[SD] "Mahomet : Histoire d'un arabe, Invention d'un prophète" ?
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Re: [SD] "Mahomet : Histoire d'un arabe, Invention d'un prophète" ?
Maintenant , il faut se méfier des citations et lectures partiales ,aussi. Ceci donne un tout autre son de cloche:
http://iesr.hypotheses.org/328
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CONFÉRENCES - COLLOQUES, DÉBATS
"MAHOMET, HISTOIRE D'UN ARABE"
21/01/2013 IESR LAISSER UN COMMENTAIRE
Par Louis HOURMANT
Mercredi 9 janvier 2013, à l'Institut européen en sciences des religions, Jean-Marc Tétaz présenta l'ouvrage de Tilman Nagel, Mahomet. Histoire d'un Arabe. Invention d'un prophète, qu'il a traduit. Les questions abordées par Jean-Marc Tétaz et par Mohammad Ali Amir-Moezzi, le discutant, ne pouvaient manquer d'intéresser les chercheurs mais également les enseignants. Pour ceux qui n'ont pas pu assister à cette présentation ou qui aimeraient se rappeler ce qui s'est dit, en voici un compte rendu, de la main de Louis Hourmant.
Présentation de l’auteur par Jean-Paul Willaime
Titulaire d’une thèse en philosophie de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, Jean-Marc Tétaz a étudié la théologie et la philosophie aux Universités de Lausanne et de Göttingen (Allemagne). Il est actuellement enseignant à Lausanne et chargé de cours à l’EHESS. Il dirige la publication en français des œuvres d’Ernst Troeltsch aux Éditions du Cerf.
Exposé de Jean-Marc Tétaz
L’auteur du livre, Tilman Nagel (Professeur d’arabistique et d’islamologie à l’Université de Göttingen de 1981 jusqu’à sa retraite en 2007) a produit d’abord une version longue de sa biographie de Mahomet à destination des spécialistes, puis une version courte : c’est celle-ci qui est traduite en français par J.M. Tétaz..
La dualité du sous-titre (« Histoire d’un Arabe » et « Invention d’un Prophète ») rend bien l’intention de Nagel et marque l’originalité de sa démarche : ce livre tente de mettre côte à côte deux vies de Mahomet : la vie du personnage historique, d’une part, et la vie construite et racontée comme modèle de piété, dogmatisée, protégée juridiquement, d’autre part. Nagel rompt avec une tradition historiographique qui a tendance à reproduire le second modèle narratif, qu’on qualifiera de « traditionnel », en se contentant d’y introduire des éléments rationalistes. Ce type de démarche fait penser à des auteurs du début du XIXe siècle s’agissant de la vie de Jésus comme, par exemple, l’exégète allemand Heinrich Paulus (1761-1851) qui propose des explications rationnelles aux miracles de Jésus (voir son Das Leven Jesu als Grundlage einer reinen Geschichte des Urchristentums [Vie de Jésus comme base d’une pure histoire du christianisme primitif], Heidelberg 1828). La biographie de Maxime Rodinson (Mahomet, Paris 1961) lui semble un exemple typique du plot traditionnel de la vie de Mahomet. À l’opposé, il existe une théorie qu’on peut qualifier d’hypercritique qui fait disparaître la figure réelle de Mahomet et qui en fait une invention du VIIIe siècle. Nagel récuse à la fois l’intrigue traditionnelle et la suspicion hypercritique.
Toute tentative d’établir la biographie de Mahomet est confrontée à l’existence de deux catégories de sources : le Coran, d’une part, le hadith et la Sîra (la plus ancienne biographie de Mahomet, datant du VIIIe siècle), de l’autre. Le problème est que ces deux types de sources ne sont pas compatibles entre elles. Le hadith ne remonte qu’aux VIIIe-IXe siècles Il vaut mieux donc se référer au Coran, ce qui est l’option de Nagel, en replaçant les sourates dans leur ordre chronologique. Pour Nagel, certaines révélations ont déjà été mises par écrit à la Mecque et non tardivement à Médine ou après la mort de Mahomet. Outre les indications fournies par le texte coranique, Nagel a exploité au maximum les informations dont on dispose sur le contexte historique de la vie de Mahomet sur trois plans essentiels : la dimension anthropologique, la dimension politique et la dimension religieuse.
1. Dimension anthropologique : Nagel prend au sérieux le cadre tribal et clanique, mais aussi le cadre urbain de la Mecque et de Yatrib (Médine). Dans une société clanique, les solidarités familiales sont essentielles, les réseaux d’appartenances préislamiques restent prépondérants, ce qui explique que Mahomet ait pu rester à la Mecque sain et sauf jusqu’en 622 malgré les inimitiés contre lui (il était protégé par les solidarités claniques). De même, le choix de partir à Médine (l’’Hégire) n’est pas anodin ; il a été fait en fonction de liens familiaux avec une des tribus de Médine. Dans cette ville, il faut bien voir – contrairement à ce que prétend la vision musulmane – que Mahomet a uniquement un statut de réfugié : en aucun cas, les habitants ne le soutiennent dans ses opérations guerrières.
