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Pour une approche historique de l'assassinat de la philosophe Hypathtie à Alexandrie en 415 (le film : Agora en 2009)

2 participants

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Pour une approche historique de l'assassinat de la philosophe Hypathtie  à Alexandrie en 415 (le film : Agora en 2009) Empty Pour une approche historique de l'assassinat de la philosophe Hypathtie à Alexandrie en 415 (le film : Agora en 2009)

Message  Roque Mer 27 Juin - 19:15

Copié sur le blog de Patrice de Plunkett

La mémoire de saint Cyrille d'Alexandrie (aujourd'hui) donne l'occasion de recommander, un peu tard, le numéro de juin du magazine Histoire du christianisme. Son dossier (Le crépuscule des païens) étudie un événement devenu image d'Epinal au XIXe siècle, puis lieu commun de la sous-culture au XXIe : la lapidation de la philosophe gréco-égyptienne Hypatie, en l'an 415 à Alexandrie.

« Intelligente, jeune, belle et féministe, telle est l'Hypatie revisitée par le cinéma » et découverte par le public en 2009 à l'occasion du film Agora (dont la star anglaise, Rachel Weisz, s'était illustrée dans le genre grand-guignol : La Momie et Le retour de la Momie).

Quant aux chrétiens tels que les présente Agora, ce sont (à peu de choses près) des taliban.

Agora étant souvent diffusé à la télévision, nos contemporains sont ainsi confortés dans leur répulsion envers un christianisme nécessairement « intolérant » - puisque monothéiste.

Mais justement : tout monothéisme est-il intolérant ? le polythéisme était-il tolérant ? et qu'est-il arrivé en réalité à Alexandrie en 415 ?

C'est ce qu'explique avec une remarquable précision Marie-François Baslez, professeur à la Sorbonne et spécialiste des religions du monde gréco-romain, dans quatre articles du magazine cité plus haut : 1. Comment le christianisme a succédé au paganisme, 2. Alexandrie : les véritables acteurs d'un fait divers local, 3. Quelle place pour les élites païennes dans l'empire chrétien ?, 4. Comment le patrimoine antique a été sauvé, 5. L'Etat antique n'était ni laïque ni tolérant.

Les voies de fait de la part de chrétiens sont inadmissibles. Mais, comme l'explique Mme Baslez, les violences entre communautés (notamment les émeutes réciproques entre les très nombreux Grecs et les très nombreux Juifs) étaient endémiques à Alexandrie depuis toujours ; au IIIe siècle avant JC, Agathocleia, maîtresse du roi Ptolémée IV, avait été tuée de la même façon qu'Hypathie en 415 de notre ère. Les historiens « analysent la violence alexandrine comme un fait structurel », propre aux conditions de cette mégapole antique et non à une religion plutôt qu'à une autre.

Sur le plan historique, que vaut le film Agora ? Rien, parce qu'il fausse la perspective :

Spoiler:

- L'affrontement de 415 n'a pas opposé « les païens » aux « chrétiens », mais deux clans politiques : des chrétiens (avec des moines venus du désert) à l'entourage du nouveau préfet impérial Oreste, devenu chrétien lui-même et entouré de nombreux chrétiens. Les troubles ont d'abord été inter-communautaires, selon le schéma habituel (entre Grecs et Juifs) ; l'évêque Cyrille s'y est trouvé impliqué ; le préfet l'a accusé de bafouer son autorité. Les violences ont redoublé. Hypatie (souligne Mme Baslez) « pouvait apparaître comme de la coterie du préfet. Faute de pouvoir s'en prendre à ce dernier, les partisans de l'évêque s'en prirent à cette femme, alors qu'elle rentrait de voyage. » Elle fut ainsi lynchée « à la mode d'Alexandrie, au terme d'une spirale de violences politiques autant que religieuses. »

- Rien ne permet de dire que l'évêque Cyrille ait été responsable de la mort d'Hypatie, survenue dans un moment de violence générale. Et absolument rien n'autorise à faire d'Hypatie « une figure du féminisme, d'un agnosticisme rationnel et de la tolérance » : anachronisme trop facile.

