Cependant, si l'auteur veut – par souci de méthode - en rester au seul texte et à l’horizon théologique de l’Évangile de Jean, c’est entièrement son droit. Mais pour autant, il ne devrait pas se permettre :
- d’introduire des notions étrangères à Jean (« médiateur de la création ») ou des notions anachroniques (« Fils préexistant ») ; et
- de présenter comme identifiées et énoncées (préexistence du Verbe ou du Fils) des thèmes qui ne sont qu’ébauchés et « ouverts » dans l’Évangile de Jean.
En effet ces questions ouvertes par les affirmations de Jean ne vont être débattues qu’au 2ème siècle et 3ème siècle, La réflexion sur les Écritures va débattre de questions comme (spoiler) :
- Le Verbe est-il un « autre dieu » ?
- La Sagesse créatrice existe-t-elle depuis toujours en Dieu ou existe-t-elle seulement au moment où la création est décidée par Dieu ?
- Les personnes divines sont-elles fonctionnelles (modalisme) ?
- Le Fils peut-il exister depuis toujours s’il vient (est engendré) « après » le Père ?
Le choix de vocabulaire de l’auteur semble profondément discutable. D’une part il pourrait laisser croire que la notion de « Fils préexistant » dérive simplement et directement de l’Évangile de Jean. Or rien n’est plus faux. D’autre part, la réflexion sur la préexistence du Fils s’appuie certes sur le prologue de Jean qui induit « le paradoxe chrétien », voir : https://dialogueabraham.forum-pro.fr/t1245-histoire-du-dogme-de-l-engendrement-eternel-du-fils) mais pas seulement. Historiquement, le texte de l’Ancien Testament sur la Sagesse créatrice (Pr 8, 22-31) qui est le point d’appui de la réflexion des apologistes qui mènera à la conception de la préexistence du Fils un siècle et plus tard.
- Spoiler:
La position de l’auteur qui considère que le contenu de l’Évangile de Jean n’est qu’une « christologie de l’incarnation » est très réductrice. Cette vision du Christ johannique n’ayant qu’une fonction révélatrice et d’envoyé sera discutée dans un autre paragraphe (ci-dessous).« Le cadre herméneutique dans lequel le récit de la vie du Jésus terrestre doit être lu est donné dans le prologue (1, 1-18). La thèse fondamentale en est une christologie de l’incarnation. Qu’est-ce à dire ? Le mouvement constitutif qui sous-tend l’hymne au logos est celui de la venue de Dieu parmi les siens, de la consécration de Dieu pour les siens. Le logos, c’est-à-dire le Fils préexistant qui vit en unité avec le Père et qui est le médiateur de la création prend chair (1, 14). Il a un nom, Jésus de Nazareth, et une histoire, celle qui va être racontée dans l’évangile. Dans la personne du Christ, Dieu se fait proximité aimante et présence au sein de la création et de l’humanité. Jésus est la parole de Dieu faite chair. » (INT page 388)
Dans l’immédiat, c’est l’expression « médiateur de la création » qui sera discutée. Si on pose la question : l’expression « médiateur de la création » existe-t-elle dans la Bible ? La réponse est clairement : non, nulle part ! Pris séparément, le mot « médiateur » (μεσιτης) et le mot « création » (κτισεως) sont totalement absents des écrits de Jean, sauf dans un verset (Ap 3, 14) où il est question de « principe de la création de Dieu » (της κτισεως του θεου).
De fait, l’Évangile de Jean et la notion de « Fils préexistant » ont probablement un siècle et demi d’écart. Le point d’appui de cette réflexion au milieu du 2ème siècle est d’abord Pr 8, 22-31 et la notion de « préexistence du Fils » ne sera explicitable qu’avec Origène au 3ème siècle. L’évolution de la réflexion chrétienne est illustrée par quatre textes : le livre des Proverbes, Justin de Naplouse (mort en 155), Théophile d’Antioche (mort en 183-185) et Origène (mort en 256) :
Le livre des Proverbes (TOB)
Au début du 2ème siècle, il est acquis que le Verbe est venu dans l’histoire, que Jésus est le Verbe (Jean). Il est également clair que la Sagesse est créatrice (Pr 8, 22-31) et qu’elle existe – comme le Verbe – « dès avant la fondation du monde » (Jn 17, 24). Par contre ce qui n’est pas réglé c’est la question de savoir si cette Sagesse ou Verbe a « existé » uniquement pour l’œuvre de création ou si cette Sagesse ou Verbe a « existé » depuis toujours.« Le Seigneur m'a engendrée, prémice de son activité, prélude à ses œuvres anciennes. J'ai été sacrée depuis toujours, dès les origines, dès les premiers temps de la terre. Quand les abîmes n'étaient pas, j'ai été enfantée, quand n'étaient pas les sources profondes des eaux. Avant que n'aient surgi les montagnes, avant les collines, j'ai été enfantée, alors qu'Il n'avait pas encore fait la terre et les espaces ni l'ensemble des molécules du monde. Quand Il affermit les cieux, moi, j'étais là, quand Il grava un cercle face à l'abîme, quand Il condensa les masses nuageuses en haut et quand les sources de l'abîme montraient leur violence ; quand Il assigna son décret à la mer-et les eaux n'y contreviennent pas, quand Il traça les fondements de la terre. Je fus maître d'œuvre à son côté, objet de ses délices chaque jour, jouant en sa présence en tout temps, jouant dans son univers terrestre; et je trouve mes délices parmi les hommes. » (Pr 8, 22-31)
A cette époque la lecture de Pr 8, 22 fait pencher clairement pour la première hypothèse : la Sagesse ou le Verbe n’ont existé qu’en vue de l’œuvre de création. C’est ce qui peut aussi être compris dans l’Apocalypse : « Ainsi parle l'Amen, le Témoin fidèle et véritable, le Principe de la création de Dieu. » (Ap 3, 14) La règle de réflexion de l’époque est la méditation de la Bible. L’œuvre de création (Genèse) y apparaît implicitement « après que Dieu l’ait décidé ». On en déduit donc aussi que la Sagesse créatrice ou le Verbe créateur apparaissent à ce moment opportun, décidé par Dieu.
Justin de Naplouse : la préexistence de la Sagesse liée à la création
Théophile d’Antioche : Le Christ engendré quand Dieu décida de créer.« Comme principe (archè) avant toutes les créatures, Dieu engendra de lui-même une certaine puissance de Verbe (dynamin logikén) que l’Esprit saint appelle aussi la gloire du Seigneur, ou encore tantôt Fils, tantôt Sagesse, tantôt Ange, tantôt Dieu, tantôt Seigneur et Verbe … Elle peut recevoir tous ces noms parce qu’elle exécute la volonté du Père et qu’elle est née de la volonté qui provient du Père […]. Ainsi voyons-nous d’un premier feu naître un autre feu sans que soit diminué le feu auquel il a été allumé.
J’en aurai pour témoin le Verbe de la sagesse […] Il a dit par Salomon : « Le seigneur m’a établie principe de ses voies en vue de se œuvres … » (Pr 9, 22 ; Justin cite ici Pr 8, 21-36). (Dialogue avec Tryphon, 61, 1-3).
Comme le montre la fin du passage, Justin reporte ici sur le Christ envisagé comme Verbe tout ce qui est dit de la Sagesse en Proverbes 8, 21 -36. Il pose ainsi la question de la préexistence du verbe envisagé en liaison avec la création, à cause de Pr 8, 22 : « Il m’a créée commencement (archè) de ses voies, en vue de ses œuvres. » Ce verset devient dès ce moment le verset par excellence de la préexistence liée à la création. »
Histoire des dogmes. Le Dieu du Salut. B. SesBoüé et J. Wolinski. Desclée. P. 154. ISBN : 2-7189-0625-1)
Dans le cadre de la théologie du Verbe chez les apologistes (2ème siècle), il n’y a pas grande difficulté - à partir de la Bible - à penser la préexistence de la Sagesse et du Verbe en Dieu « depuis toujours ».« Le Verbe existe toujours immanent (ediathétos) dans le cœur de Dieu. Avant que rien ne fût, [celui-ci] tenait conseil avec lui qui est son Intelligence et sa Sagesse ; Et quand Dieu décida de faire tout ce qu’il avait délibéré, il engendra ce Verbe au dehors (prophorikon), « premier-né de toute créature » (Col &, 15), sans être privé lui-même du Verbe, mais après avoir engendré le Verbe s’entretenant en toutes choses avec son Verbe ». (A Autolycus, II, 22).
Il en est autrement pour la préexistence du Fils, car le fils dans la logique humaine vient toujours après le père, le fils dépend du père. Tant que ce type de représentation prévaut, il est impossible de penser la « préexistence du fils », car elle implique évidemment un di-théisme : le Fils étant différent et postérieur au Père, dit autrement : la génération du Fils signifiant un « changement » en Dieu. Devant cette impossibilité théologique, le penseur chrétien qui est fondamentalement monothéiste reste sur la position des apologistes : la « préexistence » de la Sagesse ou du Verbe.
