Histoire du dogme de l'engendrement éternel du Fils
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Histoire du dogme de l'engendrement éternel du Fils
INTRODUCTION
Le point de départ : le paradoxe chrétien issu de l’expérience du Christ Ressuscité
Le paradoxe chrétien est engagé dès qu’on affirme conjointement la divinité de Jésus et la fidélité au monothéisme. La divinité de Jésus étant d’abord uniquement appuyée par l’expérience des Apôtres qui sont témoins vivants du Christ ressuscité et monté au Ciel.
La proclamation du Christ Seigneur ( Dieu ) dès la Pentecôte
La divinité de Jésus de Nazareth est affirmée " à toute la maison d’Israël ". Il est ressuscité par Dieu, exalté à la droite de Dieu et a reçu du Père l’Esprit Saint qu’Il a ainsi répandu. Jésus que « Dieu a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié » va faire l’objet immédiat de la première annonce dès le jour de la Pentecôte par la bouche de Pierre sous l’action de cette large effusion l’Esprit Saint - signe « des derniers jours » (Ac 2,14-36). Paul fera des proclamations apparentées de cette foi commune (2 Th 2,13-14 ; Ro 1,2-4 ; Ep 1, 3-14) et de nouveau Pierre (1 P 1-12).
Mais la foi chrétienne qui doit être explicitée dans les différentes cultures des auditeurs
Mais cette proclamation de foi ne sera pas suffisante car ce paradoxe chrétien pose très rapidement – au moins - trois grandes questions de base aux auditeurs des Apôtres sur : l’unité et l’unicité de Dieu, sur la venue du Dieu inaccessible dans la chair, sur l’identité permanente entre Jésus de Nazareth historique et limité et le Verbe dans l’éternité :
- Comment expliciter que Jésus et le Père sont Un seul Dieu et non deux, conformément à ce que dit Jésus de Lui-même : « Mon père et moi nous sommes un. » (Jn 10, 30) ou « Père saint, garde mes disciples dans la fidélité à ton nom que tu m'as donné en partage, pour qu'ils soient un, comme nous-mêmes.» (Jn 17,11) ;
- Comment expliciter que le Verbe divin est venu dans la chair atteinte par le péché conformément à ce que dit Jésus de Lui-même : « Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde ; tandis qu'à présent je quitte le monde et je vais au Père. Ses disciples lui dirent : « Voici que maintenant tu parles ouvertement et que tu abandonnes tout langage énigmatique; maintenant nous savons que toi, tu sais toutes choses et que tu n'as nul besoin que quelqu'un t'interroge. C'est bien pourquoi nous croyons que tu es sorti de Dieu. » (Jn 15, 26-29) ou comme le dit Jean : « Il [le Verbe] était dans le monde, et le monde par lui a été fait, et le monde ne l'a pas connu. » (Jn 1,11) ou « Et le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous, (et nous avons vu sa gloire, gloire comme celle qu'un fils unique tient de son Père) tout plein de grâce et de vérité. » (Jn 1, 14)
- Comment expliquer que Jésus incarné, ici présent devant nos yeux avec ses limites et mortel, est aussi et en même temps le Verbe éternel qui était avant la création conformément à ce que dit Jésus Lui-même : «« Et maintenant, Père, glorifie-moi auprès de toi de cette gloire que j'avais auprès de toi avant que le monde fût. » (Jn 17,5) » ou « Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m'as donnés soient eux aussi avec moi, et qu'ils contemplent la gloire que tu m'as donnée, car tu m'as aimé dès avant la fondation du monde. » (Jn 17, 24) ou en Jean : « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie, car la vie s'est manifestée, et nous avons vu et nous rendons témoignage et nous vous annonçons la vie éternelle, qui était tournée vers le Père et s'est manifestée à nous, ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons, à vous aussi, afin que vous aussi vous soyez en communion avec nous. Et notre communion est communion avec le Père et avec son Fils Jésus Christ. » 1 Jn 1,1
HISTOIRE DE LA NOTION D’ENGENDREMENT ETERNEL DU FILS
L’engendrement par Dieu dans l’Ancien Testament
L’usage du mot « engendrer » concerne naturellement essentiellement la généalogie. Mais il existe un verset, très connu, où Dieu (YHWH) « S’engendre » le roi comme fils. Ce verset est appliqué d’abord à David, puis au Messie, issu de sa descendance selon la promesse. Ce titre de « Fils de YHWH » sera appliqué exclusivement au roi dans l’Ancien Testament. C’est un titre messianique qui concernera aussi Jésus. Faut-il le rappeler (… ) que dans l’Ancien Testament il n’existe aucun usage de l’expression « fils de Dieu » au sens propre. Bien noter que les anges - appelés « Fils de Dieu » dans les traductions - sont, en fait, non des « fils » mais des Élohim dans le texte hébreu.