Spoiler:

> A l'appui de ce qui précède, sur la Grèce du Ve siècle avant notre ère :

<< L'autorisation de l'Etat est nécessaire pour la reconnaissance juridique de toutes ces associations. Une inscription du Pirée interdit la création de thiases [confréries dionysiaques] sans la permission des démotes (membres d'un même dème). En outre, à Athènes, l'autorisation du peuple est indispensable pour l'introduction de cultes étrangers... Il suffit qu'un accusateur, désintéressé ou non, reproche à un individu ou à un groupe d'introduire des dieux étrangers ou de se réunir sans l'autorisation du peuple. Ainsi en est-il du procès de Socrate. Certes ce procès fut beaucoup plus politique que religieux, mais l'acte d'accusation porte bien comme premier grief : « parce qu'il n'honorait pas les dieux de la cité et en introduisait de nouveaux » (Xénophon, Mémorables I, 1). […] Platon, dans sa république idéale, préconise l'interdiction pure et simple de tout culte privé au profit de ceux de l'Etat : ''Que personne dans une demeure privée ne possède de sanctuaire consacré à un dieu.'' (Lois 909d-910c). Il requiert même la peine de mort pour les cas graves...>>

<< Pour les Grecs, la participation à la vie sociale passe par l'assistance aux sacrifices publics et le partage de la victime sacrificielle. Quiconque refuse cette ''communion'' s'exclut par là même de la communauté, s'offre à la réprobation des autres, se signale par son attitude jugée sacrilège...>>

(Sectes religieuses en Grèce et à Rome, M.L. Freyburger-Galland, Les Belles Lettres 1986)

:arrow: http://plunkett.hautetfort.com/archive/2012/06/27/saint-cyrille-d-alexandrie-cet-eveque-fut-il-vraiment-l-assa.html

Je suis désolé de ce long copier-coller, mais l'occasion est trop belle de mettre en cause l'image d'Epinal très prisée de nos contemporains d'un monothéïsme intolérant et violent à l'inverse d'un paganisme tolérant et pacifique. Pas toujours facile de répondre immédiatement et de façon précise quand les accusations sont portées et largement diffusées ...

Roque

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Message  -Ren- Jeu 28 Juin - 6:59

Poser la question sur le plan historique, c'est d'abord regarder les sources ;)

Voici tout d'abord -sur mon site préféré- les lettres de son disciple chrétien Synésios :
- lettre 24 : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/synesius/lettres.htm#_ftnref39
- lettre 52 : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/synesius/lettres.htm#_ftnref74
- lettre 63 : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/synesius/lettres.htm#_ftnref81
- lettre 154 : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/synesius/lettres.htm#_ftnref153
- lettre 156-157 : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/synesius/lettres.htm#_ftnref156


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Message  -Ren- Jeu 28 Juin - 7:02

Voici maintenant une source hostile, un évêque copte :
Jean de Nikiou a écrit:En ces temps là il y avait à Alexandrie une femme païenne, philosophe, nommée Hypathie, constamment occupée de magie, d’astrologie et de musique, séduisant beaucoup de gens par les artifices de Satan. Le préfet de la province l’honorait particulièrement, car elle l’avait séduit par son art magique : il cessait de fréquenter l’église, comme il en avait l’habitude ; il y venait à peine une fois par hasard. Et non seulement, il agissait ainsi en ce qui le concernait personnellement, mais il attirait auprès d’Hypathie beaucoup de fidèles et lui-même faisait bon accueil aux mécréants.

Or, un certain jour, alors que, sur l’ordre d’Oreste, le préfet, qui suivait la coutume des juifs habitant Alexandrie, l’on donnait un spectacle, et que tous les habitants de la ville étaient rassemblés au théâtre, Cyrille, qui avait succédé comme patriarche à Théophile, cherchait à être exactement renseigné à ce sujet.

Un chrétien, nommé Hiérax, homme instruit et capable, qui avait l’habitude de railler les païens, qui était dévoué au vénérable patriarche et recevait ses avis, et qui était versé dans la science de la religion chrétienne, ayant été aperçu au théâtre par les juifs, ceux-ci s’écrièrent : «Cet homme ne vient pas ici dans une bonne intention, mais pour apporter du trouble !» Oreste, le préfet, qui haïssait les enfants de la sainte Eglise, fit saisir Hiérax et le fit battre publiquement au théâtre, quoique cet homme n’eut commis aucun crime.

