Histoire de l'exégèse
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Histoire de l'exégèse
Histoire de l’exégèse de la bible (1)
Avec la seconde moitié du XVè siècle, la bible change de statut : elle passe de l’oralité transmise par les clercs à celui d’un écrit imprimé, diffusé, et on sait en Allemagne le rôle déterminant joué par Luther, même si des bibles en langues vernaculaire ont existé avant lui. Pour l’Eglise catholique, la seule référence est la Vulgate en latin de St Jérôme, traduite entre 390 et 405, directement depuis le texte hébreu pour l'Ancien Testament et du texte grec pour le Nouveau Testament. En ceci, elle s’oppose à la Vetus Latina (« vieille bible latine »), traduite du grec de la Septante. Le fait de puiser directement aux sources judaïques lui donne aux yeux des chrétiens latins, un « plus ». Force est de constater, cependant, que la différence entre la Vetus Latina et la Vulgata est relativement cosmétique, essentiellement stylistique.
Avec la seconde moitié du XVè siècle, la bible change de statut : elle passe de l’oralité transmise par les clercs à celui d’un écrit imprimé, diffusé, et on sait en Allemagne le rôle déterminant joué par Luther, même si des bibles en langues vernaculaire ont existé avant lui. Pour l’Eglise catholique, la seule référence est la Vulgate en latin de St Jérôme, traduite entre 390 et 405, directement depuis le texte hébreu pour l'Ancien Testament et du texte grec pour le Nouveau Testament. En ceci, elle s’oppose à la Vetus Latina (« vieille bible latine »), traduite du grec de la Septante. Le fait de puiser directement aux sources judaïques lui donne aux yeux des chrétiens latins, un « plus ». Force est de constater, cependant, que la différence entre la Vetus Latina et la Vulgata est relativement cosmétique, essentiellement stylistique.
- Spoiler:
- Les commentaires écrits d’exégètes catholiques (par exemple le Verbo Dei) sont en fait jusqu’à cette date des écrits théologiques destinés à entraîner la soumission à l’autorité romaine. Les écrits de Calvin et Luther restent dans ce sillage, revendiquant bien sûr leur liberté et le droit de chacun à lire la Bible, selon l’adage : « sola scriptura ». Des controverses disputent de savoir s’il faut privilégier la Vulgate ou la Septante, de la justesse des temps bibliques. Mais le premier vrai tournant de la réflexion exégétique se produit quand certains théologiens protestants se rendent compte de l’importance du savoir (pris ailleurs que dans la bible) sur le pays (Palestine), les un et coutumes juives, l’époque de Jésus... Ainsi, on parvient aux problèmes soulevés dans le NT = : Jésus a-t-il institué l’eucharistie la veille (dit Jean) ou le jour de la Pâque juive (disent les synoptiques) ? au vu des nouvelles connaissances, il apparaît impensable que le procès de Jésus ait eu lieu un jour solennellement chômé, donc Jean a raison. La bible entière se voit ainsi à la fois éclairée et questionnée par le savoir profane, et ce mouvement va s’accentuer tout au long du siècle des Lumières.
Histoire de l’exégèse de la bible (2)
En réaction, les théologiens gallicans (Fleury, Bossuet, Fénelon) enseignent aussi que la foi ne repose pas sur l’Ecriture, mais sur l’autorité de l’Église, garantie par la succession apostolique. Allant plus loin que les Luthériens, les Sociniens, dissidents protestants, plus radicaux, ne trouvent dans le NT aucun des dogmes chrétiens ; à la fin du XVIIè siècle, le « retour à l’Écriture » revendique la place du philologue dans le commentaire biblique et exprime l’aspiration à situer le texte en son temps. Une « histoire critique du Vieux Testament » apparaît ; ainsi, la construction de la tour de Babel ou l’endurcissement de Pharaon par Dieu peut se comprendre comme des manières de parler propres aux Hébreux.
L’interprétation de l’Apocalypse subit aussi une relecture protestante : leurs commentateurs lurent le texte comme une immense prédiction des châtiments successifs qui, par la main des différents réformateurs, s’abattaient sur l’Église romaine. Cette interprétation connut une énorme fortune en Angleterre au XVIIè siècle et soutint l’espérance de ceux qui luttaient contre le catholicisme latent des Stuarts. L’apologétique catholique réplique en soulignant que, l’Écriture étant pleine d’obscurités, la foi ne peut reposer en dernière analyse que sur l’autorité de la Tradition de l’Église, laquelle est infaillible. D’où le mépris envers la distinction établie par Spinoza entre les passages législatifs du pentateuque qu’il faut attribuer à Moïse et le reste de la collection (Moïse racontant sa propre mort dans le Deutéronome, ch. 34). Mais avec les Lumières, la prééminence de la raison va fortement ébranler l’apologétique catholique, assez naïve du XVIIè siècle.
Histoire de l’exégèse de la bible (3)
Le véritable grand coup de tonnerre vint d’un théologien protestant allemand, David Friedrich Strauss, qui, en 1835, à l’âge de 27 ans, en s’appuyant sur la littérature juive non biblique, publia une « Vie de Jésus » (Leben Jesu), qui à la fois le rendit célèbre et lui enleva toute perspective d’enseignement biblique (il devint professeur de lycée). Car Strauss tend à montrer, le premier, que l’historicité du NT est fortement contestable. Ainsi, il montre la contradiction de la descendance de David par Joseph, pense que le récit lucanien de la virginité de Marie est une légende poétique-mythique — car que Joseph a eu ensuite des enfants avec elle (on lit en Mtt 1,25 : « il ne la connût pas jusqu’à ce que / avant que.. : ἕως οὗ ἔτεκεν τὸν.. ), soutient Strauss (qui bien sûr pense aux frères et soeurs de Jésus, considérés d’abord comme des demi-frères, avant de devenir chez Jérôme, adepte de la virginité perpétuelle, des cousins), qui souligne ensuite que Mtt 21,7 est une impossibilité due à une mauvaise lecture de Zacharie 9,9.. Le théologien Karl Barth critiqua ce livre, tandis qu’il inspira bien des chercheurs après lui, dont le célèbre Albert Schweitzer, qui loua son sens de la précision. « la vie de Jésus » fut traduite en français par Littré.
Pour le philologue et exégète strasbourgeois Euduard Reuss (1804-1891), l’approche de la bible (« Histoire de l’Écriture sainte, le Nouveau Testament », 1842, en allemand) doit être plus nuancée. Pour Reuss, la formation de la Bible doit tenir compte de l’histoire culturelle du judaïsme pour l’ancien Testament et du christianisme primitif pour le Nouveau Testament. Il rejette l’explication « mythique » des miracles évangéliques, qui sont essentiellement des signes pour la foi. Les récits de la résurrection de Jésus sont difficiles à appréhender par notre raison, mais la proclamation de la résurrection constitue le fondement de la transcendance du message biblique. Vis-à-vis du protestantisme francophone, l’influence de Reuss fut importante, en lui révélant la richesse de la recherche biblique allemande. Témoin des controverses sur la Bible et la Réforme auxquelles le Réveil avait donné naissance en France, il estimait que les différents protagonistes connaissaient insuffisamment les sources de l’inspiration chrétienne en négligeant l’étude objective des documents bibliques. Avec Timothée Colani, il crée en 1850 la Revue de théologie et de philosophie chrétienne, plus connue sous la désignation de Revue de Strasbourg, dont le but était d’initier le protestantisme de langue française aux nouvelles méthodes d’étude de la Bible. Toujours avec le souci de ne pas détruire l’autorité de la Bible et de concilier science et foi, il a permis aux protestants orthodoxes ou évangéliques de mieux accepter les résultats de la critique biblique, établissant ainsi un pont entre les deux tendances du protestantisme français de son époque. Le retentissement de son œuvre fut considérable tant en France qu’à l’étranger, en particulier en Grande Bretagne.
Histoire de l’exégèse de la bible (4)
La « Vie de Jésus » de Renan, qui connut 13 éditions de 1863 à 1864, part sur d’autres bases. Renan prend ses distances vis-à-vis de Strauss, parce qu’il n’estime pas devoir reconnaître la présence de mythes dans les évangiles (il s’appuie sur Reuss). Renan critique cependant l’exégèse du protestantisme libéral, et interprète l’histoire de Jésus à la lumière d’un comparatisme qui ne s’appuie plus sur la philologie, mais sur la psychologie clinique, or celle-ci s’emploie à traiter le phénomène religieux comme une illusion (ce sera aussi la thèse de Freud, qui n’apportera pas non plus de démonstration pertinente). Pour Renan, Jésus apporte une morale ; son style, facile et fleuri, ne reflète pas les grandes connaissances philologiques et culturelles qu’il avait du moyen Orient, on passe avec Renan de l’étonnement à la déception. Pour l’exégèse catholique, point n’est besoin d’entrer dans des analyses fines : Ébranlée dans ses certitudes traditionnelles, elle amalgame toutes recherches exégétiques autres que la catholique en les qualifiant de « rationalistes ». C’est un trait de la culture catholique, depuis le XVIIè siècle, de voir dans le protestantisme un ferment de dissolution intellectuelle et sociale. Sous le Second Empire, et avec en plus la traduction française de l’origine des espèces (Darwin) en 1866, elle va devoir faire front de tous côtés.
Un grand exégète catholique, Fulcran Vigouroux, préside en 1873 à l ‘édition de La Sainte Bible (40 volumes), comportant le texte de la Vulgate avec une traduction française, et de substantielles introductions. L’introduction générale, due à un prêtre normand, Charles Trochon, recadre l’ensemble : « Rien n’est plus opposé au mythe que la Bible, qui offre partout le caractère historique le plus formel et le moins discutable » ; voilà qui a le mérite d’être clair, à défaut d’être subtil. L’épiscopat français applaudit. Un autre manuel, celui de Gilly, futur évêque de Nîmes, trouve sa voie dans les années 1880 avec plus de subtilité : « Le Christ et les apôtres se sont adaptés aux conceptions juives sur la place des païens dans le Royaume de Dieu et sur le caractère temporel de celui-ci » ; il a donc l’intuition de certaines difficultés d’interprétation du NT, qui vont faire irruption un quart de siècle plus tard.
Histoire de l’exégèse de la bible (5)
La Bible, livre humain et/ou divin ? telle est une des grandes interrogations des exégètes catholiques face aux critiques développées par les adeptes des méthodes littéraires et historico-critiques, car le fondement catholique, c’est la doctrine de l’Inspiration : Si Moïse n’est pas le rédacteur du Pentateuque, la Bible est livrée au mensonge, sauf à reconnaître un fait actuel d’évidence, à savoir que les auteurs n’écrivent pas selon les normes d’exactitude modernes. Mais les catholiques sont-ils prêts à cela ? Le théologien Le Hir tente une percée, mêlée de perplexité, fin des années 70 : « On sait ce que c’est que l’inspiration divine, c’est-à-dire que Dieu a dicté l’Écriture Sainte, mais comme on voit aussi dans ces livres les efforts du travail de l’homme, il est difficile de dire précisément jusqu’où les livres saints sont l’oeuvre de Dieu et combien le travail de l’homme y a concouru. » Le théologien Henri Vollot, professeur à la Sorbonne, dit prudemment : « il faut lire la Bible comme un document oriental auquel l’unité rigoureuse fait défaut ».
De son côté, Charles Lenormant, bon catholique, et qui professait à la Sorbonne un cours à forte tendance religieuse sur les origines du peuple hébreu, note que le Christ ayant laissé son oeuvre entre les mains des apôtres, il entra, dès les origines chrétiennes, un élément de discussion dans les affaires de l’Église, ce qui laisse un certain espace à la liberté des écrivains de l’âge apostolique. ». Ces propos tiennent leur intérêt historique de leur précocité, ayant été prononcés de 1836 à 1846. Dans des travaux postérieurs (1883), Lenormant annonce son ralliement à deux conclusions importantes de l’exégèse critique. Il admet l’hypothèse documentaire : « Je ne crois pas possible de maintenir la thèse de ce qu’on appelle l’unité de composition des livres du Pentateuque... je tiens pour démontrée la distinction de deux documents fondamentaux, élohiste et jéhoviste, qui ont servi de sources au rédacteur définitif. » ; Pour la Genèse, celle-ci « est une édition expurgée de la tradition chaldéenne, ou bien l’on verra dans les deux narrations deux formes divergentes du même rameau de la tradition primitive. » Les déclarations de Lenormant furent vivement critiquées. Une brochure de l’abbé Rambouillet, vicaire à Saint-Philippe-du-Roule, signala l’opinion de Lenormant sur l’inspiration comme contraire à la doctrine de l’Église. Si Dieu est l’auteur des livres, il ne peut y avoir d’erreur. Pour Jean-Baptiste Hogan, sulpicien, il n’y a aucune erreur dans les textes de la bible, mais « chaque genre de composition a ses formes propres, ses exigences variables suivant l’époque et le milieu dans lesquels il se produit. » La véracité de Dieu n’est pas engagée, dit-il, si les hommes, par leur faute ou par suite de leur infirmité native se trompent sur le vrai sens de ses paroles.
Histoire de l’exégèse de la bible (6)
L’histoire de l’exégèse devient de plus en plus celle de l’inerrance biblique : Dieu étant l’Inspirateur, le véritable rédacteur, tout est vrai, on n’y peut rien changer, car il n’y a pas d’errement. Cette doctrine deviendra le pivot de la lutte contre le modernisme, qui constitue l’essentiel du livre de François Laplanche « La crise de l’origine » (où, disons-le franchement, la part belle est faite aux exégètes catholiques ; mais étant donné à la fois l’ampleur des problèmes et la stature de leurs contradicteurs, ce livre intéressera des lecteurs d’horizons idéologiques divers).
