"Des Soutanes et des Hommes"
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"Des Soutanes et des Hommes"
Je n'ai pas encore ce livre, écrit par un ancien de Coexister, mais connaissant la qualité de travail de l'auteur, je compte le faire dès que possible.
https://www.decitre.fr/livres/des-soutanes-et-des-hommes-9782130825173.html
Célibat perçu comme toxique, scandales à répétition, violences sexuelles et sexistes tues par l'institution, enfants cachés, coming out spectaculaire au Vatican... Mais aussi refus d'ordonner des femmes, luttes politiques contre toutes reconnaissances civiles de la conjugalité et la parentalité homosexuelles de la part de l'institution qu'ils incarnent. Autant de raisons de remettre en cause la figure masculine du prêtre catholique.
C'est l'histoire de cette forme de masculinité si particulière, de son déclassement dans l'espace des masculinités, et, surtout, de sa crise de plausibilité actuelle au sein des sociétés occidentales, qu'interroge cette enquête sociologique. L'étude de cette crise est resituée dans un contexte marqué tout à la fois par la perte d'emprise de l'Eglise catholique depuis la fin des années 1950, et la " démocratisation sexuelle ", c'est-à-dire l'entrée progressive des questions de genre et de sexualité dans le champ de la délibération démocratique, qui la redouble depuis la fin des années 1960.
Cette dynamique est illustrée par le moment " mariage pour tous ", bouleversant l'institution perçue comme " naturelle " du mariage hétérosexuel. L'effervescence de ce moment a fonctionné comme un révélateur du système catholique de genre et de sexualité, restitué ici à partir de son noeud : la masculinité sacerdotale.
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Re: "Des Soutanes et des Hommes"
https://journals.openedition.org/genrehistoire/4809Josselin Tricou, Des soutanes et des hommes. Subjectivation genrée et politiques de la masculinité au sein du clergé catholique français depuis les années 1980
Thèse de doctorat en science politique-études de genre, Université Paris 8, sous la direction d’Éric Fassin, 6 juin 2019
Cette thèse interroge la trajectoire historique de la figure masculine du prêtre catholique et sa crise de plausibilité actuelle au sein des sociétés occidentales. Cette crise est resituée dans un contexte de perte d’emprise de l’Église depuis l’après-guerre et de démocratisation sexuelle qui le redouble depuis la fin des années 1960. Elle s’appuie sur une enquête par combinaison de sources
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ethnographies de communautés, de séminaires, et d’activités pastorales ; entretiens biographiques avec des prêtres travaillant en France ou au Vatican, questionnaires diffusés auprès de personnes ayant eu un parcours vocationnel ; analyse diachronique d’un corpus de films et synchronique d’un corpus de blogs.
Cette recherche s’ouvre sur la description du « bougé » catholique du genre – comme on dit à propos d’une photographie floue. La structuration du catholicisme produit, en effet, une variante locale, de plus en plus perçue comme étrange, de la manière dont les sociétés distinguent et ordonnent les sexes et les sexualités. Ce « bougé du genre » est lié au double paradoxe qu’induit l’idéal sacerdotal, rendant la masculinité des prêtres atypique au regard des modèles culturellement dominants de masculinité.
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Premier paradoxe : alors que l’Église se présente plus que jamais comme la grande défenseuse de la complémentarité des sexes et de la vocation universelle à l’hétérosexualité des êtres humains, elle a institutionnalisé deux modèles de masculinités : celle du laïc marié correspond à ce discours et se trouve donc présentée comme naturelle ; celle des prêtres échappe « surnaturellement » à cette vocation universelle et à la division entres les rôles de sexes traditionnels. Rien que par cette pratique, l’Église vend la mèche – comme le dirait Bourdieu – sur cette naturalisation qu’elle opère en discours.
Second paradoxe : l’Église institutionnalise ce faisant une hiérarchie des masculinités inversée par rapport à celle qui structure les sociétés dans lesquelles elle s’imbrique. Elle fait prévaloir la masculinité sacerdotale atypique sur la masculinité laïque jugée normale.
Les études critiques des masculinités – développées par et autour de la sociologue Raewyn Connell – qui rompent avec une vision androcentrée, naturalisée et anhistorique de la masculinité, proposent un cadre d’analyse capable de résoudre ce double paradoxe.Or, la dynamique de politisation des questions de genre et de sexualité dans l’espace public depuis les années 1960 a modifié ces rapports de force. Elle exerce ce faisant une pression sur l’Église catholique et ses représentants. Elle infléchit aussi les regards extérieurs portés sur eux, d’autant plus que l’exculturation du catholicisme en Occident joue en faveur d’une pluralisation des manières d’appréhender une identité sacerdotale raréfiée.
