QUEL AVENIR POUR L'ISLAM EN FRANCE ?
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QUEL AVENIR POUR L'ISLAM EN FRANCE ?
Tareq Oubrou :
« L'urgence est de constituer une autorité religieuse élue »
Propos recueillis par Virginie Larousse - 07/01/2019- Le Monde des Religions
Pour le recteur et imam de la Grande mosquée de Bordeaux, ce n'est pas à l'État qu'il revient de choisir une autorité musulmane instituée, mais à la base, en organisant des élections des imams au niveau local.
À l'approche de la grande réforme annoncée par le président Macron, quels sont les grands défis qui se posent à l'islam en France ?
À mon avis, l'urgence est de constituer en France une autorité religieuse instituée, composée d'imams à la fois docteurs et pasteurs. Le CFCM, qui s'occupe de l'administration du culte, remplit des fonctions administratives et non religieuses à proprement parler. Il faudrait donc créer une autorité religieuse, équivalente au rabbinat de France ou au Conseil des évêques de France. Bien entendu, ce ne serait ni à l'État ni au CFCM de la désigner.
Il est question de remanier la loi de 1905. Cela vous pose-t-il un problème que l'État cherche à s'immiscer dans les affaires religieuses, ou trouvez-vous cela acceptable, voire souhaitable ?
Les religions ne sont pas extérieures à la République. L'expression religieuse et la gestion de la religion concernent le droit, la Constitution et la République. Il est normal que le politique et le législateur s'intéressent à ce fait de société qu'est l'islam. Du reste, la loi de 1905 a déjà été modifiée à de nombreuses reprises. Néanmoins, il ne s'agit pas pour l'État de s'immiscer dans les affaires théologiques, mais d'accompagner une installation paisible de l'islam de France. Modifier la loi de 1905 en l'absence d'une instance religieuse musulmane solide n'aurait pas l'effet escompté.
Justement, il se murmure que vous seriez pressenti pour devenir le Grand imam de France. Un commentaire ?
Cela me fait sourire ! Ce n'est pas une question de grand imam, de petit imam ou de micro-imam. L'enjeu est de disposer d'une autorité religieuse élue par les pairs et émanant de la base, en organisant des élections des imams au niveau local, régional, jusqu'à un Conseil national des imams de France. Il ne s'agit donc pas de désigner une personne particulière, par un quelconque gallicanisme républicain, antinomique au principe de laïcité. C'est bien aux imams, prédicateurs et canonistes de France qu'il reviendrait de choisir ce conseil, qui devra en outre être indépendant du CFCM - lequel a toujours mis à l'écart les imams ! Rappelons qu'un imam, étymologiquement et canoniquement, est celui qui dirige et guide la communauté. Pourtant, en France, sous prétexte qu'il n'y a pas de clergé en islam, on les relègue au second plan. Méprisés, ils sont subordonnés à des « séculiers » que sont les présidents d'associations et des fédérations. C'est anormal.
Partagez-vous le constat des observateurs qui parlent d'une « islamisation » de certains quartiers ?
Il ne faut pas forcer le trait : il y a également une évangélisation des banlieues, où les Témoins de Jéhovah et les évangéliques, notamment, sont très actifs. Le vrai problème, dans ces territoires, c'est que les questions d'identité viennent se greffer sur ce qu'on appelle l'islam. On a parqué des gens de même origine, de même religion, dans un espace géographique commun, et on s'étonne aujourd'hui qu'il y ait un phénomène de communautarisation. Il existe aussi une communautarisation subie, qui est le fait d'une politique d'urbanisation ne respectant pas la mixité sociale. On parle de l'islamisation des banlieues, mais on ne parle jamais des musulmans qui quittent l'islam.
Qu'est-ce qui peut préserver l'islam des dérives fondamentalistes ?
Je pense que ces dérives sont en voie d'extinction : elles ne peuvent résister au phénomène de sécularisation qui travaille en profondeur les musulmans français, malgré des apparences parfois trompeuses. Le rapport des jeunes à l'islam est très superficiel. Je ne m'inquiète pas trop quant à l'essor de la radicalisation, mais je reste prudent, car il y a toujours un risque. La dynamique d'intégration fonctionne, même si le rythme n'est pas assez rapide. L'important, maintenant, c'est de minimiser les dégâts. Un discours d'apaisement est nécessaire, et les imams doivent être vigilants à ne pas accentuer la crise identitaire que traverse notre pays, en évitant les surenchères victimaires. On a besoin d'une théologie de l'altérité et de l'apaisement.
Tareq Oubrou est recteur et imam de la Grande mosquée de Bordeaux. Il est l'auteur de Ce que vous ne savez pas sur l'islam (Fayard, 2016).
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