D’une part, Dieu (Elohim) engendre - au sens figuré bien évidemment – un peuple qui Lui rend un culte exclusif : « Le Rocher qui t'a engendré, tu l'as négligé; tu as oublié le Dieu qui t'a mis au monde » (Dt 32,1) ou à l’inverse un culte impie qui engendre des bâtards (Os 5, 7). Le mot « engendrer » est aussi utilisé au sens figuré qui signifier « produire » ou « être à l’origine de » (Jb 38,28 ; Pr 25,23), mais cette recherche est faite en français – non en hébreu ou en grec.
D’autre part, il y a le psaume employé depuis David pour l’intronisation du roi en se souvenant bien que le Messie promis à David sera de sa maison (2 S 7, 14 et Ps 89, 27s), c’est-à-dire de sa descendance. Désormais, le titre de « fils de YHWH » est un titre royal qui deviendra tout naturellement un titre messianique quand l’eschatologie prophétique visera la naissance du roi par excellence (Es 7, 14 et Es 9,1) :
« Moi, j'ai sacré mon roi sur Sion, ma montagne sainte. " Je publierai le décret: le Seigneur m'a dit: " Tu es mon fils; moi, aujourd'hui, je t'ai engendré. Demande-moi, et je te donne les nations comme patrimoine, en propriété les extrémités de la terre. Tu les écraseras avec un sceptre de fer, et, comme un vase de potier, tu les mettras en pièces. " Et maintenant, rois, soyez intelligents; laissez-vous corriger, juges de la terre ! Servez le Seigneur avec crainte, exultez en tremblant » (Ps 2, 6-11)
Premier siècle : dans le Nouveau Testament
Dans les Évangiles le Verbe-Logos et Fils Unique est engendré. Il est « en » Dieu depuis le commencement, c’est-à-dire dans l’éternité. L’emploi par Jean à cinq reprises de l’expression « Fils unique engendré » (μονογενους), la reprise du thèmes de l’engendrement de Jésus-Christ dans ses lettres et la voix du Père qui dit : « Tu es mon fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré. » (Lc 3, 22) confirme sans équivoque que Jésus-Christ peut être appelé le Verbe et l’« Engendré » (1 Jn 5, 18). Depuis Jean, ce Verbe-Logos, Fils Unique Engendré, Messie et Seigneur est un acquis théologique incontournable des chrétiens. Jean reprend les proclamations de foi de Pierre et de Paul et l’amplifie par l’adjonction du titre de Verbe-Logos à Jésus Sauveur, Messie et Seigneur – au sens de Dieu (Adonaï = Dieu).