Origène va enfin comprendre qu’avoir son origine dans le Père ne signifie pas que le Fils a un commencement. Origine et commencement sont deux notions différentes et indépendantes. La question de la « génération éternelle du Fils » deviendra pensable et par conséquent la « préexistence du Fils » pourra être pensée en Dieu - et sans relation avec la création. C’est à ce moment que la réflexion sur les « économies » cède le pas à la théologie conceptuelle nourrie de philosophie au début du 3ème siècle.
Origène : Dieu est Père de Son Fils unique sans commencement, ni fin« Ou l’on dira que Dieu n’a pas pu engendrer cette Sagesse avant qu’il ne l’ait engendrée, de sorte qu’il a mis au monde ensuite ce qui n’existait pas auparavant, ou bien qu’il pouvait, certes l’engendrer, mais – supposition que l’on ne doit pas faire, - qu’il ne le voulait pas. L’une et l’autre hypothèses sont absurdes et impies, cela est clair, qu’on imagine que Dieu ait progressé de l’impuissance à la puissance ou que, pouvant le faire, il ait négligé ou différé d’engendrer la Sagesse. C’est pourquoi nous savons que Dieu est toujours Père de son fils unique, né de lui, tenant de lui ce qu’il est, sans aucun commencement cependant. » (Traité des principes, I, 2, 2).
2. Le Christ est « véritablement Dieu dans la mesure où il est Son envoyé » ?
Pour l’auteur, le récit johannique est un récit christologique, donc centré sur la personne du Christ. « Le Christ johannique est fondamentalement présenté comme le Révélateur de Dieu dans le monde. » Cette fonction révélatrice serait développée d’une double façon : une « christologie de l’incarnation » et une « christologie de l’envoyé ».
En clair, la conception de Jean serait la suivante : le Verbe, uni au Père, s’est incarné pour être Son envoyé. Mais l’auteur, corrige substantiellement cette vision, somme toute assez neutre, voire classique lorsqu’il ajoute : « le Christ est véritablement Dieu dans la mesure où il est Son envoyé ». Cette « divinité » serait donc liée à l’exercice de la fonction révélatrice du Christ. Une divinité « fonctionnelle », en quelque sorte, et non « de nature », une « divinité » sous condition ou transitoire … nous aurons l'explication de cette bizarrerie un peu plus bas.
Cette réduction du Christ à une seule fonction : la fonction révélatrice est une lecture sélective du texte de Jean. L’auteur a une position réductrice et partiale. On peut facilement trouver, au moins, trois autres « fonctions » dans le court texte de prologue de Jean :
1.- La fonction créatrice : « Tout fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui. » (Jn 1, 3) ;
2.- La fonction " d’apporter ce que Moïse n'a pas apporté ", que nous appellerons fonction d'accomplissement : « Si la Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ. » (Jn 1, 17) L’auteur suggère que « Le Christ réalise ensuite sa fonction de révélateur par ses discours » (INT page 390), mais rien ne permet d’écarter l’autre thèse que « le Christ est révélateur par la réalisation de sa personne ou de son être-même » ;
3.- La fonction de " donner au croyant le pouvoir de devenir enfant de Dieu ", que nous appellerons fonction de restauration et d'empowerment (pour éviter : " fonction salvatrice " qui est souvent mal compris) : « Il est venu dans son propre bien et les siens ne l'ont pas accueilli. Mais à ceux qui l'ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. » (Jn 1, 11-12).
Ce n’est pas parce que Jésus « ne prononce pas ses propres paroles », mais celles du Père, « n’effectue pas ses propres œuvres », mais celles du Père ou « ne fait pas sa volonté », mais celle du Père qu’il n’est " rien " pour les hommes. Qui est-il d’après Jean ? Le prologue suggère une réponse sur la position du Verbe par rapport à Dieu et qui est le Verbe pour Dieu : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu. » (Jn 1, 1).
- Spoiler:
J'ai été tenté de dire que Jean donne, dans ce verset, la définition ontologique du Verbe. Si on regarde de près le vocabulaire et la manière dont se construit le sens dans l'Evangile de Jean, on voit immédiatement que le fonctionnement par rapprochement de mots, de phrases et d'images, par glissement des représentations, par développement polysémique en parallèle - complémentaire ou non - ne fonctionne pas du tout comme la philosophie conceptuelle et même pas du tout comme la théologie pétrie de philosophie sur Dieu " en soi ". Il faut donc établir les correspondances entre la compréhension de la Bible et le langage philosophique avec la plus grande prudence - et parfois avec des restrictions mentales quand on est conscient de ne pas avoir totalement " repris " le contenu de sens de la Bible par l'exposé linéaire, logique de la philosophie conceptuelle.
Donc, dire que le verset Jn 1, 1 donne la définition de l'être (ontologique) du Verbe n'est pas totalement faux, mais est certainement réducteur ... et anachronique. J'ai essayé de faire un petit développement sur la spécificité du vocabulaire johannique (probablement judéo-chrétien) sur : https://dialogueabraham.forum-pro.fr/t170p15-la-theologie-de-la-trinite-selon-levangeliste-jean-en-cinq-clics#5587 .
Comme dit plus haut, le Prologue de Jean ne permet pas de répondre à la question de savoir, si cette divinité est « fonctionnelle » ou « de nature ». Ce type de problématique, totalement absente au premier siècle, renvoie aux siècles suivants.
- Spoiler:
- « La quatrième évangile précise, dans les discours d’adieu (chapitre 14-16), le lieu théologique à partir duquel l’histoire du Christ est racontée. Cet acte d’anamnèse est entrepris à partir de la foi pascale (2,17.22;12, 16;13, 7 ; 20, 9) et l’agent de ce travail est le Paraclet (=l’Esprit saint). Seul le Paraclet (14, 15-17.26; 15, 26; 16,7-11.13.15), en effet est le témoin fidèle de l’herméneute qualifié de la vie et de l’œuvre du Christ johannique. Seule le rétrospective pascale agie par l’Esprit, permet de découvrir le sens achevé de l’incarnation, du ministère terrestre, de la Passion et de l’élévation du Fils. L’évangile est donc pas excellence un témoignage rendu au Christ incarné, dans la force de l’Esprit, lequel à la fois conserve le souvenir du Christ terrestre et en dit l’actualité pour l’aujourd’hui de la foi.
Cette description de l’activité du Paraclet laisse d’emblée présager que le récit johannique est fondamentalement un récit christologique : c’est la personne du Christ, son histoire et sa signification qui sont l’objet central de l’évangile. Quelle est alors la conception christologique défendue par Jean ? Le Christ johannique est fondamentalement présenté comme le Révélateur de Dieu dans le monde. Cette fonction révélatrice est développée d’une double façon :
- La christologie de l’incarnation […]
- La christologie de l’envoyé […]. » (INT page 388)
« Il ne veut rien être d’autre que la voix et la main de Dieu parmi les hommes. Dans la logique johannique, le Christ est véritablement Dieu dans la mesure où il est son envoyé – à la fois pleinement un avec Lui et portant différent de Lui. Cette affirmation est d’une importance décisive, car personne n’a jamais vu Dieu (1,18). » (INT page 389)
On notera que la référence au Paraclet ne contient probablement aucune réalité dans l'esprit de l'auteur. Ce sera juste une façon pour Jean de se parer d'une autorité incontestable. Bien logiquement SI l'homme Jésus a été érigé au rang de Dieu en montant sur les autels après sa mort - comme en sont convaincus les partisans de Bultmann - on ne voit pas l'utilité d'un rajout comme le Paraclet (ou l'Ascension). En effet, la fin de l'histoire de Jésus à la croix et au tombeau est tout à fait suffisante pour construire la supercherie du " culte de la personnalité " et de la divinisation de Jésus.
3. Ne pas prendre les notions de préexistence et d’incarnation à la lettre ?
Lorsque l’auteur ajoute que les deux notions de préexistence et d’incarnation « ne doivent pas être interprétées de façon objectivante, mais elles qualifient Jésus comme le révélateur du Père » on a un peu du mal à suivre, cela paraît obscur ... (spoiler)…
L’auteur semble vouloir dire que c’est - essentiellement - la fonction révélatrice du Christ johannique qui est à retenir et que pour le reste, les notions de préexistence et d’incarnation sont des « figures de style » et ne sont donc pas des réalités. Nous émettons une hypothèse sur la position philosophique de l’auteur : la « fonction révélatrice » serait un absolu philosophique - c'est à dire la réalité fondatrice et ultime, la seule réalité qui vaille, donc, supplantant toute autre idée : de « préexistence », « d'incarnation » ou même de « divinité ». Il est naturellement tout à fait impossible de démontrer que c’est l’idée implicite de Jean, mais il est clair, par contre, que l’auteur, lui, en est convaincu.
