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[SD] Christianisme perverti ?

5 participants

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[SD] Christianisme perverti ? Empty [SD] Christianisme perverti ?

Message  Materia Mer 28 Nov - 18:41

[Sujet divisé ; ce message répond à https://dialogueabraham.forum-pro.fr/t1612p150-passages-difficiles-du-coran-et-de-la-vie-de-muhammad#33854 ]
Ghazali a écrit:Si tu désires te réaliser spirituellement, te rapprocher de la Proximité Divine et donc de pouvoir recueillir toutes Ses Bénédictions, l'Islam le permet, et possède encore tous les moyens nécessaires pour y parvenir et faire face à tous les obstacles (y compris modernes, en terme péjoratif) que nous opposent les idéologies modernes perverties, ce que le Christianisme, par exemple, ne permet plus, puisqu'elle se laisse absorber par les forces occultes et n'offre plus aucun moyen de résistance durable et totale.

Tu entends quoi par là et source ?
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[SD] Christianisme perverti ? Empty Re: [SD] Christianisme perverti ?

Message  Ghazali Mer 28 Nov - 20:51

René Guénon avait expliqué dans les "Aperçus sur l'ésotérisme chrétien" que le christianisme était resté à ses débuts dans le domaine ésotérique, jusqu'à ce qu’il « descende » de façon « providentielle » dans le domaine exotérique « en parfait accord avec les lois cycliques ».

http://img49.xooimage.com/views/3/2/8/spirutus-sanctus-1e20cac.jpg/

"Le Christianisme, à ses origines, avait, tant par ses rites que par sa doctrine, un caractère essentiellement ésotérique, et par conséquent initiatique. On peut en trouver une confirmation dans le fait que la tradition islamique considère le Christianisme primitif comme ayant été proprement une tarîqa, c’est-à-dire en somme une voie initiatique, et non une sharî’a ou une législation d’ordre social et s’adressant à tous."

"Si l’on considère quel était, à l’époque dont il s’agit, l’état du monde occidental, c’est-à-dire l’ensemble des pays qui étaient alors compris dans l’Empire romain, on peut facilement se rendre compte que, si le Christianisme n’était pas « descendu » dans le domaine exotérique, ce monde, dans son ensemble, aurait bientôt été dépourvu de toute tradition, celles qui existaient jusque là, et notamment la tradition gréco-romaine qui y était naturellement devenue prédominante, étant arrivées à une extrême dégénérescence qui indiquait que leur cycle d’existence était sur le point de se terminer."

"Cette « descente », insistons-y encore, n’était donc nullement un accident ou une déviation, et on doit au contraire la regarder comme ayant eu un caractère véritablement « providentiel », puisqu’elle évita à l’Occident de tomber dès cette époque dans un état qui eut été en somme comparable à celui où il se trouve actuellement. Le moment où devait se produire une perte générale de la tradition comme celle qui caractérise proprement les temps modernes n’était d’ailleurs pas encore venu ; il fallait donc qu’il y ait un « redressement », et le Christianisme seul pouvait l’opérer, mais à la condition de renoncer au caractère ésotérique et « réservé » qu’il avait tout d’abord ; et ainsi le « redressement » n’était pas seulement bénéfique pour l’humanité occidentale, ce qui est trop évident pour qu’il y ait lieu d’y insister, mais il était en même temps, comme l’est d’ailleurs nécessairement toute action « providentielle » intervenant dans le cours de l’histoire, en parfait accord avec les lois cycliques elles-mêmes."


Il y aurait un certain nombre de choses à dire d’un point de vue traditionnel sur la chrétienté notamment durant les mille années du Moyen Age (~ 500-1500) et ses relations avec l’Islam.

Dans l’image publiée en début de post, la colombe symbolise le Saint-Esprit (Rûh al-qudus) rayonnant sur les douze (les apôtres et leur Reine, la Vierge Marie). L’Eglise est régie par le Saint-Esprit, celui-là même dont le Coran parle : Lorsque Dieu a dit : Jésus, fils de Marie, rappelle-toi Ma Grâce sur toi et sur ta mère quand Je te fortifiais du Saint-Esprit (Cor.5.110 : idh qâla-Llâhu yâ ‘îsâ ‘bna maryama dhkur ni’matî ‘alayka idh ayyadtuka bi-rûhi-l-qudusi).

On sait effectivement que l’Eglise est aujourd’hui véritablement déviée avec la contre-doctrine de l’ex-cardinal Ratzinger (cela sera peut-être expliqué par la suite) et que sa déviation ne date pas d’aujourd’hui mais s’est faite crescendo sur de nombreux siècles. Mais il s’agit ici de comprendre le pourquoi traditionnel, c’est-à-dire les véritables raisons qui ne sont pas seulement humaines, mais aussi et surtout non-humaines. On sait aussi d’après René Guénon, que pendant les mille années de Moyen-Age, l’Occident a pu connaître malgré tout un monde traditionnel par la chrétienté (~ 500-1500) qui était une tradition possédant encore sa partie ésotérique.

La fonction du Pape est, comme toute fonction traditionnelle, nolens volens infaillible (« infaillibilité pontificale » ; cf. René Guénon, Aperçus sur l’initiation, chap.XLV de l’infaillibilité traditionnelle, note 2, p.286) grâce à l’assistance du Saint-Esprit (Rûh al-qudus). Comment et pourquoi l’Eglise a-t-elle pu véritablement se perdre en chemin durant les 6 derniers siècles et permettre la naissance du monde antéchristique moderne et post-moderne ?

L’édifice traditionnel connu aujourd’hui sous le nom de Sainte-Sophie a reçu sa forme définitive au VI° siècle chrétien, et est resté pendant le millénaire du Moyen-Age la « Grande Église » (Μεγάλη Ἐκκλησία - Megálē Ekklēsíā). C’est au milieu du XV° siècle, vers la fin de la véritable période traditionnelle chrétienne, que la Providence divine a voulu que celle-ci devienne une mosquée sous le Califat islamique (période Ottomane). Celle-ci deviendra un musée près d’un demi millénaire plus tard après l’abolition du Califat par Mustafa Kemal Attaturk dans les années 1920. L’emplacement de cette basilique est une colline où se situait un ancien lieu de Culte à Appolon.

La basilique Saint Pierre du Vatican est « moderne » puisqu’elle a été achevée au XVII° siècle. René Guénon avait parlé de la perte de la tradition ésotérique chrétienne qui existait au moyen-âge à partir du début du XIV° siècle (dans Autorité spirituelle et pouvoir temporel, je crois). On peut supposer que l’Art sacré qui présidait à la construction des Eglises et basiliques s’est perdu.

Quand on regarde d'ailleurs la basilique Saint Pierre, on ne ressent pas la même sérénité que lorsque l'on peut contempler Sainte Sophie, la perte de la tradition ésotérique se « ressent » dans l’Architecture des édifices sacrés (basées sur la géométrie sacrée).

L’art sacré consistait à ériger un édifice pour Dieu dans le sens d’une bénédiction divine ou descente d’influence spirituelle ou baraka. Ceci apparaît dans le lieu d’implantation (« porte des cieux » vs « porte des enfers »), dans l’orientation de l’édifice, dans la symbolique architecturale, dans les proportions divines, …

René Guénon écrivait à propos du symbolisme du dôme: "L’ensemble de l’édifice, envisagé de haut en bas, représente le passage de l’Unité principielle (à laquelle correspond le point central ou le sommet du dôme, dont toute la voute n’est en quelque sorte qu’une expansion) au quaternaire de la manifestation élémentaire ; inversement, si on l’envisage de bas en haut, c’est le retour de cette manifestation à l’Unité." (René Guénon, Symboles de la Science Sacrée, chap.XXXIX : Le symbolisme du dôme, p.241).

Il est certain qu’une civilisation qui construit ses temples et ses villes sans art sacré, est une civilisation qui a perdu son ésotérisme. Dans le christianisme du Moyen Age, il existait des constructeurs qui étaient des initiés (initiation de métier) et maitrisaient cet art sacré.

Fort probablement, la basilique Saint Pierre de Rome actuelle qui a été construite au XVII° siècle ne fut pas construite selon les véritables règles de l’art sacré, et soit par conséquent un support adéquat pour la descente d’influences spirituelles.

Par contre concernant Sainte-Sophie, Abd ar-Razzâq Yahyâ (Charles-André Gilis) a affirmé (Cf. Le Turban Noir, Max Giraud affaire à suivre.) que : "ce monument admirable est effectivement le support d'une influence spirituelle qui a subsisté jusqu'à nos jours.". Dans le document cité, on raconte aussi que Seyyidunâ al-Khidr – ‘alayhi salâm – aurait : « prit part à plusieurs reprises à la construction de Sainte Sophie afin de réaliser un projet dont le plan était inscrit dans la Table du Destin ».

Un représentant authentique d’une doctrine traditionnelle est nécessairement infaillible quand il parle au nom de cette doctrine :
"Il en est de même de l’ « infaillibilité pontificale », dont la proclamation a soulevé tant de protestations dues simplement à l’incompréhension moderne, incompréhension qui, d’ailleurs, rendait son affirmation explicite et solennelle d’autant plus indispensable : un représentant authentique d’une doctrine traditionnelle est nécessairement infaillible quand il parle au nom de cette doctrine ; et il faut bien se rendre compte que cette infaillibilité est ainsi attachée, non à l’individualité, mais à la fonction. C’est ainsi que dans l’Islam, tout mufti est infaillible en tant qu’interprète autorisé de la shariyah, c’est-à-dire de la législation basée essentiellement sur la religion, quoique sa compétence ne s’étende pas à un ordre plus intérieur ; les Orientaux pourraient donc s’étonner, non pas que le Pape soit infaillible dans son domaine, ce qui ne saurait faire pour eux la moindre difficulté, mais bien plutôt qu’il soit seul à l’être dans tout l’Occident."
(René Guénon, Autorité spirituelle et pouvoir temporel, chap.VII : Les usurpations de la royauté et leurs conséquences, note 2 p.84).

Cette infaillibilité a lieu lorsque le représentant de la tradition est authentique. Les Papes depuis un certain nombre de siècles étaient-ils les représentants authentiques de la tradition catholique ?

René Guénon rajoute à propos de l’Autorité spirituelle : "et, même si cette autorité, par la faute de ses représentants, avait entièrement perdu l’ « esprit » de sa doctrine, la seule conservation du dépôt de la « lettre » et des formes extérieures dans lesquelles cette doctrine est contenue en quelque façon continuerait encore à lui assurer la puissance nécessaire et suffisante pour exercer valablement sa suprématie sur le temporel (1).