Entre alors en scène Alfred Loisy (1857-1940), personnage considérable, dont il nous faut esquisser la biographie. En 1874, il entre au Grand Séminaire de Chalons-en-Champagne . Après avoir été ordonné sous-diacre, il est envoyé à l’École de Théologie de l'Institut catholique de Paris. Tombé malade, il revient en Champagne où il est ordonné diacre (mars 1879) puis prêtre (juin 1879). Il est alors brièvement curé de Landricourt avant d'être nommé à Paris. À l'Institut catholique de Paris, où il entra par la suite, il avança si vite dans l'étude de l'hébreu que le recteur, Mgr d'Hulst, lui confia rapidement un cours. Dès 1886 il est chargé de l'enseignement de l’Écriture sainte à l'Institut Catholique de Paris tout récemment ouvert. La publication de sa leçon de clôture de l'année 1891-1892, intitulée La composition et l'interprétation historique des Livres Saints l'expose à l'hostilité de sa hiérarchie ; Mgr d'Hulst, qui l'avait soutenu jusque-là, le suspend d'abord d'enseignement, puis le révoque définitivement en 1893. Il est nommé aumônier, chargé de l'éducation des jeunes filles dans un couvent de dominicaines à Neuilly. Il n'en continue pas moins ses recherches, mais se trouve en porte-à-faux de plus en plus prononcé avec les dogmes de l'Église romaine. Tombé gravement malade en 1899, il quitte son aumônerie et croit devoir l'année suivante renoncer par honnêteté à la petite pension que l'archevêché sert aux prêtres infirmes. C'est alors que des amis le font nommer à l'École pratique des hautes études, ce qui prenait de court sa hiérarchie : « censurer un enseignement donné en Sorbonne paraissait un coup trop hardi, et l'on n'y pensa pas, au moins sous Léon XIII6. »
En 1902, entendant réfuter L'Essence du Christianisme (Das Wesen des Christentums) du théologien protestant Adolf von Harnack, Loisy fait paraître L'Évangile et l'Église. Ce livre, qu'on appellera le petit livre rouge, pour son format et la couleur de la couverture, fait un énorme scandale ; il est condamné dans plusieurs diocèses. En décembre 1903, cinq de ses livres sont mis à l'index. Ayant refusé de souscrire à l'encyclique Pascendi, promulguée en 1907, Loisy fait l'objet d'un décret d'excommunication vitandus par la Congrégation du Saint-Office le 7 mars 1908 — ce qui interdisait à tout catholique de lui adresser la parole. L'année suivante, il est nommé à la chaire d'histoire des religions du Collège de France (où il enseigne jusqu.à son départ à la retraite en 1932).
Comment Loisy aborde-t-il la question de l’inerrance fin 1893 ? Avec subtilité et fidélité envers Rome : La Bible vient, selon lui, tout à la fois de Dieu et de l’homme. Les énoncés bibliques sont vrais pour leur temps ; Dieu parle aux hommes de chaque époque le langage qu’ils peuvent comprendre ; ce langage est donc relativement vrai ; la perpétuité de la doctrine chrétienne est celle d’une doctrine qui vit et qui grandit sans cesser d’être identique à elle-même... La vérité religieuse contenue dans la Bible ne peut être mise au jour que par le travail de l’interprétation.. La vérité des Écritures est coordonnée à l’infaillibilité de l’Église qui l’interprète. Monseigneur D’Hulst exprime des pensées voisines. L’effort de l’apologétique se porte maintenant sur l’affirmation de la continuité sans faille entre Jésus-Christ et l’Église.
Histoire de l’exégèse de la bible (7)
Une des tendances de l’exégèse des religions du XIXè siècle sera la mythologie comparée, dont le principal représentant fut Max Müller (1823 – 1900). D’origine allemande, il vint en Angleterre pour étudier des documents indiens et il devait y vivre le restant de ses jours. Il devint professeur de philologie comparée à Oxford puis professeur de théologie comparée (1868-75). Il analysait les mythologies comme des rationalisations de phénomènes naturels, les débuts primitifs de la science dans une perspective évolutionniste. Müller cherchait notamment à étudier dans les textes de la culture védique les fondements des cultures indo-européennes en général. Il prépara une édition critique des Rig-Vedas qui lui prit près de 25 ans. Mais des objections sérieuses sont faites à cette méthode, notamment par William Whitney, linguiste et orientaliste américain. D’abord, l’extrapolation : valable s’il s’agit d’aires culturelles très rapprochées (Germains et Scandinaves, Indiens et Iraniens), la méthode de la mythologie comparée noie toutes les différences pour les ramener à l’unité. Ensuite, le privilège accordé aux récits mythiques dans l’intelligence des religions lui semble exorbitant. Les rites, dans leur organisation systématique et leur fonction sociale apparaissent de plus en plus importantes pour l’étude des religions.
En 1876 est lancée la Revue historique, dont le premier directeur sera Maurice Vernes (études de théologie aux facultés de Montauban et de Strasbourg et docteur en théologie en 1874. Nommé en 1877 maître de conférence d’histoire de la philosophie à la Sorbonne, il devint professeur à la Faculté de théologie protestante (1879) puis en 1880 directeur d’études). Celui-ci rejette à la fois la mythologie comparée, le traditionalisme catholique et l’évolutionnisme religieux ; il propose d’étudier chaque religion en fonction des conditions socio-culturelles où naissent les textes. Dans le domaine des études bibliques, Vernes va insister sur la relation de la littérature apocalyptique juive à l’écriture du Nouveau Testament, son intérêt principal étant le messianisme juif.
Vernes s’inscrit là dans un courant initié par des Allemands : Lücke (Essai d’une introduction à l’Apocalypse de Jean et à la littérature apocalyptique en général, 1848), et Hilgenfeld (l’apocalyptique juive dans son développement historique, 1857). Ils ont attiré de bonne heure l’attention des érudits sur ce domaine, notamment dans le mivre de Daniel et des livres juifs non canoniques. Ces croyances, assurent-ils, forment le matériau de la première eschatologie chrétienne, avant la pénétration du christianisme par la théologie du judaïsme hellénistique (peu encline à l’apocalyptique).
« Que devait, que pouvait signifier telle parole de Jésus aux yeux de ses contemporains, s’interroge Vernes. Quand il envoie ses disciples annoncer la prochaine venue du royaume de Dieu, que signifiait cette proclamation aux yeux de gens simples ? Une seule chose, très claire tant données les préoccupations du temps : L’ère messianique va incessamment commencer. Quand Jésus dit, lui aussi : Le royaume de Dieu approche, il ne veut pas dire autre chose, et il croit voir à l’horizon prochain la venue du règne divin, la révolution à laquelle il aspire comme ses compatriotes et à laquelle il donne un tour éminemment religieux. » Vernes reproche notamment à Reuss de confondre la proclamation de la bonne nouvelle, dont l’effet intérieur est immédiat, et la venue du royaume de Dieu, qui n’est pas encore réalisée.
L’irruption de l’apocalypse juive dans l’exégèse chrétienne du NT va peser lourd dans l’évolution de cette dernière.
Histoire de l’exégèse de la bible (8)
En ce dernier quart du XIXè siècle, de vifs débats ont lieu dans le protestantisme français sur la nature exacte du royaume de Dieu annoncé par Jésus. On a déjà vu en (7) l’opinion de Vernes. Reuss écrit en 1876, dans sa présentation des évangiles synoptiques, que les propos de Jésus sont très clairs : Ils parlent d’une parousie visible, postérieure à la ruine de Jérusalem, mais la suivant immédiatement. Auguste Sabatier, qui enseigne la dogmatique réformée à Strasbourg puis à Paris, dit de son côté que « Jésus et les siens ont vécu dans la croyance qu’ils touchaient aux derniers temps, que le monde présent allait finir et que la catastrophe préparée par Dieu était imminente ». Exagérations ou justesse d’interprétation ? Pour les catholiques, dont Hogan [voir : (5)], la proximité du retour du Christ constitue sans discussion le clair message du NT. Pour lui, le problème consiste avant tout à sauver l’inerrance biblique ; il pense donc que Jésus annonçant la simultanéité de son retour et de la chute de Jérusalem, est une mauvaise compréhension de la part des apôtres ; d’autres textes suggèrent la lente progression du royaume de Dieu. Cependant, Hogan note aussi que la 2è épître de Pierre (ch 3,9) enseigne avec insistance la proximité certaine du retour du Christ. Il écrit donc, devant cette difficulté, pour sauver l’inerrance biblique : « Avant de prétendre trouver en faute une parole de la Bible, il faut commencer par s’assurer qu’on l’a comprise comme elle a dû l’être par ceux à qui elle était adressée. » L’exégèse chrétienne du XXè siècle héritera donc de grandes tâches : penser le passage de l’imminence du royaume à l’installation de l’Église dans le monde, apprécier la force subversive de l’évangile par rapport à l’ordre temporel, situer le christianisme par rapport au judaïsme.
Au début du XXè siècle, les fronts vont se durcir, et l’on va parler dans le camp catholique de la « science catholique » ; l’expression vient de loin, elle a été lancée par Lamennais dans un article de l’Avenir. Selon lui, la valeur de cette expression tient à ce que le catholicisme, et lui seul, possède l’authentique savoir de l’origine. On est là dans le domaine de la dogmatique. Que doit-on comprendre ? Que l’investigation historique bien conduite n’est pas relativiste, elle confirme la transcendance de la vérité catholique. D’Hulst, premier recteur de l’Institut catholique de Paris, explique aux lecteur du Correspondant : À mesure que l’Antiquité grecque et romaine nous livre plus complètement ses secrets, il devient plus impossible de contester aux auteurs des quatre Évangiles et du livre des Actes le caractère de témoins oculaires ou de narrateurs contemporains. C’est ainsi que, sans recourir à la Révélation, et rien qu’en faisant oeuvre de critique, l’apologiste peut établir la réalité d ela vie du Sauveur, de ses miracles, de sa mort, de s résurrection, de ses prophéties connues avant l’événement et vérifiées par l’événement. » L’Église garantit l’inspiration de l’Ancien Testament, donc la vérité historique de ses récits, parmi lesquels celui de l’origine de l’espèce humaine à partir d’un couple unique, et également celui de l’Exode. D’Hulst en conclut dans ses Conférences de Notre-Dame en 1891 à la nécessité de relier la morale à la religion catholique (l’anti-protestantisme est de rigueur) ; cette vision du monde entraîne la condamnation sans appel de la neutralité scolaire. Mais à cette belle assurance vont s’opposer des prises de position puissantes, à commencer par celle d’Alfred Loisy.
Histoire de l’exégèse de la bible (9)
Les recherches de Loisy sur le NT, qu’il publie à partir de 1893 (la crise de la foi dans le temps présent) le conduisent à dire ceci : « L’Église est obligée actuellement de subir le mouvement scientifique qui se produit en dehors d’elle, mais elle s’efforce de le maintenir là où il est, en dehors d’elle, et de garder jalousement contre tout contact profane sa science à elle, ce qu’on appelle sans rire la science catholique. ». les écrits de Loisy (surtout L’Évangile et l’Église, 1902, et Autour d’un petit livre, 1903) sont mis à l’Index le 16 décembre 1903. L’excommunication de l’exégète suivra en 1908. Loisy inaugure l’histoire de l’école dite progressiste, et condamnée par le catholicisme sous le nom de modernisme. L’intransigeance de Rome remonte à plus haut : Léon XIII appelle en novembre 1885 le soutien de la puissance publique à l’Église catholique en écrivant : « Des preuves nombreuses et éclatantes, à savoir la vérité des prophéties, une multitude de miracles, la rapidité avec laquelle la foi s’est propagée, le témoignage des martyrs et d’autres arguments semblables prouvent à l’évidence que la seule religion véritable est celle dont Jésus-Christ lui-même est l’auteur et qu’il a donné mission à l’Église de garder et de propager. ».
L’Église catholique est sur la défensive, elle constate dans les lycées et universités une présentation des faits religieux par des historiens laïques brillants, souvent rationalistes. Ainsi, une lettre épiscopale du 14 septembre 1909 condamne plusieurs manuels scolaires en usage dans les écoles primaires publiques. Mais la France n’est pas partagée de manière simple entre « cléricaux » et « anticléricaux », il existe aussi une large couche d’esprits qui cherchent à la morale un fondement métaphysique ou religieux, mais ils sont rebelles à tout dogmatisme. Quelques esprits catholiques clairvoyants (dont Émile Boutroux en 1910) se demandent si l’intransigeance de Pie X, qui vient de condamner toute forme de modernisme, pourra se maintenir longtemps.
Le courant laïque est fort. On voit apparaître des chaire d’histoire des religions à l’Université de Paris : Charles Guignebert, agrégé d’histoire et docteur en 1902, esprit rationaliste brillant et d’une grande érudition, devient en 1906 chargé d’enseignement d’histoire du christianisme ancien à la Faculté des Lettres de Paris. Il sera professeur titulaire en 1919. Loisy accède au Collège de France en 1909. Ses « petits livres rouges » avaient osé démontrer avec une rigueur toute allemande et une élégance bien française que loin d'avoir été instituée par Jésus, l'Église chrétienne s'est construite elle-même sur la mémoire du Ressuscité ou que loin d'avoir été annoncés par l'Ancien Testament, les Évangiles n'ont fait que s'y référer pour légitimer leur message novateur. Ces petits livres et autres articles qui ont fait grand bruit dans le monde clérical au tout début du siècle. Après le passage en revue de diverses théories générales des religions, le manuscrit retrace les grandes étapes de la mutation décisive qui va des prophètes d'Israël jusqu'à l'Église chrétienne en passant par Jésus de Nazareth ; il développe enfin diverses propositions en vue de la réforme du régime intellectuel de l'Église en insistant notamment sur l'intégration entre la raison et la foi par une autolimitation réciproque de la théologie et des sciences historiques. S'opposant doublement à l'idéalisme protestant et à l'enfermement scolastique du magistère romain, l'examen critique des théories des religions s'appuie sur la perspective d'un dogme chrétien en perpétuel développement ; vision progressive que Loisy doit principalement au cardinal Newman, théologien anglican passé au catholicisme. « On ne trouvera pas le culte de la Vierge avant que soit réglé celui du Christ et la papauté se dessinera seulement à mesure que l'Église sera consolidée » (p. 78). Dans sa réflexion sur les liens entre religion et révélation, l'auteur s'inscrit en faux contre les thèses conciliaires de Vatican I (1870). L'exégète conteste ainsi que les Évangiles soient l'accomplissement en droite ligne des prophéties israélites ou que les miracles de Jésus puissent justifier à eux seuls la foi chrétienne. De même, la résurrection du Christ renvoie moins à un fait biologiquement inexplicable qu'à une vision de foi décisive.