L’auteur présente la mission du Christ johannique en deux activités : des miracles « qui renvoient au Dieu créateur et donateur de vie en abondance » et à des discours, puis par la croix il fait « son retour » vers le Père.
Cette présentation est, de nouveau, très sélective et partiale. On ne voit pas pourquoi l’auteur qui est sensé présenter le Christ selon Jean passe sous silence d’autres aspects de la mission et de l’œuvre du Messie bien identifiables dans l’Évangile de Jean. L’auteur omet certainement des aspects importants du Christ comme :
- L’œuvre du Messie « pain descendu du ciel » pour se donner en vraie nourriture ;
- L’accomplissement du Messie, c’est-à-dire : une œuvre unique, singulière en sa propre personne qui apporte au monde, aux hommes ce qu’aucun autre n’a jamais apporté.
Du fait du parti pris de l’auteur, sa présentation du Christ johannique est très partielle et redoutablement faussée.
L’auteur dit que le Christ johannique a fondamentalement une fonction révélatrice. Mais le problème est que l'auteur ne voit que cela, il ne dit rien d’autre. Ceci fait que le Christ johannique, vu pas l’auteur, est en quelque sorte « unidimensionnel » : il est révélateur, messager ou envoyé du Père (quelque soit la dénomination) et rien de plus. Cette construction intellectuelle du Christ johannique autour de la seule idée de « l’envoi » n’est évidemment qu’une vision universitaire et même une " idéologie " au sens où elle masque la complexité et les contradictions éventuelles du Christ de Jean.
Pour finir, disons que traiter du « contenu » ou de la « visée théologique » de l’Évangile de Jean sans aucun développement sur deux expressions spécifiques de Jean comme « μονογενους » et « εγω ειμι » semble également très partial. Une belle preuve de culot.
- Spoiler:
L’auteur soutient donc que Jésus est un envoyé. C’est tout à fait dans la ligne de ce qu’il a déjà dit plus haut : Le Christ johannique est fondamentalement le Révélateur de Dieu dans le monde ou a fondamentalement une fonction révélatrice ou le Christ est véritablement Dieu dans la mesure où il est Son envoyé.« Le parcours de l’envoyé. Comment s’effectue alors concrètement l’envoi du Fils dont on vient de souligner la signification ultime ? On peut distinguer trois moments dans le parcours de l’envoyé :
La première étape de l’envoi comprend la préexistence et l’incarnation. Ces deux notions ne doivent pas être interprétées de façon objectivante, mais elles qualifient Jésus comme le révélateur du Père. Sa véritable origine se situe auprès de Dieu.
Le deuxième moment est celui de l’accomplissement de la mission. Le Christ johannique effectue d’abord sa mission en accomplissant des miracles. Pour Jn, les miracles sont des signes (σημεία), c’est-à-dire des actes qui renvoient au-delà d’eux-mêmes, à la réalité décisive que Jésus dévoile : un Dieu créateur et donateur de la vie en abondance. Le Christ johannique réalise ensuite sa fonction de révélateur par ses discours. A la différence des synoptiques, le contenu de ses discours est strictement christologique (cf. les parole en « Je suis »). […]
Le troisième moment dans le parcours de l’envoyé est le retour. Ce retour s’effectue sur la croix, qui dans le quatrième évangile est interprété comme le lieu de l’élévation et de la glorification. » (INT page 389-390)
Lorsqu’il ajoute à cela que les deux notions de préexistence et d’incarnation « ne doivent pas être interprétées de façon objectivante, mais elles qualifient Jésus comme révélateur du Père », que faut-il comprendre ? Au premier abord, cette formule nous a paru obscure, nous devons l'avouer. Mais en faisant un effort de relecture et d'interprétation (!), nous croyons comprendre ceci :
- L’auteur veut dire que c’est la fonction révélatrice du Jésus johannique qui est la dimension fondamentale ;
- Dire que la préexistence et l’incarnation « qualifient Jésus comme révélateur du Père » veut dire que ce ne sont que des « figures de style » pour désigner, spécifier cette fonction révélatrice.
Il sera naturellement impossible de démontrer que la pensée implicite de Jean est celle que prétend l'auteur, mais il est clair que l'auteur en est convaincu en son nom personnel. L’auteur veut signifie – à peu près - que la « fonction révélatrice » ou la « prise de conscience » ou la « maïeutique » est l’absolu et que tout le reste est accessoire. Si le Christ johannique n'est véritablement Dieu que par sa fonction révélatrice, cela signifie que pour l'auteur le vrai Dieu, centre et base de tout, c'est bien cette fonction révélatrice. Cet absolu de l'auteur se substitue logiquement à Dieu.
Deux remarques.
- En premier lieu : l’auteur a lui-même introduit ces notions alors qu’elles n’appartiennent pas au vocabulaire johannique comme nous l’avons dit plus haut. Maintenant il les retire comme « accessoires »! Mais quel est l’objectif de ce « tour de passe-passe » ? Quel est l’effet de cette « opération blanche » sinon de permettre un simulacre de réflexion ?
- En second lieu : si les notions de « préexistence » et « d’incarnation » ne sont donc pas des réalités objectives, il en va de même de cette « divinité fonctionnelle » conditionnée par l’exercice de la fonction révélatrice du Christ johannique. Tout cela semble assez " linéaire et épuré " au niveau des idées, mais beaucoup plus lourd au niveau de la formulation : contournée et bien complexe pour dire une chose simple que cette histoire de préexistence, d’incarnation ou de divinité de Jésus, l'auteur n’en voit pas l’utilité et n’y croit pas du tout. C’est son droit le plus strict, mais ne s'agit là que de la conviction de l'auteur - non celle de Jean.
L’auteur présente également « un parcours de l’envoyé » en trois temps : l’envoi, la mission et le retour. C’est encore une manière d’habiller la conviction de l’auteur que le Christ johannique est fondamentalement un envoyé, un révélateur du Père. La présentation par l’auteur de ce Christ johannique passe par deux activités : des miracles : « qui renvoient au Dieu créateur et donateur de vie en abondance » et des paroles : « Le Christ johannique réalise ensuite sa fonction de révélateur par ses discours. »
Les omissions de l’auteur :
Cette présentation d’un Christ comme « messager » qui ne réalise sa mission que dans la transmission d’un message omet l’œuvre principale du Messie qui est de se donner Lui-même. Cette œuvre du Messie est d’être « pain descendu du ciel » (Jn 6, 41), est de se donner Lui-même en nourriture et boisson aux hommes : « Il faut vous mettre à œuvre pour obtenir non pas cette nourriture périssable, mais la nourriture qui demeure en vie éternelle, celle que le Fils de l'homme vous donnera, car c'est lui que le Père, qui est Dieu, a marqué de son sceau. » (Jn 6, 27), et « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez pas la chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n'aurez pas en vous la vie. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour. Car ma chair est vraie nourriture et mon sang vraie boisson » (Jn 6, 55) On retrouve le thème du don, dans l'entretien avec la Samaritaine où Jésus se présente comme Messie : " Jésus lui répondit: " Si tu connaissais le don de Dieu et qui est celui qui te dit: " Donne-moi à boire ", c'est toi qui aurais demandé et il t'aurait donné de l'eau vive. " (Jn 4,10), don qui est encore souligné par Jean : " Voyez de quel grand amour le Père nous a fait don, que nous soyons appelés enfants de Dieu ; et nous le sommes! Voilà pourquoi le monde ne peut pas nous connaître: il n'a pas découvert Dieu. " (1 Jn 3, 1)
Cette présentation omet que Jésus a réalisé un accomplissement, c’est-à-dire : une œuvre unique, singulière en sa propre personne qu’aucun autre homme ne peut donner au monde. Tel est pourtant le sens de la dernière phrase de Jésus : « Dès qu'il eut pris le vinaigre, Jésus dit : « Tout est achevé » et, inclinant la tête, il remit l'esprit. » (Jn 19, 30). La croix - contrairement à l’interprétation de l’auteur - n’est pas platement que le « retour » vers le Père. L’instant de la mort de Jésus est le point culminant et nécessaire de sa vie d’homme (de son accomplissement) où se fait l’offrande de Son amour et de Sa vie, conforme à la surabondance d’amour du Père et qui permet au Messie de devenir réellement en Lui-même, par Lui-même vraie nourriture et vraie boisson descendus du ciel.