(1) Ce cas est comparable à celui d’un homme qui aurait reçu en héritage une cassette fermée contenant un trésor, et qui, ne pouvant l’ouvrir, ignorerait la vraie nature de celui-ci ; cet homme n’en serait pas moins l’authentique possesseur du trésor ; la perte de la clef ne lui en enlèverait pas la propriété, et, si certaines prérogatives extérieures étaient attachées à cette propriété, il conserverait toujours le droit de les exercer ; mais, d’autre part il est évident que, en ce qui le concerne personnellement, il ne pourrait, dans ces conditions, avoir effectivement la pleine joissance de so trésor."
(René Guénon, Autorité spirituelle et pouvoir temporel, chap.VII : Les usurpations de la royauté et leurs conséquences, p.83).



Dans le cas du christianisme, « le dépôt de la « lettre » et des formes extérieures dans lesquelles cette doctrine est contenue » n’est pas accessible à n’importe quel chrétien (contrairement à l’Islam). En effet, René Guénon avait noté dans les Aperçus sur l’ésotérisme chrétien l’inexistence dans le christianisme d’une Loi et d’une langue sacrées.
"(…) c’est que le christianisme ne possède pas non plus l’équivalent de la partie proprement « légale » des autres traditions ; cela est tellement vrai que, pour y suppléer, il a dû adapter à son usage l’ancien droit romain, en y faisant d’ailleurs des adjonctions, mais qui, pour lui être propres, n’ont pas davantage leur source dans les Ecritures mêmes ;" (René Guénon, Aperçus sur l’ésotérisme chrétien).

"(…) ainsi le grec et le latin peuvent parfaitement, de même que quelques autres langues anciennes (4), jouer le rôle de langues liturgiques pour le Christianisme (5), mais ils ne sont aucunement des langues sacrées ;"
(René Guénon, Aperçus sur l’ésotérisme chrétien).


Lorsqu’il n’y a plus de loi et de langue sacrée (cas du christianisme), l’intégrité du message divin transmis n’est plus garantie car elle dépend de la réalisation initiatique du ou des représentants de la tradition. Comme l’Eglise catholique a rejeté tout ésotérisme (depuis au moins l’affaire des Templiers au début du XIV° siècle), il y a à la fois perte de l’ « Esprit » et de la « lettre ».
La véritable doctrine chrétienne est intacte chez le Saint-Esprit, mais les réceptacles humains représentant l’Eglise catholique actuelle ne sont plus qualifiés pour recevoir et interpréter celle-ci. Ce ne sont plus les représentants authentiques de la tradition Catholique.

Selon le Sheykh Ibn 'Arabî, l’Esprit de Sainteté (Rûh al-Qudusi) est l’aspect microcosmique de la haqîqa muhammadiyya (Futûhât, chap.6). Abd al-Karîm al Jîlî en parle aussi : "Sache que l’Esprit de Sainteté (Rûh al-Qudusi) est l’Esprit des esprits. Sa transcendance l’empêche d’entrer dans la sphère du kun : il n’est pas permis de le considérer comme créé car il est un des Visages de Dieu, celui qui est à l’Existence (al-wujûd). Ce n’est pas un Esprit pareil aux autres, mais l’Esprit d’Allâh insufflé par Lui en Adam, auquel fait allusion le verset : « Et J’ai insufflé en lui de Mon Esprit ». L’Esprit d’Adam est créé, mais non l’Esprit d’Allâh ; c’est pourquoi il est « l’Esprit de Sainteté », c’est-à-dire l’Esprit immaculé (muqaddas) préservé des imperfections du devenir cosmique. C’est lui que l’on a en vue lorsqu’on mentionne les « visages divins » qui sont dans les créatures ; c’est lui dont il est question dans la parole : « Où que vous vous tourniez, là est la face d’Allâh » (Cor.2.115). Il s’agit de l’Esprit de Sainteté par lequel Allâh réalise l’existence du Monde."
(Abd al-Karîm al Jîlî, al-Insân al-Kâmil, chap.50).

Il est clair que dire que Jésus est littéralement le « Fils de Dieu » est une formulation antimétaphysique puisque le Principe divin « n’engendre pas et n’est pas engendré » (lam yalid wa lam yûlad) : Seyyidunâ ‘îsâ – Paix sur lui !- est le Verbe d’Allâh (Kalimatu-Llâh). Pour l’aspect trinitaire “Ne dites pas trois, c’est mieux pour vous » (lâ taqûlû thalâthah) est le conseil divin. Il existe bien entendu un enseignement initiatique du Sheykh al-Akbar Ibn Arabî – qu’Allah l’agrée – sur cet aspect dans les Futûhât et les Fusûs (Verbe de Muhammad –qu’Allah prie sur lui et le salue !-).


"la Renaissance, toute trahison qu'elle fut, n'aurait pas pu s'installer si elle n'avait profité d'une réaction contre un idéalisme d'au-delà - contempteur d'un ici bas maudit - qui pesait d'une manière irréaliste et disproportionné sur les âmes et les corps. Au naturel maudit, anathématisé par un surnaturel isolé et apparemment hostile, l'Islam entend opposer un naturel sacralisé et par là surnaturalisé." (Frithjof Schuon - Soufisme, voile et quintessence).

Il ne faut pas oublier que la Renaissance fut le début des temps modernes, l'évènement par lequel la partie occidentale de la religion a totalement supplanté sa partie orientale représentée par les ordres initiatiques avec lesquels l'Eglise a décidé de rompre petit à petit, faisant le jeu des tendances dissolvantes qu'elle avait jusqu'ici réussi plus ou moins à neutraliser).

L'évangile de Luc nous apprend également que : "Il faut que le scandale arrive."
Les choses arrivent parce qu’elles devaient arriver conformément au Plan divin. L’avènement de l’Antéchrist (Dajjal) doit avoir lieu pour que le Mahdi et le Sceau de la Sainteté Jésus puissent opérer au redressement traditionnel de fin de cycle révélé par le Sceau des Prophètes et des Envoyés Muhammad – qu’Allah prie sur eux et les salue !-.
Il faut remarquer aussi que la disparition de l’Ordre du Temple au XIV° siècle chrétien correspond notamment à la volonté du cupide roi Philippe Le Bel surnommé par Dante falsificatore di moneta de détourner la valeur de la monnaie à son avantage, en bafouant le principe traditionnel de la « stabilité des échanges » (cf. René Guénon, dans "Autorité spirituelle et pouvoir temporel" et "Le Règne de la quantité et les signes des temps"). C’est une forme de ce qu’on appelle en Islam la ribâ i-e ne pas respecter le principe d’un « dirham pour un dirham » ou une « datte pour une datte ».

Le moteur de la création du monde antéchristique moderne est la « légalisation du prêt à intérêt » que les représentants de la chrétienté n’ont pas pu interdire faute de Loi divine et d’accès à l’esprit de sainteté comme il est possible de le remarquer. Il est extrêmement dangereux (c’est une question de vie et de mort) de ne pas comprendre que ce principe est hautement maléfique est haram (illicite), les gens ne savent plus la signification et les conséquences du haram, ce qui est la cause de leur perte.

L’ésotérisme chrétien avait reçu une vivification (ihyâ’) de la part du Centre du Monde dont les représentants les plus directs se trouvaient en terre d’Islam entre les XII° et XIII° siècles (7e et 8e siècle de l’Hégire, nous sommes aujourd’hui au 15e siècle) par le biais notamment du rayonnement spirituel du Sceau de la sainteté muhammadienne, le Sheykh al-Akbar Ibn Arabî – qu’Allah l’agrée – à travers des personnalités inconnues inspiratrices de nombreuses organisations secrètes dont les « Frères de la Rose-Croix » (qui utilisaient comme « couverture » les corporations de constructeurs) ou les « Fidèles d’Amour ». L’influence du Sheykh al-Akbar sur les « Fidèles d’Amour » se retrouve à travers les écrits de Dante Alighieri qui était l’un des chefs.

Ensuite, Michel Vâlsan écrivait dans "L’Islam et la fonction de René Guénon" : « Ceux qui ont compris l’œuvre de René Guénon savent qu’à travers celle-ci les forces spirituelles de l’Orient ont donné une aide providentielle à l’Occident en vue d’un redressement traditionnel qui intéresse l’humanité dans son ensemble ». Ce n’est pas pour rien que ce dernier considèrait que l'oeuvre de René Guénon a une "sûre origine akbarienne"…

Le monde moderne c’est la négation du spirituel qui est obtenue par un renversement des rapports normaux entre spirituel et temporel. Dans une société traditionnelle, et pour des raisons d’opportunité cyclique, l’Autorité spirituelle et le pouvoir temporel ne sont pas obligés d’être détenus par un même pouvoir. Il suffit que la hiérarchie entre le spirituel et le temporel soit respectée. Ce qui était le cas normal de la « Chrétienté » du moyen-âge jusqu’à la révolte de Philippe Le Bel.

Dans la « Chrétienté » du moyen-âge, la partie ésotérique de la tradition existait réellement (de même que la vivification du XII° siècle par l’ésotérisme islamique). Qui dit tradition, dit continuité dans la transmission des influences spirituelles et de la doctrine initiatique. La chrétienté est venue vivifier un Occident (Empire Romain), qui se trouvait alors dans un état très avancé de dégenerescence (traditions spirituelles déviantes et qui devinrent des formes avancées de paganisme et d'idolâtrie), par l’influence spirituelle spéciale du Verbe divin (Kalam Llâh) et du Saint-Esprit (Rûh al-Qudus). En vérité, le Messie Jésus Fils de Marie est un Envoyé d’Allâh, Son Verbe qu’Il a projetée sur Marie et un Esprit venant de Lui (Cor.4.171 : Innamâ al-Massîhu ‘Îsâ Bnu Mariama Rassûlu-Llâhi wa Kalimatu-Hu alqâhâ ilâ Mariama wa Rûhun min-Hu). Et Nous avons donné à Jésus les preuves évidentes et Nous l’avons affermi du Saint-Esprit (Cor.2.87 : wa âtaynâ ‘Îsâ al-bayyinât wa ayyadnâhu bi- Rûh al-Qudus).