La riposte de l’Église catholique sera forte.
Histoire de l’exégèse de la bible (10)
Un décret du Saint-Office (Lamentabili sane exitu) du 4 juillet 1907 vise avant tout l’exégèse de Loisy, dresse une liste des propositions condamnées, rappelant deux principes généraux : l’interprétation des Écritures est soumise à l’autorité doctrinale de l’Église ; Dieu étant l’auteur de l’Écriture, celle-ci ne comporte pas d’erreur. L’Évangile selon saint Jean doit être tenu pour historique et pas seulement symbolique, il n’est pas permis de dire que les évangiles n’affirment pas la divinité du Christ, ni que la résurrection du Christ n’est pas proprement un fait d’ordre historique ; ni que Jésus n’a pas voulu fonder une Église, mais seulement annoncer le royaume de Dieu.
Une Commission biblique pontificale, créée par Léon XIII en octobre 1902, s’était vue confier le domaine des études bibliques, en 1904 elle a le soin exclusif de conférer les grades en Écriture sainte. Elle décide qu’il fallait respecter le sens littéral historique des trois premiers chapitres de la Genèse ; cela bien admis, on pouvait entendre « les jours » de la création autrement qu’au sens littéral. Pour l’exégèse du NT, il est interdit de dire que els discours de Jésus sont fictifs. L’évangile grec de Matthieu reproduit fidèlement un original araméen, ce qui en fait le plus ancien de tous.
Le 8 septembre 1907, Pie X fait publier l’encyclique Pascendi, qui explique et condamne les erreurs modernistes, dont le fondement est l’agnosticisme :
« L'agnosticisme nie toute possibilité de connaissance scientifique des phénomènes. D'où Dieu n'est ni objet direct de science, ni un personnage historique. "Qu'advient-il, après cela, de la théologie naturelle, des motifs de crédibilité, de la révélation extérieure...?". Toute vérification temporelle de la foi est niée, et la foi se transforme en fidéisme. L'intellectualisme remplace le réalisme chrétien. Cette proposition moderniste s'élève directement contre ce qu'a toujours enseigné l'Eglise, comme en témoigne cette citation du de revelatione, au canon premier: "si quelqu'un dit que la lumière naturelle de l'humaine raison est incapable de faire connaître avec certitude, par le moyen des choses créées le seul et vrai Dieu, notre Créateur et Maître, qu'il soit anathème". Somme toute, l'agnosticisme peut être réduit à ce simple mot : ignorance. »
Pour anéantir la cause intellectuelle du modernisme qu'est l'ignorance de la vraie et sainte doctrine, le pape ordonne l'étude dans les séminaires de la philosophie thomiste. "Nous voulons et ordonnons que la philosophie scolastique soit mise à la base des sciences sacrées. Et "sur cette base philosophique, que l'on élève solidement l'édifice théologique). Solide éducation amène de solides idées... (N'oublions pas que saint Pie X est fils de paysan). L'enseignement ayant été réformé, il ne s'agit pas que des professeur viennent jeter le trouble dans l'esprit de leurs élèves... « Ainsi, tous les professeurs modernistes doivent quitter leurs chaires d'enseignement, pour laisser la place à des personnes "sûres" De même, le sacerdoce ne doit pas être donné à quelqu'un suspect d'idées modernistes, dans la mesure où il risquerait de corrompre ses confrères. Tout ceci n'est que mesure de prudence, la même qui serait prise à l'égard d'une maladie contagieuse... Faites tout au monde pour bannir de votre diocèse tout livre pernicieux. En effet, ce n'est pas tout de préserver les fidèles du contact verbal avec les modernistes, mais il faut encore leur supprimer tout moyen d'action par voie de presse. C'est là encore mesure de prudence. »
Un dominicain, le Père Lagrange, fera bientôt les frais de ces mesures ; dans un commentaire de saint Marc, dirigé contre Loisy, Lagrange a le malheur de soutenir que Marc pourrait être antérieur à Matthieu et de récuser l’authenticité de la finale de l’Évangile (ce qui est admis par tous aujourd’hui), donc d’entretenir une notion insuffisante de l’inerrance biblique. Son livre est interdit. Lagrange envoie des lettres de soumission, ses livres échappent à l’Index.
Histoire de l’exégèse de la bible (11)
En 1909, un ouvrage nouveau va frapper l’opinion publique : l’Orpheus de Salomon Reinach (650 pages, dix éditions épuisées en un an, traductions en 5 langues). Né en 1858, Salomon Reinach est un membre brillant de l’intelligentsia française au tournant des deux siècles, reçu premier à l’École normale supérieure et à l’agrégation de grammaire ; il se consacre à la philologie classique et à l’archéologie, et publie très vite de nombreux articles sur les religions, qui formeront bientôt 5 volumes. Son projet est de constituer une généalogie de la religion, donc en expliquer l’origine, et s’appuie sur la méthode comparative. Reinach met à l’origine de la religion le totémisme et la magie. Les chapitres sur les religions autres que le judaïsme et le christianisme ne soulevèrent pas d’objection.
Il considère que le christianisme s’élabora dans le monde juif par le mélange des doctrines mosaïques, grecques et persanes. Reinach remarque la proximité de doctrine entre Jésus et le grand docteur pharisien Hillel ; dès lors l’hostilité prêtée à Jésus envers les pharisiens ne peut guère s’expliquer que comme un projection dans les Évangiles de polémiques très postérieures. Selon lui, les synoptiques dérivent de deux sources : un Marc primitif et un recueil de discours (logia en grec) appelé « Q », initiale de Quelle, la source en allemand (hypothèse toujours utilisée). Marc actuel utiliserait le Marc primitif mais aussi Matthieu et Luc. Reinach fait état d’un certain scepticisme quant aux repères solides pour l’historien, face aux contradictions des récits (ceux de l’enfance, du tombeau, de la résurrection), au manque d’attestations convergentes (Pierre chef de l’Église ne se trouve que chez Matthieu), et à l’absence de sacrements institués par Jésus-Christ ; s’y ajoutent les données de l’histoire juive ou romaine qui contredisent le récit (faux portrait de Pilate, date du recensement, date du procès de Jésus, inadmissible pour des coutumes juives).
Conclusion de Salomon Reinach : « En somme, nos Évangiles nous apprennent ce que différentes communautés chrétiennes croyaient savoir de Jésus entre 70 et 100 après l’ère chrétienne ; ils reflètent un travail légendaire et explicatif qui, pendant quarante ans au moins, s’est fait au sein des communautés. »
La publication de l’Orpheus provoqua une intense mobilisation de la science catholique à tous les échelons. La méthode comparative présentait il est vrai des faiblesses, et entraîner judaïsme et christianisme dans le sillage du totémisme et de la magie était certainement excessif. Cela dit, Batiffol, sulpicien et exégète, admet la théorie des deux sources ; il distingue entre les enseignements de Jésus, solides grâce à la mémoire des communautés juives et les récits, dont la présentation à des fins de catéchèse est évidente — sans que cela autorise à nier leur historicité, même si on peut concéder que tel détail a pu être ajouté en écho à l’Ancien Testament.
La science catholique dut quand même faire quelques concessions ; on reconnut la nécessité de mettre à part l’Évangile de Jean, dont la densité symbolique et la profondeur mystique rendent difficile la distinction entre les faits et leur interprétation par le rédacteur. La position de Harnack, grand théologien protestant, est admise en gros : Certes, la christologie va connaître de profonds développements dans l’histoire du christianisme primitif, mais ce constat ne doit pas troubler la foi. Les exégètes catholiques entendent ne pas choisir entre la conception du royaume chère au protestantisme libéral (le royaume intérieur, déjà offert à ceux qui ont une âme d’enfant de DIeu) et celle de l’école opposée, l’école eschatologique (le royaume social et visible, encore à venir, qui paraîtra avec éclat et soudaineté).
Histoire de l’exégèse de la bible (12)
Jusqu’à la fin de sa vie, Loisy restera opposé aux thèses de « l’école mythique », pour laquelle l’histoire de Jésus constitue une stimulante invention ; il concède aux mythologues la transformation de l’histoire de Jésus en mythe de salut par la passion divine, mais refuse absolument aux mythologues le droit de nier l’existence historique de Jésus. L ‘argument de Loisy se fonde d’abord sur la critique littéraire des synoptiques ; Loisy choisit de modifier la théorie des deux sources de Reinach en donnant ses affirmations comme des probabilités : Matthieu et Luc ont utilisé Marc dans sa forme actuelle, mais non un proto-Marc. Quand ils rapportent des discours absents dans Marc, ils ont dû utiliser un recueil de discours ; Marc semble avoir utilisé de son côté un récit abrégé de l’histoire de Jésus. Pour Loisy, il existe dans les synoptiques deux traditions distinctes : la première est celle que reflètent les sources, elle représente la foi des témoins ayant connu Jésus ; la seconde reflète la foi des communautés chrétiennes à la fin du premier siècle. Or le portrait de Jésus recueilli par cette première tradition est si différent de la christologie portée par la seconde tradition qu’il doit correspondre, en gros, à des souvenirs historiques. Il y a donc lieu de lire la tradition synoptique deux niveaux. Par exemple, le baptême de Jésus par Jean est un fait historique difficilement contestable, mais Marc l’a modifié en décrivant le baptême comme une consécration messianique. Pour Loisy, Jésus annonce à la suite de Jean (emprisonné) le règne de Dieu, et il ne doute pas de l’imminence d’un tel royaume. Loisy considère que le procès imaginé par les évangélistes, au centre duquel est le sanhédrin, comme totalement invraisemblable, il pense qu’il y a eu simplement dénonciation auprès de Pilate. Dans cette perspective, Loisy estime que la parole : « mon royaume n’est pas de ce monde » n’a pas dû être dite par le Jésus historique, car elle est totalement contraire à la conception juive du royaume messianique.
Pour confirmer l’existence historique de Jésus, Loisy recourt à la littérature johannique : là même où apparaît la préexistence éternelle du Christ-Seigneur ou du Logos divin, l’histoire de Jésus reste ineffaçable : le comportement de la famille de Jésus, son crucifiement sont des scandales, qu’un mythe aurait évité.
Un des grands esprits de l’Histoire antique, Guignebert (athée), enseigne en Sorbonne l’Antiquité chrétienne de 1919 à 1921. Lui aussi critique sévèrement les positions des mythologues, et son argumentation est proche de celle de Loisy : il faut souligner l’écart entre les sources des Évangiles, qui décrivent Jésus comme un homme de son temps, et les « modifications rédactionnelles » transformant ces simples récits en manifestations messianiques ou même en théophanies ; cet écart serait invraisemblable dans l’hypothèse de la création purement mythique de l’histoire de Jésus. Guignebert hésitera sur la possibilité d’attribuer à Jésus lui-même des affirmations messianiques sur sa personne. Pourquoi la prédication de Jésus sur l’imminence du royaume n’aurait-elle pas suffi à alarmer Pilate, sans déclaration messianique formelle ? Guignebert souligne par ailleurs les phénomènes d’osmose que le judaïsme de la diaspora a connus avec la pensée hellénique, il remarque comment Philon d’Alexandrie s’éloigne déjà de la pensée juive en taisant le messianisme et en introduisant le dualisme âme/corps dans l’anthropologie religieuse. En 1921, Guignebert va présenter l’hellénisation du christianisme par l’Église d’Antioche et par Paul comme un produit direct des syncrétismes judéo-païens, mais aura l’honnêteté de reconnaître que cette reconstruction est hypothétique.
Histoire de l’exégèse de la bible (13)
La troisième grande figure de l’exégèse libre (non soumise à Rome) en ces 40 premières années du XXè siècle, à côté de Loisy (mais sans la vibration polémique de celui-ci) et de Guignebert (sans l’excitation de Guignebert pour le combat anticlérical), est Maurice Goguel, historien et théologien protestant de premier plan, à la foi profonde, et qui accéda à la chaire d’exégèse du Nouveau Testament à la Faculté protestant e de Paris à l’âge de 25 ans. Comme les deux autres, il remarque l’incohérence de certains récits évangéliques. Ainsi, pour les synoptiques, Jésus commence sa prédication après l’arrestation du Baptiste, alors que le rédacteur de l’évangile de Jean montre le Baptiste et Jésus ayant une activité parallèle, Jésus recrutant ses premiers compagnons parmi les adeptes du baptiste. Pour Goguel ces incohérences tiennent à la façon des rédacteurs de travailler leurs sources. Il considère que « doit être considéré comme provenant de très ancienne tradition et pratiquement tenu pour authentique ce qui est en contradiction avec les formes sous lesquelles nous apparaît la plus ancienne foi de l’Église » ; ainsi, route affirmation de Jésus sur sa personne et s amission, dont le contenu est plus pauvre que celui de la confession de foi primitive (1 Cor. 15,3-4) a toute chance d’être authentique. Mais souvent il sera difficile de trancher : Jésus annonce le royaume où l’amour divin dissout par avance toute faute, tandis que le Baptiste annonce un strict jugement de la vie des juifs.