Nous pensons avoir repéré chez cet auteur, un de ces délicieux glissements de sens dont l'INT a le secret. Lorsque l'auteur dit : " A la différence des synoptiques, le contenu de ses discours est strictement christologique (cf. les paroles en " Je Suis ") En tant qu'envoyé du Père Jésus répond aux besoins les plus fondamentaux qui se manifestent dans toute existence humaine : il les comble." ... il est bien probable que " christologie " signifie seulement une parole sur l'homme Jésus Christ - sans aucun rapport avec la " théologie " qui serait une parole sur Dieu, voire sur la Trinité. La référence à la formule " Je suis " (ego eimi) serait un manière de dire que Jésus ne parlerait que de lui-même au sens limité de l'homme Jésus " sans rapport avec la théologie ou Sa divinité " ... Une façon en quelque sorte astucieuse de banaliser les occurrences de " ego eimi " et d'en disqualifier le contenu théologique ...
4. Don du Fils et don de la vie seraient « un seul et même événement » ?
L’auteur conclut finalement : « Don du Fils et don de la vie sont un seul et même événement : ils constituent le contenu de l’évangile qui appelle à la foi. »
C’est un peu la cerise sur le gâteau ! Reprenons la thèse de l’auteur : 1. un Christ johannique dont la divinité dépend de sa fonction d’envoyé, 2. dont la préexistence et l’incarnation ne sont que des figures de style … et 3. qui finalement délivre le message suivant : « le don du fils et le don de la vie c’est la même chose » … un message insignifiant !
C’est un peu comme de dire : « le Fils est venu célébrer la bonté de Dieu, la vie, les fleurs, l’amour … quoi d’autre dans les Évangiles ? ». Selon l'accentuation, c'est soit un message déjà contenu dans l'Ancien Testament (Jésus ne sert à rien), soit même le paganisme le plus courant.
Il semble qu’on soit dans la dilution complète du message évangélique. Un message où le Messie ne tient finalement aucune place. Cette vision à la fois intellectualisante et inconsistante concorde très bien avec la mise en doute radicale que l’Évangile ait contenu une quelconque parole propre de Jésus. C'est le postulat bultmannien qui, par un juste retour des choses, mène à ne saisir moins que des bribes, qu'une ombre ou qu'une illusion de Jésus, mais jamais rien de " vrai " à son sujet - si tant est que la Formgeschichte ait la capacité de distinguer le vrai du faux. L’excès d’intellectualisme - comme un soufflé raté - retombe dans une naïveté sans fond et l’image « new âge » de Jésus retombe avec ce soufflé raté !
C’est ce genre de vision du Christ qui rend la lecture de l’INT si insipide et ennuyeuse, par moments !
- Spoiler:
- « La confession de l’envoyé du Père dans la personne de l’homme Jésus donne accès à la vie éternelle, c’est-à-dire à la vie telle que Dieu l’offre en plénitude. Don du Fils et don de la vie sont un seul et même événement : ils constituent le contenu de l’évangile qui appelle à la foi. » (INT page 390).
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Re: La Parole de Jésus-Christ à la sauce Marguerat
LES TENTATIVES DE MODELISATION DU PROCESSUS SYNOPTIQUE
Les trois premiers évangiles sont « synoptiques », c’est-à-dire qu’ils peuvent être « regardés ensemble ». Ces évangiles se ressemblent donc. Le trait de ressemblance le plus apparent est l’enchainement presque identique des péricopes, l'ordre de Marc est suivi par Luc plus fidèlement que par Matthieu.
Il existe des « dépendances littéraires » entre ces trois textes, c’est-à-dire que non seulement l’ordonnancement des péricopes est semblable, mais encore un nombre significatif de versets sont identiques au mot près entre ces synoptiques. Désormais se pose donc la question de savoir comment ont été élaborés ces évangiles compte tenu des emprunts qu’ils se font les uns aux autres. C’est le « problème synoptique ».
Depuis Reimarus, au 18ème siècle, de multiples tentatives d’explication – donc de modèles - ont été proposées pour tenter d’expliquer ce processus d’élaboration des synoptiques. C’est alors qu’est apparue la notion de « source » pour désigner les textes antérieurs qui auront servi de base au travail d’élaboration des évangélistes.
L’analyse moderne du problème synoptique en arrive à quelques conclusions principales :
1. Aucun modèle simple ne peut rendre compte de la complexité des rapports entre les évangiles. On suppose actuellement que les états finaux des évangiles ont été précédés par des étapes rédactionnelles intermédiaires ce qui remet immédiatement en cause le modèle des deux sources ;
2. Les étapes initiales de la constitution des documents écrits nous échappent en grande part, faute de documentation. On est donc dans une sorte d’impasse pratique puisque l’intégration dans le modèle de sources inaccessibles rend ce modèle inutilisable par les exégètes.
3. Le processus d’élaboration des évangiles s’est étalé dans le temps et a comporté plusieurs étapes de relectures et d’harmonisation entre les documents – on ne peut exclure qu’à chacune de ces étapes le recours ou l’accès aux sources ait pu varier (sans même parler ici de la question des relations entre tradition orale et l’écrit).
De fait, en ce début du XXIème siècle, les tentatives de modélisation du processus synoptique sont parvenues à une impasse. L’impasse est d’abord pratique parce que toute complexification du modèle rend ce modèle inutilisable en exégèse. Marguerat, lui-même a été amené à proposer un nouveau modèle (INT page 47), mais il ajoute : « Dans cette perspective, les sources littéraires à disposition des auteurs des évangiles de Mt et Lc nous seraient définitivement inaccessibles, puisqu’ils auraient eu accès à Mc au travers d’un « deutéro-Mc » et à Q au travers de deux versions spécifiques (QMt et QLc). »
En clair : personne ne connaît ni ce « deutéro-Mc », ni QMt, ni QLc et, par conséquent personne de peut connaître « Q » d’où proviennent QMt et QLc … Sans changement de perspective les exégètes n’ont plus rien à dire sur ce sujet !
L’impasse est aussi théorique, parce que la plupart des exégètes restent attachés au modèle des deux sources – refusant de le modifier bien que l’analyse moderne des textes synoptiques démontre que ce modèle simpliste devrait être modifié. Le modèle des deux sources n’explique pas en effet : 1. Les « accords mineurs » ; 2. Les deux versions de Q ; 3. Les reprises de Marc par Luc moins nombreuses que par Matthieu et 4. Les « leçons confluentes » de Marc (voir le texte).
L’analyse moderne de la Source Q plaide pour la cohérence notamment théologique de cette source. Mais plusieurs incertitudes persistent à son sujet. Citons trois des principaux points encore débattus concernant cette source Q : la fonction d’usage courant de cette source (vadémécum du prédicateur, catéchisme aux païens, ... etc.), la stratification littéraire de cette source et surtout la communauté se servant de cette source. Si dans un sens - la Formgeschichte suppose que toute situation de vie (Sitz im Leben) produit ses propres textes, l'inverse dans l'autre sens n'est pas nécessairement vrai. Ce n'est pas parce qu'on pense avoir trouvé un texte qu'on peut nécessairement trouver une communauté spécifique qui lui corresponde.
Pierre Perrier - s’affranchissant du modèle des deux sources - propose une interprétation alternative : la source Q ne serait pas une source complétant Matthieu et Luc vers 80 ou plus tard, mais serait l’indice d’un travail d’harmonisation des textes (araméen et grec) de Luc lors de l’année sabbatique 53/54 sur la catéchèse-liturgie araméenne de l’Eglise Mère laissée par Matthieu en 37 à Jérusalem, avant son départ pour Antioche.
La tradition orale est ou peut être une source à part entière. Pour Marguerat, les micro-unités sont identifiées à la tradition orale, c’est-à-dire que les logions ou péricopes seraient des produits par la tradition orale directement traduits en grec. En fait le postulat des micro-unités littéraire indépendantes, postulat fondamental de la Formgeschichte, sert à la fois de présupposé de base et de réponse à la question de la tradition orale. On est typiquement dans un raisonnement circulaire, c'est à dire qui ne s'appuie que sur les présupposés initiaux.
L’ouvrage de Marguerat confond ce qu'on entend par « tradition orale » - par exemple selon la méthode rabbinique du premier siècle (INT page 37) – avec la « communication orale », c’est-à-dire la transmission déstructurée du « bouche à oreille », voire de la rumeur. L’ouvrage n’a, en fait, aucune conception consistante sur la tradition orale et n'a aucune idée sur « comment pratiquement ou réellement » s'est fait ce passage de l’oral à l’écrit. Finalement, la tradition orale ne joue aucun rôle dans la modélisation du processus synoptique, car la plupart des auteurs - et pas seulement Marguerat - n’en ont qu'une vision anecdotique et confuse
Par conséquent ce que l’ouvrage de Marguerat nomme « histoire » des textes évangélique n’est que l’analyse de la « stratification » ou des « médiations littéraires », c’est-à-dire de la « généalogie littéraire » du texte grec. Cette « histoire » ne commencerait qu’avec la mise par écrit des micro-unités. L’oralité telle qu’elle a pu fonctionner dans la catéchèse ou dans la liturgie - en tant que telle - est totalement méconnue et ne joue aucun rôle. Malgré l’ambition affichée de Marguerat et de la Formgeschichte de dévoiler l’histoire – voire la préhistoire des textes – l’ouvrage, de ce point de vue spécifique, reste enfermé dans la seule logique de l’écrit grec. L'ouvrage qui revendique son approche historico-critique, n’est pas dans l’histoire. Il ne décolle pas du registre littéraire..