Au moyen-âge chrétien, le pouvoir temporel restait malgré tout soumis à l’Autorité spirituelle. Cette soumission était garante d’un ordre véritablement traditionnel (Clergé, Noblesse, Tiers-Etat et Serfs) analogue à ce qui existait en Inde (Brahmânes, Kshatryas, Vayshias, Shudras). Chacun tenait la place qu’il devait tenir selon ses possibilités intérieures et extérieures. Cet ordre traditionnel est la condition sine qua non de la possibilité et de la pérennité de la transmission supra-humaine à tous les niveaux (et selon ce qui peut et doit être transmis à chaque niveau) qui définit proprement le mot tradition.

"La dépendance du pouvoir temporel à l’égard de l’autorité spirituelle a son signe visible dans le sacre des rois : ceux-ci sont réellement « légitimés » que lorsqu’ils ont reçu du sacerdoce l’investiture et la consécration, impliquant la transmission d’une « influence spirituelle » nécessaire à l’exercice régulier de leurs fonctions (1). Cette influence se manifestait parfois au dehors par des effets nettement sensibles, et nous citerons en exemple le pouvoir de guérison des rois de France, qui était en effet directement attaché au sacre ; elle n’était pas transmise au roi par son prédescesseur, mais illa recevait seulement par le fait du sacre. Cela montre bien que cette influence n’appartient pas en propre au roi, mais qu’elle lui est conférée par une sorte de délégation de l’autorité spirituelle, délégation en laquelle, comme nous l’indiquions déjà plus haut, consiste proprement le « droit divin » ; le roi n’en est donc que le dépositaire, et, par suite, il peut le perdre dans certains cas ; c’est pourquoi, dans la « Chrétienté » du moyen-âge, le Pape pouvait délier les sujets de leur serment de fidélité envers leur souverain (2).

(1) Nous traduisons par « influence spirituelle » le mot hébreu et arabe barakah ; le rite de l’ « imposition des mains » est un des modes les plus habituels de transmission de la barakah, et aussi de production de certains effets, de guérison notamment, au moyen de celle-ci.
(2) La tradition musulmane enseigne aussi que la barakah peut se perdre ; d’autre part, dans la tradition extrême orientale également, le « mandat du Ciel » est révocable lorsque le souverain ne remplit pas régulièrement ses fonctions, en harmonie avec l’ordre cosmique lui-même."

(René Guénon, Autorité spirituelle et pouvoir temporel, chap.V : Dépendance de la royauté à l'égard du sacerdoce, p.64-65).

Les corporations de métiers (dont la maçonnerie opérative) permettaient une initiation limitée aux Petits Mystères (équivalant à l’ampleur ou ‘ard de l’ésotérisme islamique). Et il existait même des organisations initiatiques secrètes qui permettaient très probablement l’accès aux Grands Mystères (exaltation ou tûl de l’ésotérisme islamique, cf. Le Symbolisme de la Croix), comme les « Fidèles d’Amour » ou les « Frères de la Rose-Croix ».

Le monde moderne ne pouvait apparaître qu’après la rebellion du pouvoir temporel contre l’Autorité spirituelle ou révolte des Kshatryas contre les Brahmanes :
"En Europe, nous trouvons aussi dès le moyen âge, l’analogue de la révolte des Kshatrya ; nous le trouvons même particulièrement en France, où, à partir de Philippe Le Bel, qui doit être considéré comme un des principaux auteurs de la déviation caractéristique de l’époque moderne, la royauté travailla presque constamment à se rendre indépendante de l’autorité spirituelle, tout en conservant cependant, par un singulier illogisme, la marque extérieure de sa dépendance originelle, puisque, nous l’avons déjà expliqué, le sacre des rois n’était pas autre chose. Les « légistes » de Philippe Le Bel sont déjà, bien avant les « humanistes » de la Renaissance, les véritables précurseurs du « laïcisme » actuel ; et c’est à cette époque, c’est-à-dire au début du XIV°, qu’il faut faire remonter en réalité la rupture du monde occidental avec sa propre tradition. Pour des raisons qu’il serait trop long d’exposer ici, et que nous avons d’ailleurs indiquées dans d’autres études, nous pensons que le point de départ de cette rupture fut marquée très nettement par la destruction de l’Ordre du Temple (1); nous rappellerons seulement que celui-ci constituait comme un lien entre l’Orient et l’Occident, et que, en Occident même, il était par son double caractère religieux et guerrier, une sorte de trait d’union entre le spirituel et le temporel.(1) voir notamment L’Esotérisme de Dante."
(René Guénon, Autorité spirituelle et pouvoir temporel, chap.VII : les usurpations de la royauté, p.81-82).

On trouvera des explications et informations, aussi bien complémentaires que supplémentaires, dans les ouvrages suivants (en plus de ceux qui sont mentionnés tout au long du texte) :

- La papauté contre l'islam (Charles-André Gilis).
- Principes et méthodes de l'art sacré (Titus Burckhardt et Seyyed Hossein Nasr).

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Message  Materia Mer 28 Nov - 22:12

C'est un peu trop long pour être lu, tu n'as pas un résumé ou ne peux tu pas surligner les passages importants ?
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Message  Pikou Mer 28 Nov - 22:16

Ah merci, tu as bien planché !! presque trop, car je ne m'attendais pas à une réponse aussi longue, et je ne sais pas encore par où la saisir. Une autre question me vient à l'esprit : tu réponds à Materia, à moi ou aux deux ?
Il faut que je relise à tête reposée :)

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Message  Ghazali Mer 28 Nov - 22:57

Je répondais à tout le monde en fait ^^.
Mais il y aurait encore des choses à dire (j'attendrai plus tard pour les poster ici, pour éviter de rendre le texte trop lourd).
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Message  -Ren- Jeu 29 Nov - 7:08

Ghazali a écrit:René Guénon avait expliqué dans les "Aperçus sur l'ésotérisme chrétien" que le christianisme était resté à ses débuts dans le domaine ésotérique, jusqu'à ce qu’il « descende » de façon « providentielle » dans le domaine exotérique « en parfait accord avec les lois cycliques »
Enfin, vous savez, Guénon... :a:

Ghazali a écrit:On sait effectivement que l’Eglise est aujourd’hui véritablement déviée avec la contre-doctrine de l’ex-cardinal Ratzinger
Ne confondez pas la subjectivité de votre point de vue avec le savoir... Dire par exemple que "quand on regarde d'ailleurs la basilique Saint Pierre, on ne ressent pas la même sérénité que lorsque l'on peut contempler Sainte Sophie" est une affirmation totalement gratuite, et n'est donc en rien un argument à portée plus générale.

Ghazali a écrit:Pour l’aspect trinitaire “Ne dites pas trois, c’est mieux pour vous » (lâ taqûlû thalâthah) est le conseil divin
...Sauf que pour ma part, le Coran me parle d'une triade qui m'est étrangère, et non de ma foi en la Trinité... Mais nous en parlons ici : https://dialogueabraham.forum-pro.fr/

Ghazali a écrit:L’ésotérisme chrétien avait reçu une vivification (ihyâ’) de la part du Centre du Monde dont les représentants les plus directs se trouvaient en terre d’Islam entre les XII° et XIII° siècles (7e et 8e siècle de l’Hégire, nous sommes aujourd’hui au 15e siècle) par le biais notamment du rayonnement spirituel du Sceau de la sainteté muhammadienne, le Sheykh al-Akbar Ibn Arabî – qu’Allah l’agrée – à travers des personnalités inconnues inspiratrices de nombreuses organisations secrètes dont les « Frères de la Rose-Croix » (qui utilisaient comme « couverture » les corporations de constructeurs) ou les « Fidèles d’Amour »
Le sujet sur les rosicruciens est là : https://dialogueabraham.forum-pro.fr/t254-la-rose-croix

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[SD] Christianisme perverti ? Empty Re: [SD] Christianisme perverti ?

Message  Ghazali Jeu 29 Nov - 14:55

René Guénon avait une bien meilleure connaissance (à la fois synthétique et analytique) du Christianisme ainsi que du Catholicisme que la plupart des chrétiens actuels, y compris les érudits. Ses milliers de livres dans sa bibliothèque montrent sa grande érudition, et les nombreux catholiques qui s'empressaient de lui poser des questions et de s'instruire auprès de lui indiquent aussi qu'il constituait une autorité traditionnelle des plus impressionnantes de son vivant (musulmans, catholiques, juifs, hindous, etc.) échangeaient une importante correspondance avec René Guénon. Son oeuvre dépasse la simple érudition aussi, encore aujourd'hui, malgré sa mort il y a plus d'un demi-siècle, ses observations se trouvent confirmées par l'actualité, et de nombreux intellectuels s'inspirent encore de son oeuvre magistrale (même si certains penseurs ne prennent qu'une partie de son oeuvre ou essayent de minimiser la portée d'un autre aspect, pour des raisons malhonnêtes ou trop sentimentalistes).

Sinon, poursuivons avec la suite de la question posée précédemment.

"Comme le Christianisme, l'Islam enseigne que Jésus n'a pas eu de père humain, qu'il est « Parole de Dieu », qu'il est né d'une Vierge et que lui et cette Vierge-Mère ont le privilège unique de ne pas avoir été « touchés par le diable » au moment de leur naissance, ce qui indique l'Immaculée Conception ; comme il est impossible même au point de vue musulman que tous ces privilèges incomparables n'aient une signification secondaire, qu'ils ne se soient produits qu'« en passant » et sans laisser de traces décisives, les chrétiens se demanderont comment les musulmans peuvent sans contradiction concilier cette sublimité avec la foi en un Prophète subséquent. Pour le comprendre, - tout argument métaphysique mis à part, - il faut tenir compte de ceci: le Monothéisme intégral comporte deux lignées distinctes, israélite l'une et ismaélienne l'autre ; or, alors que dans la lignée israélite Abraham se trouve pour ainsi dire renouvelé ou remplacé par Moïse, - la Révélation sinaïtique étant comme un second commencement du Monothéisme, - Abraham reste toujours le Révélateur primordiale et unique pour les fils d'Ismaël. Le miracle sinaïtique appelait le miracle messianique ou christique : c'est le Christ qui, à un certain point de vue, clôt la lignée mosaïque et clôt la Bible, glorieusement et irrévocablement. Mais ce cycle allant de Moïse à Jésus, ou du Sinaï à l'Ascension, n'englobe précisément pas tout le Monothéisme : la lignée ismaélienne, et toujours abrahamique, se situait en dehors de ce cycle et restait en quelque sorte disponible ; elle appelait à son tour un achèvement glorieux, de caractère non sinaïtique et christique, mais abrahamique et muhammadien, et en un certain sens « désertique » et « nomade ».