Réfléchissant sur la messianité de Jésus, Goguel décrit la vision de celui-ci comme règne de Dieu d’ordre moral, la victoire sur le mal sera la force du pardon divin, ce qui ne correspond pas du tout à la conception juive du Messie, venant rétablir en puissance le royaume d’Israel. Jésus avait sans doute conscience d’être un Messie très différent.
Goguel explique que Paul innove sur deux points décisifs : a) la foi de Jésus devient la foi en Jésus-Christ Seigneur ; b) l’inconditionnalité du pardon divin fait place à la théorie de la rédemption substitutive. Il fallait, explique Goguel, interpréter la mort ignominieuse du Messie : Ce fut l’efficacité rédemptrice expliquée par Paul. Sans doute Jésus a-t-il pressenti sa fin prochaine, pense Goguel, sans faire la théorie de la mort rédemptrice que lui prêtent les textes, théorie plus tardive, qui revient essentiellement à Paul.
La coïncidence de la prédication paulinienne avec l’attente d’une religion des mystères fondé sur un besoin de salut va expliquer selon lui le succès progressif du christianisme, il n’est point besoin d’attribuer à la doctrine paulinienne des origines païennes. En théologisant ainsi, dit Goguel, Paul a permis la survie de l’expérience chrétienne, qui autrement se serait évanouie dans les représentations assez vagues des systèmes judéo-chrétiens.
Histoire de l’exégèse de la bible (14)
En 1933, Maurice Goguel va plus loin dans sa réflexion exégétique en publiant La foi à la résurrection de Jésus dans le christianisme primitif. Contre Guignebert, Goguel estime que la foi des disciples en la messianité de Jésus constitue la racine de leur foi en la Résurrection. Celle-ci n’est pas imposée par des faits comme la découverte du tombeau vide, tout à fait absente de la catéchèse primitive et du message de Paul, argumente Goguel, ou des expériences de rencontres qui supposeraient la réanimation de Jésus. La conviction des apôtres se fonde sur les visions dont ont bénéficié les apôtres, analogues à celle de Paul sur le chemin de Damas. Goguel bannit donc toute conception de la Résurrection comme « réanimation » offerte à un constat historique. Ces affirmations provoqueront l’indignation du dominicain Lagrange. Enfin, Goguel souligne que Paul n’a pas inventé la catéchèse primitive, telle qu’elle se trouve dans els discours de Pierre au début des Actes : « Dieu a ressuscité Jésus pour donner à Israel la repentance et le pardon des péchés, c’est-à-dire pour le mettre à même de se repentir d’une manière qui lui assure le pardon. » À côté de cette conception qu’il a reçue, Paul va développer celle d’un vaste plan divin où figure, en plus de l’Adam terrestre, l’Adam céleste ou spirituel. Y a-t-il eu emprunt d’éléments religieux hellénistiques ? Goguel pense en fait que le christianisme n’est pas une religion syncrétiste mais doit être compris comme « une adaptation chrétienne de l’esprit des mystères helléniques ».
Du côté catholique, le climat s’est détendu après la Grande Guerre. Progressivement, les religieux obtiennent de rapatrier les ressources de leurs maisons d’études ; de plus, une nouvelle inquiétude spirituelle voit le jour en France, notamment chez les intellectuels, et on notera une vague de conversions au catholicisme. De 1921 à 1925, Lagrange publie de gros commentaires sur les évangiles, mais il lui faut rester prudent, car en France et surtout à Rome, des intégristes veillent. Pie X, farouchement antilibéral et lutteur acharné contre le modernisme est mort en 1914 ; lui succèdent Benoît XV et Pie XI (en 1922), qui dessinent des lignes nouvelles : dissolution du réseau intégriste dit « La Sapinière », condamnation de l’Action Française en 1926 ; mais il y a un noyau « dur » au sein de la Commission biblique pontificale, qui déclare par exemple en 1933 que l’auteur du psaume XV (« tu ne peux laisser ton fidèle voir « la fosse ») a bien eu l’intention de parler de la résurrection du Christ. En 1934, le livre d’un professeur d’Ecriture Sainte de Brastislava, L’immigration d’Israel en Canaan, doit être condamné, car il met en doute l’authenticité mosaïque (Moïse seul rédacteur) et l’historicité du Pentateuque. La surveillance romaine tendait à sauvegarder précieusement l’inerrance des Écritures. L’encyclique de Benoît XV Spiritus Paraclitus (1920) nia que les récits bibliques pouvaient ne posséder que « les apparences de l’histoire », cela ne pouvait se dire que pour « de petites méprises historiques ». Cette insistance sur l’historicité des récits bibliques allait peser lourd sur l’exégèse catholique et la priver d’une liberté d’action et de parole dont elle avait grand besoin.
Histoire de l’exégèse de la bible (15)
Dans la seconde moitié du XIXè siècle, la séparation croissante opérée par la critique entre la prédication de Jésus et le kérygme chrétien (profession de foi fondamentale) met l’accent sur la « judaïté » de Jésus. Cela va intéresser aussi des savants juifs allemands, qui souhaitent le rapprochement avec les catholiques et penchent pour l’assimilation. Ils créent en 1872 à Berlin la « Chaire pour la science du judaïsme » et le séminaire rabbinique de Breslau, leur sensibilité accentuant la morale de la torah et rejetant les prescriptions rituelles et juridiques. Tout cela les pousse à étudier l’histoire de Jésus. Ces travaux juifs trouvent leur aboutissement dans le grand livre de Joseph Klausner en 1922 : « Jésus de Nazareth », publié en hébreu (né en 1874 en Lituanie, il s’est installé à Jérusalem en 1919). Ce livre fut un événement : traduit en 4 langues, il donna lieu à une foule de recensions : 400, publiées en 12 langues. Les prises de position de Klausner, favorable à Jésus, nuisirent à sa carrière à l’Université hébraïque de Jérusalem.
Le grand propos de Klausner est celui du rapport entre judaïsme et christianisme. D’emblée, il exclut l’hypothèse d’un christianisme né avec Paul d’un syncrétisme tissé d’emprunts au paganisme ; il y a eu dans la doctrine de Jésus des éléments s’opposant à la conception du monde chez les juifs et portant en germe la doctrine du christianisme — même s’il faut à l’évidence « rejudaïser » Jésus, afin de reconnaître le portrait évangélique du rabbi de Nazareth sous les transformations opérées par la foi au Seigneur Jésus et visibles dans les évangiles. Klausner pense que le plus ancien évangile est celui de Marc, avec une source araméenne et rédigé en grec par un disciple de Marc. Matthieu s’appuie sur Marc et la source Q et fut rédigé vers 80-90. Les récits d’enfance portent la marque de la foi à l’origine divine de Jésus. Pour Klausner, Jésus eut une conception naturelle, avec 4 frères ; les récits de guérison ont une base authentique, Jésus est ce type de prophète obligatoirement exorciste et guérisseur. Jésus prit conscience peu à peu de sa vocation messianique particulière, reconnue par ses disciples, même si les prophéties concernant sa mort et sa résurrection sont trop nettes pour ne pas porter l’empreinte de la foi chrétienne ultérieure. Klausner réagit vigoureusement contre la présentation du rôle des juifs dans le procès et la mort, et remarque aussi que le portrait de Pilate a té retouché pour accabler les juifs.
La prédication de Jésus a des traits pharisiens et parfois esséniens : obtenir le salut par une morale rigoureuse, désintéressement des affaires nationales, préoccupations mystiques et eschatologiques, conception du Messie et de ses souffrances, affirmations millénaristes. La venue du Messie et du Royaume doit être hâtée par le repentir et les bonne oeuvres, la « fin » étant proche. La revendication de sa proximité avec Dieu rend possible selon Klausner l’élaboration future du dogme trinitaire. La supériorité de l’amour sur les rites, l’intériorisation de la religion détacheront celle-ci du judaïsme, l’ouvrant aux païens. Jésus, vrai rabbi et juif authentique, permet par son spiritualisme mystique d’aller vers d’autres sensibilités religieuses. Il reviendra à Paul de transformer ce christianisme à la juive en un message recevable par des non-juifs, ce qu’il fera en développant une théologie de sensibilité autant grecque que juive.
Jans- Messages : 3566
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Re: Histoire de l'exégèse
Bonjour Jans
Quel est la source de votre post "Histoire de l’exégèse de la bible " ...Est-ce votre propre production?
Quel est la source de votre post "Histoire de l’exégèse de la bible " ...Est-ce votre propre production?
Idriss- Messages : 7081
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Re: Histoire de l'exégèse
C’est ma production après 30 ans de lectures et de réflexion. Je suis universitaire, traducteur, après avoir appris le latin, l’allemand et le grec. Je suis à l’aise dans ces sujets qui m’ont toujours passionné. Et pour tout vous dire j’ai publié huit manuels universitaires.
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Re: Histoire de l'exégèse
La paix sur vous,
L'exégèse moderne du NT peut, à mes yeux du moins, remonter à Hermann Samuel Reimarus (1694-1768)
Pour la fin du XXème, on cite parfois Joachim Jeremias (1900-1979), Günther Bornkamm (1905-1990), Ernst Käsemann (1906-1998), Étienne Trocmé (1924-2002), Eduard Lohse (1924-2015), Eugen Drewermann (1940-) ... s'inscrivent-ils dans votre Histoire ? sont-ils marginaux ? sans intérêt ?
dont je n'ai lu que Jeremias (et pas tout...).
Pour le début du XXIème, Daniel Marguerat (1943-) ???
Il me semble que l'exégèse du NT plonge ses racines dans les travaux critiques orientés AT comme peut-être ceux de Louis Cappel (1585-1658), sûrement comme ceux de Spinoza (1632-1677), Richard Simon,(1638-1712) ou Jean Astruc (1684-1766).Jans a écrit:C’est ma production après 30 ans de lectures et de réflexion. Je suis universitaire, traducteur, après avoir appris le latin, l’allemand et le grec. Je suis à l’aise dans ces sujets qui m’ont toujours passionné. Et pour tout vous dire j’ai publié huit manuels universitaires.
L'exégèse moderne du NT peut, à mes yeux du moins, remonter à Hermann Samuel Reimarus (1694-1768)
Pour la fin du XXème, on cite parfois Joachim Jeremias (1900-1979), Günther Bornkamm (1905-1990), Ernst Käsemann (1906-1998), Étienne Trocmé (1924-2002), Eduard Lohse (1924-2015), Eugen Drewermann (1940-) ... s'inscrivent-ils dans votre Histoire ? sont-ils marginaux ? sans intérêt ?
dont je n'ai lu que Jeremias (et pas tout...).
Pour le début du XXIème, Daniel Marguerat (1943-) ???
tamar35- Messages : 672
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Re: Histoire de l'exégèse
Boileau écrit dans l'Art Poétique : "Qui ne sut se borner ne sut jamais écrire". Plus sérieusement : J'ai beaucoup lu, mais le terrain est immense, et je ne parle pas de ce que je n'ai pas lu. Oui, j'ai lu aussi Marguerat et bien sûr Drewermann (die Kleriker (dtv 1992, n°30010) : les fonctionnaires de Dieu : fin, nuancé, très humain, remarquable) ; il fallait bien s'arrêter à quelques-uns...
Jans- Messages : 3566
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Re: Histoire de l'exégèse
La paix sur vous,
Votre contribution est intéressante en elle-même sans avoir besoin d'être encyclopédique.
Je me demande si la notion d'exégèse ne doit pas être précisée.
C'est une notion qui naît probablement avec Philon, puis Origène à Alexandrie. Chez eux il s'agit d'extraire de l'écrit tout à la fois une "grammaire spirituelle" et un enseignement théologique.
Pendant longtemps, l'exégèse est une démarche éminemment pieuse qui repose sur l'idée de Révélation.
Les auteurs que vous avez fait défiler devant nous sont parfois animés d'une intention analogue.
Je note que beaucoup sont qualifiés de "théologiens".
Parfois on peut soupçonner que leur intention est plutôt de sauver le soldat Ryan, c'est à dire préserver contre vent et marée un lien entre le texte et la Transcendance.
Dès lors, à l'époque du succès de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, y a-t-il encore une place pour ce genre de démarche ?
Ainsi je me demande si les chercheurs actuels assument encore cette épithète trop connotée théologique.
Un chercheur reconnu internationalement comme Thomas Romer qui se consacre, actuellement, exclusivement à l'AT se revendique-t-il "exégète" ?
Vous avez raison.Jans a écrit:Boileau écrit dans l'Art Poétique : "Qui ne sut se borner ne sut jamais écrire". Plus sérieusement : J'ai beaucoup lu, mais le terrain est immense, et je ne parle pas de ce que je n'ai pas lu. Oui, j'ai lu aussi Marguerat et bien sûr Drewermann (die Kleriker (dtv 1992, n°30010) : les fonctionnaires de Dieu : fin, nuancé, très humain, remarquable) ; il fallait bien s'arrêter à quelques-uns...
Votre contribution est intéressante en elle-même sans avoir besoin d'être encyclopédique.
Je me demande si la notion d'exégèse ne doit pas être précisée.
C'est une notion qui naît probablement avec Philon, puis Origène à Alexandrie. Chez eux il s'agit d'extraire de l'écrit tout à la fois une "grammaire spirituelle" et un enseignement théologique.
Pendant longtemps, l'exégèse est une démarche éminemment pieuse qui repose sur l'idée de Révélation.
Les auteurs que vous avez fait défiler devant nous sont parfois animés d'une intention analogue.
Je note que beaucoup sont qualifiés de "théologiens".
Parfois on peut soupçonner que leur intention est plutôt de sauver le soldat Ryan, c'est à dire préserver contre vent et marée un lien entre le texte et la Transcendance.
Dès lors, à l'époque du succès de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, y a-t-il encore une place pour ce genre de démarche ?
