Histoire de la traduction de la bible
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Histoire de la traduction de la bible
J'ai trouvé sur le web une petite histoire de la traduction de la bible, mais je ne retrouve pas le lien ! je vous donne le texte tel que je l'ai copié :
HISTOIRE DE LA TRADUCTION DE LA BIBLE
1 L’histoire de la traduction biblique a connu de nombreux «moments-clés», antérieurs à ceux qu’on va essayer de présenter. On citera seulement, en Occident et pour la Bible juive, la version grecque dite des «Septante» (LXX), produite en milieu juif hellénisé d’Égypte aux IIIe-IIe siècles av. J.-C., refusée par le judaïsme rabbinique au profit de celle d’Aquila (IIe siècle ap. J.-C.), beaucoup plus littérale par rapport au texte hébraïque. Déjà un premier problème de traduction: la meilleure est-elle «sourcière» (Aquila) ou plutôt «cibliste» (la LXX)? Terminologie contemporaine (elle date du XXe siècle), mais question déjà bien connue, hors Écritures Saintes, chez les écrivains latins traducteurs des auteurs grecs1. Surtout dans le judaïsme dès l’époque préchrétienne, quand la langue sacrée, l’hébreu, devient incompréhensible au peuple, le rite cultuel en conserve la forme. Mais dans les synagogues, c’est en araméen qu’à la suite de la lecture du texte biblique en hébreu, les targumim délivrent le message présenté comme une reformulation incluant des commentaires interprétatifs.
2 Pour la Bible chrétienne, c’est-à-dire regroupant l’Ancien et le Nouveau Testament, à l’ensemble appelé «Vieille Latine» (fin du IIe siècle apr. J.-C.), qui comprenait des éléments issus des Églises d’Afrique mais aussi de Rome, succéda l’œuvre de Jérôme (IVe siècle apr. J.-C.) qui elle-même complétée et remaniée par ses disciples donna lieu à l’édition dite «Vulgate». Jérôme, qui avait utilisé les versions grecques et les commentaires des Pères qui les citaient, revendiqua hautement la veritas hebraica pour la traduction latine du Premier Testament. La Vulgate latine demeura jusqu’au XXe siècle le texte officiel de l’Église catholique de préférence aux versions en langues anciennes et aux traductions en langues «vulgaires» européennes, déjà présentes au Moyen Âge. Là se pose un autre problème de traduction qui va exploser à la Renaissance: quels sont les textes authentiques? Ceux des langues originelles, ceux de la langue officielle de l’institution ecclésiale? Quel statut accorder aux autres langues cibles, bientôt «nationales»? Problèmes qu’on retrouvera dans les deux moments-clés suivant: le XVIe siècle et l’époque contemporaine (XIXe-XXIe siècles).
3 Je n’ai pas choisi ces deux moments pour introduire l’idée artificielle d’une totale discontinuité dans cette histoire de la traduction biblique, alors que les questions de fond (sources/cibles et authenticité des langues) se sont posées tout au long de l’Antiquité et du Moyen Âge. Mais ces deux époques ont de quoi susciter plus que de l’intérêt. Elles sont, en effet, plus fortement marquées que d’autres par des circonstances matérielles, intellectuelles et politiques nouvelles, décisives et pour la théorie et pour la pratique: au XVIe siècle, les progrès dans l’étude humaniste des langues anciennes, le développement de l’imprimerie et le choc de la Réforme, qui, en valorisant l’Écriture par rapport au sacrement et à la tradition, a mis au premier plan l’intérêt pour la traduction. Aux XIXe-XXIe siècles, ce sont l’industrialisation du livre, le développement du rationalisme critique, nés aux siècles de Descartes puis des Lumières et le mouvement de sécularisation qui influent à la fois sur les pratiques et les doctrines religieuses. Circonstances qui n’ont pas été sans conséquences sur la production et la réception de la Bible: au XVIe siècle, celles-ci adviennent dans un contexte de violence, auquel succède, au XXe siècle, celui d’un relatif apaisement: les violences du XXe siècle européen ne se fondent plus qu’exceptionnellement, et souvent artificiellement, sur les motifs religieux du christianisme. On ne monte plus sur le bûcher pour avoir traduit la Bible ou en avoir interprété quelque énoncé en déviant de la doctrine officielle de l’époque. La traduction biblique n’en reste pas moins l’enjeu de conflits de pouvoirs dont la nature relève du politique, religieux et civil.
• 2 D’après Engammare, 2008, p.50, le nombre total des éditions bibliques au XVIe siècle se situe entr (...)
• 3 Nova Vulgata bibliorum sacrorum editio, Editio typica altera, Roma, Libreria editrice Vaticana, 19 (...)
La suite :
HISTOIRE DE LA TRADUCTION DE LA BIBLE
1 L’histoire de la traduction biblique a connu de nombreux «moments-clés», antérieurs à ceux qu’on va essayer de présenter. On citera seulement, en Occident et pour la Bible juive, la version grecque dite des «Septante» (LXX), produite en milieu juif hellénisé d’Égypte aux IIIe-IIe siècles av. J.-C., refusée par le judaïsme rabbinique au profit de celle d’Aquila (IIe siècle ap. J.-C.), beaucoup plus littérale par rapport au texte hébraïque. Déjà un premier problème de traduction: la meilleure est-elle «sourcière» (Aquila) ou plutôt «cibliste» (la LXX)? Terminologie contemporaine (elle date du XXe siècle), mais question déjà bien connue, hors Écritures Saintes, chez les écrivains latins traducteurs des auteurs grecs1. Surtout dans le judaïsme dès l’époque préchrétienne, quand la langue sacrée, l’hébreu, devient incompréhensible au peuple, le rite cultuel en conserve la forme. Mais dans les synagogues, c’est en araméen qu’à la suite de la lecture du texte biblique en hébreu, les targumim délivrent le message présenté comme une reformulation incluant des commentaires interprétatifs.