2. Dimension politique : à l’époque, se déroule un affrontement géopolitique entre les empires byzantin et sassanide. Au niveau local, s’y ajoute un affrontement entre clans (le clan Qurayshite de Mahomet a perdu sa prééminence, et Mahomet va essayer de la lui rendre ; si on n’est pas conscient de ce contexte local, bon nombre d’aspects du Coran restent incompréhensibles).
3. Dimension religieuse : Nagel resitue le cadre de la prédication de Mahomet dans le melting pot des traditions religieuses de l’antiquité tardive.
Par exemple, l’appel à la pureté s’inscrit dans une tradition cultuelle de La Mecque au temps du pèlerinage. L’innovation introduite par Mahomet, c’est qu’il va désormais prêcher l’application de ces règles à l’ensemble de l’existence (ce qu’a fait le courant pharisien par rapport au judaïsme). Nagel évoque aussi l’arrière-fond gnostique et manichéen de l’enseignement initial de Mahomet : en effet, les prédications les plus anciennes de Mahomet ne font pas référence au terme « islam » ; à cette époque, les convertis à ses doctrines sont perçus par les Mecquois comme des « sabéens ». Ultérieurement, la prédication mohammédienne s’inscrit dans la tradition biblique : Allah (Dieu en arabe) n’est plus l’élément d’un panthéon mais un Dieu unique ; il y a passage de la monolâtrie cultuelle au monothéisme.
À la Mecque, Mahomet est encore simplement l’Envoyé d’Allah ; à Médine, il prétend au titre de prophète (au sens de législateur religieux, un aspect qui différencie l’envoyé du prophète). Il se présente même comme le prophète des païens. Il s’inscrit ainsi dans la tradition hanifiste, un monothéisme “païen” qui rejette les cultes païens tout en s’adressant aux peuples qui ne sont ni juifs, ni chrétiens et qui veut restituer l’ordre originel d’Abraham, que les juifs et les chrétiens auraient déformé ; en particulier – et c’est un point essentiel –, la tradition hanifiste rétablit le sacrifice sanglant aboli par ces religions.
Ainsi, Mahomet n’est pas un « météorite » pour reprendre les mots de Tétaz, mais ce qu’il met en place s’enracine dans les religions de la fin de l’Antiquité ; la culture au sein de laquelle il évolue connaît les traditions juives et chrétiennes, aussi bien les traditions canoniques que deutérocanoniques.
La Constitution de Médine : elle n’est pas, comme on le présente souvent, l’acte fondateur d’une nouvelle communauté mais un document dans lequel la compétence de la nouvelle communauté est limitée aux opérations guerrières, elle n’existe que comme communauté de combat.
Les derniers chapitres du livre (chap. XV-XX) concernent les conceptions successives de la figure de Mahomet. Après la mort de Mahomet, se mettent en place les différentes traditions (hadith, traditions apologétiques) justifiant la prétention de Mahomet à être le dernier prophète.
Dans le sunnisme, on voit l’apparition d’une conception unique de Mahomet en tant que premier être créé par Allah, un être à mi-chemin entre l’homme et Dieu (on peut trouver un parallèle dans certains textes nestoriens sur le baptême de Jésus : Jésus est un homme illuminé par Dieu dans le nestorianisme et non un homme-Dieu, or cette conception est répandue surtout dans les régions où va se développer l’islam). On discerne aussi l’influence de traditions néoplatoniciennes qui font de Mahomet un principe cosmique (la « Lumière mohammadienne »).
En conclusion de sa présentation, J.M. Tétaz souligne que la mémoire (présent qu’on pense comme éternel) vient rendre l’histoire impossible car le travail de l’histoire est de tout mettre à distance, au passé. Ce conflit entre mémoire croyante et histoire est vécu par toutes les religions à ancrage historique : comment peuvent-elle accepter ce défi posé par l’historicisation? On repère des pics antihistoricistes dans toutes les religions (par exemple, le barthisme dans le protestantisme).
Discutant : Ali Amir-Moezzi
A.A.M. commence par apporter une précision : la courroie de transmission du platonisme vers le sunnisme, c’est l’islam chiite. En effet, selon lui, le chiisme est plus ancien que le sunnisme, et ce dernier s’est élaboré, en tant qu’orthodoxie, en réaction au chiisme considéré alors comme hétérodoxe.
Il relève qu’il paraît difficile de ranger la biographie de Mahomet par Maxime Rodinson dans le camp des biographies traditionnelles puisqu’elle est marxiste.