Ainsi je me demande si les chercheurs actuels assument encore cette épithète trop connotée théologique.
Un chercheur reconnu internationalement comme Thomas Romer qui se consacre, actuellement, exclusivement à l'AT se revendique-t-il "exégète" ?
tamar35- Messages : 672
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Re: Histoire de l'exégèse
Jans a écrit:C’est ma production après 30 ans de lectures et de réflexion. Je suis universitaire, traducteur, après avoir appris le latin, l’allemand et le grec. Je suis à l’aise dans ces sujets qui m’ont toujours passionné. Et pour tout vous dire j’ai publié huit manuels universitaires.
Oui je n'en doute pas , c'était pas mon propos , je voulais juste que vous le précisiez ...
Sur un autre Forum le même texte l'auteur ( sans doute vous sous un autre pseudo ) précisait ses sources d'inspiration ...
Par contre le texte parlait de la seconde moitié du XVI éme siécle et non du XV éme ...
Si non félicitation pour ce remarquable travail et merci pour le partage .
Idriss- Messages : 7081
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Re: Histoire de l'exégèse
Merci de me donner des précisions au lieu de me parler sur ce ton. Que l‘on sache ce qui se passe. Parce que sinon c‘‚ est de la diffamation
Dernière édition par Jans le Dim 20 Nov - 22:37, édité 1 fois
Jans- Messages : 3566
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Re: Histoire de l'exégèse
Jans a écrit:Merci de me donner des précisions au lieu de me parler sur ce ton. Que l‘on sache ce qui se passe. Parce que sinon c‘‚ est de la diffamation
Bonsoir Jans
Vous parlez de ma réponse ?
Je vous répète que je ne doute pas que ce soit votre production ! Je ne puis en mesurer toute la pertinence mais je reconnais volontiers que c'est un travail colossale .
Je trouvais important que vous le précisiez même si c'était évident certainement pour ceux qui vous suivent habituellement .
Je n'ai pas précisé le lien vers l'autre forum car je pensais que c'était votre droit le plus absolu d’écrire sous un autre pseudo et que vous ne vouliez pas forcément que ce soit divulgué à tous ; je ne voulais vous offenser en aucune façon ...
https://www.forum-metaphysique.com/t11671-histoire-de-l-exegese-de-la-bible
Si vous voulez je peux supprimer tous mes messages de ce sujet ...
Idriss- Messages : 7081
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Re: Histoire de l'exégèse
Merci de votre rapide réaction. Oui c’est moi, il y a longtemps, sur un site dont tous les admins sont athées !! Une véritable entreprise de démolition ! D’où mon départ.
Jans- Messages : 3566
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Re: Histoire de l'exégèse
Il y a toujours des sources, de tous côtés, sur trois siècles ; j'en ai indiqué une, Laplanche, qui est récent et dans le commerce, je n'allais pas citer 30 livres importants, en français et en allemand ? Bien sûr, il y a eu Loisy, Guignebert, Bultmann, Harnack, Nisin, Baslez, Körtner, Mordillat, Chouraqui, Shlomo Sand, Daniélou, Geoltrain, Osho, Campenhausen, Hubert Pernot, Bart D. Ehrman... On ne fait pas une synthèse de 10 pages sur ce sujet en lisant wikipedia ! Et les futurs germanistes qui écriront leurs propres manuels pour le lycée ou la fac, seront contents de pouvoir s'appuyer sur les 8 manuels que j'ai publiés et le 9è qui sortira en mai 2023. Je n'allais pas écrire trois pages pour expliquer comment on fait ce genre de travail et chanter mes mérites ?
Si c'était simple à faire, ce genre de synthèse existerait depuis longtemps, je n'aurais pas eu besoin de me fatiguer.
Si c'était simple à faire, ce genre de synthèse existerait depuis longtemps, je n'aurais pas eu besoin de me fatiguer.
Jans- Messages : 3566
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Re: Histoire de l'exégèse
Merci pour ce travailJans a écrit:C’est ma production après 30 ans de lectures et de réflexion
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Re: Histoire de l'exégèse
Je rafraîchis un peu ce sujet qui avait demandé beaucoup de travail, puisque l'on traite bcp de la compréhension des paroles de Pilate et Jésus, voici une vue globale sur les problèmes d'exégèse au fil du temps.
Jans- Messages : 3566
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Re: Histoire de l'exégèse
Ce spoiler contient l'équivalent d'une dizaine de pages !
Jans a écrit:Histoire de l’exégèse de la bible (1)
Avec la seconde moitié du XVè siècle, la bible change de statut : elle passe de l’oralité transmise par les clercs à celui d’un écrit imprimé, diffusé, et on sait en Allemagne le rôle déterminant joué par Luther, même si des bibles en langues vernaculaire ont existé avant lui. Pour l’Eglise catholique, la seule référence est la Vulgate en latin de St Jérôme, traduite entre 390 et 405, directement depuis le texte hébreu pour l'Ancien Testament et du texte grec pour le Nouveau Testament. En ceci, elle s’oppose à la Vetus Latina (« vieille bible latine »), traduite du grec de la Septante. Le fait de puiser directement aux sources judaïques lui donne aux yeux des chrétiens latins, un « plus ». Force est de constater, cependant, que la différence entre la Vetus Latina et la Vulgata est relativement cosmétique, essentiellement stylistique.
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Les commentaires écrits d’exégètes catholiques (par exemple le Verbo Dei) sont en fait jusqu’à cette date des écrits théologiques destinés à entraîner la soumission à l’autorité romaine. Les écrits de Calvin et Luther restent dans ce sillage, revendiquant bien sûr leur liberté et le droit de chacun à lire la Bible, selon l’adage : « sola scriptura ». Des controverses disputent de savoir s’il faut privilégier la Vulgate ou la Septante, de la justesse des temps bibliques. Mais le premier vrai tournant de la réflexion exégétique se produit quand certains théologiens protestants se rendent compte de l’importance du savoir (pris ailleurs que dans la bible) sur le pays (Palestine), les un et coutumes juives, l’époque de Jésus... Ainsi, on parvient aux problèmes soulevés dans le NT = : Jésus a-t-il institué l’eucharistie la veille (dit Jean) ou le jour de la Pâque juive (disent les synoptiques) ? au vu des nouvelles connaissances, il apparaît impensable que le procès de Jésus ait eu lieu un jour solennellement chômé, donc Jean a raison. La bible entière se voit ainsi à la fois éclairée et questionnée par le savoir profane, et ce mouvement va s’accentuer tout au long du siècle des Lumières.
Histoire de l’exégèse de la bible (2)
En réaction, les théologiens gallicans (Fleury, Bossuet, Fénelon) enseignent aussi que la foi ne repose pas sur l’Ecriture, mais sur l’autorité de l’Église, garantie par la succession apostolique. Allant plus loin que les Luthériens, les Sociniens, dissidents protestants, plus radicaux, ne trouvent dans le NT aucun des dogmes chrétiens ; à la fin du XVIIè siècle, le « retour à l’Écriture » revendique la place du philologue dans le commentaire biblique et exprime l’aspiration à situer le texte en son temps. Une « histoire critique du Vieux Testament » apparaît ; ainsi, la construction de la tour de Babel ou l’endurcissement de Pharaon par Dieu peut se comprendre comme des manières de parler propres aux Hébreux.
L’interprétation de l’Apocalypse subit aussi une relecture protestante : leurs commentateurs lurent le texte comme une immense prédiction des châtiments successifs qui, par la main des différents réformateurs, s’abattaient sur l’Église romaine. Cette interprétation connut une énorme fortune en Angleterre au XVIIè siècle et soutint l’espérance de ceux qui luttaient contre le catholicisme latent des Stuarts. L’apologétique catholique réplique en soulignant que, l’Écriture étant pleine d’obscurités, la foi ne peut reposer en dernière analyse que sur l’autorité de la Tradition de l’Église, laquelle est infaillible. D’où le mépris envers la distinction établie par Spinoza entre les passages législatifs du pentateuque qu’il faut attribuer à Moïse et le reste de la collection (Moïse racontant sa propre mort dans le Deutéronome, ch. 34). Mais avec les Lumières, la prééminence de la raison va fortement ébranler l’apologétique catholique, assez naïve du XVIIè siècle.
Histoire de l’exégèse de la bible (3)
Le véritable grand coup de tonnerre vint d’un théologien protestant allemand, David Friedrich Strauss, qui, en 1835, à l’âge de 27 ans, en s’appuyant sur la littérature juive non biblique, publia une « Vie de Jésus » (Leben Jesu), qui à la fois le rendit célèbre et lui enleva toute perspective d’enseignement biblique (il devint professeur de lycée). Car Strauss tend à montrer, le premier, que l’historicité du NT est fortement contestable. Ainsi, il montre la contradiction de la descendance de David par Joseph, pense que le récit lucanien de la virginité de Marie est une légende poétique-mythique — car que Joseph a eu ensuite des enfants avec elle (on lit en Mtt 1,25 : « il ne la connût pas jusqu’à ce que / avant que.. : ἕως οὗ ἔτεκεν τὸν.. ), soutient Strauss (qui bien sûr pense aux frères et soeurs de Jésus, considérés d’abord comme des demi-frères, avant de devenir chez Jérôme, adepte de la virginité perpétuelle, des cousins), qui souligne ensuite que Mtt 21,7 est une impossibilité due à une mauvaise lecture de Zacharie 9,9.. Le théologien Karl Barth critiqua ce livre, tandis qu’il inspira bien des chercheurs après lui, dont le célèbre Albert Schweitzer, qui loua son sens de la précision. « la vie de Jésus » fut traduite en français par Littré.
Pour le philologue et exégète strasbourgeois Euduard Reuss (1804-1891), l’approche de la bible (« Histoire de l’Écriture sainte, le Nouveau Testament », 1842, en allemand) doit être plus nuancée. Pour Reuss, la formation de la Bible doit tenir compte de l’histoire culturelle du judaïsme pour l’ancien Testament et du christianisme primitif pour le Nouveau Testament. Il rejette l’explication « mythique » des miracles évangéliques, qui sont essentiellement des signes pour la foi. Les récits de la résurrection de Jésus sont difficiles à appréhender par notre raison, mais la proclamation de la résurrection constitue le fondement de la transcendance du message biblique. Vis-à-vis du protestantisme francophone, l’influence de Reuss fut importante, en lui révélant la richesse de la recherche biblique allemande. Témoin des controverses sur la Bible et la Réforme auxquelles le Réveil avait donné naissance en France, il estimait que les différents protagonistes connaissaient insuffisamment les sources de l’inspiration chrétienne en négligeant l’étude objective des documents bibliques. Avec Timothée Colani, il crée en 1850 la Revue de théologie et de philosophie chrétienne, plus connue sous la désignation de Revue de Strasbourg, dont le but était d’initier le protestantisme de langue française aux nouvelles méthodes d’étude de la Bible. Toujours avec le souci de ne pas détruire l’autorité de la Bible et de concilier science et foi, il a permis aux protestants orthodoxes ou évangéliques de mieux accepter les résultats de la critique biblique, établissant ainsi un pont entre les deux tendances du protestantisme français de son époque. Le retentissement de son œuvre fut considérable tant en France qu’à l’étranger, en particulier en Grande Bretagne.
Histoire de l’exégèse de la bible (4)
La « Vie de Jésus » de Renan, qui connut 13 éditions de 1863 à 1864, part sur d’autres bases. Renan prend ses distances vis-à-vis de Strauss, parce qu’il n’estime pas devoir reconnaître la présence de mythes dans les évangiles (il s’appuie sur Reuss). Renan critique cependant l’exégèse du protestantisme libéral, et interprète l’histoire de Jésus à la lumière d’un comparatisme qui ne s’appuie plus sur la philologie, mais sur la psychologie clinique, or celle-ci s’emploie à traiter le phénomène religieux comme une illusion (ce sera aussi la thèse de Freud, qui n’apportera pas non plus de démonstration pertinente). Pour Renan, Jésus apporte une morale ; son style, facile et fleuri, ne reflète pas les grandes connaissances philologiques et culturelles qu’il avait du moyen Orient, on passe avec Renan de l’étonnement à la déception. Pour l’exégèse catholique, point n’est besoin d’entrer dans des analyses fines : Ébranlée dans ses certitudes traditionnelles, elle amalgame toutes recherches exégétiques autres que la catholique en les qualifiant de « rationalistes ». C’est un trait de la culture catholique, depuis le XVIIè siècle, de voir dans le protestantisme un ferment de dissolution intellectuelle et sociale. Sous le Second Empire, et avec en plus la traduction française de l’origine des espèces (Darwin) en 1866, elle va devoir faire front de tous côtés.
Un grand exégète catholique, Fulcran Vigouroux, préside en 1873 à l ‘édition de La Sainte Bible (40 volumes), comportant le texte de la Vulgate avec une traduction française, et de substantielles introductions. L’introduction générale, due à un prêtre normand, Charles Trochon, recadre l’ensemble : « Rien n’est plus opposé au mythe que la Bible, qui offre partout le caractère historique le plus formel et le moins discutable » ; voilà qui a le mérite d’être clair, à défaut d’être subtil. L’épiscopat français applaudit. Un autre manuel, celui de Gilly, futur évêque de Nîmes, trouve sa voie dans les années 1880 avec plus de subtilité : « Le Christ et les apôtres se sont adaptés aux conceptions juives sur la place des païens dans le Royaume de Dieu et sur le caractère temporel de celui-ci » ; il a donc l’intuition de certaines difficultés d’interprétation du NT, qui vont faire irruption un quart de siècle plus tard.