2 Pour la Bible chrétienne, c’est-à-dire regroupant l’Ancien et le Nouveau Testament, à l’ensemble appelé «Vieille Latine» (fin du IIe siècle apr. J.-C.), qui comprenait des éléments issus des Églises d’Afrique mais aussi de Rome, succéda l’œuvre de Jérôme (IVe siècle apr. J.-C.) qui elle-même complétée et remaniée par ses disciples donna lieu à l’édition dite «Vulgate». Jérôme, qui avait utilisé les versions grecques et les commentaires des Pères qui les citaient, revendiqua hautement la veritas hebraica pour la traduction latine du Premier Testament. La Vulgate latine demeura jusqu’au XXe siècle le texte officiel de l’Église catholique de préférence aux versions en langues anciennes et aux traductions en langues «vulgaires» européennes, déjà présentes au Moyen Âge. Là se pose un autre problème de traduction qui va exploser à la Renaissance: quels sont les textes authentiques? Ceux des langues originelles, ceux de la langue officielle de l’institution ecclésiale? Quel statut accorder aux autres langues cibles, bientôt «nationales»? Problèmes qu’on retrouvera dans les deux moments-clés suivant: le XVIe siècle et l’époque contemporaine (XIXe-XXIe siècles).
3 Je n’ai pas choisi ces deux moments pour introduire l’idée artificielle d’une totale discontinuité dans cette histoire de la traduction biblique, alors que les questions de fond (sources/cibles et authenticité des langues) se sont posées tout au long de l’Antiquité et du Moyen Âge. Mais ces deux époques ont de quoi susciter plus que de l’intérêt. Elles sont, en effet, plus fortement marquées que d’autres par des circonstances matérielles, intellectuelles et politiques nouvelles, décisives et pour la théorie et pour la pratique: au XVIe siècle, les progrès dans l’étude humaniste des langues anciennes, le développement de l’imprimerie et le choc de la Réforme, qui, en valorisant l’Écriture par rapport au sacrement et à la tradition, a mis au premier plan l’intérêt pour la traduction. Aux XIXe-XXIe siècles, ce sont l’industrialisation du livre, le développement du rationalisme critique, nés aux siècles de Descartes puis des Lumières et le mouvement de sécularisation qui influent à la fois sur les pratiques et les doctrines religieuses. Circonstances qui n’ont pas été sans conséquences sur la production et la réception de la Bible: au XVIe siècle, celles-ci adviennent dans un contexte de violence, auquel succède, au XXe siècle, celui d’un relatif apaisement: les violences du XXe siècle européen ne se fondent plus qu’exceptionnellement, et souvent artificiellement, sur les motifs religieux du christianisme. On ne monte plus sur le bûcher pour avoir traduit la Bible ou en avoir interprété quelque énoncé en déviant de la doctrine officielle de l’époque. La traduction biblique n’en reste pas moins l’enjeu de conflits de pouvoirs dont la nature relève du politique, religieux et civil.
• 2 D’après Engammare, 2008, p.50, le nombre total des éditions bibliques au XVIe siècle se situe entr (...)
• 3 Nova Vulgata bibliorum sacrorum editio, Editio typica altera, Roma, Libreria editrice Vaticana, 19 (...)
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- 4 Voici d’abord deux différences bien connues: au XVIe siècle, pour la première fois, l’imprimerie domine, bien qu’il subsiste une production manuscrite résiduelle. Mais, quantitativement, la production biblique se chiffre, au plus, en centaines de milliers de livres, alors qu’il faut parler de millions et de milliards à partir du XXe siècle. Le nombre même d’éditions bibliques n’atteint pas cinq mille au XVIe siècle contre plus de cent mille au XXe siècle. Ensuite, ce qui caractérise le XVIe siècle, c’est que les conflits de pouvoir se jouent sur deux terrains: d’abord la rivalité entre la langue officielle de l’Église, le latin, et les langues originelles (hébreu, araméen, grec), puis entre le latin et les langues vernaculaires. Le latin lui-même en est affecté dans la mesure où les philologues font une double critique de celui de la Vulgate (ce qu’on appelle «le latin chrétien»), jugé infidèle aux langues originelles et par ailleurs grammaticalement fautif par rapport au latin classique, objet de leur vénération. C’est pourquoi, on assiste, avant le développement des traductions en langues européennes, et souvent en même temps, à une véritable prolifération de versions latines, plus nombreuses si l’on considère l’ensemble du XVIe siècle que les versions en langues modernes2. À titre de comparaison, le XXe siècle n’en a produit qu’une nouvelle, qui révise la Vulgate3. À partir du XXe siècle, une troisième différence se fait jour: la production de bibles nonconfessionnelles, exprimant un nouveau rapport, délié du sacré, au texte biblique.
Les nouvelles traductions latines de la Renaissance
• 4 C’est, par exemple, le cas des premières éditions de la Bible complète, par R.Estienne (1532, v. B (...)
5 Les unes ont pour objectif de corriger la Vulgate, tout en la conservant comme version officielle de l’Église. Les autres se veulent indépendantes de la Vulgate et fondées sur le recours direct aux textes hébreux et grecs. Bien que les premières ne soient pas ignorantes des textes-sources, ce que permettait la découverte de nouveaux manuscrits4, l’innovation la plus importante n’en réside pas moins dans le développement des nouvelles versions.
• 5 L’ensemble de ces nouvelles éditions latines fait l’objet de présentations détaillées dans Greensl (...)
• 6 Dans la quatrième édition (1527), le texte de la Vulgate accompagne la version latine d’Érasme.
6 Citons, dans leur ordre chronologique, six d’entre elles, que je tiens pour les principales5, en fonction notamment du nombre de leurs rééditions: pour le NT, en 1516, la version d’Érasme, bilingue grec-latin, éditée à Bâle (cinq éditions au cours du XVIe siècle). Érasme y donne face à face le texte grec et sa propre version latine6, complétés par plus de sept mille annotationes proposant à la fois corrections et commentaires; pour la Bible complète, celle du dominicain italien Sanctes Pagnini (Lyon, 1528) en 1534-1535; en 1543, celles des réformés rhénans Sébastien Münster (bilingue hébreu-latin, éditée à Bâle); L.Jud et son équipe, dite «de Zurich» (1543); en 1545, la fameuse «Nompareille» (éditée à Paris chez R.Estienne qui publie le texte de Zurich mais en le confrontant à celui de la Vulgate); enfin celle de Sébastien Castellion (Bâle, Herwage, 1551), passé à la Réforme calvinienne dans les années quarante mais bientôt dissident par rapport à celle-ci.