Jean utilise à cinq reprises l’expression « Fils unique engendré » (μονογενους ) en Jn 1, 14 ; Jn 1, 18 ; Jn 3, 16 et Jn 3, 18 et 1 Jn 4, 9. Cette expression en grec – mal rendue en français par « fils unique » - est sans équivoque et signifie qu’il n’existe pas d’ « autre engendré » de cette nature. Et Jean reprend le mot « engendre » ou « engendré » à deux autres reprises en l’appliquant à Jésus dans sa première lettre :
« Quiconque croit que Jésus est le Christ est né de Dieu (εκ του θεου γεγεννηται) ; et quiconque aime Dieu qui engendre (τον γεννησαντα) aime aussi celui qui est né de Dieu (τον γεγεννημενον). » (1 Jn 5,1) ;
« Nous savons que quiconque est né de Dieu (ο γεγεννημενος εκ του θεου) ne pèche plus, mais l'Engendré de Dieu (ο γεννηθεις εκ του θεου) le garde, et le Mauvais n'a pas prise sur lui. » (1 Jn 5, 18).
Jean applique donc sciemment la notion d’ « engendré » au Fils unique de Dieu, mais aussi au Verbe de Dieu créateur venu de la gloire du Père dans la chair : « Au commencement était le Verbe (ο λογος), et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement en Dieu. Tout par lui a été fait, et sans lui n'a été fait rien de ce qui existe. […] Et le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous, - et nous avons vu sa gloire, gloire comme celle qu'un fils unique (μονογενους) tient de son Père - tout plein de grâce et de vérité. » (Jn 1, 1-3 et 14)
Le psaume 2 d’intronisation royale comme « Fils de YHWH » appliqué par l’Ancien Testament à David et au Messie est appliqué à Jésus par Paul (Ac 13, 23 ; He 1, 5 ; He 5, 5) et Luc (Lc 3, 22). Lors du baptême de Jésus : « l'Esprit Saint descendit sur Jésus sous une apparence corporelle, comme une colombe, et une voix vint du ciel : « Tu es mon fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré. » (Lc 3, 22).
Le prologue de Jean est inspiré de l’Ancien Testament
Ce prologue de Jean ne sort pas de « nulle part ». Il y a – au moins - quatre textes de l’Ancien Testament qui inspirent directement ce Prologue. Ils proviennent de la Genèse, des Psaumes et des Proverbes :
1. « Au commencement Dieu (Elohim) créa le ciel et la terre. La terre était informe et vide ; les ténèbres couvraient l'abîme, et l'Esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux. Dieu dit : … » (Gn 1, 1-3)
2. « Par la parole de Yahweh les cieux ont été faits, et toute leur armée par le souffle de sa bouche. » (Ps 33,6). Irénée de Lyon en utilisait la traduction suivante, très proche (AH, 1 ,22) : « Par le Verbe de Seigneur, les cieux ont été affermis, et par le Souffle de Sa bouche toute leur puissance par l’Esprit de Sa bouche » (Ps 33, 6).
3. « O Dieu (Elohim), ton trône est éternel, ton sceptre royal est un sceptre de droiture. Tu aimes la justice, tu détestes le mal, aussi Dieu, ton Dieu, t'a oint d'une huile de joie, de préférence à tes compagnons. » (Ps 45, 7-8 ) cette déclaration de Dieu débutant par « Tu es le plus beau des hommes, la grâce coule de tes lèvres; aussi Dieu t'a béni à tout jamais » (Ps 45, 3) donc figure du Fils de David (trône et sceptre) c'est à dire du Messie.
4. « Yahweh m'a possédée au commencement (en archè en grec qui peut se traduire aussi par « dès le principe ») de ses voies, avant ses œuvres les plus anciennes. J'ai été fondée dès l'éternité, dès le commencement, avant les origines de la terre. Il n'y avait point d'abîmes quand je fus enfantée, point de sources chargées d'eaux. Avant que les montagnes fussent affermies, avant les collines, j'étais enfantée. Lorsqu'il n'avait encore fait ni la terre, ni les plaines, ni les premiers éléments de la poussière du globe. Lorsqu'il disposa les cieux, j'étais là, lorsqu'il traça un cercle à la surface de l'abîme, lorsqu'il affermit les nuages en haut, et qu'il dompta les sources de l'abîme, lorsqu'il fixa sa limite à la mer, pour que les eaux n'en franchissent pas les bords, lorsqu'il posa les fondements de la terre. J'étais à l'œuvre auprès de lui, me réjouissant chaque jour, et jouant sans cesse en sa présence, jouant sur le globe de sa terre, et trouvant mes délices parmi les enfants des hommes. » (Pr 8, 22-31). Voir la traduction très proche aussi qu'utilise Justin de Naplouse, ci-dessous.