Histoire de l’exégèse de la bible (5)
La Bible, livre humain et/ou divin ? telle est une des grandes interrogations des exégètes catholiques face aux critiques développées par les adeptes des méthodes littéraires et historico-critiques, car le fondement catholique, c’est la doctrine de l’Inspiration : Si Moïse n’est pas le rédacteur du Pentateuque, la Bible est livrée au mensonge, sauf à reconnaître un fait actuel d’évidence, à savoir que les auteurs n’écrivent pas selon les normes d’exactitude modernes. Mais les catholiques sont-ils prêts à cela ? Le théologien Le Hir tente une percée, mêlée de perplexité, fin des années 70 : « On sait ce que c’est que l’inspiration divine, c’est-à-dire que Dieu a dicté l’Écriture Sainte, mais comme on voit aussi dans ces livres les efforts du travail de l’homme, il est difficile de dire précisément jusqu’où les livres saints sont l’oeuvre de Dieu et combien le travail de l’homme y a concouru. » Le théologien Henri Vollot, professeur à la Sorbonne, dit prudemment : « il faut lire la Bible comme un document oriental auquel l’unité rigoureuse fait défaut ».
De son côté, Charles Lenormant, bon catholique, et qui professait à la Sorbonne un cours à forte tendance religieuse sur les origines du peuple hébreu, note que le Christ ayant laissé son oeuvre entre les mains des apôtres, il entra, dès les origines chrétiennes, un élément de discussion dans les affaires de l’Église, ce qui laisse un certain espace à la liberté des écrivains de l’âge apostolique. ». Ces propos tiennent leur intérêt historique de leur précocité, ayant été prononcés de 1836 à 1846. Dans des travaux postérieurs (1883), Lenormant annonce son ralliement à deux conclusions importantes de l’exégèse critique. Il admet l’hypothèse documentaire : « Je ne crois pas possible de maintenir la thèse de ce qu’on appelle l’unité de composition des livres du Pentateuque... je tiens pour démontrée la distinction de deux documents fondamentaux, élohiste et jéhoviste, qui ont servi de sources au rédacteur définitif. » ; Pour la Genèse, celle-ci « est une édition expurgée de la tradition chaldéenne, ou bien l’on verra dans les deux narrations deux formes divergentes du même rameau de la tradition primitive. » Les déclarations de Lenormant furent vivement critiquées. Une brochure de l’abbé Rambouillet, vicaire à Saint-Philippe-du-Roule, signala l’opinion de Lenormant sur l’inspiration comme contraire à la doctrine de l’Église. Si Dieu est l’auteur des livres, il ne peut y avoir d’erreur. Pour Jean-Baptiste Hogan, sulpicien, il n’y a aucune erreur dans les textes de la bible, mais « chaque genre de composition a ses formes propres, ses exigences variables suivant l’époque et le milieu dans lesquels il se produit. » La véracité de Dieu n’est pas engagée, dit-il, si les hommes, par leur faute ou par suite de leur infirmité native se trompent sur le vrai sens de ses paroles.
Histoire de l’exégèse de la bible (6)
L’histoire de l’exégèse devient de plus en plus celle de l’inerrance biblique : Dieu étant l’Inspirateur, le véritable rédacteur, tout est vrai, on n’y peut rien changer, car il n’y a pas d’errement. Cette doctrine deviendra le pivot de la lutte contre le modernisme, qui constitue l’essentiel du livre de François Laplanche « La crise de l’origine » (où, disons-le franchement, la part belle est faite aux exégètes catholiques ; mais étant donné à la fois l’ampleur des problèmes et la stature de leurs contradicteurs, ce livre intéressera des lecteurs d’horizons idéologiques divers).
Entre alors en scène Alfred Loisy (1857-1940), personnage considérable, dont il nous faut esquisser la biographie. En 1874, il entre au Grand Séminaire de Chalons-en-Champagne . Après avoir été ordonné sous-diacre, il est envoyé à l’École de Théologie de l'Institut catholique de Paris. Tombé malade, il revient en Champagne où il est ordonné diacre (mars 1879) puis prêtre (juin 1879). Il est alors brièvement curé de Landricourt avant d'être nommé à Paris. À l'Institut catholique de Paris, où il entra par la suite, il avança si vite dans l'étude de l'hébreu que le recteur, Mgr d'Hulst, lui confia rapidement un cours. Dès 1886 il est chargé de l'enseignement de l’Écriture sainte à l'Institut Catholique de Paris tout récemment ouvert. La publication de sa leçon de clôture de l'année 1891-1892, intitulée La composition et l'interprétation historique des Livres Saints l'expose à l'hostilité de sa hiérarchie ; Mgr d'Hulst, qui l'avait soutenu jusque-là, le suspend d'abord d'enseignement, puis le révoque définitivement en 1893. Il est nommé aumônier, chargé de l'éducation des jeunes filles dans un couvent de dominicaines à Neuilly. Il n'en continue pas moins ses recherches, mais se trouve en porte-à-faux de plus en plus prononcé avec les dogmes de l'Église romaine. Tombé gravement malade en 1899, il quitte son aumônerie et croit devoir l'année suivante renoncer par honnêteté à la petite pension que l'archevêché sert aux prêtres infirmes. C'est alors que des amis le font nommer à l'École pratique des hautes études, ce qui prenait de court sa hiérarchie : « censurer un enseignement donné en Sorbonne paraissait un coup trop hardi, et l'on n'y pensa pas, au moins sous Léon XIII6. »
En 1902, entendant réfuter L'Essence du Christianisme (Das Wesen des Christentums) du théologien protestant Adolf von Harnack, Loisy fait paraître L'Évangile et l'Église. Ce livre, qu'on appellera le petit livre rouge, pour son format et la couleur de la couverture, fait un énorme scandale ; il est condamné dans plusieurs diocèses. En décembre 1903, cinq de ses livres sont mis à l'index. Ayant refusé de souscrire à l'encyclique Pascendi, promulguée en 1907, Loisy fait l'objet d'un décret d'excommunication vitandus par la Congrégation du Saint-Office le 7 mars 1908 — ce qui interdisait à tout catholique de lui adresser la parole. L'année suivante, il est nommé à la chaire d'histoire des religions du Collège de France (où il enseigne jusqu.à son départ à la retraite en 1932).
Comment Loisy aborde-t-il la question de l’inerrance fin 1893 ? Avec subtilité et fidélité envers Rome : La Bible vient, selon lui, tout à la fois de Dieu et de l’homme. Les énoncés bibliques sont vrais pour leur temps ; Dieu parle aux hommes de chaque époque le langage qu’ils peuvent comprendre ; ce langage est donc relativement vrai ; la perpétuité de la doctrine chrétienne est celle d’une doctrine qui vit et qui grandit sans cesser d’être identique à elle-même... La vérité religieuse contenue dans la Bible ne peut être mise au jour que par le travail de l’interprétation.. La vérité des Écritures est coordonnée à l’infaillibilité de l’Église qui l’interprète. Monseigneur D’Hulst exprime des pensées voisines. L’effort de l’apologétique se porte maintenant sur l’affirmation de la continuité sans faille entre Jésus-Christ et l’Église.
Histoire de l’exégèse de la bible (7)
Une des tendances de l’exégèse des religions du XIXè siècle sera la mythologie comparée, dont le principal représentant fut Max Müller (1823 – 1900). D’origine allemande, il vint en Angleterre pour étudier des documents indiens et il devait y vivre le restant de ses jours. Il devint professeur de philologie comparée à Oxford puis professeur de théologie comparée (1868-75). Il analysait les mythologies comme des rationalisations de phénomènes naturels, les débuts primitifs de la science dans une perspective évolutionniste. Müller cherchait notamment à étudier dans les textes de la culture védique les fondements des cultures indo-européennes en général. Il prépara une édition critique des Rig-Vedas qui lui prit près de 25 ans. Mais des objections sérieuses sont faites à cette méthode, notamment par William Whitney, linguiste et orientaliste américain. D’abord, l’extrapolation : valable s’il s’agit d’aires culturelles très rapprochées (Germains et Scandinaves, Indiens et Iraniens), la méthode de la mythologie comparée noie toutes les différences pour les ramener à l’unité. Ensuite, le privilège accordé aux récits mythiques dans l’intelligence des religions lui semble exorbitant. Les rites, dans leur organisation systématique et leur fonction sociale apparaissent de plus en plus importantes pour l’étude des religions.
En 1876 est lancée la Revue historique, dont le premier directeur sera Maurice Vernes (études de théologie aux facultés de Montauban et de Strasbourg et docteur en théologie en 1874. Nommé en 1877 maître de conférence d’histoire de la philosophie à la Sorbonne, il devint professeur à la Faculté de théologie protestante (1879) puis en 1880 directeur d’études). Celui-ci rejette à la fois la mythologie comparée, le traditionalisme catholique et l’évolutionnisme religieux ; il propose d’étudier chaque religion en fonction des conditions socio-culturelles où naissent les textes. Dans le domaine des études bibliques, Vernes va insister sur la relation de la littérature apocalyptique juive à l’écriture du Nouveau Testament, son intérêt principal étant le messianisme juif.
Vernes s’inscrit là dans un courant initié par des Allemands : Lücke (Essai d’une introduction à l’Apocalypse de Jean et à la littérature apocalyptique en général, 1848), et Hilgenfeld (l’apocalyptique juive dans son développement historique, 1857). Ils ont attiré de bonne heure l’attention des érudits sur ce domaine, notamment dans le mivre de Daniel et des livres juifs non canoniques. Ces croyances, assurent-ils, forment le matériau de la première eschatologie chrétienne, avant la pénétration du christianisme par la théologie du judaïsme hellénistique (peu encline à l’apocalyptique).
« Que devait, que pouvait signifier telle parole de Jésus aux yeux de ses contemporains, s’interroge Vernes. Quand il envoie ses disciples annoncer la prochaine venue du royaume de Dieu, que signifiait cette proclamation aux yeux de gens simples ? Une seule chose, très claire tant données les préoccupations du temps : L’ère messianique va incessamment commencer. Quand Jésus dit, lui aussi : Le royaume de Dieu approche, il ne veut pas dire autre chose, et il croit voir à l’horizon prochain la venue du règne divin, la révolution à laquelle il aspire comme ses compatriotes et à laquelle il donne un tour éminemment religieux. » Vernes reproche notamment à Reuss de confondre la proclamation de la bonne nouvelle, dont l’effet intérieur est immédiat, et la venue du royaume de Dieu, qui n’est pas encore réalisée.
L’irruption de l’apocalypse juive dans l’exégèse chrétienne du NT va peser lourd dans l’évolution de cette dernière.
Histoire de l’exégèse de la bible (8)
En ce dernier quart du XIXè siècle, de vifs débats ont lieu dans le protestantisme français sur la nature exacte du royaume de Dieu annoncé par Jésus. On a déjà vu en (7) l’opinion de Vernes. Reuss écrit en 1876, dans sa présentation des évangiles synoptiques, que les propos de Jésus sont très clairs : Ils parlent d’une parousie visible, postérieure à la ruine de Jérusalem, mais la suivant immédiatement. Auguste Sabatier, qui enseigne la dogmatique réformée à Strasbourg puis à Paris, dit de son côté que « Jésus et les siens ont vécu dans la croyance qu’ils touchaient aux derniers temps, que le monde présent allait finir et que la catastrophe préparée par Dieu était imminente ». Exagérations ou justesse d’interprétation ? Pour les catholiques, dont Hogan [voir : (5)], la proximité du retour du Christ constitue sans discussion le clair message du NT. Pour lui, le problème consiste avant tout à sauver l’inerrance biblique ; il pense donc que Jésus annonçant la simultanéité de son retour et de la chute de Jérusalem, est une mauvaise compréhension de la part des apôtres ; d’autres textes suggèrent la lente progression du royaume de Dieu. Cependant, Hogan note aussi que la 2è épître de Pierre (ch 3,9) enseigne avec insistance la proximité certaine du retour du Christ. Il écrit donc, devant cette difficulté, pour sauver l’inerrance biblique : « Avant de prétendre trouver en faute une parole de la Bible, il faut commencer par s’assurer qu’on l’a comprise comme elle a dû l’être par ceux à qui elle était adressée. » L’exégèse chrétienne du XXè siècle héritera donc de grandes tâches : penser le passage de l’imminence du royaume à l’installation de l’Église dans le monde, apprécier la force subversive de l’évangile par rapport à l’ordre temporel, situer le christianisme par rapport au judaïsme.
Au début du XXè siècle, les fronts vont se durcir, et l’on va parler dans le camp catholique de la « science catholique » ; l’expression vient de loin, elle a été lancée par Lamennais dans un article de l’Avenir. Selon lui, la valeur de cette expression tient à ce que le catholicisme, et lui seul, possède l’authentique savoir de l’origine. On est là dans le domaine de la dogmatique. Que doit-on comprendre ? Que l’investigation historique bien conduite n’est pas relativiste, elle confirme la transcendance de la vérité catholique. D’Hulst, premier recteur de l’Institut catholique de Paris, explique aux lecteur du Correspondant : À mesure que l’Antiquité grecque et romaine nous livre plus complètement ses secrets, il devient plus impossible de contester aux auteurs des quatre Évangiles et du livre des Actes le caractère de témoins oculaires ou de narrateurs contemporains. C’est ainsi que, sans recourir à la Révélation, et rien qu’en faisant oeuvre de critique, l’apologiste peut établir la réalité d ela vie du Sauveur, de ses miracles, de sa mort, de s résurrection, de ses prophéties connues avant l’événement et vérifiées par l’événement. » L’Église garantit l’inspiration de l’Ancien Testament, donc la vérité historique de ses récits, parmi lesquels celui de l’origine de l’espèce humaine à partir d’un couple unique, et également celui de l’Exode. D’Hulst en conclut dans ses Conférences de Notre-Dame en 1891 à la nécessité de relier la morale à la religion catholique (l’anti-protestantisme est de rigueur) ; cette vision du monde entraîne la condamnation sans appel de la neutralité scolaire. Mais à cette belle assurance vont s’opposer des prises de position puissantes, à commencer par celle d’Alfred Loisy.