• 7 C’est ce qu’illustre par exemple, chez Érasme, la différence entre la langue savante et technique (...)
7 Le statut de la langue latine au XVIe siècle explique l’existence de ces nombreuses rééditions de la Vulgate, ainsi que des nouvelles versions latines. Jacques Chomarat (1981), Jean-François Cottier (2005) et Christine Bénévent (2007) ont très bien montré qu’au moins dans la première moitié du siècle, le latin n’était pas uniquement la langue des savants, mais aussi celle de la communication entre gens cultivés, puisque l’essentiel de la culture à l’époque en impliquait l’usage7. Comme la majorité des lecteurs de la Bible pratiquait celle-ci en latin, on peut comprendre que s’exprimaient alors une demande et une offre de nouvelles versions latines.
• 8 Impossible par exemple de tolérer magis deterius (quelque chose comme «plus pire») et d’autres sol (...)
8 Bien entendu, à cela s’ajoutent des raisons linguistiques communes à tous les humanistes, depuis qu’au siècle précédent l’Italien Lorenzo Valla avait osé corriger les erreurs du texte de la Vulgate dans deux ouvrages dont le second, Adnotationes, fut redécouvert puis publié dès 1505 par Érasme, lequel s’en inspira pour sa propre édition du NT. Et de fait, toutes les nouvelles versions latines reprirent ces corrections souvent grammaticales8, mais la grammaire n’était pas seule en cause. D’autres corrections portent sur le style, l’exactitude de la traduction ou la doctrine. Par exemple, Érasme récuse avec indignation la formule vade («va») plusieurs fois présente en Vulgate (vade retro Satana! ainsi à propos de Mt 4,10, où il s’agit de Jésus qui renvoie rudement le tentateur: «qu’est-ce que c’est que ”vade”? Croit-on que le Christ envoie le diable quelque part, en disant “vade”? En grec, c’est hupage, c’est-à-dire abi ou discede («va-t-en, retire-toi»)» (trad. NG). De fait, la plupart des nouvelles traductions latines ont repris abi, qui rend mieux la verdeur de la réponse, plus sensible encore en Mt 16,23 où c’est à Pierre qu’elle s’adresse: parler ainsi au chef des apôtres, d’autant qu’il vient de se voir confier le pouvoir des clés!
• 9 Par exemple, Pagnini traduit toujours la forme causative (hip’il) de la conjugaison hébraïque par (...)
9 Les raisons de ces retraductions n’ont pas manqué non plus d’être éditoriales, faisant intervenir la concurrence entre divers auteurs, éditeurs et imprimeurs, surtout germaniques ou francophones, pour lesquels retraduire la Bible avait une signification politico-confessionnelle: il s’agissait de prendre sa liberté par rapport aux pays où était obligatoire la traduction officielle. En effet, toutes les nouvelles versions, sauf celle de l’excellent hébraïsant Santi Pagnini qui eut toujours l’approbation pontificale, émanent de milieux liés aux différents mouvements de la Réforme: si les Luthériens de Wittenberg n’ont que peu travaillé la Bible latine, préférant les traductions en allemand, deux versions nouvelles (Münster et Zurich) sont issues du mouvement que Bernard Roussel (1989) appelle «L’École rhénane d’exégèse», située sur l’axe Strasbourg/Bâle/Zurich, de tradition luthérienne mais plus compétente que celles de Wittenberg en hébreu et en littérature rabbinique. Les différences entre ces nouvelles versions latines (dont les premières ne furent pas ignorées des suivantes!) sont parfois ténues: bien des fois, on remplace un mot par un synonyme afin de singulariser la traduction la plus récente. Mais toutes ont en commun le recours direct aux langues originelles, notamment à l’hébreu, et les différences se situent surtout par rapport à la qualité du latin: celui de Pagnini, jugé «rugueux», est plus marqué par des calques de formules hébraïques, alors que les versions de Münster et surtout de Zurich usent d’un latin plus classique et que celle de Castellion, la plus originale, est de ce point de vue carrément «cicéronienne»9.
10 L’objectif le plus connu de ces retraductions fut bien sûr d’exprimer – autant que le permettaient les diverses censures – des prises de position doctrinales (la foi vs les œuvres, les conceptions de l’Écriture par rapport à la Tradition, les théories eucharistiques, le rôle de la papauté, du monachisme, les rites, les reliques et images...) De fait, c’est moins dans la traduction elle-même que dans les notes et commentaires que s’expriment ces positions. Le sujet est si documenté (Bedouelle, Roussel, 1989) qu’on n’en rappellera que quelques exemples. L’un des plus célèbres est celui de Jn 1,1, où le NT d’Érasme substitue au traditionnel « in principio erat verbum » (grec logos) le terme sermo qui provoqua un tel scandale qu’il dut reprendre verbum dans les éditions suivantes. La note (volumineuse) qui justifiait cette traduction, évidemment polémique par rapport au langage scolastique, s’appuyait non seulement sur de nombreux témoignages patristiques, mais aussi sur un argument linguistique : « chez les Latins, verbum n’évoque pas tout un discours, mais seulement un mot (...) Mais si le Christ est appelé logos, c’est parce que tout ce que dit le Père, il le dit par le Fils » (LB VI, p. 335, trad. NG). Audace diversement suivie par les autres versions latines : seul Castellion reprend sermo, Pagnini et Münster gardent verbum et la Bible de Zurich a verbum dans le texte mais sermo en note ! D’autres commentaires controversés ont pu passer pour impies dans la mesure où ils reflétaient des tendances herméneutiques jugées hétérodoxes quand elles émanaient des milieux évangéliques, puis carrément hérétiques s’il s’agissait de protestants. C’est le cas de la formule regnum cœlorum, dont l’interprétation traditionnelle est littérale (« entrer dans le Royaume des cieux »), mais spiritualisante et symbolique chez nos auteurs : doctrina spiritualis ou Evangelica doctrina chez Érasme (Mt 13,52, 21,31 et passim), tempus gratiae (Mt 4,23) chez Münster. Aujourd’hui oubliées, ces versions latines de la Renaissance européenne, qui frayèrent la voie de la liberté, eurent une grande influence sur les traductions vernaculaires d’une part, l’exégèse et l’herméneutique bibliques d’autre part.