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Elles permettent de penser les distinctions et les hiérarchisations qui se font, se défont et se refont sans cesse entre plusieurs modèles concurrents de masculinités. Cet ajustement perpétuel se fait en lien avec l’évolution du rapport de force entre les deux classes de sexes – masculine et féminine – et du rapport de force entre les sexualités majoritaires et minoritaires.
La thèse revient d’abord sur la longue construction historique de l’idéal sacerdotal que l’Église a imposé à ses clercs, qui dicte leur conduite et la justifie à leurs propres yeux, et qui hante encore l’imaginaire occidental malgré la diminution de leur nombre.
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Ce procès de sacerdotalisation – comme Elias parle d’un procès de civilisation – s’enclenche véritablement avec la réforme grégorienne du xie siècle qui finit d’imposer le célibat et d’interdire le port des armes au clergé séculier latin, à l’instar des moines. Il se radicalise avec le Concile de Trente qui identifie le prêtre au sacrifice du Christ et le sacralise par opposition à la figure naissante du pasteur protestant. Il se démocratise enfin par le bas au cours du xixe siècle avec l’envolé du recrutement populaire et la magnification du « simple prêtre » dans les campagnes. Il finit par se cristalliser à la fin de ce siècle en un véritable « projet de genre » construit en décalage, voire en opposition, avec les modèles de masculinité promus par la société bourgeoise libérale et par l’idéologie républicaine qui le perçoit alors comme une menace.
L’analyse s’attarde ensuite sur les dernières péripéties de cette histoire. Elle met en lumière deux phénomènes conduisant au déclassement de la masculinité sacerdotale dans la période récente. D’abord ce que j’ai appelé, non sans une certaine ironie, une « émasculation symbolique » de la figure sacerdotale depuis les années 1960.Ensuite, au cœur de l’institution, ce que j’ai appelé le « grand chassé-croisé des sexualités aux portes des sacristies » des années 1970-1980.
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À savoir une disqualification tendancielle de l’idéal sacerdotal sur les plans du genre et de la sexualité au sein des représentations culturelles et sociales. Le cinéma français a servi d’observatoire de cette évolution par laquelle le « bougé » du genre devient progressivement « trouble dans le genre » (Judith Butler) dans le regard de nos contemporains, un trouble aujourd’hui accru encore par le grand mouvement de dévoilement de violences sexuelles et sexistes perpétrées par des membres du clergé.
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La désertion des hétérosexuels dans les années 1970 (liée notamment à l’inversion de la valence accordée à la sexualité au sein du couple hétérosexuel dans la doctrine catholique, passant d’une suspicion généralisée à une surélévation compensatoire) après la désaffection des classes populaires pour la prêtrise au cours des années 1960, produit une augmentation de la proportion d’homosexuels tendanciellement issus d’une bourgeoisie conservatrice au sein du clergé.
Ce changement morphologique met en crise le « placard ecclésial » à partir des années 1990. Jusque-là invisible, y compris aux yeux des intéressés, cette fonction sociale du corps clérical comme refuge pour les personnes non-hétérosexuelles devient alors transparente à elle-même.
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Les clercs massivement homosexuels sont, en effet, plus tentés que jamais de se reconnaître tels en parole ou par corps au sein de sociétés où la gayfriendliness va croissante. Pire, « l’inversion de la question homosexuelle » (Éric Fassin), qui aboutit aujourd’hui à la condamnation de l’homophobie et à la mise en place de dispositifs légaux de consécration de la conjugalité homosexuelle, menace de gripper ce dernier mécanisme social qui rend le sacerdoce attractif dans les sociétés sécularisées. Ce risque de grippage oblige le Vatican, tout particulièrement sous le pontificat de Benoît XVI, à développer une politique explicitement homophobe en interne (la décision officielle de 2005 d’interdire l’ordination des candidats « ayant des tendances homosexuelles profondes et/ou promouvant la supposée culture homosexuelle ») comme en externe (via la lutte contre la « théorie du genre ») pour maintenir la nécessité du placard que ne garantit plus une homophobie d’État. Mais plus l’Église affirme une homophobie outrancière et plus elle prend le risque d’attirer l’attention sur son homophilie interne, notamment au sein des vieux ordres religieux ou s’est instauré un régime local de genre homotolérant.