Pour les écrits marqué par une structuration orale (les « colliers ») comme les évangiles en araméen du second siècle, il existe une autre méthode d’identification des étapes de composition du « texte oral » . Une fois repérés des « colliers » de récitation par un travail foncièrement « synoptique » car comparatif sur les quatre évangiles, on peut classer les colliers par ordre chronologique de superposition : les colliers imbriqués les derniers cassant les colliers dans lesquels ils s'insèrent, et les colliers des différents synoptiques attestant des colliers dans des états plus ou moins développés. Puisque les méthodes menant à la source Q ou à ce « récitatif » ou Karozoutha source sont des hypothèses, il est légitime de les comparer du point de vue de leur produit final : d’un côté la Source Q et la Karozoutha source ou K0. La cohérence théologique est nettement en faveur de K0, par contre la teneur théologique de Q est plus incertaine.
1. Le fait synoptique
Le terme synoptique appliqué aux évangiles de Matthieu, Marc et Luc signifie que ces évangiles peuvent être « regardés ensemble ». Il semble que ce soit une configuration littéraire unique.
Cependant ce terme n’explique pas grand choses par lui-même. Il est facile de reconnaître que l’enchaînement des péricopes est très voisin dans ces trois évangiles - Luc suivant plus fidèlement Marc que Matthieu. Mais si certains versets sont identiques au mot près, on ne peut cependant pas prétendre que ces textes, dans leur ensemble, soient identiques, ils sont juste similaires ou « homologues ».
Du point de vue qui nous occupe qui est l’étude des parentés littéraires entre les évangiles, ce terme de « synoptique » masque quelque peu la complexité du problème. Au fil de l’analyse on va s’apercevoir que cette « ressemblance » entre ces synoptiques qui évoquent une « source commune » ne provient pas pour autant d’une « source unique », avec l’exemple de la Source Q. Inversement, cela ne signifie pas, non plus, que des sources « différentes » ne pourraient produire des récits ou des enseignements « similaires ». Et c’est à ce titre que ces textes sont « synoptiques ».
2. Le problème synoptique
Le problème synoptique nait de la volonté d’expliquer la dépendance littéraire, telle qu’elle est comprise à partir du 18ème siècle. Cette dépendance littéraire est déduite des multiples identités entre les synoptiques : au niveau de l’enchainement des péricopes ou au niveau des versets – souvent au mot près. D’après Kloppenborg, c’est à partir de Reimarus (publié en 1778) que se « déchaina un flot de tentatives pour résoudre le « problème synoptique » (1, page 228). Autrement dit les tentatives de modélisation du processus synoptique commencent à cette date. Dès lors on va utiliser la notion de « source » pour désigner les textes antérieurs qui auront servi de base de travail à l’élaboration des évangélistes.
Il existe un ample jeu de modèles hypothétiques :
o
Seules les hypothèses « généalogiques avec source extra-évangélique » sont actuellement retenues.
A l’heure actuelle, le modèle des deux sources initié par Weisse (1838) est le plus largement adopté par les exégètes. Il faut reconnaître à ce modèle un mérite : il a permis à la communauté scientifique de penser ce problème synoptique depuis plus d’un siècle. On comprend que les exégètes y soient attachés. Si on voit « la bouteille à moitié pleine » ce modèle peut être qualifié de « simple et efficace » (2).
3. Ce que le modèle des deux sources n’explique pas
Plusieurs choses sont ici, en cause (2) :
1. Les accords mineurs ;
2. Les deux versions de Q ;
3. Les « omissions » de Luc ; et
4. Les leçons confluentes de Marc.
1. Les accords mineurs : il s’agit de 700 accords entre Mt et Luc qui sont absents de Marc. Le postulat de l’absence de tout contact entre Mt et Lc posé par le modèle des deux sources doit être assoupli. On imagine alors soit un évangile primitif en amont de Mc, soit la lecture de Mt, sont une médiation par un texte intermédiaire comme un proto-Mt, un proto-Lc ou un deutéro-Mc et un proto-Mc (INT page 47).
2. Les deux versions de Q : la lecture du texte de Q comparée dans Luc et dans Matthieu montre parfois une identité complète – au mot près – sur plusieurs versets et parfois des récits « similaires » du point de vue du récit ou du seul point de vue de la parénèse, mais avec un vocabulaire nettement différent – ce qui témoigne de l’existence de deux versions dans cette source Q.
3. Les « omissions » de Luc : la question est de savoir pourquoi Luc a abandonné tant de textes de Mc alors que Matthieu les a conservés. L’explication habituelle qui est que Luc aurait disposé d’une tradition propre plus abondante, mais cette « réponse » ne répond pas entièrement à la question ;
4. Les leçons confluentes sont les cas où Marc combine le texte de Mattieu et de Luc. Ce fait pose évidemment soit la question d’une commune à Mc, Mt et Lc différente de Q (!), soit d’un texte rédigé en deux temps : un premier temps d’élaboration de Mc, puis second temps d’harmonisation sur les textes de Mt et Lc. Ceci suppose aussi que les rédactions intermédiaires – ou finales - sont pratiquement simultanées.
Ce bref aperçu mène à trois conclusions, au moins (2) :
1. Aucun modèle simple ne peut rendre compte de la complexité des rapports entre les évangiles. On suppose actuellement que les états finaux des évangiles ont été précédés par des étapes rédactionnelles intermédiaires ce qui remet immédiatement en cause le modèle des deux sources ;
2. Les étapes initiales de la constitution des documents écrits nous échappent en grande part, faute de documentation. On est donc dans une sorte d’impasse théorique puisque l’intégration de sources inaccessibles dans le modèle rend ce modèle inutilisable par les exégètes.
3. Le processus d’élaboration des évangiles s’est étalé dans le temps et a comporté plusieurs étapes de relectures et d’harmonisation entre les documents – on ne peut exclure qu’à chacun de ces étapes le recours ou l’accès aux sources ait pu varier (sans même parler ici de la question des relations oral/écrit).
La fréquence statistique de ces observations – qui contredisent le modèle des deux sources – va conduire Marguerat à proposer un nouveau modèle. Cependant Marguerat conserve une position ambiguë : d’une part il dit que c’est ce modèle des deux sources est celui « qui a la plausibilité le plus forte » (INT page 46), mais en même temps, il propose cet autre modèle (INT page 47). La modélisation devient un peu floue : historiquement on a donc trois « modèles des deux sources » : le modèle simple de Weisse (1838), le modèle complet : avec la source Q (XIXème siècle) et le modèle complexe proposé par Marguerat.
Marguerat ajoute – sans doute à regret - que si tel est le modèle, « les sources littéraires nous seraient définitivement inaccessibles ». Pourquoi « inaccessibles » ? Parce que modèle de Marguerat intercale entre les évangiles finaux ou la source Q trois textes intermédiaires hypothétiques : deutéro-Mc, QMt et QLc - inconnus à l’heure actuelle. En clair, personne ne connaît ni ce « deutéro-Mc », ni QMt, ni QLc, ni - par conséquence - « Q » d’où proviennent QMt et QLc !
Il devient clair que tout ajout raisonné au modèle des deux sources rend ce nouveau modèle trop complexe et donc inutilisable en exégèse !
Les incertitudes sur la rigueur d’analyse conduisant à l’adoption du modèle des deux sources fait que certains auteurs modernes considèrent ce modèle – à l’égal des modèles les plus anciens – comme « simpliste ». C’est bien le cas de Rolland (3). Un autre auteur dit même, sans grand ménagement, que le choix de Marguerat et de la majorité des exégètes serait « une solution de facilité » (4) :
Un article de Rolland (3) montre bien – sur deux pages - la complexité des relations entre les évangiles. Cet article de Rolland donne six exemples de versets homologues (Mt // Mc // Lc) qui présentent des indices d’une activité rédactionnelle ayant deux caractéristiques apparemment contradictoires :
- Des accords entre Mt et Lc contre le texte de Mc
- … et dans ce même verset …
- un texte de Mc intégrant des formulations de Mt et Lc, parfois même cumulant les deux formulations, celle de Mt et celle de Lc (phénomène dit de « dualité »).
Cet article de Rolland montre bien que cette complexité est apparente par la méthode d’analyse comparative au mot à mot entre versets homologues. Lorsque l’analyse est faite par la méthode plus globale de plus grands ensembles de « matériau littéraire » commun ou non entre les évangélistes, cette complexité n’est plus apparente. Or c’est de cette seconde méthode d’analyse qu’est déduit le modèle des deux sources. Par conséquent cette modélisation ne peut être qu’approximative.