De ces textes de l’Ancien Testament appliqués à Jésus par les chrétiens, on peut tirer sans grande difficulté d’interprétation les notions suivantes : l’existence de la Sagesse – c’est-à-dire du Logos – avant la création, la filiation divine du Messie, la Sagesse maître d’œuvre de la création de YHWH et la venue de la même Sagesse-Logos « jouant sur le globe de sa terre, et trouvant mes délices parmi les enfants des hommes. »
Le texte 1 : Théophile d’Antioche (mort en 185) y a vu trois figures (typos) représentant le Père, le Verbe et la Sagesse (c’est-à-dire, pour lui, le Saint Esprit) et utilise pour la première fois le mot latin « trias » qui peut se traduire par « triade » plutôt que par Trinité. Le « au commencement » de la Genèse est le même que le « au commencement » de Jean 1, 1 – cette position du mot (et de la lettre « b » en hébreu) au début de l’Évangile de Jean comme au début des livres de la Bible n’est pas fortuite chez un Juif comme Jean. «Yahweh m'a possédée au commencement de ses voies, avant ses œuvres les plus anciennes. J'ai été fondée dès l'éternité » (Pr 8, 22) évoque « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement en Dieu » (Jn 1, 1-2)
Le texte 2 comprend la création comme une action conjointe entre la Parole de Yahweh et le Souffle de Sa bouche – ce qui est effectivement compatible avec Gn 1, 1-3 où on trouve bien Dieu (Elohim), la Parole et le Souffle de Dieu. Le prologue de Jean fait le lien entre le Verbe et la création et dit seulement : « Tout par lui [le Verbe] a été fait, et sans lui n'a été fait rien de ce qui existe. » (Jn 1, 3)
Le texte 3, pas très connu il est vrai, a été avec le texte 4 et le prologue de Jean une des principales sources de réflexion des Pères apologistes du deuxième siècle sur le Fils engendré (Source : Le Dieu du Salut, page 157. Histoire des dogmes sous la direction de Bernard Sesboüé. Ed Desclée. 1994. ISBN : 2-7189-0625-1). Ce texte souligne l’onction royale unique du Messie du Psaume 2 (Cf. : les textes de l’Ancien Testament): « Tu es le plus beau des fils de l'homme, la grâce est répandue sur tes lèvres; c'est pourquoi Dieu t'a béni pour toujours. » (Ps 45, 3)
Le texte 4, au contraire très connu, présente un parallèle frappant avec le Prologue de Jean. Au passage avec cette finale surprenant d’audace pour l’Ancien Testament : « … lorsqu'il posa les fondements de la terre. J'étais à l'œuvre auprès de lui, me réjouissant chaque jour, et jouant sans cesse en sa présence, jouant sur le globe de sa terre, et trouvant mes délices parmi les enfants des hommes » (Pr 8, 29-31) peut évoquer sans grande difficulté d’interprétation : « Il [le Verbe] était dans le monde, et le monde par lui a été fait, et le monde ne l'a pas connu. Il vint chez lui, et les siens ne l'ont pas reçu. […] Et le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous, (et nous avons vu sa gloire, gloire comme celle qu'un fils unique tient de son Père) tout plein de grâce et de vérité. » (Jn 1,10-11 et 14).