Concernant la première partie de l’exposé de Tétaz, il fait remarquer que les sources scripturaires de l’islam ont été élaborées dans un contexte de guerre civile, Othman et Ali étant les principaux protagonistes des guerres civiles, ce qui fait que toutes les sources scripturaires sont problématiques. La distinction entre le Coran et le hadith a été progressive et, pendant plusieurs siècles, plusieurs corans circulent ; une version s’est imposée au début du IIIe siècle pour des raisons politiques [A.A.M. fait ici implicitement référence à son ouvrage Le Coran silencieux et le Coran parlant, Paris 2011, qui a été présenté à l’IESR et qui a fait l’objet d’un billet sur le blog]. L’axe de la critique d’A.A.M. porte sur les sources utilisées par Nagel ; celles-ci sont surtout des données sur la généalogie tribale de Mahomet. Cependant, comment, se demande A.A.M., y accorder crédit, puisque les clans étaient en guerre les uns contre les autres et que chacun a pu fabriquer des généalogies (un clan va donner naissance au chiisme, l’autre au sunnisme) ? Une autre source utilisée par Nagel est la chronologie coranique, qui est également problématique. En effet, pendant des siècles, les musulmans ne savaient pas quel était l’ordre chronologique des sourates coraniques, et ce que l’on sait désormais de cet ordre provient de la tradition sunnite.
Tout en reconnaissant que l’ouvrage de Nagel est capital car il ouvre des perspectives, A.A.M. considère qu’il reste finalement fidèle à la tradition scientifique. En définitive, selon A.A.M., la formule de Jacqueline Chabbi, « la biographie impossible de Mahomet » (sous-titre de son article « Histoire et tradition sacrée », Arabica 43 [1996], p. 189-205), resterait toujours vraie. Il est possible de faire une histoire des représentations de Mahomet, mais pas une biographie historique au sens moderne du terme. En effet, même concernant les aspects géopolitiques, on trouve des hypothèses opposées d’une biographie à une autre. Par exemple, Nagel présente Mahomet comme plutôt dans le camp probyzantin, alors que d’autres auteurs le rangent dans le camp pro-sassanide, camp soutenu par les juifs (rappelons que Médine à l’époque de Mahomet était une ville arabe juive, judaisée depuis 4 siècles).
M.A. Amir-Moezzi insiste sur l’idée que le drame de l’islam, c’est son lien à un corpus de textes fondamentalement contradictoires, et donc son destin est d’être plein de tensions dans la mesure où chaque tendance peut s’appuyer sur des textes ayant un statut équivalent. Et les origines ont été obscurcies par plus de deux siècles de guerres fratricides.
La méthode historico-critique et philologique constitue le seul moyen de créer de la distance par rapport à ce tissu de contradictions.
Débat
Moezzi : l’ensemble des données non islamiques sur la vie de Mahomet ne dépassent pas une page.
JPW : donc, on est moins démuni de connaissances externes sur la vie de Jésus que sur la vie de Mahomet, car il y a plus d’attestations diverses.
Moezzi : Il est plus facile de faire un Dictionnaire du Coran qu’un Dictionnaire de Mahomet : depuis sept ans, je réfléchis à ce projet éditorial sans savoir comment l’organiser.
Il recommande aux enseignants d’utiliser toujours le conditionnel et des expressions telles que « selon la tradition ».
L’erreur du Coran qui confond Marie sœur de Moïse et Marie mère de Jésus provient d’une source syriaque.
Tétaz : l’histoire n’est qu’hypothèse, mais non un discours de vérité.
L’attitude que l’on trouve chez beaucoup de théologiens musulmans a été / est aussi celle de beaucoup de théologiens chrétiens.
Moezzi : l’acceptation de la démarche historico-critique va aller plus vite dans le monde intellectuel musulman que cela n’a été le cas dans le monde chrétien (c’est l’affaire de quelques décennies et non pas de siècles). Par exemple, lorsque Baur a montré que le rédacteur de l’Evangile de Jean ne pouvait pas être le disciple de Jésus, cette affirmation a suscité une levée boucliers dans tout le monde protestant à la fin du XIXe siècle. Dans les milieux savants musulmans et notamment dans les milieux théologiens, on accorde de plus en plus d’importance à la vision historique, une approche utile pour neutraliser la vision théologique violente dont les premières victimes sont musulmanes.
Re: [SD] "Mahomet : Histoire d'un arabe, Invention d'un prophète" ?
C'est ce que j'allais te direYahia a écrit:Maintenant , il faut se méfier des citations et lectures partiales
...Et il faut aussi garder en tête que les francophones n'ont accès qu'à un ouvrage tronqué, puisque cette traduction est une synthèse abrégée de deux ouvrages allemands (cf plus haut)
_________________
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>> Mon blog change d'adresse pour fuir la pub : https://blogrenblog.wordpress.com/ <<
Re: [SD] "Mahomet : Histoire d'un arabe, Invention d'un prophète" ?
Heureusement, ma prudence m'avait incité à mettre un si en gras pour la première hypothèse. Reste à voir donc.
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