Histoire de l’exégèse de la bible (9)
Les recherches de Loisy sur le NT, qu’il publie à partir de 1893 (la crise de la foi dans le temps présent) le conduisent à dire ceci : « L’Église est obligée actuellement de subir le mouvement scientifique qui se produit en dehors d’elle, mais elle s’efforce de le maintenir là où il est, en dehors d’elle, et de garder jalousement contre tout contact profane sa science à elle, ce qu’on appelle sans rire la science catholique. ». les écrits de Loisy (surtout L’Évangile et l’Église, 1902, et Autour d’un petit livre, 1903) sont mis à l’Index le 16 décembre 1903. L’excommunication de l’exégète suivra en 1908. Loisy inaugure l’histoire de l’école dite progressiste, et condamnée par le catholicisme sous le nom de modernisme. L’intransigeance de Rome remonte à plus haut : Léon XIII appelle en novembre 1885 le soutien de la puissance publique à l’Église catholique en écrivant : « Des preuves nombreuses et éclatantes, à savoir la vérité des prophéties, une multitude de miracles, la rapidité avec laquelle la foi s’est propagée, le témoignage des martyrs et d’autres arguments semblables prouvent à l’évidence que la seule religion véritable est celle dont Jésus-Christ lui-même est l’auteur et qu’il a donné mission à l’Église de garder et de propager. ».
L’Église catholique est sur la défensive, elle constate dans les lycées et universités une présentation des faits religieux par des historiens laïques brillants, souvent rationalistes. Ainsi, une lettre épiscopale du 14 septembre 1909 condamne plusieurs manuels scolaires en usage dans les écoles primaires publiques. Mais la France n’est pas partagée de manière simple entre « cléricaux » et « anticléricaux », il existe aussi une large couche d’esprits qui cherchent à la morale un fondement métaphysique ou religieux, mais ils sont rebelles à tout dogmatisme. Quelques esprits catholiques clairvoyants (dont Émile Boutroux en 1910) se demandent si l’intransigeance de Pie X, qui vient de condamner toute forme de modernisme, pourra se maintenir longtemps.
Le courant laïque est fort. On voit apparaître des chaire d’histoire des religions à l’Université de Paris : Charles Guignebert, agrégé d’histoire et docteur en 1902, esprit rationaliste brillant et d’une grande érudition, devient en 1906 chargé d’enseignement d’histoire du christianisme ancien à la Faculté des Lettres de Paris. Il sera professeur titulaire en 1919. Loisy accède au Collège de France en 1909. Ses « petits livres rouges » avaient osé démontrer avec une rigueur toute allemande et une élégance bien française que loin d'avoir été instituée par Jésus, l'Église chrétienne s'est construite elle-même sur la mémoire du Ressuscité ou que loin d'avoir été annoncés par l'Ancien Testament, les Évangiles n'ont fait que s'y référer pour légitimer leur message novateur. Ces petits livres et autres articles qui ont fait grand bruit dans le monde clérical au tout début du siècle. Après le passage en revue de diverses théories générales des religions, le manuscrit retrace les grandes étapes de la mutation décisive qui va des prophètes d'Israël jusqu'à l'Église chrétienne en passant par Jésus de Nazareth ; il développe enfin diverses propositions en vue de la réforme du régime intellectuel de l'Église en insistant notamment sur l'intégration entre la raison et la foi par une autolimitation réciproque de la théologie et des sciences historiques. S'opposant doublement à l'idéalisme protestant et à l'enfermement scolastique du magistère romain, l'examen critique des théories des religions s'appuie sur la perspective d'un dogme chrétien en perpétuel développement ; vision progressive que Loisy doit principalement au cardinal Newman, théologien anglican passé au catholicisme. « On ne trouvera pas le culte de la Vierge avant que soit réglé celui du Christ et la papauté se dessinera seulement à mesure que l'Église sera consolidée » (p. 78). Dans sa réflexion sur les liens entre religion et révélation, l'auteur s'inscrit en faux contre les thèses conciliaires de Vatican I (1870). L'exégète conteste ainsi que les Évangiles soient l'accomplissement en droite ligne des prophéties israélites ou que les miracles de Jésus puissent justifier à eux seuls la foi chrétienne. De même, la résurrection du Christ renvoie moins à un fait biologiquement inexplicable qu'à une vision de foi décisive.
La riposte de l’Église catholique sera forte.
Histoire de l’exégèse de la bible (10)
Un décret du Saint-Office (Lamentabili sane exitu) du 4 juillet 1907 vise avant tout l’exégèse de Loisy, dresse une liste des propositions condamnées, rappelant deux principes généraux : l’interprétation des Écritures est soumise à l’autorité doctrinale de l’Église ; Dieu étant l’auteur de l’Écriture, celle-ci ne comporte pas d’erreur. L’Évangile selon saint Jean doit être tenu pour historique et pas seulement symbolique, il n’est pas permis de dire que les évangiles n’affirment pas la divinité du Christ, ni que la résurrection du Christ n’est pas proprement un fait d’ordre historique ; ni que Jésus n’a pas voulu fonder une Église, mais seulement annoncer le royaume de Dieu.
Une Commission biblique pontificale, créée par Léon XIII en octobre 1902, s’était vue confier le domaine des études bibliques, en 1904 elle a le soin exclusif de conférer les grades en Écriture sainte. Elle décide qu’il fallait respecter le sens littéral historique des trois premiers chapitres de la Genèse ; cela bien admis, on pouvait entendre « les jours » de la création autrement qu’au sens littéral. Pour l’exégèse du NT, il est interdit de dire que els discours de Jésus sont fictifs. L’évangile grec de Matthieu reproduit fidèlement un original araméen, ce qui en fait le plus ancien de tous.
Le 8 septembre 1907, Pie X fait publier l’encyclique Pascendi, qui explique et condamne les erreurs modernistes, dont le fondement est l’agnosticisme :
« L'agnosticisme nie toute possibilité de connaissance scientifique des phénomènes. D'où Dieu n'est ni objet direct de science, ni un personnage historique. "Qu'advient-il, après cela, de la théologie naturelle, des motifs de crédibilité, de la révélation extérieure...?". Toute vérification temporelle de la foi est niée, et la foi se transforme en fidéisme. L'intellectualisme remplace le réalisme chrétien. Cette proposition moderniste s'élève directement contre ce qu'a toujours enseigné l'Eglise, comme en témoigne cette citation du de revelatione, au canon premier: "si quelqu'un dit que la lumière naturelle de l'humaine raison est incapable de faire connaître avec certitude, par le moyen des choses créées le seul et vrai Dieu, notre Créateur et Maître, qu'il soit anathème". Somme toute, l'agnosticisme peut être réduit à ce simple mot : ignorance. »
Pour anéantir la cause intellectuelle du modernisme qu'est l'ignorance de la vraie et sainte doctrine, le pape ordonne l'étude dans les séminaires de la philosophie thomiste. "Nous voulons et ordonnons que la philosophie scolastique soit mise à la base des sciences sacrées. Et "sur cette base philosophique, que l'on élève solidement l'édifice théologique). Solide éducation amène de solides idées... (N'oublions pas que saint Pie X est fils de paysan). L'enseignement ayant été réformé, il ne s'agit pas que des professeur viennent jeter le trouble dans l'esprit de leurs élèves... « Ainsi, tous les professeurs modernistes doivent quitter leurs chaires d'enseignement, pour laisser la place à des personnes "sûres" De même, le sacerdoce ne doit pas être donné à quelqu'un suspect d'idées modernistes, dans la mesure où il risquerait de corrompre ses confrères. Tout ceci n'est que mesure de prudence, la même qui serait prise à l'égard d'une maladie contagieuse... Faites tout au monde pour bannir de votre diocèse tout livre pernicieux. En effet, ce n'est pas tout de préserver les fidèles du contact verbal avec les modernistes, mais il faut encore leur supprimer tout moyen d'action par voie de presse. C'est là encore mesure de prudence. »
Un dominicain, le Père Lagrange, fera bientôt les frais de ces mesures ; dans un commentaire de saint Marc, dirigé contre Loisy, Lagrange a le malheur de soutenir que Marc pourrait être antérieur à Matthieu et de récuser l’authenticité de la finale de l’Évangile (ce qui est admis par tous aujourd’hui), donc d’entretenir une notion insuffisante de l’inerrance biblique. Son livre est interdit. Lagrange envoie des lettres de soumission, ses livres échappent à l’Index.
Histoire de l’exégèse de la bible (11)
En 1909, un ouvrage nouveau va frapper l’opinion publique : l’Orpheus de Salomon Reinach (650 pages, dix éditions épuisées en un an, traductions en 5 langues). Né en 1858, Salomon Reinach est un membre brillant de l’intelligentsia française au tournant des deux siècles, reçu premier à l’École normale supérieure et à l’agrégation de grammaire ; il se consacre à la philologie classique et à l’archéologie, et publie très vite de nombreux articles sur les religions, qui formeront bientôt 5 volumes. Son projet est de constituer une généalogie de la religion, donc en expliquer l’origine, et s’appuie sur la méthode comparative. Reinach met à l’origine de la religion le totémisme et la magie. Les chapitres sur les religions autres que le judaïsme et le christianisme ne soulevèrent pas d’objection.
Il considère que le christianisme s’élabora dans le monde juif par le mélange des doctrines mosaïques, grecques et persanes. Reinach remarque la proximité de doctrine entre Jésus et le grand docteur pharisien Hillel ; dès lors l’hostilité prêtée à Jésus envers les pharisiens ne peut guère s’expliquer que comme un projection dans les Évangiles de polémiques très postérieures. Selon lui, les synoptiques dérivent de deux sources : un Marc primitif et un recueil de discours (logia en grec) appelé « Q », initiale de Quelle, la source en allemand (hypothèse toujours utilisée). Marc actuel utiliserait le Marc primitif mais aussi Matthieu et Luc. Reinach fait état d’un certain scepticisme quant aux repères solides pour l’historien, face aux contradictions des récits (ceux de l’enfance, du tombeau, de la résurrection), au manque d’attestations convergentes (Pierre chef de l’Église ne se trouve que chez Matthieu), et à l’absence de sacrements institués par Jésus-Christ ; s’y ajoutent les données de l’histoire juive ou romaine qui contredisent le récit (faux portrait de Pilate, date du recensement, date du procès de Jésus, inadmissible pour des coutumes juives).
Conclusion de Salomon Reinach : « En somme, nos Évangiles nous apprennent ce que différentes communautés chrétiennes croyaient savoir de Jésus entre 70 et 100 après l’ère chrétienne ; ils reflètent un travail légendaire et explicatif qui, pendant quarante ans au moins, s’est fait au sein des communautés. »
La publication de l’Orpheus provoqua une intense mobilisation de la science catholique à tous les échelons. La méthode comparative présentait il est vrai des faiblesses, et entraîner judaïsme et christianisme dans le sillage du totémisme et de la magie était certainement excessif. Cela dit, Batiffol, sulpicien et exégète, admet la théorie des deux sources ; il distingue entre les enseignements de Jésus, solides grâce à la mémoire des communautés juives et les récits, dont la présentation à des fins de catéchèse est évidente — sans que cela autorise à nier leur historicité, même si on peut concéder que tel détail a pu être ajouté en écho à l’Ancien Testament.
La science catholique dut quand même faire quelques concessions ; on reconnut la nécessité de mettre à part l’Évangile de Jean, dont la densité symbolique et la profondeur mystique rendent difficile la distinction entre les faits et leur interprétation par le rédacteur. La position de Harnack, grand théologien protestant, est admise en gros : Certes, la christologie va connaître de profonds développements dans l’histoire du christianisme primitif, mais ce constat ne doit pas troubler la foi. Les exégètes catholiques entendent ne pas choisir entre la conception du royaume chère au protestantisme libéral (le royaume intérieur, déjà offert à ceux qui ont une âme d’enfant de DIeu) et celle de l’école opposée, l’école eschatologique (le royaume social et visible, encore à venir, qui paraîtra avec éclat et soudaineté).
Histoire de l’exégèse de la bible (12)
Jusqu’à la fin de sa vie, Loisy restera opposé aux thèses de « l’école mythique », pour laquelle l’histoire de Jésus constitue une stimulante invention ; il concède aux mythologues la transformation de l’histoire de Jésus en mythe de salut par la passion divine, mais refuse absolument aux mythologues le droit de nier l’existence historique de Jésus. L ‘argument de Loisy se fonde d’abord sur la critique littéraire des synoptiques ; Loisy choisit de modifier la théorie des deux sources de Reinach en donnant ses affirmations comme des probabilités : Matthieu et Luc ont utilisé Marc dans sa forme actuelle, mais non un proto-Marc. Quand ils rapportent des discours absents dans Marc, ils ont dû utiliser un recueil de discours ; Marc semble avoir utilisé de son côté un récit abrégé de l’histoire de Jésus. Pour Loisy, il existe dans les synoptiques deux traditions distinctes : la première est celle que reflètent les sources, elle représente la foi des témoins ayant connu Jésus ; la seconde reflète la foi des communautés chrétiennes à la fin du premier siècle. Or le portrait de Jésus recueilli par cette première tradition est si différent de la christologie portée par la seconde tradition qu’il doit correspondre, en gros, à des souvenirs historiques. Il y a donc lieu de lire la tradition synoptique deux niveaux. Par exemple, le baptême de Jésus par Jean est un fait historique difficilement contestable, mais Marc l’a modifié en décrivant le baptême comme une consécration messianique. Pour Loisy, Jésus annonce à la suite de Jean (emprisonné) le règne de Dieu, et il ne doute pas de l’imminence d’un tel royaume. Loisy considère que le procès imaginé par les évangélistes, au centre duquel est le sanhédrin, comme totalement invraisemblable, il pense qu’il y a eu simplement dénonciation auprès de Pilate. Dans cette perspective, Loisy estime que la parole : « mon royaume n’est pas de ce monde » n’a pas dû être dite par le Jésus historique, car elle est totalement contraire à la conception juive du royaume messianique.