Finalement les seuls éléments vraiment nouveaux du Prologue de Jean par rapport aux textes de l’Ancien Testament sont le rôle de Jean : « Il y eut un homme, envoyé de Dieu ; son nom était Jean. Celui-ci vint en témoignage, pour rendre témoignage à la lumière » (Jn 1, 6-7) et l’action, le rôle et la position du Verbe-Logos : le Verbe est Jésus, Il est « en » Dieu (ou « tourné vers » Dieu selon les traductions ou " dans le sein du Père " en Jn 1,18), Il est Dieu ; le Verbe est venu dans la chair. Par la foi au Verbe Jésus les disciples reçoivent le pouvoir de devenir enfants de Dieu « Mais quant à tous ceux qui l'ont reçu, Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom » (Jn 1, 12) et « Dieu, personne ne le vit jamais: le Fils unique (μονογενους) , qui est dans le sein du Père c'est lui qui l'a fait connaître. » (Jn 1, 18). Jean fera le lien entre l’engendrement en Dieu et l’engendrement des disciples : « Quiconque croit que Jésus est le Christ est né de Dieu (εκ του θεου γεγεννηται) ; et quiconque aime Dieu qui engendre (τον γεννησαντα) aime aussi celui qui est né de Dieu (τον γεγεννημενον). » (1 Jn 5,1).
Au deuxième siècle
A l’aube du deuxième siècle, on a déjà beaucoup d’éléments « sur la future Trinité » qui vont conditionner toute la suite de la réflexion chrétienne. On ne se trouve pas du tout devant « un monothéisme comme dans le judaïsme avec rien à côté » – comme veulent le faire croire les unitariens. C’est supposer d'une part qu’un petit groupe aurait monté « un roman de science-fiction sur Dieu » en marge de l’Église chrétienne qui aurait été en totalité « unitarienne » et c'est supposer d'autre part que cette doctrine de la Trinité serait comme « sortie d’un chapeau » au 4ème siècle et aurait été substituée comme par prestidigitation à la foi commune « unitarienne ». En fait à cette époque la réflexion chrétienne repose sur :
1. Le paradoxe chrétien issu de la Résurrection, c’est-à-dire l’affirmation conjointe de la divinité de Jésus et du monothéisme ;
2. Dès l’Ancien Testament : la Sagesse personnifiée à la fois en Dieu avant la création, maître d’œuvre de la création de Dieu et vivant parmi les hommes (Pr 8, 22-31), la Parole de YHWH et le Souffle de YHWH " collaborateurs " de la création de Dieu (Ps 33, 6) l’engendrement unique du Roi Messie (Ps 45, 7-8 ) ;
3. Le Nouveau Testament, dans le Prologue de Jean ajoute à toutes ces données scripturaires antérieures : 1. l’identification de Jésus au Verbe-Logos; 2. L’affirmation que le Verbe Logos est « en » Dieu ou « tourné vers Dieu » et est Dieu - depuis le « commencement », c’est-à-dire depuis l’éternité. On retrouve le même lien entre le Verbe-Logos et l’œuvre de création que dans les Proverbes pour la Sagesse personnifiée (Pr 8, 22-31).
A la faveur du développement de la théologie du Verbe, la génération du Fils de Dieu va être rattachée à la création comme a une fin, c'est à dire que le Verbe devient une sorte de " moyen " nécessaire à la création. Cette théologie va avoir un point positif : la reconnaissance du lien entre la génération du Fils – acte libre de Dieu – avec la création et un point négatif cette théologie tend à entrainer la génération du Fils dans la contingence et dans le temps. Le sens final chrétien sera d’enraciner la création dans la génération du Fils – et non de subordonner la génération éternelle du Fils à la création du monde. Au contraire pour Arius le Verbe sera comme le moment nécessaire de la venue à l’existence de la créature.