Abraham fut avant Moïse ; Muhammad dut par conséquent apparaître après Jésus ; le « cycle miraculeux » allant du Sinaï au Christ se trouve comme encadré – temporellement parlant – par un autre cycle parallèle et d'un caractère très différent c'est-à-dire marqué davantage par la seule Vérité monothéiste, dans tout ce qu'elle comporte d'absolu et de salvateur par sa nature même, et épris de simplicité primordiale et de transcendance « platonicienne » ; l'Islam comme l'Abrahamisme sont fondamentalement des religions nomades sans histoire, et brûlés par ce Soleil divin toujours présent et toujours éternel. Devant ce Soleil, l'homme n'est rien : que le Khalif Omar conquière une partie du monde antique ou que le Prophète traie sa chèvre, revient presque au même ; c'est dire qu'il n'y a pas de « grandeur humaine » au sens profane et titanesque, qu'il n'y a donc pas d'humanisme fauteur de vaines gloires ; la seule grandeur admise et durable est la sainteté, et celle-ci appartient à Dieu.

L'Islam a perpétué jusqu'à nos jours le monde biblique, que le Christianisme, une fois européanisé, ne pouvait plus représenter ; sans islam, le Catholicisme eût vite fait d'envahir tout le Proche Orient, ce qui eût signifié la destruction de l'Orthodoxie et des autres Eglises d'Orient et la romanisation – donc l'européanisation – de notre monde jusqu'aux confins de l'Inde ; le monde biblique serait mort. On peut dire que l'Islam a eu le rôle providentiel d'arrêter le temps – donc d'exclure l'Europe – sur la partie biblique du globe et de stabiliser, tout en l'universalisant, le monde d'Abraham, qui fut aussi celui de Jésus ; le Judaïsme étant émigré e dispersé, et le Christianisme s'étant romanisé, hellénisé et germanisé, Dieu « se repentit » - pour employer le mot de la Genèse – de ce développement unilatéral et suscita l'Islam, qu'il fit surgir du désert, ambiance ou arrière-plan du Monothéisme originel. Il y a là un jeu d'équilibre et de compensation dont les exotérismes ne sauraient rendre compte, et il serait absurde de le leur demander (1).

1. Titus Burckhardt, ayant lu ces lignes, nous a communiqué au sujet du cycle Abraham-Mohammed les réflexions suivantes : « Il est significatif que la langue arabe soit la plus archaïque de toutes les langues sémitiques vivantes : son phonétisme conserve, à un son près, tous les sons indiqués par les plus anciens alphabètes sémitiques, et sa morphologie se retrouve dans le célèbre code de Hammourabi, qui est à peu près contemporain d'Abraham. » - « En fait, la Mecque avec la Kaaba construite par Abraham et Ismaël, est la ville sacrée oubliée, - oubliée à la fois par le Judaïsme, qui ignore le rôle prophétique d'Ismaël, et par le Christianisme, qui a hérité le même point de vue. Le sanctuaire de la Mecque, lequel est au Prophète ce que le Temple de Jérusalem est au Christ, - en un certain sens tout au moins, - est comme la « pierre rejetée par les bâtisseurs » et qui devient la pierre d'angle. Cette oublie du sanctuaire ismaélien, en même temps que la continuité Abraham-Ismaël-Mohammed, - le Prophète arabe étant de descendance ismaélienne, - ce double facteur nous montre comment l'économie divine aime à combiner le géométrique avec l'imprévu. Sans aucune importance est ici l'opinion de ceux qui voient dans l'origine abrahamique de la Kaaba un mythe musulman rétrospectif, et qui perdent totalement de vue que les anciens Arabes possédaient une mémoire généalogique à la fois extraordinaire et méticuleuse, comme d'ailleurs la plupart des nomades ou semi-nomades.


Ce qui, vu du dehors, apparaît dans l'Islam comme une disproportion irritante, c'est le contraste entre le style très humain du Prophète et la revendication de précellence dans la hiérarchie des messagers religieux ou même simplement des créatures. Le totalitarisme propre à toute religion oblige l'Islam à identifier le seul Mohammed au Logos total, les autres Prophètes ne pouvant pas dans ce cas que représenter des fonctions particulières de ce même Logos ; mais comme le Prophète de l'Islam n'a pas le droit d'être avatariquement surhumain, car l'Islam entend éviter à sa manière l'écueil de l'anthropolâtrie et du titanisme, aucun porte-parole du Ciel n'a le droit de l'être ; d'une part, Mohammed ne peut être qu'un « homme », et il est donc condamné par la perspective islamique à se manifester dans le moule de la petitesse et de la complexité propre au genre humain, mais d'autre part, il doit se situer au sommet, pour la raison évidente que nous venons d'indiquer (3). Ce qui compense en islam l'obligation de petitesse du porte-parole, - puisque, être créature, c'est être petit, - c'est la sublimisation du Prophète en vertu de son identification intérieur au Logos total ; d'où une sorte de vide entre la petitesse humaine et la grandeur métaphysique, vide qui, dans les perspectives avataristes, se trouve comblé par l'Homme-Dieu, qui est à la fois homme divin et Dieu humain.

Cette simplicité ou cette petitesse volontaire du Prophète, est d'ailleurs une preuve patente de sa sincérité ; un imposteur venu après le Christ n'aurait pas manqué de se déclarer à son tour « fils de Dieu ». La sincérité est ici d'autant plus éclatante que le Prophète admettait la naissance virginale du Christ, ce qui n'était nullement dans son intérêt, humainement ou logiquement parlant ; à aucun moment, Muhammad ne s'est donné la peine d'apparaître comme un surhomme (4). Au demeurant, Muhammad fut bel et bien un ascète ; sans doute, il avait quelques femmes, - incomparablement moins que David et Salomon qui en possédaient des centaines, - mais à part cette situation à son point de vue sacramentel, il ne mangeaient jamais à sa faim, passait ses nuits en prières et donnait en aumônes tout ce dont il n'avait pas strictement besoin. Pour ce qui est de son comportement politique, il convient de se rappeler que la morale extrinsèque de l'Islam est identique à celle de l'Ancien Testament : elle est a priori pratique et non ascétique ou mystique, elle est donc avant tout sociale. La morale intrinsèque, celle des vertus, prime la précédente mais appartient à un autre secteur, parallèle sans doute mais néanmoins indépendant ; elle agit vers 'extérieur comme la substance détermine les accidents ab intra et non ab extra ; et elle est censée être inhérente à toutes nos actions.

Avant d'aller plus loin, nous devons ouvrir ici une parenthèse. Les occidentaux croient devoir reprocher à Muhammed certains actes directes ou indirectes de cruauté, et ce faisant ils partent soit du préjugé que les victimes furent nécessairement innocentes, soit de l'erreur qu'il n'y a pas de coupable méritant de pareil traitement ; on leur répondrait du côté musulman que le traitement fut la réaction adéquate à une culpabilité physique et morale, ce qui est irréfutable en admettant que cette culpabilité fût réelle ; il est en tout cas impossible de prouver qu'elle ne le fut point, et la tendance de certains historiens à attribuer à toute action du passé les motifs les plus bas en dépit des données psychologiques contraires, n'aident évidemment ni à clarifier les choses ni à résoudre le problème en soi. Certes, le poète satirique Ka'b fut assassiné par traîtrise, mais Judith n'agit pas autrement à l'égard d'Holopherne, ni du reste Jahel à l'égard de Sisara, au temps de la prophétesse Débora ; dans les trois cas se manifeste un rapport amoral de cause à effet, fondé sur la nature trompeuse de la traîtrise elle-même, que celle-ci soit politique ou spirituelle ou les deux choses à la fois. S'il est vrai que dans certains cas les moyens avilissent la fin, il est tout aussi incontestable que dans d'autres cas la fin sanctifie les moyens ; car tout est ici une question de circonstances et de proportions (5).

Ceci dit, revenons à notre sujet. « vous avez dans l'Envoyé de Dieu un bel exemple », dit le Koran, et ce n'est certes pas pour rien. Les vertus qu'on peut observer chez les pieux musulmans, y compris les modalités héroïques auxquelles elles donnent lieu chez les soufis, sont attribuées par la Sounna au Prophète : or, il est inconcevable que ces vertus aient pu se pratiquer à travers les siècles jusqu'à nous sans que le fondateur de l'Islam les ait personnifiées au plus haut degré ; de même, il est inconcevable que des vertus aient été emprunté ailleurs, et on ne verrait du reste pas où, puisque leur conditionnement et leur style sont spécifiquement islamiques. Pour les musulmans, la valeur morale et spirituelle du Prophète n'est pas une abstraction ni une conjecture, elle est une réalité vécue, et c'est précisément ce qui prouve rétrospectivement son authenticité ; le nier reviendrait à prétendre qu'il y a des effets sans cause. Ce caractère muhammadien des vertus explique d'ailleurs l'allure plus ou moins impersonnelle des saints : il n'y a pas d'autres vertus que celles de Muhammad, elles ne peuvent donc que se répéter dans tous ceux qui imitent son exemple ; et c'est par elles que le Prophète survit dans sa communauté.

Que le musulman ne voit rien en dehors de ce phénomène particulier de grandeur est la rançon du subjectivisme propre à toute mentalité religieuse ; et c'est presque une tautologie d'ajouter qu'en dépit de tous les malentendus douloureux et irritants concernant d'autres modes de grandeur, le muslim compense – ou doit compenser – son « manque d'imagination » par une attitude qui réalise intérieurement et qualitativement ce qu'il méconnaît extérieurement. Il y a là tout le système de l' « amour du Prophète », ou de l'amour du Logos en tant que Manifestation divine terrestre : l'homme doit aimer le Logos humain afin de pouvoir être aimé par Dieu. Aimer le Prophète c'est, pratiquement, s'intégrer dans le moule de la Sunnah, et c'est revêtir ainsi devant dieu la norme humaine primordiale (fitrah), seule agréée par Lui."


(Frithjof Schuon, Perspectives spirituelles et faits humains).

Les adaptations cycliques semblent suivre un principe de la Sagesse (hikmah) qui n’est peut-être pas sans analogie avec celui qui, dans l’ordre physique, fait que l’eau s’adapte à la topographie des lieux et prend son cours.