Les versions «vernaculaires» de la Renaissance
11 La question est plus connue que la précédente, surtout en raison de la violence des conflits religieux de l’époque: interdictions et censures diverses, bûchers de livres et d’hommes, ainsi celui de l’Anglais Tyndale en 1536. On insistera donc sur quelques points essentiels: régions, types de diffusion, statut confessionnel. À signaler d’abord l’importance du contexte régional, évidemment lié à la situation politico-confessionnelle de chaque territoire. Une période de pré-Réforme voit en France le développement d’un mouvement biblique humaniste et évangélique marqué par l’influence d’Érasme et illustré par la Bible de Lefèvre d’Étaples, éditée (dans sa version complète) en 1530 et fondée sur le texte latin de la Vulgate, ce qui la distingue des Bibles ultérieures qui revendiquèrent toutes le recours primordial, sinon unique, aux langues originelles.
• 10 Flood (1990 : 77) estime que du vivant de Luther, cent mille exemplaires du NT de Luther furent im (...)
12 En contexte anglo-saxon, c’est l’influence de Luther qui domine: son NT, édité en 1522 à Wittenberg, inspira le NT anglais de William Tyndale (1526). Sa Bible complète, qui parut en 1534 précédée de nombreuses éditions partielles, connut la diffusion la plus importante du XVIe siècle10 et marqua profondément l’évolution de la langue allemande. Dans les pays méditerranéens, Espagne et Italie, la production biblique en langue vernaculaire fut beaucoup plus limitée vu le contexte confessionnel exclusivement catholique.
13 La situation française après Lefèvre d’Étaples est d’abord marquée par la censure: entre 1525 et 1560, aucune traduction française ne fut imprimée à Paris, suite à la condamnation par la Faculté de Théologie et le Parlement de toute traduction et version nouvelle de la Bible. Censure par ailleurs assez inefficace puisque circulaient clandestinement de nombreux ouvrages religieux issus de presses étrangères ou provinciales, notamment anversoises, suisses et lyonnaises. Les deux plus célèbres traductions réformées vinrent donc respectivement de Neuchâtel pour celle d’Olivétan (1535), et de Bâle pour celle de Castellion (1555). Ce n’est qu’en 1566 que le catholique René Benoist publia à Paris sa «Sainte Bible», fort inspirée d’ailleurs des Bibles genevoises, ce qui provoqua un durable scandale et un demi-siècle de procès.
14 La Bible du Noyonnais Olivétan, cousin de Calvin, publiée en 1535 à Neuchâtel, ancêtre de toutes les versions réformées francophones, est donc la première à afficher ses sources hébraïque et grecque, non sans revendiquer aussi sa référence à Luther et aux nouvelles versions latines. Elle innove par rapport à celle de Lefèvre d’Étaples du double point de vue linguistique et théologique, évitant d’abord les latinismes empruntés à la Vulgate, préférant par exemple «pavillon» à «tabernacle» (Gn 18,2, au sens de «tente»), «famille» à «cognation» (Gn 24,38), etc. L’innovation théologique la plus spectaculaire apparaît dans le lexique où les termes du catholicisme sont systématiquement retraduits, surtout quand il s’agit de l’AT, mais même du NT: ainsi «prêtre» devient «sacrificateur» en AT et «ministre» en NT, episcopos – étymon de «évêque», évidemment anachronique quand il s’agit du christianisme primitif – est traduit «surveillant» – alors que Luther lui-même gardait Bischoff –, le «calice» de la Cène devient «hanap» et surtout le tétragramme YHWH exprimant le nom de Dieu, imprononçable en judaïsme, est traduit «L’Éternel», usage qui a perduré jusqu’à nos jours dans la majorité des traductions réformées, alors que les versions catholiques suivent les traditions de la Septante et de la Vulgate: kurios, dominus, « le Seigneur». Les nombreuses révisions genevoises de la Bible d’Olivétan ne retinrent pas toutes ces audaces (Engammare, 1991).
• 11 Les censures relevées et récusées par R. Estienne (environ cent cinquante) portent sur les thèmes- (...)
15 L’exemple le plus frappant est peut-être celui du terme «église» (grec et latin ecclesia), qui traduisait le mot hébreu qahal, «assemblée». «Église» est évidemment anachronique en AT, si bien que la traduction de Lefèvre d’Étaples «au milieu de l’église» (Pr 5,13) est toujours remplacée par «congrégation» ou «assemblée» (Luther: gemeine hausse). Quand il s’agit du NT, certaines versions réformées donnent «communauté» (ainsi Castellion), mais la plupart gardent par prudence «église» ou «Église». Le sujet était en effet scabreux, comme en témoigne la censure consacrée par la Faculté de Théologie de Paris à la Bible de Robert Estienne de 1545: une «Annotation» de Mt 18,17, qui commentait ainsi le terme: «l’Église, c’est-à-dire l’assemblée publique», fut censurée en ces termes: «Ceste proposition est amoindrie & fallacieuse, & favorise a l’erreur des Vaudois & des Wicleffites [partisans de Wycliff]: & aussi elle derogue a la puissance des prélats de l’Eglise» (Estienne, 1552, p.72 VO)11.
16 Ces caractéristiques se retrouvent dans la Bible française de Sébastien Castellion (1555), qui fut la plus contestée, moins d’ailleurs pour ses positions théologiques que pour son style, complètement original par rapport à toutes les traductions françaises du XVIe siècle et même des suivantes. La langue est (normalement) plus moderne et courante que celles des Bibles précédentes (« veuvage » succède à « viduité » et à « veuveté » ; « debat » à « contention » ou à « estrif », etc.) mais on a surtout affaire à un style beaucoup plus personnel et imagé, souvent oral et familier : « la Sagesse (...) huche auprès des portes », au lieu de « crie » ou « proclame » (Pr 8,3). De même, les dialogues de Gn sont souvent traités comme des conversations, émaillées de « Nenni », « E da », « Vela bon », même quand il s’agit d’échanges entre Dieu et un humain, alors que les autres traductions usent dans ce cas d’un registre de langue noble : Abraham se plaint ainsi à Dieu d’être sans héritier « Vela bon (dit-il), tu ne m’as point donné de génération » (Gn 15,3). Dans l’épisode de l’intercession du même Abraham en faveur des Sodomites, la formule de 18,25 « il ferait beau voir que celui qui par raison gouverne toute la terre ne fît point raison » transpose en style familier la phrase hébraïque « le juge de toute la terre ne fera-t-il pas justice ? » Dans la suite du dialogue, lorsqu’Abraham demande à Dieu de revoir à la baisse le nombre des Sodomites à exterminer : « Peut-être qu’il s’en faudra de cinq de cinquante bons : gâteras-tu pour cinq toute la ville ? », Dieu lui répond benoîtement « Nenni (dit-il) si j’en trouve quarante cinq » (Gn 18,28).