Si ces deux phénomènes ne sont donc pas restés sans réponse de la part du sommet de la hiérarchie cléricale, ils ont aussi suscité des réactions de la part de sa base, au moins au sein de l’un des deux pôles structurant actuellement le catholicisme français. Travaillé par son « devenir minoritaire » (Denis Pelletier), celui-ci est, en effet, pris dans une dynamique tout à la fois de polarisation quant à son rapport au reste de la société et d’archipelisation quant à sa réalité organisationnelle. Or, au niveau des trois principaux « îlots » de « l’archipel » que constitue le pôle d’identité du catholicisme (formé par opposition idéaltypique au pôle d’ouverture selon Philippe Portier) se sont systématiquement mises en place des tentatives pour contrer le déclassement de la masculinité sacerdotale. Chacun de ces îlots a fait émerger un répertoire d’action générant une véritable politique de la masculinité, un front masculiniste, au sein de ce catholicisme-ci.
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Les communautés restitutionnistes ont produit un répertoire viriliste qui consiste à mettre en scène la relance de la fabrique de vrais prêtres – resacerdotalisés donc – mais néanmoins virils, et à ce titre, tentant ainsi d’échapper au soupçon d’efféminement ou d’homosexualité.
Les communautés charismatiques ont initié un répertoire redifférentialiste qui consiste à développer des activités pastorales en non-mixité, principalement à destination d’hommes en tant qu’hommes. Les prêtres qui s’engagent dans ce répertoire, profitant de l’aura de laïcs psychologues, manager ou coach – ces nouveaux clercs – avec lesquels ils organisent ces activités, peuvent ainsi apparaître comme des experts de la masculinité des laïcs sans pour autant la performer.
Un troisième répertoire consiste à adopter un discours managérial et à affirmer l’autorité politique du prêtre. Ce répertoire libéral conservateur apparaît distinctif des prêtres diocésains implantés dans les bastions catholiques bourgeois, le rendement symbolique de leur prêtrise dépendant de la vieille bourgeoisie notabiliaire, une clientèle, tout à la fois conservatrice et travaillée par les exigences d’adaptation au néolibéralisme mondialisé. Dans ce contexte, l’enracinement catholique est converti en élément du capital d’autochtonie, tout comme la blanchité mise en avant par ces prêtres, invisibilisant de fait les prêtres étrangers et racisés qui assurent la continuité du service public du sacré aux périphéries de ces bastions.
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Re: "Des Soutanes et des Hommes"
la suite pour les abonnés sur https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2021/09/26/l-eglise-a-ete-faconnee-a-la-fois-par-une-forte-presence-de-pretres-homosexuels-et-par-un-discours-tres-heteronormatif_6096064_6038514.html(...) Comment le projet de votre thèse sur la masculinité des prêtres dans l’Eglise catholique, qui vient d’être publiée, est-il né ?
Comme acteur engagé, j’ai vu monter en puissance au sein du catholicisme, dès avant 2012 et les grandes mobilisations contre le « mariage pour tous », des crispations autour des questions de genre, particulièrement chez les prêtres catholiques.
Comme sociologue, une énigme m’intriguait : le fait que l’Eglise catholique ait mis en place un système de genre décalé par rapport à celui des sociétés qui l’englobent. En effet, ce système ne comporte pas deux mais trois genres : l’homme laïc, la femme laïque et le clerc. C’est ce que j’ai appelé dans le livre le « bougé » catholique du genre, comme on nomme un flou volontaire en photographie.
Or, ce système est paradoxal. D’une part, l’Eglise catholique développe un discours naturalisant et binaire, selon lequel il y aurait une nature masculine et une nature féminine, avec une différence infranchissable entre les deux, au fondement de la nécessaire complémentarité des sexes et de l’hétérosexualité obligatoire. D’autre part, elle met en place une organisation interne tout autre. En effet, la masculinité que l’Eglise place au sommet de sa hiérarchie de genre, celle des prêtres et des religieux, est une construction atypique : en sacralisant le prêtre, l’Eglise en a fait un être à part, dégenré et désexualisé.
Si la question de la masculinité dans l’Eglise catholique est incontournable pour en saisir la doctrine et l’organisation, vous relevez qu’elle n’a guère fait l’objet d’études approfondies d’historiens ou de sociologues du catholicisme. Pourquoi cet impensé ?
Dans nos sociétés occidentales, la masculinité a longtemps été un impensé parce qu’elle était la norme. A ce titre, elle était omniprésente, évidente. C’est ce qu’ont très bien montré les chercheuses féministes des années 1970-1980, notamment Nicole-Claude Mathieu (1937-2014). Par ailleurs, tant que les prêtres étaient pris au sérieux par la population – notamment parce qu’ils étaient apparentés à des notables –, leur masculinité atypique, dégenrée et désexualisée n’était pas soupçonnée et donc pas questionnée en tant que telle (...)
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