Les chrétiens sont appelés dans le Coran par plusieurs noms ahl al-Kitâb (gens du Livre qui comprennent d’autres traditions dont celle des Juifs), ahl al-Injîl (gens de l’Evangile), al-Nasârâ,… Il existe d’ailleurs une distinction que peu savent entre les Chrétiens et les Nasârâ puisque ce dernier qualificatif est souvent et improprement traduit par Chrétiens. Ce que Michel Vâlsan avait écrit dans l’une de ces célèbres notes (dans le monde des Etudes Traditionnelles) éclaircit (assez subtilement d’ailleurs comme à son habitude) selon des enseignements ésotériques du Sheykh al-Qashânî – radiyallâh ‘anh - ce que signifie Yahûd et les Nasârâ dont voici un petit extrait :
"Cette autre correspondance dérive également des hadîths prophétiques, dont un, transmis par le même ‘Adî Ibn Hâtim, dit : « Ceux qui sont dans l’égarement sont les Nasârâ ». Au même propos, on rappelle un verset de la sourate de « La Table » qui désigne ceux-ci comme étant « ceux qui se sont égarés précédemment, qui en ont égarésbeaucoup d’autres et qui errent hors de la Voie du Milieu » (Cor.5.77), et c’est à ce verset, d’ailleurs que le commentateur emprunte la notion de « Voie du Milieu ». Ce qui peut sembler étrange, à première vue, c’est que, malgré les termes nets du Coran et des hadiths sur ce point, Al-Qashânî place les Nasârâ dans une perspective somme toute favorable, puisqu’il leur attribue une orientation qui serait d’ordre ésotérique, dirait-on : c’est que l’ « égarement » en question est effectivement dans le domaine intermédiaire. Le cas de ceux que le Coran appelle les Nasârâ ou qui sont dits s’appeler eux-mêmes Nasârâ (il y aplus qu’une nuance qu’il ne faut pas négliger éventuellement) semble donc être au fond celui de toutes les organisations qui dans leurs orientations et disciplines de vie intérieure ne s’appuient plus sur le support législatif initial et « optime » de leur forme traditionnelle, et qui débordent alors dans les adaptations plus ou moins irrégulières ; ils peuvent d’ailleurs obtenir des statuts réguliers nouveaux mais à des degrés inférieurs et limités (Cf. Coran 5, 14, le cas du mîthâq, « pacte divin », pris sur certains des Nasârâ et qui , d’ailleurs, en « oublièrent » une part) ; tel aurait été dans une certaine mesure, peut-être, dans l’histoire de l’Islam même, le cas des organisations qu’on inclut sou le titre général des Bâtiniyyah, les « Intérioristes » (pour ne pas employer en ce cas la traduction « Esotéristes »). Or, les déficiences dont il est fait état dans le cas présent, qui sembleraient devoir être cependant, d’une importance plutôt secondaire, sont en réalité l’expression perceptible d’une perte, plus difficilement saisissable, de conscience effective dans l’ordre des vérités purement métaphysiques, nonobstant d’ailleurs la conservation des textes doctrinaux de base : à leur tour, elles constituent une cause de dégénérescence progressive, tant que des interventions réparatrices et revivificatrices ne se produisent et ne réussissent pas. C’est là, du reste la raison pour laquelle le commentateur attribue à la réunion des deux aspects « extérieur » et « intérieur », représentés ici par les voies distinctives des Yahûd et des Nasârâ, une valeur qui dépasse la simple somme des valeurs particulières respectives. Le « Chemin Droit » interprété métaphysiquement comme « Sentier de l’Unité Pure ou de l’Identité » (Tarîq al-Wahdah), n’a pas de commune mesure avec les voies particulières qu’il inclut cependant toutes, pour ce qu’elles ont de positif, dans une synthèse suprême, et le commentaire l’affirmera d’ailleurs encore très clairement à la fin.

Du fait de l’interprétation certaine des « égarés » comme étant les Nasârâ, il résulte que, de toute façon, ceux-ci ne peuvent correspondre à la première génération chrétienne, contemporaine du Christ, car celle-là était, selon le Coran, cette part des Banû Isrâ’îl véritables qui avaient cru et accepté l’envoyé divin, et qui de ce fait, en terminologie technique coranique, correspondent au cas des « Musulmans », les « Soumis » à la volonté et à l’autorité divine représentés par l’envoyé. D’après le symbolisme de leur nom, cependant les Nasârâ (sing. Nasrânî) sont une forme spirituelle secondaire, lointainement dérivée de la notion des premiers Ansârs (Auxilliaires) d’Allâh auprès de Jésus, et qui étaient plus précisément les Hawâriyyûn les « Blancs » ou plutôt les « Candides » qui répondirent positivement au Christ : « Nous sommes les Auxilliaires d’Allâh » (Cor.61.14), « Nous croyons en Allâh ! Témoigne que nous sommes des musulmans, etc. » (Cor.5.111). Mais la voie des Nasârâ, ne correspondant pas à une tradition régulière et intégrale, ne peut désigner non plus le Christianisme dans toute sa carrière historique car celui-ci a, certes, connu des époques de « complétude » aussi bien sur le plan ésotérique que sur le plan exotérique ;..."

(Michel Vâlsan, Le Commentaire de la Fâtiha – Etudes Traditionnelles n° 376, Mars-Avr. 1963, notes relatives aux « Juifs » et aux « Chrétiens »).

"Il y a dans la doctrine islamique un point intéressant et important en connexion avec ce qui vient d’être dit : le « chemin droit » (Eç-çirâtul-mustaqîm) dont il est parlé dans la fâtihah (littéralement « ouverture ») ou première sûrat du Qorân n’est pas autre chose que l’axe vertical pris dans son sens ascendant, car sa « rectitude » (identique au Te de Lao-tseu) doit, d’après la racine même du mot qui la désigne (qâm, « se lever »), être envisagée suivant la direction verticale. On peut dès lors comprendre facilement la signification du dernier verset, dans lequel ce « chemin droit » est défini comme « chemin de ceux sur qui Tu répands Ta grâce, non de ceux sur qui est Ta colère ni de ceux qui sont dans l’erreur » (çirâta elladhîna anamta alayhim, ghayri el-maghdûbi alayhim wa lâ ed-dâllîn). Ceux sur qui est la « grâce » divine, ce sont ceux qui reçoivent directement l’influence de l’« Activité du Ciel », et qui sont conduits par elle aux états supérieurs et à la réalisation totale, leur être étant en conformité avec le Vouloir universel. D’autre part, la « colère » étant en opposition directe avec la « grâce », son action doit s’exercer aussi suivant l’axe vertical, mais avec l’effet inverse, le faisant parcourir dans le sens descendant, vers les états inférieurs : c’est la voie « infernale » s’opposant à la voie « céleste », et ces deux voies sont les deux moitiés inférieure et supérieure de l’axe vertical, à partir du niveau correspondant à l’état humain. Enfin, ceux qui sont dans l’« erreur », au sens propre et étymologique de ce mot, ce sont ceux qui, comme c’est le cas de l’immense majorité des hommes, attirés et retenus par la multiplicité, errent indéfiniment dans les cycles de la manifestation, représentés par les spires du serpent enroulé autour de l’« Arbre du Milieu »(1).


(1) Ces trois catégories d’êtres pourraient être désignées respectivement comme les « élus », les « rejetés » et les « égarés » ; il y a lieu de remarquer qu’elles correspondent exactement aux trois gunas : la première à sattwa, la seconde à tamas, et la troisième à rajas. Certains commentateurs exotériques du Qorân ont prétendu que les « rejetés » étaient les Juifs et que les « égarés » étaient les Chrétiens ; mais c’est là une interprétation étroite, fort contestable même au point de vue exotérique, et qui, en tout cas, n’a évidemment rien d’une explication selon la haqîqah. Au sujet de la première des trois catégories dont il s’agit ici, nous devons signaler que l’« Élu » (Et-Mustafâ) est, dans l’Islam, une désignation appliquée au Prophète et, au point de vue ésotérique, à l’« Homme Universel »."

(René Guénon, Le Symbolisme de la Croix chapitre XXIV).


"En Europe, nous trouvons aussi, dès le moyen âge, l'analogue de la révolte des kshatriyas ; nous le trouvons même plus particulièrement en France, où, à partir de Philippe le Bel, qui doit être considéré comme un des principaux auteurs de la déviation caractéristique de l'époque moderne, la royauté travailla presque constamment à se rendre indépendante de l'autorité spirituelle, tout en conservant cependant, par un singulier illogisme, la marque extérieur de sa dépendance originelle, puisque, comme nous l'avons expliqué, le sacre des rois n'était pas autre chose. Les « légistes » de Philippe le Bel sont déjà, bien avant les « humanistes » de la Renaissance, les véritables précurseurs du « laïcisme » actuel ; et c'est à cette époque, c'est-à-dire au début du XIVe siècle, qu'il faut faire remonter en réalité la rupture du monde occidentale avec sa propre tradition. Pour des raisons qu'ils serait trop long d'exposer ici, et que nous avons d'ailleurs indiquées dans d'autres études (1), nous pensons que le point de départ de cette rupture fut marqué très nettement par la destruction de l'Ordre du Temple ; nous rappellerons seulement que celui-ci constituait comme un lien entre l'Orient et l'Occident, et que, en Occident même, il était, par son double caractère religieux et guerrier, une sorte de trait d'union entre le spirituel et le temporel, si même ce double caractère ne doit être interprété comme le signe d'une relation plus directe avec la source commune des deux pouvoirs (2).

(1) Voir notamment "L'Esotérisme de Dante".

(2) Voir à ce sujet notre étude sur Saint Bernard ; nous y avons signalé que les deux caractères du moine et du chevalier se trouvaient réunis en saint Bernard, auteur de la règle de l'Ordre du Temple, qualifié par lui de « milice de Dieu », et par là s'explique le rôle qu'il eut à jouer constamment, de conciliateur et d'arbitre entre le pouvoir religieux et le pouvoir politique."


(René Guénon, Autorité spirituelle et pouvoir temporel chapitre VI : La révolte des Kshatriyas).



"En vivant selon la Shari'ah l'homme place son existence toute entière dans la « main » de Dieu. La Shari'ah, parce qu'elle envisage tous les aspects de l'activité humaine, sanctifie l'existence toute entière et donne une signification religieuse à ce qui, sans cela, pourrait sembler n'être qu'activités profanes.

[…] Dans la civilisation chrétienne, le droit réglementant la société humaine ne reçut jamais une sanction divine comparable à celle qui s'attache aux enseignements du Christ. Cette absence de Loi divine dans le Christianisme a joué un rôle certain dans la laïcisation de l'Occident à l'époque de la Renaissance. C'est aussi la raison pour laquelle les Occidentaux et les si nombreux Musulmans gagnés au modernisme ne parviennent pas à comprendre la signification et le rôle de la Shari'ah.