• 12 Ainsi Henri Estienne, dans l’Apologie pour Hérodote (1566) : « cest homme s’est estudié à cercher (...)
• 13 « At the same time that Sébastien Castellion was producing the only truly original French translat (...)
• 14 Cf. pour Genèse J. Chaurand et al., 2003 ; pour les Livres de Salomon, N. Gueunier, M. Engammare, (...)
17 Le souci d’être accessible aux «idiots» (non lettrés) se manifeste par des actualisations parfois hardies de termes désignant des institutions hébraïques ou grecques («baron, bailli, prévôt, sénéchal», etc.) et par des néologismes destinés à bien distinguer les termes religieux bibliques de ceux de son temps: «lavement» au lieu de «baptême», «brulage» pour «holocauste», «rogné» au lieu de «circoncis» parurent sacrilèges et suscitèrent le scandale12 malgré la précaution prise par l’auteur de leur consacrer un glossaire. Premier monument biblique vraiment littéraire de la France13, la Bible de Castellion resta méconnue et ne fut rééditée qu’au XXIe siècle14.
LesXXe et XXIe siècles : « Ma Bible est une autre bible »
• 15 M. Shalev, Katherine Werchowski, Ma Bible est une autre Bible, Paris, Éditions des Deux Terres, 20 (...)
• 16 Voir aussi Nicole Gueunier, 2007a.
18 Formule empruntée au titre français d’un ouvrage de l’écrivain israélien Meir Shalev, qui revendique à la fois son incroyance et sa lecture de la Bible comme classique de la littérature15. Depuis le XVIIe siècle, la Bible avait certes connu des approches non croyantes, mais généralement situées dans un cadre critique (Spinoza, Richard Simon) ou polémique (d’Holbach, Voltaire) qui n’avait guère d’impact sur la réflexion traductologique. La pratique religieuse maintenait par ailleurs un clivage confessionnel entre catholicisme et Réforme qui, lui, influait fortement, comme on l’a vu, sur la traduction. Aujourd’hui s’instaure une autre polarisation entre les lectures et traductions croyantes, liées aux institutions religieuses, et celles pour qui la Bible est un «objet culturel» (Theobald, 2007: 641; Lassave, 2007). Dans l’un et l’autre cas, c’est autant sur l’interprétation que sur la traduction elle-même que le XXe siècle innove le plus grâce au développement des connaissances historiques et linguistiques sur l’univers biblique et sur son environnement proche-oriental. Ne pouvant viser à l’exhaustivité16, je me limiterai à un choix de traductions françaises, confessionnelles et laïques, d’autant que la situation de la France reste spécifique, sans doute en raison du caractère institutionnel de la tradition laïque formulée en 1905 par la Loi de séparation de l’Église et de l’État.
Bibles confessionnelles
• 17 Précédemment éditée sous le titre de Bible des communautés chrétiennes (Mediaspaul, 1994), elle fi (...)
19 On se fondera, pour les traductions catholiques, sur la Bible de Jérusalem (BJ 1955, rév. en 1973 et 1998), Osty-Trinquet (1973), l’une et l’autre abondamment annotées, sur le Lectionnaire de la traduction liturgique (1977, rééd.), destiné à la lecture ecclésiale, et sur la Bible Parole de Vie (2000) caractérisée par une syntaxe et un lexique simplifiés. Pour les traductions protestantes, j’ai choisi une édition classique (1985) de la Bible Segond (S), constamment rééditée, et la Nouvelle Bible Segond (NBS, 2002), qui a fait l’objet d’une importante révision. À titre de comparaison, je ferai parfois référence à deux versions catholiques plus anciennes: Sacy (XVIIe s.), Genoude (XIXe s.). Enfin, on citera la Traduction œcuménique de la Bible (TOB, 1988) et La Bible en français courant (BFC, 1982, 1997), également interconfessionnelle. Les deux confessions éditent aussi des Bibles munies d’«explications» doctrinales, spirituelles et morales, par exemple chez les catholiques la «Bible des peuples» (Fayard, 1998)17, où l’Annonciation est commentée à partir du dogme de la virginité de Marie et où le massacre des Innocents donne lieu à un plaidoyer anti-avortement. À citer aussi La Bible de Jérusalem commentée, éditée immédiatement après la BNT (infra), dans une optique visiblement concurrentielle. Très différente est la Bible expliquée de l’Alliance Biblique Universelle. Interconfessionnelle, munie du double imprimatur des évêques français (1996) et canadiens (2004), comportant deux éditions, l’une catholique avec les deutérocanoniques, l’autre protestante, elle entend «[éviter] systématiquement le vocabulaire religieux» (poussant même le scrupule jusqu’à préférer «grande inondation» à «déluge») et refuse l’apologétique dans les explications.
• 18 La Vie de Jésus-Christ est ainsi présentée : « en style populaire et adapté, enchâssant la traduct (...)
• 19 « Attention, écoutez bien ! », « voilà encore une bonne chose de faite ! », « Imaginez la tête des (...)
• 20 Versions présentées dans J.-M. Auwers, (1999 ; rééd. 2002).