Cyrille fut très irrité contre le préfet non seulement à cause de fait, mais aussi parce qu’il avait fait mettre à mort un vénérable moine du couvent de Pernodj , nommé Ammonios, et d’autres moines. Le gouverneur de la province , ayant été informé de cet évènement, fit dire aux juifs : «Cessez vos hostilités contre l’Eglise». Mais les juifs, qui se prévalaient de l’appui de cet autre magistrat qui était d’accord avec eux, ne tinrent aucun compte de cet avertissement ; puis, accumulant crime sur crime, ils complotèrent un massacre au moyen d’un guet-apens.

Ils prirent avec eux des hommes et les postèrent pendant la nuit, dans toutes les rues de la ville, tandis que certains d’entre eux criaient : «L’Eglise de Saint Athanase l’apostolique est en feu ! Chrétiens, au secours !» Les chrétiens ne se doutant point du piège, sortirent à leur appel, et aussitôt les juifs tombèrent sur eux, les massacrèrent et firent un grand nombre de victimes. Au matin, les autres chrétiens, en apprenant le crime commis par les juifs, se rendirent auprès du patriarche, et tous les fidèles réunis se portèrent, pleins de colère, vers les synagogues des juifs, s’en emparèrent, les sanctifièrent et les transformèrent en églises, l’une desquelles reçut le vocable de Saint Georges. Quant aux assassins juifs, ils les chassèrent de la ville, pillèrent leurs propriétés et les firent partir dans le plus grand dénuement, sans que le préfet Oreste pût les protéger.

Ensuite la foule des fidèles du Seigneur, sous la conduite de Pierre le magistrat, qui était un parfait serviteur de Jésus-Christ, se mit à la recherche de cette femme païenne qui, par ses artifices de magie, avait séduit les gens de la ville et le préfet. Ayant découvert l’endroit où elle se trouvait, les fidèles, en y arrivant, la trouvèrent assise en chaire. Ils l’en firent descendre et la traînèrent à la grande église, nommée Caesaria . Cela se passait pendant le carême. Puis, l’ayant dépouillée de ses vêtements, ils la firent sortir, la traînèrent dans les rues de la ville jusqu’à ce qu’elle mourût et la portèrent à un lieu appelé Cinaron, où ils brûlèrent son corps.

Tout le peuple entourait le patriarche Cyrille et le nommait nouveau Théophile, parce qu’il avait délivré la ville des derniers restes de l’idolâtrie.

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Message  -Ren- Jeu 28 Juin - 7:15

Autre source chrétienne, regrettant sa mort :
Socrate le Scolastique a écrit:Il y avait dans Alexandrie une femme nommée Hypatie, fille du Philosophe Théon, qui avait fait un si grand progrès dans les sciences qu'elle surpassait tous les Philosophes de son temps, et enseignait dans l'école de Platon et de Plotin, un nombre presque infini de personnes, qui accouraient en foule pour l'écouter. La réputation que sa capacité lui avait acquise, lui donnait la liberté de paraître souvent devant les Juges, ce qu'elle faisait toujours, sans perdre la pudeur, ni la modestie, qui lui attiraient le respect de tout le monde. Sa vertu, toute élevée qu'elle était, ne se trouva pas au dessus de l'envie.

Mais parce qu'elle avait amitié particulière avec Oreste, elle fut accusée d'empêcher qu'il ne se réconciliât avec Cyrille. Quelques personnes transportées d'un zèle trop ardent, qui avaient pour chef un Lecteur nommé Pierre, l'attendirent un jour dans les rues, et l'ayant tirée de sa chaise, la menèrent à l'Eglise nommée Césaréon, la dépouillent, et la tuèrent à coups de pots cassés. Après cela ils hachèrent son corps en pièces, et les brûlèrent dans un lieu appelé Cinaron.