Quoi qu'il en soit, en ce qui concerne la Loi divine, la position de l'islam et celle du Christianisme divergent complètement. L'Islam n'a jamais rendu à César ce qui était à César. Il s'est plutôt efforcé d'intégrer le domaine de César ; c'est-à-dire la vie politique, sociale et économique, dans une perspective religieuse englobant le monde. Ainsi, dans l'islam, la Loi est partie intégrante de la révélation et non un élément étranger. Bien entendu, la loi romaine était, elle aussi, conditionnée par la religion romaine et le « Divin César » avait pour fonction d'établir l'ordre sur terre à l'aide de cette loi. Mais, du point de vue chrétien, il s'agissait là d'une composante extérieur qui ne possédait par l'autorité sanctifiante de la révélation. Dès le commencement, la loi fut donc, dans l'Occident chrétien, une institution humaine qui devait être établie et révisée selon les besoins et les circonstances du moment. L'attitude occidental envers la loi est entièrement déterminé par le fait que le Christianisme est essentiellement une voie spirituelle et n'a pas apporté de loi révélée qui lui soit propre.

[…] Il existe un hadith selon lequel un homme qui travaille pour nourrir sa famille accomplit un acte d'adoration au même titre que lorsqu'il prie. Pour qui n'est pas familiarisé avec un mode de vie traditionnel, cette affirmation peut sembler difficile à comprendre. Trouver une signification religieuse à la plupart des actions humaines est impossible et, à l'exception de quelques fonctions liées à l'administration des choses religieuses, la plupart des professions qui servent à l'homme à assurer son existence sont dépourvues de toute signification religieuse directe. L'effondrement de la société chrétienne traditionnelle, dans laquelle chaque action était empreinte d'une signification religieuse, a désacralisé depuis longtemps une grande partie de la vie humaine en Occident. Il est extrêmement difficile à l'homme d'aujourd'hui qui désire restaurer sa vie tout entière dans son unité, d'accorder une signification religieuse au travail quotidien qu'il est obligé d'accomplir. [...]"
.
(Seyyed Hossein Nasr, Islam - perspective et réalités, chapitre IV).

"Nous avons souvent expliqué déjà que, dans une civilisation intégralement traditionnelle, toute activité humaine, quelle qu’elle soit, possède un caractère qu’on peut dire sacré, parce que, par définition même, la tradition n’y laisse rien en dehors d’elle ; ses applications s’étendent alors à toutes choses sans exception, de sorte qu’il n’en est aucune qui puisse être considérée comme indifférente ou insignifiante à cet égard, et que, quoi que fasse l’homme, sa participation à la tradition est assurée d’une façon constante par ses actes mêmes. Dès que certaines choses échappent au point de vue traditionnel ou, ce qui revient au même, sont regardées comme profanes, c’est là le signe manifeste qu’il s’est déjà produit une dégénérescence entraînant un affaiblissement et comme un amoindrissement de la tradition ; et une telle dégénérescence est naturellement liée, dans l’histoire de l’humanité, à la marche descendante du déroulement cyclique. Il peut évidemment y avoir là bien des degrés différents, mais, d’une façon générale, on peut dire qu’actuellement, même dans les civilisations qui ont encore gardé le caractère le plus nettement traditionnel, une certaine part plus ou moins grande est toujours faite au profane, comme une sorte de concession forcée à la mentalité déterminée par les conditions mêmes de l’époque. Cela ne veut pourtant pas dire qu’une tradition puisse jamais reconnaître le point de vue profane comme légitime, car cela reviendrait en somme à se nier elle-même au moins partiellement, et suivant la mesure de l’extension qu’elle lui accorderait ; à travers toutes ses adaptations successives, elle ne peut que maintenir toujours en droit, sinon en fait, que son propre point de vue vaut réellement pour toutes choses et que son domaine d’application les comprend toutes également.

Il n’y a d’ailleurs que la seule civilisation occidentale moderne qui, parce que son esprit est essentiellement antitraditionnel, prétende affirmer la légitimité du profane comme tel et considère même comme un « progrès » d’y inclure une part de plus en plus grande de l’activité humaine, si bien qu’à la limite, pour l’esprit intégralement moderne, il n’y a plus que du profane, et que tous ses efforts tendent en définitive à la négation ou à l’exclusion du sacré.
Les rapports sont ici inversés : une civilisation traditionnelle, même amoindrie, ne peut que tolérer l’existence du point de vue profane comme un mal inévitable, tout en s’efforçant d’en limiter les conséquences le plus possible ; dans la civilisation moderne, au contraire, c’est le sacré qui n’est plus que toléré, parce qu’il n’est pas possible de le faire disparaître entièrement d’un seul coup, et auquel, en attendant la réalisation complète de cet « idéal », on fait une part de plus en plus réduite, en ayant le plus grand soin de l’isoler de tout le reste par une barrière infranchissable.

Le passage de l’une à l’autre de ces deux attitudes opposées implique la persuasion qu’il existe, non plus seulement un point de vue profane, mais un domaine profane, c’est-à-dire qu’il y a des choses qui sont profanes en elles-mêmes et par leur propre nature, au lieu de n’être telles, comme il en est réellement, que par l’effet d’une certaine mentalité. Cette affirmation d’un domaine profane, qui transforme indûment un simple état de fait en un état de droit, est donc, si l’on peut dire, un des postulats fondamentaux de l’esprit antitraditionnel, puisque ce n’est qu’en inculquant tout d’abord cette fausse conception à la généralité des hommes qu’il peut espérer en arriver graduellement à ses fins, c’est-à-dire à la disparition du sacré, ou, en d’autres termes, à l’élimination de la tradition jusque dans ses derniers vestiges.
Il n’y a qu’à regarder autour de soi pour se rendre compte à quel point l’esprit moderne a réussi dans cette tâche qu’il s’est assignée, car même les hommes qui s’estiment « religieux », ceux donc chez qui il subsiste encore plus ou moins consciemment quelque chose de l’esprit traditionnel, n’en considèrent pas moins la religion comme une chose occupant parmi les autres une place tout à fait à part, et d’ailleurs à vrai dire bien restreinte, de telle sorte qu’elle n’exerce aucune influence effective sur tout le reste de leur existence, où ils pensent et agissent exactement de la même façon que les plus complètement irréligieux de leurs contemporains.
Le plus grave est que ces hommes ne se comportent pas simplement ainsi parce qu’ils s’y trouvent obligés par la contrainte du milieu dans lequel ils vivent, parce qu’il y a là une situation de fait qu’ils ne peuvent que déplorer et à laquelle ils sont incapables de se soustraire, ce qui serait encore admissible, car on ne peut assurément exiger de chacun qu’il ait le courage nécessaire pour réagir ouvertement contre les tendances dominantes de son époque, ce qui n’est certes pas sans danger sous plus d’un rapport.
Bien loin de là, ils sont affectés par l’esprit moderne à un tel point que, tout comme les autres, ils regardent la distinction et même la séparation du sacré et du profane comme parfaitement légitime, et que, dans l’état de choses qui est celui de toutes les civilisations traditionnelles et normales, ils ne voient plus qu’une confusion entre deux domaines différents, confusion qui, suivant eux, a été « dépassée » et avantageusement dissipée par le « progrès » !

Il y a plus encore : une telle attitude, déjà difficilement concevable de la part d’hommes, quels qu’ils soient, qui se disent et se croient sincèrement religieux, n’est même plus seulement le fait des « laïques », chez lesquels on pourrait peut-être, à la rigueur, la mettre sur le compte d’une ignorance la rendant encore excusable jusqu’à un certain point. Il paraît que cette même attitude est maintenant aussi celle d’ecclésiastiques de plus en plus nombreux, qui semblent ne pas comprendre tout ce qu’elle a de contraire à la tradition, et nous disons bien à la tradition d’une façon tout à fait générale, donc à celle dont ils sont les représentants aussi bien qu’à toute autre forme traditionnelle ; et on nous a signalé que certains d’entre eux vont jusqu’à faire aux civilisations orientales un reproche de ce que la vie sociale y est encore pénétrée de spirituel, voyant même là une des principales causes de leur prétendue infériorité par rapport à la civilisation occidentale ! Il y a d’ailleurs lieu de remarquer une étrange contradiction : les ecclésiastiques les plus atteints par les tendances modernes se montrent généralement beaucoup plus préoccupés d’action sociale que de doctrine ; mais, puisqu’ils acceptent et approuvent même la « laïcisation » de la société, pourquoi interviennent-ils dans ce domaine ? Ce ne peut être pour essayer, comme il serait légitime et souhaitable, d’y réintroduire quelque peu d’esprit traditionnel, dès lors qu’ils pensent que celui-ci doit rester complètement étranger aux activités de cet ordre ; cette intervention est donc tout à fait incompréhensible, à moins d’admettre qu’il y a dans leur mentalité quelque chose de profondément illogique, ce qui est d’ailleurs incontestablement le cas de beaucoup de nos contemporains. Quoi qu’il en soit, il y a là un symptôme des plus inquiétants : quand des représentants authentiques d’une tradition en sont arrivés à ce point que leur façon de penser ne diffère plus sensiblement de celle de ses adversaires, on peut se demander quel degré de vitalité a encore cette tradition dans son état actuel ; et, puisque la tradition dont il s’agit est celle du monde occidental, quelles chances de redressement peut-il bien, dans ces conditions, y avoir encore pour celui-ci, du moins tant qu’on s’en tient au domaine exotérique et qu’on n’envisage aucun autre ordre de possibilités ?"


(René Guénon, Initiation et réalisation spirituelle chapitre Chapitre XI : Le sacré et le profane).


"(...) Le paganisme, s'il ne se réduit pas à un culte des esprits — culte pratiquement athée qui n'exclut pas la notion théorique d'un Dieu (1) —, est proprement un “angélothéisme” ; le fait que le culte s'adresse à Dieu dans sa “diversité”, si l'on peut dire, ne suffit pas pour empêcher la réduction du Divin — dans la pensée des hommes — au niveau des puissances créées. L'unité divine prime le caractère divin de la diversité : il est plus important de croire à Dieu — donc à l'Un — que de croire à la divinité de tel principe universel.

L'Hindouisme ne perd pas de vue l'Unité ; il a tendance à voir l'Unité dans la diversité et dans chaque élément de celle-ci. On ne saurait donc sans grave erreur comparer les Hindous aux païens de l'antiquité, pour lesquels la diversité divine était quasiment quantitative.