20 Bien qu’il ne s’agisse pas de traductions au sens strict du terme, il est enfin intéressant de tenir compte de très nombreuses versions non officielles, généralement destinées à l’initiation de publics divers (mouvements militants, groupes de lecture), qui présentent tantôt des traductions, tantôt des adaptations et transpositions conçues dans une perspective d’actualisation. Pour les années cinquante du XXe siècle, j’ai choisi les textes de Pierre Thivollier (1955)18 et pour le début du XXIe siècle, le NT proposé par Vincent-Paul Toccoli, Relire le Testament. Marc, Luc, Jean, Paul et les autres, transposition en français contemporain (2004), qui a fait l’objet d’émissions télévisées sous le titre «Le conteur biblique». Le premier est conçu dans la perspective narrative des anciennes «Histoires Saintes», le second privilégie l’oralité19. Mutatis mutandis, ces versions ont des points communs avec les pratiques targumiques du judaïsme tardif, sauf qu’en principe elles n’interfèrent pas dans les liturgies officielles. On tiendra compte enfin des traductions juives de Samuel Cahen (1830) rééditées en 1994 (Belles-Lettres) et du Rabbinat (1905, rééd.)20.
• 21 À partir de l’encyclique Divino Afflante Spiritu (1943) qui encouragea conjointement le travail sc (...)
• 22 Dans ces cas le texte grec ne comporte pas l’article. Ainsi en Rm 5,6.8 ; 6,4.8.9 et dans la formu (...)
21 Contrairement aux Bibles du XVIe siècle qui multipliaient les différences confessionnelles entre traductions, celles d’aujourd’hui ont – au moins en France – tendance à les réduire, suite au développement de l’œcuménisme et au changement des positions catholiques officielles sur la Bible21. En effet, les Bibles protestantes se distinguaient encore récemment des catholiques par le rejet des livres deutérocanoniques, la numérotation hébraïque des psaumes, l’absence de notes, le tutoiement de Dieu, la dénomination « L’Éternel » pour « YHWH » et dans le NT, l’emploi paulinien de « Christ » (et non de « le Christ ») quand il s’agit du nom propre et non de la fonction messianique22. Les catholiques, quant à eux, ne donnaient que la numérotation latine des psaumes et vouvoyaient Dieu. Aujourd’hui, la plupart des catholiques donnent la double numérotation des psaumes et adoptent le tutoiement. De son côté, la NBS (2002) présente des notes, renonce à « L’Éternel » pour « Le Seigneur », et à « Christ » pour « le Christ ». Les différences les plus nettes qui subsistent dans les Bibles françaises sont, dans les protestantes, l’absence des deutérocanoniques et de référence à la numérotation latine des psaumes.
Bibles non confessionnelles
• 23 Cf. J.-M. Auwers (2001) et P. Lassave (2005).
22 C’est surtout en comparant les traductions confessionnelles aux «laïques» – déjà anciennes: Dhorme, 1959; plus scientifique et historique: Grosjean, 1971; plus littéraire, et récentes: Chouraqui, 1979, 1985; systématiquement littérale par rapport au lexique hébraïque: Meschonnic (traductions partielles abondamment annotées de l’AT, 1970, 1981, 2001, 2002, littérales aussi mais centrées sur le jeu des signifiants et la rythmique) et enfin la Bible Nouvelle Traduction: (BNT, 2001)23 – que l’on pourra mesurer la nouvelle polarisation qui s’instaure entre elles. La comparaison portera sur des indices, ainsi la façon dont les unes et les autres rendent certains termes théologiques d’une part («péché, diable»), liés aux realia et aux façons de dire antiques d’autre part («étranger, ceindre ses reins»). À partir de là, on essaiera de remonter aux principes de base qui semblent inspirer ces différences (Lassave, 2005).
Les termes théologiques
23 Certains mots-clés du judaïsme et du christianisme: «église, Esprit, foi, péché, résurrection» ont été sacralisés et de ce fait linguistiquement figés par un long usage religieux. L’exemple de «péché» (hébreu Hattā’h, grec hamartia) semble éclairant, même si l’on ne considère qu’un seul texte, le Psaume 51, dit «Miserere» dans la liturgie latine, qui contient sept occurrences de la racine Htt’h, correspondant aux substantifs «péché/pécheur» et aux verbes «pécher/enlever le péché». La plupart des traductions confessionnelles gardent les traditionnels «péché, pécher, pécheur», sans aucune différence entre versions catholiques, réformées et juives. Seules variantes, dans la BJ et les versions courantes (Lectionnaire et BFC): «péché/faute/mal agir». Mais les traductions non confessionnelles en introduisent beaucoup plus: si la plus ancienne (Dhorme) garde «péché», les plus récentes ont «carence» (Chouraqui), «égarement» (Meschonnic), «crime, faire du mal» (BNT). Dans l’ensemble du corpus biblique, Jean-Marie Auwers (2001) énumère pour la seule BNT «écart, erreur, errements, gâchis, manquement, refus, tort». De même, dans la BNT, il cite six variantes pour diabolos («provocateur, rival, adversaire, diviseur, accusateur, négateur»), là où les versions confessionnelles n’ont que «diable/démon». De fait, la multiplicité des variantes ne correspond pas seulement au souci de «débondieuser» mais aussi à celui de singulariser le style de chaque traducteur-écrivain.
• 24 À ne pas confondre avec les violentes réactions passéistes de la droite catholique analysées dans (...)
24 D’où les critiques de certains exégètes ou théologiens24, pour lesquels le grand «coup de balai» donné par la BNT sur les mots du vocabulaire chrétien classique aboutit parfois à une perte de sens («plonger/immerger» vs «baptiser», «confiance» vs «foi»), à des affaiblissements («Comme c’est bon» ou «signaux de rendez-vous» en Gn 1, au lieu de «Dieu vit que cela était bon» et «signes»), ou même à des contresens: «vanter Dieu» dans le Cantique de Daniel n’est pas la même chose que le «louer», la «géhenne» n’est pas un «Dépotoir» et «Yahvé des troupes» (vs «Yahvé des armées») évacue la possible ambiguïté entre le sens guerrier et le sens cosmique: «l’armée» peut dans certains cas être celle «des astres».