Le modèle Boismard (1972) comporte sept sources (spoiler)
Les trois premiers évangiles sont « synoptiques », c’est-à-dire qu’ils peuvent être « regardés ensemble ». Ces évangiles se ressemblent donc. Le trait de ressemblance le plus apparent est l’enchainement presque identique des péricopes, l'ordre de Marc est suivi par Luc plus fidèlement que par Matthieu.
Il existe des « dépendances littéraires » entre ces trois textes, c’est-à-dire que non seulement l’ordonnancement des péricopes est semblable, mais encore un nombre significatif de versets sont identiques au mot près entre ces synoptiques. Désormais se pose donc la question de savoir comment ont été élaborés ces évangiles compte tenu des emprunts qu’ils se font les uns aux autres. C’est le « problème synoptique ».
Depuis Reimarus, au 18ème siècle, de multiples tentatives d’explication – donc de modèles - ont été proposées pour tenter d’expliquer ce processus d’élaboration des synoptiques. C’est alors qu’est apparue la notion de « source » pour désigner les textes antérieurs qui auront servi de base au travail d’élaboration des évangélistes.
L’analyse moderne du problème synoptique en arrive à quelques conclusions principales :
1. Aucun modèle simple ne peut rendre compte de la complexité des rapports entre les évangiles. On suppose actuellement que les états finaux des évangiles ont été précédés par des étapes rédactionnelles intermédiaires ce qui remet immédiatement en cause le modèle des deux sources ;
2. Les étapes initiales de la constitution des documents écrits nous échappent en grande part, faute de documentation. On est donc dans une sorte d’impasse pratique puisque l’intégration dans le modèle de sources inaccessibles rend ce modèle inutilisable par les exégètes.
3. Le processus d’élaboration des évangiles s’est étalé dans le temps et a comporté plusieurs étapes de relectures et d’harmonisation entre les documents – on ne peut exclure qu’à chacune de ces étapes le recours ou l’accès aux sources ait pu varier (sans même parler ici de la question des relations entre tradition orale et l’écrit).
De fait, en ce début du XXIème siècle, les tentatives de modélisation du processus synoptique sont parvenues à une impasse. L’impasse est d’abord pratique parce que toute complexification du modèle rend ce modèle inutilisable en exégèse. Marguerat, lui-même a été amené à proposer un nouveau modèle (INT page 47), mais il ajoute : « Dans cette perspective, les sources littéraires à disposition des auteurs des évangiles de Mt et Lc nous seraient définitivement inaccessibles, puisqu’ils auraient eu accès à Mc au travers d’un « deutéro-Mc » et à Q au travers de deux versions spécifiques (QMt et QLc). »
En clair : personne ne connaît ni ce « deutéro-Mc », ni QMt, ni QLc et, par conséquent personne de peut connaître « Q » d’où proviennent QMt et QLc … Sans changement de perspective les exégètes n’ont plus rien à dire sur ce sujet !
L’impasse est aussi théorique, parce que la plupart des exégètes restent attachés au modèle des deux sources – refusant de le modifier bien que l’analyse moderne des textes synoptiques démontre que ce modèle simpliste devrait être modifié. Le modèle des deux sources n’explique pas en effet : 1. Les « accords mineurs » ; 2. Les deux versions de Q ; 3. Les reprises de Marc par Luc moins nombreuses que par Matthieu et 4. Les « leçons confluentes » de Marc (voir le texte).
L’analyse moderne de la Source Q plaide pour la cohérence notamment théologique de cette source. Mais plusieurs incertitudes persistent à son sujet. Citons trois des principaux points encore débattus concernant cette source Q : la fonction d’usage courant de cette source (vadémécum du prédicateur, catéchisme aux païens, ... etc.), la stratification littéraire de cette source et surtout la communauté se servant de cette source. Si dans un sens - la Formgeschichte suppose que toute situation de vie (Sitz im Leben) produit ses propres textes, l'inverse dans l'autre sens n'est pas nécessairement vrai. Ce n'est pas parce qu'on pense avoir trouvé un texte qu'on peut nécessairement trouver une communauté spécifique qui lui corresponde.
Pierre Perrier - s’affranchissant du modèle des deux sources - propose une interprétation alternative : la source Q ne serait pas une source complétant Matthieu et Luc vers 80 ou plus tard, mais serait l’indice d’un travail d’harmonisation des textes (araméen et grec) de Luc lors de l’année sabbatique 53/54 sur la catéchèse-liturgie araméenne de l’Eglise Mère laissée par Matthieu en 37 à Jérusalem, avant son départ pour Antioche.
La tradition orale est ou peut être une source à part entière. Pour Marguerat, les micro-unités sont identifiées à la tradition orale, c’est-à-dire que les logions ou péricopes seraient des produits par la tradition orale directement traduits en grec. En fait le postulat des micro-unités littéraire indépendantes, postulat fondamental de la Formgeschichte, sert à la fois de présupposé de base et de réponse à la question de la tradition orale. On est typiquement dans un raisonnement circulaire, c'est à dire qui ne s'appuie que sur les présupposés initiaux.
L’ouvrage de Marguerat confond ce qu'on entend par « tradition orale » - par exemple selon la méthode rabbinique du premier siècle (INT page 37) – avec la « communication orale », c’est-à-dire la transmission déstructurée du « bouche à oreille », voire de la rumeur. L’ouvrage n’a, en fait, aucune conception consistante sur la tradition orale et n'a aucune idée sur « comment pratiquement ou réellement » s'est fait ce passage de l’oral à l’écrit. Finalement, la tradition orale ne joue aucun rôle dans la modélisation du processus synoptique, car la plupart des auteurs - et pas seulement Marguerat - n’en ont qu'une vision anecdotique et confuse
Par conséquent ce que l’ouvrage de Marguerat nomme « histoire » des textes évangélique n’est que l’analyse de la « stratification » ou des « médiations littéraires », c’est-à-dire de la « généalogie littéraire » du texte grec. Cette « histoire » ne commencerait qu’avec la mise par écrit des micro-unités. L’oralité telle qu’elle a pu fonctionner dans la catéchèse ou dans la liturgie - en tant que telle - est totalement méconnue et ne joue aucun rôle. Malgré l’ambition affichée de Marguerat et de la Formgeschichte de dévoiler l’histoire – voire la préhistoire des textes – l’ouvrage, de ce point de vue spécifique, reste enfermé dans la seule logique de l’écrit grec. L'ouvrage qui revendique son approche historico-critique, n’est pas dans l’histoire. Il ne décolle pas du registre littéraire..
Pour les écrits marqué par une structuration orale (les « colliers ») comme les évangiles en araméen du second siècle, il existe une autre méthode d’identification des étapes de composition du « texte oral » . Une fois repérés des « colliers » de récitation par un travail foncièrement « synoptique » car comparatif sur les quatre évangiles, on peut classer les colliers par ordre chronologique de superposition : les colliers imbriqués les derniers cassant les colliers dans lesquels ils s'insèrent, et les colliers des différents synoptiques attestant des colliers dans des états plus ou moins développés. Puisque les méthodes menant à la source Q ou à ce « récitatif » ou Karozoutha source sont des hypothèses, il est légitime de les comparer du point de vue de leur produit final : d’un côté la Source Q et la Karozoutha source ou K0. La cohérence théologique est nettement en faveur de K0, par contre la teneur théologique de Q est plus incertaine.
1. Le fait synoptique
Le terme synoptique appliqué aux évangiles de Matthieu, Marc et Luc signifie que ces évangiles peuvent être « regardés ensemble ». Il semble que ce soit une configuration littéraire unique.
Cependant ce terme n’explique pas grand choses par lui-même. Il est facile de reconnaître que l’enchaînement des péricopes est très voisin dans ces trois évangiles - Luc suivant plus fidèlement Marc que Matthieu. Mais si certains versets sont identiques au mot près, on ne peut cependant pas prétendre que ces textes, dans leur ensemble, soient identiques, ils sont juste similaires ou « homologues ».
Du point de vue qui nous occupe qui est l’étude des parentés littéraires entre les évangiles, ce terme de « synoptique » masque quelque peu la complexité du problème. Au fil de l’analyse on va s’apercevoir que cette « ressemblance » entre ces synoptiques qui évoquent une « source commune » ne provient pas pour autant d’une « source unique », avec l’exemple de la Source Q. Inversement, cela ne signifie pas, non plus, que des sources « différentes » ne pourraient produire des récits ou des enseignements « similaires ». Et c’est à ce titre que ces textes sont « synoptiques ».