Le monde polythéiste - ou angélothéiste - qu'était l'Occident antique ne pouvait être régénéré que par une mise à nu des mystères: c'est la signification historique du Christianisme. Nous ajouterons que les premiers Chrétiens ne pouvais avoir la notion d'une telle fonction des mystères christiques, car ils n'avaient point l'idée d'un « Occident » susceptible de « sombrer », d'autant moins qu'ils croyaient la fin du monde proche et qu'ils attendaient la parousie ; ils entendaient sauver des âmes, non un continent.

Sous un certain rapport, l'antiquité païenne était moins déchue que notre époque, mais sous un autre, elle l'était davantage. Le paganisme c'est la réduction de la religion à une sorte d'utilitarisme, ce qui amène le syncrétisme et l'hérésie : le syncrétisme, parce que les divinités et les cultes hétéroclites sont ajoutés au propre culte sans assimilation ni intégration aucune ; et l'hérésie, parce que les qualités divines sont confondues avec les puissances angéliques, qui à leur tour sont rabaissées au niveau des passions humaines ; la façon même dont les anciens représentaient les dieux prouve bien qu'ils ne les comprenaient plus. L'ésotérisme, lui, n'avait aucune prise sur la moyenne des hommes ; il ne pouvait leur imposer un idéalisme spirituel dont les fondements n'étaient accessibles qu'à une élite. Le néoplatonisme ne pouvait rien contre l'ignorance générale ni contre le déchaînement des passions, bien que sa présence ait dû être, d'une façon indirecte et mystérieuse, un facteur d'équilibre relatif.

L'Occident moderne à le double désavantage d'ignorer toute contemplation métaphysique (2) et de posséder une pseudo-sagesse rationaliste qui entraîne l'homme dans des abîmes proprement infra-humains ; mais elle a l'avantage de la présence, au milieu de son chaos, d'une voie d'amour qui comme telle est ouverte à tous, à savoir le christianisme (3). Il en résulte un paradoxe d'une civilisation beaucoup plus déchue que l'antiquité romaine, mais abritant malgré tout relativement moins de « païens » que celle-ci, du moins dans certains pays et pour autant qu'il est possible d'évaluer des choses aussi complexes ; en revanche, ceux qui ont directement créé la civilisation moderne et qui en détermine la marche sont beaucoup plus « païens » que ne l'étaient les Romains de la décadence, sans parler de la baisse générale du niveau humain qui caractérise notre époque. Ici, comme dans tous les ordres, il faut tenir compte d'un jeu varié de compensations.

Si la religion gréco-romaine n'avait été déchue et''païenne'', elle eût été une sorte d'Hindouisme ; la même chose est vraie pour les religions celtique et germanique. (...)

1. – Il est des Nègres fétichistes qui, sans ignorer Dieu, s'étonnent que les Monothéistes s'adressent à lui alors qu'il habite des “hauteurs inaccessibles”.
2 – La scolastique répond au besoin humain de penser, mais elle n'est pas une méthode contemplative.
3 – Pour certains pays balkaniques, l'Islam assume lui aussi ce rôle compensateur, avec la différence de perspective qui s'impose dans ce cas. »

(Frithjof Schuon, Perspectives spirituelles et faits humains, p. 91).


Par rapport au Christ, ce qui peut poser problème (à cause des confusions qui peuvent en découler), c'est le terme "Dieu" (*) qui (par son imprécision étymologique) pose le plus problème dans ce cas précis ? Car apparemment la doctrine de la "paternité spirituelle" est présente, sinon dans toutes, du moins dans la plupart des traditions, et Coomaraswamy a constaté (**) une correspondance entre, par exemple, le "Père" dont parle saint Paul (Épître aux Éphésiens, III, 15) et le "Gandharva" de la tradition hindoue. Par ailleurs, on peut lire sous la plume de 'Abd ar-Razzaq Yahyâ (chap. 2 du Petit traité d'al-Haqq) : " Le « Sûfî », ayant obtenu le degré suprême, est dit : ibn al-waqt, ce qui signifie en réalité : ibn al-haqq. " Et l'on sait que al-Haqq est un Nom divin.

(*) Dans A propos du Grand Architecte de l'Univers (La Gnose), Palingénius écrit en note : On sait que le mot Dieu dérive du sanscrit Dêva, qui signifie « lumineux » ; il est d'ailleurs ben entendu qu'il s'agit ici de la Lumière spirituelle, et non de la lumière physique qui n'en es qu'un symbole.
(**) Cf. A.K. Coomaraswamy, « Paternité spirituelle » et « Puppet complexe » dans le recueil posthume "Suis-je le gardien de mon frère?".

Donc, à partir de là, que peut-on dire du statut du Christ dans l'ésotérisme chrétien ? Est-il un équivalent du Sûfî effectif de la tradition islamique ?

C’est, en fait, un exemple de la problématique de la pauvreté des « outils » dont dispose une religion ayant oublié sa partie ésotérique et dont les développements doctrinaux les plus brillants du temps de l’ « âge d’or » de la scholastique ne dépassaient guère le niveau ontologique. (Cf. "La Papauté contre l’Islam", le chapitre Le Verbe de Dieu, p.57-64).

Commençons par la « divinité du Christ » ; celle-ci ne pose pas de problème lorsqu’elle est comprise par « nature divine du Christ », puisque Seyyidunâ ‘Îsâ – ‘alayhi as-salâm – est Rasûlu-Lâh (Envoyé d’Allâh), Kalimatu-Hu (Son Verbe) et Rûhun min-Hu (Esprit procédant de Lui) : « Ô Gens du Livre, n’exagérez pas dans votre religion, et ne dites au sujet d’Allâh que la vérité : le Messie fils de Marie est uniquement l’Envoyé d’Allâh et Son Verbe qu’Il a projeté en Marie, et un Esprit procédant de Lui. Croyez donc en Allâh et en Ses envoyés » (Cor. 4, 171). Ce qui pose problème par contre c’est la question de la « fonction divine du Christ », c’est-à-dire sa seigneurie. Voici un extrait du chapitre "Le Verbe de Dieu" qui traite de cette question :

"« La question de la « divinité du Christ » telle qu’elle est envisagée dans le christianisme comporte une équivoque qui tient à la pauvreté et à l’insuffisance du vocabulaire employé. Selon l’enseignement du tasawwuf, il convient de distinguer la divinité au sens d’ « Essence divine » (Dhât) de la divinité au sens de fonction divine (ulûhiyya). Cette dernière désigne Dieu en tant qu’Il est l’objet de l’adoration de Ses serviteurs : la divinité ne peut être adorée s’il n’y a pas des êtres qui l’adorent : la Fonction divine implique toujours une dualité et un « lien » unissant les deux termes qui définit précisément la notion de religion.
La doctrine chrétienne ignore ce second sens du terme « divinité » ; elle recourt uniquement à l’idée de « seigneurie » qui implique une dualité analogue : celle du seigneur et du serviteur. La divergence fondamentale entre l’islâm et le christianisme ne concerne pas, comme nous l’avons montré, la question de la divinité du Christ comprise dans le sens « nature divine du Christ » (contrairement à une opinion largement répandue…) ; la divergence véritable concerne la question de la « fonction divine du Christ », c’est-à-dire sa seigneurie. Il y a sur ce point une confusion dans la doctrine enseignée par l’Église catholique, qu’un examen attentif du Symbole des Apôtres permet de discerner, et éventuellement de dissiper. La source du malentendu réside dans le fait que le Christ est considéré comme l’unique seigneur : et in unum Dominum Jesum Christum, et cela parce qu’il est l’unique Verbe (ce que la doctrine islamique confirme pleinement) et le Fils de Dieu ; comme, par ailleurs, « il s’est fait homme », on en conclut, à tort, qu’il ne peut y avoir en ce monde d’autre Seigneur que lui. Or, il y a là une erreur manifeste, due à l’ignorance ou à la méconnaissance de certains aspects fondamentaux du mystère trinitaire évoqués dans le texte du Symbole, mais qui sont systématiquement occultés dans la présentation qui est faite de l’enseignment de l’Église.
Avant d’aller plus loin, il nous faut rappeler brièvement un point de méthode essentiel, à savoir que, si chacune des trois Personnes contient la plénitude de la divinité (sans quoi le christianisme ne serait plus un monothéisme), il faut néanmoins se garder soigneusement d’attribuer à une Personne ce que la tradition chrétienne attribue à une autre, carce sont précisément ces différences et ces particularités qui fournissent à l’enseignement métaphysique et initiatique les fondements spirituels sur lesquels il peut s’appuyer. Les représentants de de l’Église commettent une confusion constante entre l’essence éternelle du Verbe et sa manifestation temporelle ; et cela sous les deux aspects principaux qui ont été mentionnés plus haut : celui de la filiation divine (qui correspond au premier sens du terme « divinité ») et celui de la fonction seigneuriale (qui correspond au second sens). »"
.

«Cette grâce universelle et cachée est exprimée par le nom divin al-Latîf, présent à la fin du verset ; comme al-haqq, ce nom est étroitement lié à la réalisation initiatique. Le « Sûfî », ayant obtenu le degré suprême, est dit : ibn al-waqt, ce qui signifie en réalité : ibn al-haqq. Al-haqq est « produit » par l'unité de l'alif tout comme al-khalq est produit par la dualité du bâ : c'est là le mystère de la « filiation divine ». Lam yalid wa lam yûlad indique que la manifestation tout entière est haqq, et non khalq ; qu'elle est ibn, et non walad. De même que l'Homme Universel est la « mesure de toute choses » car il est situé symboliquement au centre de l'espace, de même il est ibn al-waqt, car il demeure dans l' « Éternel Présent ».»

« Examinons d’abord la question de la filiation. Selon sa réalité principielle, la filiation du Verbe christique s’établit par rapport au Père : Deum de Deo, Lumen de Lumine, Deum vero de Deo vero « Dieu issu de Dieu, Lumière issue de la Lumière, Dieu véritable issu de Dieu véritable » ; et ensuite : genitum, non factum, consubstantialem Patri « engendré, non fait (ou créé), de la même substance que le Père ». En revanche, la filiation temporelle s’accomplit de Spirito Sancto, ex Maria virgine. Et homo factus est « procédant du Saint-Esprit, à partir de la Vierge Marie, il a été fait homme ». Le contraste entre ces deux degrés est marqué par le terme « factum » expressément écarté dans le premier cas ; et aussi le fait que la filiationest envisagée à partir d’un Être unique (le Père) quand il s’agit de la filiation éternelle, et à partir d’un couple (l’Esprit saint et Marie) quand il s’agit de la génération temporelle. L’enseignement catholique ne dit rien de cette distinction essentielle, à partir de laquelle – n’en déplaise aux clercs qui veulent à tout prix, au besoin contre l’évidence, maintenir l’idée d’une « originalité absolue » des vérités chrétiennes – les « divergences radicales » s’évanouissent d’elles-mêmes.