25 Dans certains cas, ce sont les versions confessionnelles qui prennent l’initiative de l’innovation. L’objectif n’est pas celui d’une désacralisation systématique mais de l’approfondissement du sens théologique lui-même, généralement à partir d’une réflexion sémantique sur ce qui arrive à un mot quotidien lorsqu’il se charge d’une signification doctrinale. Ainsi, le terme ruah («souffle/Vent/Esprit») a donné lieu dans les traductions récentes à toutes sortes d’hésitations avec solutions étymologistes («souffle/vent») ou traditionnellement doctrinales («esprit/Esprit»). Les versions les plus classiques elles-mêmes en témoignent: où Segond avait «esprit», la NBS donne «souffle». BJ (1998) risque en Gn 1 «un vent de Dieu» à la place de «l’esprit de Dieu» dans l’édition de 1955.
26 Moins spectaculaire (le terme n’est pas l’un des premiers mots de la Bible), mais tout aussi parlant est l’exemple des formules prononcées par Dieu dans les théophanies (Mt, 3,17; 17,5 et parallèles): «celui-ci est mon fils bien-aimé en qui eudokèsa». Le verbe grec eudokéô appartient à un lexique tout à fait quotidien: «être content, satisfait, éprouver plaisir ou joie». Embarras des traducteurs: Dieu se devrait de parler noblement, au lieu de dire tout bonnement «dont je suis content». D’où en style un peu archaïsant: «en qui je me complais, celui qu’il m’a plu de choisir, celui qui a ma faveur», etc. Les traductions récentes essaient de rejoindre le langage de tout le monde: «je mets en lui/j’ai trouvé en lui toute ma joie», pas seulement pour être mieux compris du grand public mais pour exprimer une autre conception de Dieu: moins «tout-puissant» sur son trône que figure paradoxale de l’absolu et du proche.
27 L’exemple de la formule grecque metanoeite (Mt 3,2; 4,17; Mc 1,15) est sur ce point d’autant plus éclairant que les efforts d’innovation datent de plusieurs siècles. Le verbe metanoein (trente-deux occurrences dans le NT) et le substantif metanoia (vingt occurrences) impliquent l’idée d’un profond changement de vie à la suite de la rencontre avec Jésus. Mais la Vulgate ayant traduit la formule par pœnitentiam agite, la compréhension littérale en français («faites pénitence») a entraîné un rétrécissement du sens, relié par la suite au sacrement de pénitence et aux pratiques de «satisfaction» qui l’accompagnent. Les corrections proposées par certaines des nouvelles versions latines du XVIe siècle (resipiscite, corrigite vos) parurent donc sacrilèges et même hérétiques puisque les protestants rejetaient le sacrement de pénitence. En français, les traductions évoluent avec le temps: les plus anciennes (Sacy, Genoude), calquées sur la Vulgate, gardent «faites pénitence». Le commentaire de Genoude sur Mt 3,2 est même polémique: «Les protestants soutiennent que la macération de la chair et l’austérité de la vie ne sont que folie et superstition. Ce sentiment est contraire à ce passage». Segond, BJ et Osty privilégient un sens moral: «repentez-vous», ainsi que BFC: «changez de conduite» ou la Bible Expliquée : «changez de comportement». Le Lectionnaire, la TOB, Grosjean impliquent une signification plus religieuse avec «convertissez-vous», de même que la Bible des peuples. Les versions les plus modernes (BFC, NBS, BNT) insistent sur l’idée d’un changement concernant l’ensemble de la vie et pas seulement ou nécessairement la pratique religieuse ou morale: «changez radicalement», dit la NBS. Qu’il s’agisse de versions confessionnelles ou laïques, l’évolution va donc dans le sens d’une certaine désacralisation, mais dans le cas des Bibles confessionnelles, son sens est théologique et peut même évoquer une conception sécularisée de la vie religieuse. C’est ce que montre bien la préface de la Bible Expliquée: «Les explications proposées ne sont ni des leçons de catéchisme ni des leçons de morale: chacun est invité, à la lumière de ce qu’il comprend dans le texte, à formuler ses propres convictions ou ses propres engagements». Ceux-ci impliquent une certaine liberté de lecture et de pratique, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du christianisme.
La traduction des realia
28 On retiendra ici l’exemple assez spectaculaire du terme «païen», employé dans les versions classiques pour traduire hébreu goy et grec ethnos/ethnikos. Les versions récentes l’évitent systématiquement, refusant la connotation péjorative, bien que Toccoli risque en Mt 5,47 «les sans foi ni loi». BFC hésite entre «ceux qui ne connaissent pas Dieu» et «les étrangers». NBS a toujours «non-juifs» et les auteurs de BNT varient entre «nations» et «autres » («peuples/nations»). Ce qui peut se lire ici est la tendance, répandue après le Concile Vatican II (plus tard récusée comme «relativiste»), à faire aux autres religions une place positive. Dans un ordre d’idées voisin, on remarquera que là où la plupart des autres traductions ont le terme «race», la NBS donne systématiquement «descendance» ou «parenté».
29 Voici surtout un autre exemple, différemment codé: la traduction d’un terme fréquent, qui relèvent d’un lexique d’abord sociologique, traditionnellement rendu par «étranger». Sans tomber dans l’anachronisme, puisque l’univers biblique ne connaît pas de frontière entre «civil» et «religieux», on examinera les deux principales catégories d’étrangers que distingue l’hébreu biblique: la première (nokrî, quarante-cinq occurrences ou ben-nekar, trente-cinq occurrences) désigne celui qui n’est pas reconnu comme appartenant à la communauté et qui peut bénéficier de l’hospitalité, mais aussi être traité en ennemi. La seconde (gēr, quatre-vingt-douze occurrences) désigne des résidents permanents, non autochtones, païens ou juifs, jouissant officiellement de certains droits et astreints à certains devoirs. L’une et l’autre catégorie s’opposent à celle des ’ezrah, autochtones, membres de plein droit de la communauté. C’est naturellement la seconde catégorie qui pose le plus de problèmes de traduction, d’abord parce qu’il ne peut exister de correspondance exacte entre les critères de définition (politiques, sociaux, administratifs...) de ces termes dans l’univers biblique et dans le monde contemporain. Déjà entre TM, Septante et Vulgate règne un flou terminologique: la Septante traduit le plus souvent gēr par prosèlutos – dont le sens est différent du mot français «prosélyte» –, mais parfois par paroikos, qui implique plutôt l’idée d’un voisinage. La Vulgate multiplie les solutions: advena, peregrinus, colonus, incola... Les traductions françaises modernes et contemporaines varient mais on peut déceler parmi elles une évolution historique. Les plus anciennes (Castellion, Sacy, Ostervald, Cahen, Segond), ainsi que les versions modernes simplifiées (BFC) optent généralement pour le terme générique étranger, à l’exception de Dhorme, qui choisit hôte (glosé en note en Gn 15,15) et s’y tient. Les versions récentes, TOB, NBS, BNT (à l’exception de Chouraqui, qui utilise «métèque») ont tendance à diversifier davantage, entre «étranger» et «immigré/ émigré», ce qui témoigne d’une évolution des connaissances sur la société de l’Israël ancien et d’un souci d’actualisation par rapport aux situations migratoires d’aujourd’hui.
