Radio Notre Dame, Paris FM 100.7 : les vrais catholiques

[Jans]

Nous sommes au coeur de la chrétienté : tout baigne dans le spirituel, le sacramentel, la grâce de Dieu, la bonne volonté, l'exégèse des lectures du dimanche à venir pleine de componction, de réflexion prudente, souvent hélas, faute d'inspiration, dans la paraphrase assez bête et courte de vue, qui ne dit que des banalités. Tous les angle sont arrondis, tout est à la grâce de Dieu, y compris le sort des malheureux évoqués pour une raison politique, sociologique ou relevant quasiment du fait divers. Disons-le franchement : on est dans la continuité des dames patronesses du XIXè siècle, du la compassion versaillaise ou du VIIè arrondissement de Paris (entre autres) des ultra-riches catholiques ne sachant trop comment articuler leur vie ultra-privilégiée (y compris sur un plan fiscal, ils y ont veillé) avec l'évangile et la messe du dimanche. Tout est componction, angélus régulier, prières pour les victimes et espoir en la clémence divine.
Alors, pourquoi un auditeur chrétien lambda éprouve-t-il une gêne dont il définit mal les causes ? Parce que tout cela n'est jamais mis en rapport avec la vraie vie, la vie de nous tous au quotidien, le monde réel, on oublie toute la boue du monde, les atrocités... on prie pour les victimes de prêtres méritants qui ont peut-être fauté, bon, passons à autre chose... On se meut dans une sorte de théâtre évangélique.
Ah combien on est loin de l'abbé Pierre, de mère Teresa, de tous ceux et celles qui se dévouent au quotidien pour le souffrants, les sans-grades, ceux et celles pour qui la fin du mois commence le 20... Les salaires ? ils sont adaptés aux lois du marché, il faut se contenter de ce qu'on a.
Ce sont tous ceux-là qui finirons par dresser la forteresse assiégée, demandant la continuation de la messe  connue voici 50 ans, ce qui n'a rien de blâmable, bien sûr.
Le christianisme est en train d'éclater, il me rappelle la scission des scouts dans les années 60 à cause, entre autres, de la guerre d'Algérie. Les affaires d'actes pédophiles nombreux et à présent révélés vont précipiter sa chute dans une sorte de secte que plus personne ne comprend et qui a du mal à se comprendre soi-même. La déconnection à but spirituel de toute la réalité en devient une farce tragique.

[Libremax]

Et si, plutôt que de vous faire du mal à écouter la droite-caviar catholique pour bien cracher votre venin, vous nous racontiez vos expériences personnelles auprès des personnes défavorisées, les souffrants et les sans grade ?

[Jans]

Vous avez une préférence, libremax : 2 ans à St Vincent de Paul comme ado à Marseille ? 2 ans d'alphabétisation d'immigrés à Marseille et Nyons ? 2 ans au Secours catholique à Garches ? un an dans une maison de retraite (personnes dépendantes) comme animateur musical à Suresnes ? Il y en a, des choses à raconter ! Le plus tragi-comique : Dans la maison de retraite, une honorable dame qui n'avait plus toutes ses facultés me voit arriver le premier jour ans la grande salle commune : Elle crie à ses copines : "je vous l'avais dit que mon fils reviendrait !" elle se lève et m'embrasse avec effusion. Je me tourne vers l'infirmière qui me fait un geste des bras indiquant qu'on n'y peut rien. J'embrasse donc la "maman" et lui dis que je vais revenir. Eh bien, les 20 fois où je suis allé leur faire écouter un peu de musique classique, elle était là, rayonnante, et je l'embrassais affectueusement... que faire d'autre ?
Moins drôle : une fois, au moment où j'ouvre la porte d'entrée, une bonne dame âgée se précipite pour sortir (c'était interdit, mais je l'ignorais) et me dit : "je vais dire bonjour à ma soeur, elle habite juste en face, aidez-moi à traverser !" Un peu étonné, je lui dis :"en face ? vous êtes sûre ?" — mais enfin, s'écrie-t-elle, je ne suis pas folle ! Bon, je la fais traverser, elle sonne, une dame ouvre et me dit avec un soupir : "c'est encore elle, elle s'est échappée, je ne suis pas sa soeur". Je ramène la malade en face, et là je me fais engu... proprement par une infirmière qui me dit que je suis un irresponsable !
Un souvenir peu agréable au Secours Catholique de Garches : On porte un soir à deux un grand matelas dont une famille africaine avait un urgent besoin, matelas qu'on avait eu du mal à trouver, et il faut monter 3 étages sans ascenseur, il est 20h30 ; on nous ouvre, et là on voit trois adultes et deux enfants sur un grand canapé, en train de regarder une énorme télévision toute neuve (le carton d'emballage est visible). La femme qui nous ouvre dit simplement : mettez-le là-bas." et elle retourne regarder la télé ; nous partons, plutôt dépités.
Le plus émouvant : Une brave dame portugaise maniant mal le français vient à la permanence et m'explique qu'elle a eu un PV dans un bus pour défaut de ticket ; elle a envoyé un courrier pour régler l'amende, mais n'a pas de nouvelles et s'affole en pensant qu'elle va passer au tribunal. J'essaie de la calmer et finis par trouver le service auquel il faut téléphoner, qui me renvoie à un autre numéro... finalement j'ai la bonne personne, elle vérifie et me dit que le règlement est bien parvenu, elle n'a pas à s'inquiéter ; ah, la joie rayonnante de cette femme humble !  elle me tend les bras et je l'embrasse, aussi ému qu'elle. Voilà.

[Libremax]

"ça va sans dire",
mais je trouve que ça va mieux en le disant. Merci.

[Jans]

La tragédie d'Alzheimer : dans cette même maison, je trouve un homme qui me demande de la monnaie pour la machine à café, il a l'air, contrairement aux dames, en pleine santé, encore des cheveux noirs, il apprécie la musique (genre Offenbach) ; je lui donne un euro, il veut me rendre 50cts, il a plusieurs petites pièces ; il les tourne et retourne, fait un calcul mental à haute voix, s'embrouille, recalcule, ça dure bien 5 minutes, finalement il me dit triomphant : voilà ! ..et me donne 25 cts en 6 pièces ; je le remercie chaleureusement et comprends d'un coup pourquoi il est là.
À Marseille, des bonnes soeurs dévouées recrutaient des jeunes pour apprendre le français - depuis l'alphabet - à des migrants, près du cours Belzunce ; je suis candidat et travaille avec un manuel qu'on m'a fourni, très bien fait, les lettres, les syllabes, puis de petites phrases. Mon élève est un grand noir musulman (quand je lui demande s'il va bien, il répond : "oui, hamdoullah!" Dieu merci). Mais à la 50è leçon, je lis le texte : "Marie est la mère du Sauveur", puis : "Jésus est fils de Dieu". J'explique aux soeurs que je ne peux pas apprendre ça à un musulman, c'est l'offenser. Elles me répondent : "vous ne voulez pas lui transmettre le salut ?" et :  nous n'avons pas d'autres manuels". Je les quitte donc, à regret, car j'aimais bien mon élève.

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