- Spoiler:
C’est Greisbach (1776) qui introduit le terme « synoptique » pour signifier que les Évangiles de Matthieu, Marc et Luc peuvent être « regardés ensemble » : le déroulement d’ensemble du récit est parallèle, de nombreuses péricopes sont pratiquement identiques et certains versets sont identiques au mot près.
Quand Saint Augustin (4ème siècle) affirme la primauté de Matthieu et que Marc serait un résumé de Matthieu, il commente la parenté littéraire de Marc par rapport à Matthieu. Il est donc faux de penser que cette singularité des évangiles n’aurait pas été remarquée dès les premiers siècles.
Ce qui est nouveau, dès le 18ème siècle, c’est l’avènement de la critique textuelle sur les manuscrits de différentes traditions, recensés en grand nombre à partir de cette époque. La nouveauté , c'est donc cette démarche rationnelle de la critique textuelle qui vient se confronter à l’autorité de la tradition, représentée par Saint Augustin.
Le fait que les trois premiers Évangiles soient « synoptiques » ne signifie pas du tout qu’ils soient nécessairement élaborés à partir d’une « source unique » ou « commune ». Il est plus prudent et exact de parler de textes « homologues ».
Inversement, des sources complètement différentes peuvent aboutir à produire des récits, des paroles de sagesse ou des paraboles évangéliques très similaires – donc « synoptiques » - au sens de leur structure et de leur sens qui contribuent à livrer des leçons très proches sinon identiques dans les péricopes « homologues ».
2. Le problème synoptique
Le problème synoptique nait de la volonté d’expliquer la dépendance littéraire, telle qu’elle est comprise à partir du 18ème siècle. Cette dépendance littéraire est déduite des multiples identités entre les synoptiques : au niveau de l’enchainement des péricopes ou au niveau des versets – souvent au mot près. D’après Kloppenborg, c’est à partir de Reimarus (publié en 1778) que se « déchaina un flot de tentatives pour résoudre le « problème synoptique » (1, page 228). Autrement dit les tentatives de modélisation du processus synoptique commencent à cette date. Dès lors on va utiliser la notion de « source » pour désigner les textes antérieurs qui auront servi de base de travail à l’élaboration des évangélistes.
Il existe un ample jeu de modèles hypothétiques :
Modèle | Avec médiation littéraire d'un autre évangéliste | Avec source écrite extra évangélique |
Par dérivation | Non | Non |
Généalogique sans source extra évangélique | Oui | Non |
Généalogique avec source extra évangélique | Oui | Oui |
Seules les hypothèses « généalogiques avec source extra-évangélique » sont actuellement retenues.
- Spoiler:
L’exposé le plus clair sur cette question de modélisation me semble être sur (2) : http://introbible.free.fr/p2syn.html . C’est ce plan d’exposé que nous avons suivi :
1. On a des hypothèses où on suppose que les évangiles ont été élaborés en l’absence de contact les uns avec les autres. Ce sont les hypothèses « non généalogiques » ou par « dérivation immédiate », c’est-à-dire sans médiation littéraire. Ces hypothèses supposent nécessairement soit un évangile primitif ou soit un corpus de fragments, logia ou péricopes parvenus jusqu’à l’évangéliste par oral ou par écrit.
Ces hypothèses très simplistes sont maintenant écartées. Elles ne rendent pas compte des ressemblances finales entre les évangiles.
2. On a des hypothèses où on suppose que les évangiles ont été élaborés grâce à la lecture des textes des autres évangélistes. Ce sont les hypothèses « généalogiques » où, par exemple, le texte final de l’évangéliste « y » passe par l’élaboration intermédiaire ou la « médiation littéraire » de l’évangéliste « x ». Avec de deux types possibles :
a. Hypothèses sans source extra-évangéliques. Ces hypothèses très simplistes sont également écartées. Elles ne rendent pas compte des dissemblances finales entre les évangiles.
b. Hypothèses avec intervention de sources extra-évangéliques. Ces hypothèses rendent d’autant mieux compte de la composition finale des évangiles qu’ils sont plus complexes.
A l’heure actuelle, le modèle des deux sources initié par Weisse (1838) est le plus largement adopté par les exégètes. Il faut reconnaître à ce modèle un mérite : il a permis à la communauté scientifique de penser ce problème synoptique depuis plus d’un siècle. On comprend que les exégètes y soient attachés. Si on voit « la bouteille à moitié pleine » ce modèle peut être qualifié de « simple et efficace » (2).
3. Ce que le modèle des deux sources n’explique pas
Plusieurs choses sont ici, en cause (2) :
1. Les accords mineurs ;
2. Les deux versions de Q ;
3. Les « omissions » de Luc ; et
4. Les leçons confluentes de Marc.
1. Les accords mineurs : il s’agit de 700 accords entre Mt et Luc qui sont absents de Marc. Le postulat de l’absence de tout contact entre Mt et Lc posé par le modèle des deux sources doit être assoupli. On imagine alors soit un évangile primitif en amont de Mc, soit la lecture de Mt, sont une médiation par un texte intermédiaire comme un proto-Mt, un proto-Lc ou un deutéro-Mc et un proto-Mc (INT page 47).
- Spoiler:
Les accords mineurs« Si sa plausibilité [du modèle des deux sources] apparaît forte, il bute néanmoins sur un problème résiduel : les « accords mineurs » (minor agreements) Mt/Lc. Il s’agit de petites modifications du texte marcien (adjonctions, suppressions, substitutions de termes) adoptés uniformément par Mt et Luc ; d’importance mineures quant à la signification, il en a été dénombre pas moins de 700. Or la théorie des deux sources postule l’absence de tout contact entre les deux évangélistes dans leur réception de Mc. Comment expliquer cette profusion de minimes identités verbale ? Le modèle de l’utilisation en rend compte par la relecture lucanienne de Mt, mais comme on l’a vu cette hypothèse pose à son tour de nouvelles difficultés (comment expliquer les fortes divergences de langue et de contenu entre Lc et Mt ?). Des solutions combinatoires ont été proposées, articulant à l’hypothèse d’un évangile primitif l’existence d’un proto-Mt et d’un proto-Lc et ajoutant d’une source commune Mt/Lc (P. Benoit-M.-E. Boismard ; Ph Rolland) ; le risque est de grever la reconstitution d’un indice de complexité qui la rend peu opératoire en exégèse. Une solution plausible consisterait à penser que Luc, rédigeant son évangiles sur la base de Mc, de la Source Q et de ses traditions propres a eu également connaissance de Mt et a jeté sur son texte un regard latéral (H. J. Holtzman). (INT page 46)
2. Les deux versions de Q : la lecture du texte de Q comparée dans Luc et dans Matthieu montre parfois une identité complète – au mot près – sur plusieurs versets et parfois des récits « similaires » du point de vue du récit ou du seul point de vue de la parénèse, mais avec un vocabulaire nettement différent – ce qui témoigne de l’existence de deux versions dans cette source Q.
- Spoiler:
Deux versions différentes de Q« Les neuf béatitudes matthéennes (5, 3-12) et les quatre de Luc augmentées des malédictions (6, 20-26) dérivent-elles d’un même texte ? La parabole des talents (Mt 25, 14-30) et celle des mines (Lc 19, 12-27) sont-elles des variantes de la parabole de Q ? Il est très vraisemblable que la Source est parvenue aux deux évangélistes sous deux versions différentes, par exemple, sous la pression de la tradition orale : ces deux version ont été dénommées QMt et QLc (M. Sato). » (INT page 43)
Si Q est parvenu à chaque évangéliste sous deux formes différentes, il ne s’agit plus d’une seule source, mais de deux sources différentes. Le raisonnement est le même : si le texte a été modifié sous la pression de la tradition orale. Chaque version « QMt ou QLc » constitue une source en soi – même s’il nous parvient par la tradition orale.
3. Les « omissions » de Luc : la question est de savoir pourquoi Luc a abandonné tant de textes de Mc alors que Matthieu les a conservés. L’explication habituelle qui est que Luc aurait disposé d’une tradition propre plus abondante, mais cette « réponse » ne répond pas entièrement à la question ;
4. Les leçons confluentes sont les cas où Marc combine le texte de Mattieu et de Luc. Ce fait pose évidemment soit la question d’une commune à Mc, Mt et Lc différente de Q (!), soit d’un texte rédigé en deux temps : un premier temps d’élaboration de Mc, puis second temps d’harmonisation sur les textes de Mt et Lc. Ceci suppose aussi que les rédactions intermédiaires – ou finales - sont pratiquement simultanées.
Ce bref aperçu mène à trois conclusions, au moins (2) :
1. Aucun modèle simple ne peut rendre compte de la complexité des rapports entre les évangiles. On suppose actuellement que les états finaux des évangiles ont été précédés par des étapes rédactionnelles intermédiaires ce qui remet immédiatement en cause le modèle des deux sources ;
2. Les étapes initiales de la constitution des documents écrits nous échappent en grande part, faute de documentation. On est donc dans une sorte d’impasse théorique puisque l’intégration de sources inaccessibles dans le modèle rend ce modèle inutilisable par les exégètes.