« La seconde question, celle de la fonction seigneuriale, présente une similitude avec la première, mais concerne de manière plus directe le malentendu examiné ici. En effet, après avoir déclaré que Jésus-Christ est le seul et unique seigneur (unum Dominum fait de toute évidence écho au credo in unum Deum « je crois en un seul Dieu » initial), le Symbole des Apôtres attribue à cette même qualification au Saint-Esprit : Dominum et vivificantem, qui locutus est per prophetas « seigneur et vivificateur, qui a parlé par les prophètes ». C’est là une incohérence apparente : si Jésus-Christ, deuxième Personne de la Sainte Trininté est appelé : « seul et unique seigneur », pourquoi l’Esprit saint est-il également appelé « seigneur », alors qu’il n’est nulle part question d’une seigneurie du Père ? Cette particularité nous intéresse ici d’autant plus qu’elle revêt une signification analogue à celle qui a été envisagée tout d’abord à propos de la filiation divine. Au degré principiel, il s’agit de la seigneurie suprême qui s’étend à l’ensemble de la manifestation universelle dont elle est le principe immédiat : c’est là la fonction du Verbe créateur « par qui toutes choses ont été faites » (per quem omnia facta sunt). En revanche, la seigneurie du Saint-Esprit est considérée au degré temporel et concerne de manière spécifique l’état humain en tant que tel, comme l’indique la qualification de « vivificateur » qui suit celle de « seigneur » dans l’énoncé du Symbole (Et in spiritum sactum, Dominum et vivificantem) ; en effet, le Prologue de l’Evangile de saint Jean nous enseigne que « la vie est la lumière des hommes ». On retrouve donc dans le Symbole des Apôtres le ternaire johannique : Verbum, Lux et Vita, admirablement commenté par René Guénon dans les Aperçus sur l’Initiation : dans son unité principelle, le Verbe apparaît comme Lumière (Lumen de Lumine), alors qu’il apparaît comme Vivant et vivificateur au centre de l’état humain.

« Au degré humain, le Christ revêt le nom « Emmanuel » qui signifie : « Dieu parmi nous ». La forme de ce nom symbolise la doctrine des « deux natures » : le El final se rapporte à la divinité du Christ et le « manu » central à son humanité. Si l’on prend en compte l’indication subtile contenue dans le terme « manu » (cf. Le Roi du Monde, chap. II), le Christ apparaît même, de manière plus précise encore, comme le régisseur de l’humanité terrestre. Tout ceci permet de comprendre pourquoi il est dit du Verbe (envisagé au degré humain comme Esprit Saint, comme Seigneur et comme Vivificateur) qu’il a « parlé par les prophètes » (qui locutus est per prophetas) : on trouve ici de manière significative, un pluriel analogue à celui qui figure dans le verset coranique qui a été cité plus haut ; « Croyez en Allâh et en Ses envoyés ». Il ne peut en être autrement, car le déroulement du cycle humain, qui est le domaine de l’individualité et de la forme, implique nécessairement une pluralité de révélations traditionnelles, de divinités et de seigneurs : les prophètes parlent tous au nom du même Esprit et transmettent tous la même doctrine métaphysque, selon la parole du Prophète de l’islâm : « la meilleure parole que j’ai dite, moi et les prophètes qui m’ont précédé, c’est : lâ ilâha illa Allâh ». La révélation islamique enseigne qu’au degré humain l’Envoyé d’Allâh, en dépit de son excellence, n’est qu’un prophète parmi les autres. Il n’y a pas, et il ne peut y avoir en ce monde de seigneurie absolue ; et c’est pourquoi Allâh le Très-Haut Lui-même, lorsqu’Il est envisagé comme « Divinité universelle », est appelé, non pas le « Seigneur » mais le « Seigneur des seigneurs » (rabbu-l-arbâb). C’est parce que les théologiens catholiques confondent ces deux degrés (oubliant par là même que les deux natures du Christ sont réunies en lui, mais non confondues) qu’ils en arrivent à considérer la manifestation du Christ en ce monde comme étant celle de l’ « unique Seigneur », qui abolit toute autre seigneurie. C’est très précisément ce point, et non pas (contrairement à l’opinion habituelle) la question de la divinité du Christ qui est visée par le verset coranique où il est recommandé aux Gens du Livre de ne pas « exagérer dans leur religion » (l’indication dans la fin du verset est explicite : « Croyez donc en Allâh et en Ses envoyés ») ; et c’est pourquoi il peut être dit des Églises chrétiennes qu’elles ont « altéré le message » apporté par Jésus. Parce qu’il est « la Voie, la Vérité et la Vie », celui-ci n’a jamais pu enseigner ce qui n’est en définitive qu’une interprétation tendancieuse et intéressée.

« On peut exprimer tout ceci en quelques mots par référence à la doctrine islamique de la servitude qui apparaît, une fois de plus, comme centrale : en considérant le Christ comme l’unique seigneur en ce monde en vertu d’une formulation dogmatique particulière, l’Église catholique se rend elle-même incapable d’assumer la fonction universelle à laquelle elle prétend, car elle exclut toute expression de la Vérité unique autre que la sienne ; pour la même raison, il lui est impossible de réaliser l’unité du christianisme et la vocation universelle de Rome. Les limitations inhérentes à sa vision et à sa doctrine font d’elle un facteur de division, et non d’union. Muhammad – qu’Allâh répande sur lui Sa grâce unitive et Sa Paix ! – parce qu’il demeure un purserviteur, reconnaît la pleine vérité de toutes les traditions régulières qui l’ont précédé, de sorte qu’il intègre toutes les manifestations du Vrai au sein de la Révélation universelle qu’ilproclame. C’est parce qu’il est demeuré « pur serviteur » qu’il a dit : « Ne me conférez aucune excellence » ; parole qu’Ibn Arabî interprète en précisant : « Ce n’est pas nous qui la lui conférons, mais Allâh le Très-Haut » ; Allâh,le Seigneur des mondes, le Seigneur des seigneurs dont Muhammad est « le serviteur et l’envoyé » (‘abdu-Hu wa rasûlu-Hu). »

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Message  -Ren- Jeu 29 Nov - 15:12

Ghazali a écrit:René Guénon avait une bien meilleure connaissance (à la fois synthétique et analytique) du Christianisme ainsi que du Catholicisme que la plupart des chrétiens actuels, y compris les érudits
Et Massignon et Corbin ont une excellente connaissance de l'Islam ? :a:

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Message  Ghazali Jeu 29 Nov - 16:01

-Ren- a écrit:
Ghazali a écrit:René Guénon avait une bien meilleure connaissance (à la fois synthétique et analytique) du Christianisme ainsi que du Catholicisme que la plupart des chrétiens actuels, y compris les érudits
Et Massignon et Corbin ont une excellente connaissance de l'Islam ? :a:

Leur érudition est incontestable, malgré leurs déformations et certaines erreurs.
René Guénon était né dans une famille de "culture" catholique, puis il a été franc-maçon avant de la quitter, et avait été initié puis avait étudié le catholicisme, l'hindouisme et le taoïsme avec de grands maîtres et des autorités desdites traditions en question.
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Message  -Ren- Jeu 29 Nov - 16:10

Ghazali a écrit:René Guénon était né dans une famille de "culture" catholique, puis il a été franc-maçon avant de la quitter, et avait été initié puis avait étudié le catholicisme, l'hindouisme et le taoïsme avec de grands maîtres et des autorités desdites traditions en question.
...Mais vous n'envisagez visiblement pas que son "érudition incontestable" n'ait été en rien une protection contre les "déformations et erreurs" :fff:

J'estime pour ma part qu'ils sont tous 3 les représentants d'une certaine forme d'intellectualisme européen, brillant, mais sans pour autant devoir être rangé au rang d'idole.

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Message  Idriss Jeu 29 Nov - 19:25

Ghazali a écrit:René Guénon [...] de nombreux intellectuels s'inspirent encore de son oeuvre magistrale (même si certains penseurs ne prennent qu'une partie de son œuvre ou essayent de minimiser la portée d'un autre aspect, pour des raisons malhonnêtes ou trop sentimentalistes).

Est-il autoriser de garder un esprit critique vis à vis de l’œuvre de Guénon , ou doit-il être hisser au statut de quasi prophète?
Schuon quoi (qu'on dise ou pense de ses déviations doctrinales) avait des divergences de fond avec Guénon...Cela ne les a pas empêché tous les deux de continuer à débattre et à entretenir une correspondance importante jusqu'à la fin... Guénon plus tolérant et ouvert que les guénonistes eux-même?

La pensé doctrinale de Guénon fondamentalement dogmatique , est une pensée totalisante cohérente qui explique tous ....C'est sa grande qualité....c'est aussi son plus grand danger quand des groupes se l’approprient, ils glissent très vite du totalisant au totalitaire...
C'est dommage que Higlander l'Ecossais ne sois déjà plus là ...
Chaque sous-groupe guénoniste revendique d'être le plus fidèle représentant de son œuvre, ses héritiers légitimes et accuses les autres d'en reprendre qu'une partie ...etc

Mais bon je suis sans doute trop sentimentaliste



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Message  Idriss Jeu 29 Nov - 19:33

-Ren- a écrit:J'estime pour ma part qu'ils sont tous 3 [Guénon Massignon et Corbin] les représentants d'une certaine forme d'intellectualisme européen, brillant, mais sans pour autant devoir être rangé au rang d'idole.

Pour ce qui concerne l'islam Guénon a vévu toute la fin de sa vie et et mort en Musulman. Massignon est resté Catholique ...Quant à Corbin protestant?
Dans l'imaginaire occidentale si un intellectuel Musulman écrit sur le christianisme on relativisera la valeur de sa pensé du fait qu'il est musulman ...Alors que la réciproque...
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Message  -Ren- Jeu 29 Nov - 20:03

Idriss a écrit:Dans l'imaginaire occidentale si un intellectuel Musulman écrit sur le christianisme on relativisera la valeur de sa pensé du fait qu'il est musulman ...Alors que la réciproque...
Pourquoi cette remarque, alors que je relativise justement les 3 ?

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