Une exécution aussi inhumaine que celle-là couvrit d'infamie non seulement Cyrille, mais toute l'Eglise d'Alexandrie, étant certain qu'il n'y a rien si éloigné de l'esprit du Christianisme que le meurtre et les combats. Cela arriva au mois de Mars durant le Carême, en la quatrième année du Pontificat de Cyrille, sous le dixième Consulat d'Honorius, et le sixième de Théodose.
:arrow: http://remacle.org/bloodwolf/eglise/socrate/eglise7.htm#XV

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Message  -Ren- Ven 29 Juin - 9:47

Le point de vue d'une source byzantine du Xe siècle :
Hypatie : La fille de Théon le géomètre, le philosophe d'Alexandrie, elle était elle-même philosophe et d'une grande renommée. Femme d'Isidore, le philosophe. Elle a vécu sous le règne d'Arcadius. Elle a écrit un commentaire sur Diophante, le Canon astronomique, et un commentaire sur les Coniques d'Apollonius. Elle a été mise en pièce par les Alexandrins, et son corps a été outragé et dispersé à travers toute la ville. Cette fin tragique est due à la jalousie et à sa science immense, notamment en matière d'astronomie ; certains l'attribuent à Cyrille, d'autres à l'insolence et à la rébellion invétérée des Alexandrins. Car ils firent de même pour bon nombre de leurs propres évêques -pensons à George et Proterios.

Sur la philosophe Hypatie ; évidence de la rébellion des Alexandrins : Elle est née, a grandi et a étudié à Alexandrie. Ayant un caractère plus noble que son père, elle ne s'est pas contentée de son enseignement des mathématiques, mais elle a également embrassé avec diligence le reste de la philosophie. Revêtant l'habit du philosophe, bien que femme, et déambulant en ville, elle expliquait publiquement à qui voulait entendre tant Platon qu'Aristote, ou tout autre philosophe.

En plus de son enseignement, atteignant les hauteurs de la vertu pratique, devenant juste et prudente, elle est restée vierge. Elle était si belle et attrayante que l'un de ceux qui assistaient à ses conférences tomba amoureux d'elle. N'étant pas en mesure de contenir son désir, il l'informa de son état (les ignorants rapportent qu'Hypatie soulagea son mal par la musique, mais la vérité proclame que la musique n'a aucun effet). Elle apporta une partie de ses haillons féminins et les jeta devant lui, lui montrant les marques de son impureté, et dit : "Vous aimez cela, Ô jeunesse, mais il n'y a rien de beau à ce sujet". Son âme fut retournée par la honte et la surprise à cette vue désagréable, et il fut ramené à son bon sens.

Telle était Hypatie, à la fois habile et éloquente en paroles et prudente et civile dans les actes. Le reste de la ville l'aimait et l'honorait tout particulièrement, et chaque dirigeant de la ville nouvellement nommé venait assister à ses conférences, ainsi qu'il était également d'usage à Athènes. Car même si la réalité ne perdurait plus, le mot "philosophie" semblait encore magnifique et admirable pour ceux qui détenaient les plus hautes fonctions dans la communauté.

Ainsi donc, il arriva que Cyrille, évêque de la faction opposée, passant devant la maison d'Hypatie, vit une grande cohue contre les portes, "hommes et chevaux mêlés", certains approchant, d'autres partant, d'autres se tenant là. Demandant ce qu'était cette foule et ce tumulte dans la maison, il entendit dire que la philosophe Hypatie parlait, et que c'était sa maison. Apprenant cela, son âme connut la morsure de l'envie, de sorte qu'il planifia immédiatement sa mort, le plus impie de tous les décès. Car, alors qu'elle sortait à son habitude, une troupe compacte d'hommes féroces, vraiment méprisables, ne craignant ni l'œil des dieux, ni la vengeance des hommes, tua la philosophe, infligeant cette très grande souillure et cette honte à leur patrie.

L'empereur n'aurait manqué d'entrer en fureur à ce sujet, si Aidesios n'avait été soudoyé. Il remis la peine des meurtriers, mais pour ceci, lui-même, sa famille et sa descendance en payèrent le prix (...)
:arrow: http://www.stoa.org/sol-bin/search.pl?db=REAL&search_method=QUERY&login=guest&enlogin=guest&user_list=LIST&page_num=1&searchstr=Hypatia&field=hw_eng&num_per_page=100 (en anglais et en grec)

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