3. Le processus d’élaboration des évangiles s’est étalé dans le temps et a comporté plusieurs étapes de relectures et d’harmonisation entre les documents – on ne peut exclure qu’à chacun de ces étapes le recours ou l’accès aux sources ait pu varier (sans même parler ici de la question des relations oral/écrit).
La fréquence statistique de ces observations – qui contredisent le modèle des deux sources – va conduire Marguerat à proposer un nouveau modèle. Cependant Marguerat conserve une position ambiguë : d’une part il dit que c’est ce modèle des deux sources est celui « qui a la plausibilité le plus forte » (INT page 46), mais en même temps, il propose cet autre modèle (INT page 47). La modélisation devient un peu floue : historiquement on a donc trois « modèles des deux sources » : le modèle simple de Weisse (1838), le modèle complet : avec la source Q (XIXème siècle) et le modèle complexe proposé par Marguerat.
- Spoiler:
- « Mais la fréquence statistique de ces accords reste troublante. Elle a poussé à postuler qu’une révision stylistique de Mc aurait eu lieu avant la réception de l’évangile de Mt et Lc, et que les deux évangélistes auraient travaillé sur un « deutéro-Mc » aujourd’hui perdu (A. Ennulat). D’autres pensent à un « proto-Mc », mais on s’expliquerait al pourquoi la version révisée aurait rétabli les difficultés stylistiques.
Si l’on intègre les deux recensions de la Source des paroles signalées plus haut ; le schéma modifié du modèle des deux sources se dessine comme suit :[voir image ci-dessous].Dans cette perspective ; les sources littéraires à disposition des auteurs des évangiles Mt et Lc nous seraient définitivement inaccessibles, puisqu’ils auraient au accès à Mc au travers d’un deutéro-Mc et à Q au travers des deux versions spécifiques (QMt et QLc ). » (INT page 47)
Marguerat ajoute – sans doute à regret - que si tel est le modèle, « les sources littéraires nous seraient définitivement inaccessibles ». Pourquoi « inaccessibles » ? Parce que modèle de Marguerat intercale entre les évangiles finaux ou la source Q trois textes intermédiaires hypothétiques : deutéro-Mc, QMt et QLc - inconnus à l’heure actuelle. En clair, personne ne connaît ni ce « deutéro-Mc », ni QMt, ni QLc, ni - par conséquence - « Q » d’où proviennent QMt et QLc !
Il devient clair que tout ajout raisonné au modèle des deux sources rend ce nouveau modèle trop complexe et donc inutilisable en exégèse !
Les incertitudes sur la rigueur d’analyse conduisant à l’adoption du modèle des deux sources fait que certains auteurs modernes considèrent ce modèle – à l’égal des modèles les plus anciens – comme « simpliste ». C’est bien le cas de Rolland (3). Un autre auteur dit même, sans grand ménagement, que le choix de Marguerat et de la majorité des exégètes serait « une solution de facilité » (4) :
- Spoiler:
- « Depuis fort longtemps, j’ai acquis la conviction que la dépendance de Matthieu et de Luc par rapport au Marc actuel était impossible, et que le schéma généalogique des évangiles synoptiques était plus complexe qu’on ne l’admet communément. Je tiens une position médiane entre le simplisme de la théorie des « deux sources » (Mc + Q à l’origine de Mt et de Lc) et l’extrême complication du système de Boismard (7 documents écrits antérieurs à nos évangiles actuels).
En ce qui concerne la datation des évangiles synoptiques, le schéma généalogique que je propose (comme d’ailleurs celui de Boismard) permet de laisser ouvertes les questions de chronologie: Matthieu et Luc peuvent être postérieurs à Marc, mais ils peuvent aussi lui être antérieurs. » (3)
L’option de Marguerat : une solution de facilité ?« Un bon exemple en est l'ouvrage collectif intitulé Introduction au Nouveau Testament paru sous la direction de Daniel Marguerat, professeur à la faculté de théologie protestante de Lausanne en Suisse. Seules sont développées les anciennes théories du XIXème siècle ainsi que les différents modèles de la théorie des Deux Sources. Les autres théories sont citées et réfutées en quelques lignes (Farmer, Boismard, Streeter) ou tout simplement ignorées (Vaganay, Lagrange, Parker, Gaboury) alors qu'elles sont développées en plusieurs pages dans la présente étude. Et cet ouvrage se présente « comme synthétisant les acquis de la recherche sur l'écriture du Nouveau Testament » !
En conséquence directe de cette façon de faire, Elian Cuvillier pour l'évangile de Matthieu et Daniel Marguerat lui-même pour l'évangile de Luc basent exclusivement leurs analyses sur le modèle des Deux sources, à l'exclusion de tout autre et sans en souligner le caractère hypothétique !
Les exégètes, dans leur majorité, optent pour la solution de facilité qui leur convient (remarquons que la version complexe de la théorie des Deux sources n'est pas exploité lui non plus car trop complexe) et ne dissocient pas suffisamment les niveaux d'études : 1. Données statistique ; 2. Elaboration d’un modèle à partir de ces données et 3. Interprétation d’un texte à partir de ce modèle.
Cette situation n'est pas saine car l'antériorité de Marc, transformée parfois en supériorité, est présentée à priori comme fondement des analyses. Marc devient ainsi l'inventeur d'un genre littéraire nouveau, celui de l'évangile. Nous retrouvons ici la notion de modèle fermé qui trop souvent bloque l'exégèse moderne. »
Un article de Rolland (3) montre bien – sur deux pages - la complexité des relations entre les évangiles. Cet article de Rolland donne six exemples de versets homologues (Mt // Mc // Lc) qui présentent des indices d’une activité rédactionnelle ayant deux caractéristiques apparemment contradictoires :
- Des accords entre Mt et Lc contre le texte de Mc
- … et dans ce même verset …
- un texte de Mc intégrant des formulations de Mt et Lc, parfois même cumulant les deux formulations, celle de Mt et celle de Lc (phénomène dit de « dualité »).
- Spoiler:
La conclusion de Rolland est que Marc aurait harmonisé des textes intermédiaires – différents des évangiles finaux - : le pré-Mt et le pré-Lc.
D’autres arguments sur le temps des verbes, sur les sémitismes et les attestations patristiques, lui font retenir l’hypothèse d’un évangile sémitique antérieur dont les textes intermédiaires ci-dessus ne seraient que des dérivations généalogiques.« De tels faits, qui se relèvent tout au long de nos trois premiers évangiles, ont confirmé d’année en année ce qui au début n’était qu’une hypothèse de travail : Matthieu et Luc ne dépendent pas de Marc, mais de deux sources, le pré-Matthieu et le pré-Luc, que Marc a harmonisées. » (3)
Cet article de Rolland montre bien que cette complexité est apparente par la méthode d’analyse comparative au mot à mot entre versets homologues. Lorsque l’analyse est faite par la méthode plus globale de plus grands ensembles de « matériau littéraire » commun ou non entre les évangélistes, cette complexité n’est plus apparente. Or c’est de cette seconde méthode d’analyse qu’est déduit le modèle des deux sources. Par conséquent cette modélisation ne peut être qu’approximative.
Le modèle Boismard (1972) comporte sept sources (spoiler)
- Spoiler:
Le modèle BOISMARD (2)
Dans une première phase : quatre documents, un pour chaque évangile synoptique et un quatrième commun :
1. document A : palestinien et judéo-chrétien, vers 50 ;
2. document B : interprétation de A pour des convertis, avant 58 ;
3. document C : palestinien et en araméen, très archaïque, source de Jean. Ce document reste hypothétique car il contient surtout ce qui ne peut être attribué aux autres ;
4. document Q" : matériau commun à Matthieu et à Luc, différent du Q ci-dessus
Dans une seconde phase, trois documents intermédiaires, sources des évangiles actuels
1. Matthieu intermédiaire : dépend surtout de A, aussi de Q" ; source principale de Matthieu, secondaire du proto-Luc ;
2. Marc intermédiaire : dépend surtout de B, aussi de A et de C ; source principale ce Marc, secondaire de Matthieu et Luc ;
3. Proto-Luc : dépend surtout de C pour la Passion, aussi de B et Q" ; source principale de Luc.
« Les modèles de Boismard et Rolland considèrent Matthieu et Luc comme indépendants du Marc actuel ce qui laisse ouverte leur chronologie relative : Marc n’est pas nécessairement plus ancien. P. Rolland propose même la datation suivante : entre 62 et 67 et peut-être dans l’ordre Matthieu – Luc – Marc, mais sans certitude. La théorie des deux sources propose une autre datation : Marc avant 70, Matthieu et Luc vers 80 » (2)
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