30 L’évolution va dans le sens d’une plus grande variation, ce qui témoigne de plusieurs types de différenciation dont les critères sont les objectifs confessants ou non, le souci de publics de plus en plus diversifiés (lettrés, cultivés, populaires), celui de rejoindre les situations et problèmes contemporains (l’actualisation), enfin celui de l’expression littéraire personnelle comme c’est le cas de la BNT, bible «des écrivains», que l’on trouvait déjà chez Grosjean mais de façon moins systématique.
Quelques idiotismes
31 Qu’en est-il des façons de dire propres aux langues d’origine (hébraïsmes, hellénismes) comme «la face de la terre», «trouver grâce à tes yeux», «entrailles de miséricorde», etc.? Cette question des idiotismes est si documentée (La Genèse de Castellion, 2003) qu’on se bornera à quelques exemples. Le premier est celui d’une expression grecque un peu étonnante, qui est d’ailleurs un hapax: «ceignez les reins de votre esprit» (1P 1,13). Elle est issue de la formule hébraïque «ceindre ses reins», c’est-à-dire «se tenir prêt à l’action», présente une dizaine de fois dans l’AT: ceindre ses reins permet en effet de se protéger et de replier ses vêtements pour ne pas être gêné dans la marche, le travail ou le combat. La lexicalisation se manifeste déjà en hébreu où l’image des «reins» s’efface parfois en s’accompagnant d’un terme abstrait: la femme forte des Proverbes «ceint ses reins de force» (Pr 31,17). La littérature néotestamentaire reprend plusieurs fois l’expression mais la formule de 1P 1,13, incohérente à la manière du «char de l’État qui navigue sur un volcan» est difficile à traduire! De ce fait, elle ne donne lieu qu’à un seul clivage entre les traductions: les unes (en gros les plus anciennes, de Sacy à Segond et Osty) restent littérales («les reins de votre intelligence, de votre entendement»), les autres sont des gloses: «de vous tenir en éveil» (BJ), «tenez votre esprit prêt à l’action» (BFC), «l’esprit prêt pour le service» (TOB), parmi lesquelles on remarquera les dernières innovations, «mobilisez vos facultés mentales» (NBS) et «déterminés» (BNT). L’objectif est évidemment ici d’éviter le «patois de Canaan».
32 Le second exemple, issu du récit des «Noces de Cana» en Jn 2, porte sur une réplique de Jésus à Marie qui lui signale que les provisions de vin sont épuisées: littéralement «Quoi à toi et à moi, femme? Mon heure n’est pas encore venue». La première formule, hébraïsme fréquent dans l’AT pour exprimer un refus d’intervenir (voir aussi Mc 1,24), a donné bien du mal aux traducteurs chrétiens qui la jugeaient théologiquement offensante par rapport à une figure devenue dans la doctrine catholique «la mère de Dieu». D’où des affaiblissements: déjà Castellion était gêné, rendant «quoi à toi et à moi?» par «Et puis?» De même, BJ, BFC, Osty, TOB, édulcorent: «Que me veux-tu?» On trouve aussi des gloses: «en quoi cela nous concerne-t-il?» (Maredsous, 1955, qui pousse par ailleurs le souci de bienséance jusqu’à rendre «femme» par «Mère», de même que la Bible expliquée : «Mère, est-ce à toi de me dire ce que j’ai à faire?»), ou bien «Femme, vas-tu te mettre dans mes affaires?» (Bible des peuples) ou «qu’avons-nous de commun en cette affaire?» (NBS). Chacune dans son style, les versions de BNT et de P.V. Toccoli semblent mieux rendre compte et du signifiant originel et de ses possibles interprétations: «Femme, ne te mêle pas, dit Jésus» et «Et alors! Maman! Qu’est-ce que j’y peux! Tu crois que c’est le moment?». La première exprime l’idée que la Marie évangélique n’a pas de prise sur l’action de Jésus, la seconde, peut-être, que même le seigneurial Jésus johannique n’en est encore qu’au premier de ses sept miracles ou «signes». Si «Tu crois que c’est le moment?» peut affaiblir la notion de «l’heure» de Jésus, on notera que toutes les autres occurrences en Jean sont rendues par le terme propre. Le souci de rendre sans l’édulcorer la vie d’un dialogue abrupt, comme le sont souvent les échanges verbaux évangéliques, l’emporte ici sur celui de l’exactitude lexicale.
33 Comment, finalement, rendre compte des points communs et des différences entre ces deux moments fascinants où la traduction biblique (pas seulement biblique d’ailleurs!) a connu des changements particulièrement radicaux? Au XVIe siècle, double traversée des langues: en amont, un substantiel effort linguistique et théologique fait rejoindre les langues d’origine. Dans le présent de la Renaissance humaniste, réoccupation du latin, bientôt abandonné au profit des langues vernaculaires européennes. Mais, catholiques ou réformées, les traductions restent attachées au régime religieux et civil de chrétienté. Au XXe siècle, double mouvement: quelques traductions laïques cherchent à se délier du langage sacré traditionnel et à «sortir de la religion». Mais certaines Bibles confessionnelles entreprennent un nouveau voyage, tributaire d’une théologie qui prend en compte la double expérience de l’exculturation des Églises et de la sécularisation du langage religieux.
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Re: Histoire de la traduction de la bible
Il est important d'aller à la source grecque du NT ; avec internet, tout est devenu plus facile. Se fier à une traduction, c'est ignorer la réalité difficile de ce qui est une science et un art. Sans parler de la pollution idéologique ou religieuse.
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