Pour confirmer l’existence historique de Jésus, Loisy recourt à la littérature johannique : là même où apparaît la préexistence éternelle du Christ-Seigneur ou du Logos divin, l’histoire de Jésus reste ineffaçable : le comportement de la famille de Jésus, son crucifiement sont des scandales, qu’un mythe aurait évité.
Un des grands esprits de l’Histoire antique, Guignebert (athée), enseigne en Sorbonne l’Antiquité chrétienne de 1919 à 1921. Lui aussi critique sévèrement les positions des mythologues, et son argumentation est proche de celle de Loisy : il faut souligner l’écart entre les sources des Évangiles, qui décrivent Jésus comme un homme de son temps, et les « modifications rédactionnelles » transformant ces simples récits en manifestations messianiques ou même en théophanies ; cet écart serait invraisemblable dans l’hypothèse de la création purement mythique de l’histoire de Jésus. Guignebert hésitera sur la possibilité d’attribuer à Jésus lui-même des affirmations messianiques sur sa personne. Pourquoi la prédication de Jésus sur l’imminence du royaume n’aurait-elle pas suffi à alarmer Pilate, sans déclaration messianique formelle ? Guignebert souligne par ailleurs les phénomènes d’osmose que le judaïsme de la diaspora a connus avec la pensée hellénique, il remarque comment Philon d’Alexandrie s’éloigne déjà de la pensée juive en taisant le messianisme et en introduisant le dualisme âme/corps dans l’anthropologie religieuse. En 1921, Guignebert va présenter l’hellénisation du christianisme par l’Église d’Antioche et par Paul comme un produit direct des syncrétismes judéo-païens, mais aura l’honnêteté de reconnaître que cette reconstruction est hypothétique.
Histoire de l’exégèse de la bible (13)
La troisième grande figure de l’exégèse libre (non soumise à Rome) en ces 40 premières années du XXè siècle, à côté de Loisy (mais sans la vibration polémique de celui-ci) et de Guignebert (sans l’excitation de Guignebert pour le combat anticlérical), est Maurice Goguel, historien et théologien protestant de premier plan, à la foi profonde, et qui accéda à la chaire d’exégèse du Nouveau Testament à la Faculté protestant e de Paris à l’âge de 25 ans. Comme les deux autres, il remarque l’incohérence de certains récits évangéliques. Ainsi, pour les synoptiques, Jésus commence sa prédication après l’arrestation du Baptiste, alors que le rédacteur de l’évangile de Jean montre le Baptiste et Jésus ayant une activité parallèle, Jésus recrutant ses premiers compagnons parmi les adeptes du baptiste. Pour Goguel ces incohérences tiennent à la façon des rédacteurs de travailler leurs sources. Il considère que « doit être considéré comme provenant de très ancienne tradition et pratiquement tenu pour authentique ce qui est en contradiction avec les formes sous lesquelles nous apparaît la plus ancienne foi de l’Église » ; ainsi, route affirmation de Jésus sur sa personne et s amission, dont le contenu est plus pauvre que celui de la confession de foi primitive (1 Cor. 15,3-4) a toute chance d’être authentique. Mais souvent il sera difficile de trancher : Jésus annonce le royaume où l’amour divin dissout par avance toute faute, tandis que le Baptiste annonce un strict jugement de la vie des juifs.
Réfléchissant sur la messianité de Jésus, Goguel décrit la vision de celui-ci comme règne de Dieu d’ordre moral, la victoire sur le mal sera la force du pardon divin, ce qui ne correspond pas du tout à la conception juive du Messie, venant rétablir en puissance le royaume d’Israel. Jésus avait sans doute conscience d’être un Messie très différent.
Goguel explique que Paul innove sur deux points décisifs : a) la foi de Jésus devient la foi en Jésus-Christ Seigneur ; b) l’inconditionnalité du pardon divin fait place à la théorie de la rédemption substitutive. Il fallait, explique Goguel, interpréter la mort ignominieuse du Messie : Ce fut l’efficacité rédemptrice expliquée par Paul. Sans doute Jésus a-t-il pressenti sa fin prochaine, pense Goguel, sans faire la théorie de la mort rédemptrice que lui prêtent les textes, théorie plus tardive, qui revient essentiellement à Paul.
La coïncidence de la prédication paulinienne avec l’attente d’une religion des mystères fondé sur un besoin de salut va expliquer selon lui le succès progressif du christianisme, il n’est point besoin d’attribuer à la doctrine paulinienne des origines païennes. En théologisant ainsi, dit Goguel, Paul a permis la survie de l’expérience chrétienne, qui autrement se serait évanouie dans les représentations assez vagues des systèmes judéo-chrétiens.
Histoire de l’exégèse de la bible (14)
En 1933, Maurice Goguel va plus loin dans sa réflexion exégétique en publiant La foi à la résurrection de Jésus dans le christianisme primitif. Contre Guignebert, Goguel estime que la foi des disciples en la messianité de Jésus constitue la racine de leur foi en la Résurrection. Celle-ci n’est pas imposée par des faits comme la découverte du tombeau vide, tout à fait absente de la catéchèse primitive et du message de Paul, argumente Goguel, ou des expériences de rencontres qui supposeraient la réanimation de Jésus. La conviction des apôtres se fonde sur les visions dont ont bénéficié les apôtres, analogues à celle de Paul sur le chemin de Damas. Goguel bannit donc toute conception de la Résurrection comme « réanimation » offerte à un constat historique. Ces affirmations provoqueront l’indignation du dominicain Lagrange. Enfin, Goguel souligne que Paul n’a pas inventé la catéchèse primitive, telle qu’elle se trouve dans els discours de Pierre au début des Actes : « Dieu a ressuscité Jésus pour donner à Israel la repentance et le pardon des péchés, c’est-à-dire pour le mettre à même de se repentir d’une manière qui lui assure le pardon. » À côté de cette conception qu’il a reçue, Paul va développer celle d’un vaste plan divin où figure, en plus de l’Adam terrestre, l’Adam céleste ou spirituel. Y a-t-il eu emprunt d’éléments religieux hellénistiques ? Goguel pense en fait que le christianisme n’est pas une religion syncrétiste mais doit être compris comme « une adaptation chrétienne de l’esprit des mystères helléniques ».
Du côté catholique, le climat s’est détendu après la Grande Guerre. Progressivement, les religieux obtiennent de rapatrier les ressources de leurs maisons d’études ; de plus, une nouvelle inquiétude spirituelle voit le jour en France, notamment chez les intellectuels, et on notera une vague de conversions au catholicisme. De 1921 à 1925, Lagrange publie de gros commentaires sur les évangiles, mais il lui faut rester prudent, car en France et surtout à Rome, des intégristes veillent. Pie X, farouchement antilibéral et lutteur acharné contre le modernisme est mort en 1914 ; lui succèdent Benoît XV et Pie XI (en 1922), qui dessinent des lignes nouvelles : dissolution du réseau intégriste dit « La Sapinière », condamnation de l’Action Française en 1926 ; mais il y a un noyau « dur » au sein de la Commission biblique pontificale, qui déclare par exemple en 1933 que l’auteur du psaume XV (« tu ne peux laisser ton fidèle voir « la fosse ») a bien eu l’intention de parler de la résurrection du Christ. En 1934, le livre d’un professeur d’Ecriture Sainte de Brastislava, L’immigration d’Israel en Canaan, doit être condamné, car il met en doute l’authenticité mosaïque (Moïse seul rédacteur) et l’historicité du Pentateuque. La surveillance romaine tendait à sauvegarder précieusement l’inerrance des Écritures. L’encyclique de Benoît XV Spiritus Paraclitus (1920) nia que les récits bibliques pouvaient ne posséder que « les apparences de l’histoire », cela ne pouvait se dire que pour « de petites méprises historiques ». Cette insistance sur l’historicité des récits bibliques allait peser lourd sur l’exégèse catholique et la priver d’une liberté d’action et de parole dont elle avait grand besoin.
Histoire de l’exégèse de la bible (15)
Dans la seconde moitié du XIXè siècle, la séparation croissante opérée par la critique entre la prédication de Jésus et le kérygme chrétien (profession de foi fondamentale) met l’accent sur la « judaïté » de Jésus. Cela va intéresser aussi des savants juifs allemands, qui souhaitent le rapprochement avec les catholiques et penchent pour l’assimilation. Ils créent en 1872 à Berlin la « Chaire pour la science du judaïsme » et le séminaire rabbinique de Breslau, leur sensibilité accentuant la morale de la torah et rejetant les prescriptions rituelles et juridiques. Tout cela les pousse à étudier l’histoire de Jésus. Ces travaux juifs trouvent leur aboutissement dans le grand livre de Joseph Klausner en 1922 : « Jésus de Nazareth », publié en hébreu (né en 1874 en Lituanie, il s’est installé à Jérusalem en 1919). Ce livre fut un événement : traduit en 4 langues, il donna lieu à une foule de recensions : 400, publiées en 12 langues. Les prises de position de Klausner, favorable à Jésus, nuisirent à sa carrière à l’Université hébraïque de Jérusalem.
Le grand propos de Klausner est celui du rapport entre judaïsme et christianisme. D’emblée, il exclut l’hypothèse d’un christianisme né avec Paul d’un syncrétisme tissé d’emprunts au paganisme ; il y a eu dans la doctrine de Jésus des éléments s’opposant à la conception du monde chez les juifs et portant en germe la doctrine du christianisme — même s’il faut à l’évidence « rejudaïser » Jésus, afin de reconnaître le portrait évangélique du rabbi de Nazareth sous les transformations opérées par la foi au Seigneur Jésus et visibles dans les évangiles. Klausner pense que le plus ancien évangile est celui de Marc, avec une source araméenne et rédigé en grec par un disciple de Marc. Matthieu s’appuie sur Marc et la source Q et fut rédigé vers 80-90. Les récits d’enfance portent la marque de la foi à l’origine divine de Jésus. Pour Klausner, Jésus eut une conception naturelle, avec 4 frères ; les récits de guérison ont une base authentique, Jésus est ce type de prophète obligatoirement exorciste et guérisseur. Jésus prit conscience peu à peu de sa vocation messianique particulière, reconnue par ses disciples, même si les prophéties concernant sa mort et sa résurrection sont trop nettes pour ne pas porter l’empreinte de la foi chrétienne ultérieure. Klausner réagit vigoureusement contre la présentation du rôle des juifs dans le procès et la mort, et remarque aussi que le portrait de Pilate a té retouché pour accabler les juifs.
La prédication de Jésus a des traits pharisiens et parfois esséniens : obtenir le salut par une morale rigoureuse, désintéressement des affaires nationales, préoccupations mystiques et eschatologiques, conception du Messie et de ses souffrances, affirmations millénaristes. La venue du Messie et du Royaume doit être hâtée par le repentir et les bonne oeuvres, la « fin » étant proche. La revendication de sa proximité avec Dieu rend possible selon Klausner l’élaboration future du dogme trinitaire. La supériorité de l’amour sur les rites, l’intériorisation de la religion détacheront celle-ci du judaïsme, l’ouvrant aux païens. Jésus, vrai rabbi et juif authentique, permet par son spiritualisme mystique d’aller vers d’autres sensibilités religieuses. Il reviendra à Paul de transformer ce christianisme à la juive en un message recevable par des non-juifs, ce qu’il fera en développant une théologie de sensibilité autant grecque que juive.
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Re: Histoire de l'exégèse
Et encore avant Abraham Ben Ezra ou Ibn Ezra, mentionné par Spinoza sous le nom d'Abenezra (et d'autres érudits juif vivant en Andalousie islamique, ce sont eux, autant qu'on sache, qui ont commencé à mettre en doute l'idée de Moïse seul auteur du Pentateuque, un verrou qui a mis plusieurs siècle à sauter). "... Rédigé dans un hébreu parfaitement maîtrisé au niveau grammatical, et dans un ton spirituel, qui peut aisément devenir poétique, mais néanmoins laconique et riche en « secrets » demeurant inexpliqués, le commentaire reflète aussi l'originalité et la polyvalence d'Ibn Ezra. Il est résolument rationaliste, axé sur les sciences astronomiques et astrologiques et remet notamment en cause la création ex nihilo21".(https://fr.wikipedia.org/wiki/Abraham_ibn_Ezra).tamar35 a écrit:
Il me semble que l'exégèse du NT plonge ses racines dans les travaux critiques orientés AT comme peut-être ceux de Louis Cappel (1585-1658), sûrement comme ceux de Spinoza (1632-1677), Richard Simon,(1638-1712) ou Jean Astruc (1684-1766).
Voir aussi https://daruc.fr/divers/4bible.htm
Re: Histoire de l'exégèse
A partir du moment où Moïse décrit sa propre mort, on peut avoir de sérieux doutes très tôt !!!
Mais le mieux est de demander à Bahouss, lui seul détient LA VÉRITÉ !! (LOL)
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Re: Histoire de l'exégèse
Pas si simple ! La réponse classique, à la Bahouss peut-être, était que Josué ou quelqu'un d'autre avait complété juste après. Encore une fois faire sauter ce verrou a pris des siècles. Blaise Pascal, que j'aime bien par ailleurs et qui était tout sauf idiot, s'y accrochait encore. S'il avait vécu quelques années de plus (il n'a pas fait de vieux os), Hobbes et Spinoza lui auraient peut-être, pas sûr, remis les idées en place. Voir la page où je résume ça d'après Richard Friedman (au fait, tu le cites, celui-là ?).Jans a écrit:A partir du moment où Moïse décrit sa propre mort, on peut avoir de sérieux doutes très tôt !!!
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