De nombreux textes du deuxième siècle qui sont témoins de cette foi en l’Éternité du Verbe et de Son Engendrement par Dieu, notions déjà acquises en fait avec le Prologue de Jean. Nous n’en citerons que quatre parfaitement explicites de notre point de vue : Justin de Naplouse, Théophile d’Antioche et deux textes d’Irénée de Lyon.
Dans ce second siècle, il est de notre point de vue encore, impossible que montrer qu’il y a eu dans l’Église catholique un fléchissement ou un abandon du paradoxe chrétien : qui affirme conjointement la divinité de Jésus et la fidélité au monothéisme. Tous les auteurs chrétiens du 2ème siècle se sont – au contraire - « cramponnés » à ce paradoxe contre les hérésies antérieures (gnosticisme) ou naissantes (marcionisme, adoptianisme, modalisme … l’arianisme n’existant pas encore) et ont réaffirmé ce paradoxe. C’est toujours le même mécanisme mental qui est à l’œuvre : les Pères du second siècle essaient d’acclimater la foi chrétienne proclamée depuis Pierre, Jean et Paul à l’environnement philosophique de l’époque : le platonisme car le néoplatonisme de Plotin (205 à 270) n’aura d’influence qu’au courant du troisième siècle.
En pratique, cette foi chrétienne du deuxième siècle n’a pas – en elle-même besoin de formulation dogmatique achevée – « philosophiquement ficelée » - parce que le critère de « qualité intellectuelle » ultime de l’époque - pour les chrétiens - n’est pas la philosophie, mais la conformité aux Écritures – tout comme chez les Juifs. Cette foi chrétienne donc est d’abord soutenue par la pratique et les formulations liturgiques (Baptême, Repas du Seigneur) – tirées des Écritures. La foi chrétienne proclamée précède donc son explicitation philosophique, mais malgré est « non-dits », l’« objet de foi » est perçu de façon suffisamment précise pour repousser les excès de formulation et toute mise en cause de ce paradoxe.
1. Justin de Naplouse (mort en 165)
« Comme principe (archè) avant toutes créatures, Dieu engendra de lui-même une certaine puissance de Verbe (dynamin logikén) que l’Esprit saint appelle aussi gloire du Seigneur, ou encore tantôt Fils, tantôt Sagesse, tantôt Ange, tantôt Dieu, tantôt Seigneur et Verbe … elle peut recevoir tous ces noms parce qu’elle exécute la volonté du Père et qu’elle est née de la volonté qui provient du Père […] Ainsi nous voyons d’un premier feu naître un autre feu sans que soit diminué le feu auquel il a été allumé. J’en aurai pour témoin le Verbe et la Sagesse […] Il a dit par Salomon : « … Le Seigneur m’a établie principe de ses voies en toutes ses œuvres. » (Pr 8, 22) (Dialogue avec Tryphon, LXI, 1)
Nous avons choisi ce passage à dessein (en rouge) parce que les unitariens prétendent que Justin n'a jamais dit que Jésus était Dieu. Les unitariens disent « Justin dit que Jésus est un ange ». C'est vrai que Justin a développé une lecture très attentive des Ecritures dans le but de démontrer « qu’après le créateur de l’univers, il existe une autre personne qu’on appelle Dieu et Seigneur, et qui l’est réellement l’un et l’autre, elle aussi parfois désignée sous le nom d'ange, parce qu’elle annonce aux hommes tout ce que veut annoncer le Dieu créateur, au -dessus duquel il n’est pas d’autres Dieu » (Dialogue avec Tryphon, LVI, 4). Ce faisant il affirme à la fois la divinité de Jésus-Christ et l'unicité de Dieu. Cette défense du paradoxe chrétien ne se dément jamais contrairement à ce que prétendent les unitariens. Sans honte aucune ! Voir l'argumentation de Justin est dans le spoiler.
2. Théophile d’Antioche (mort en 185)
« Le Verbe existe depuis toujours immanent (endiathétos) dans le cœur de Dieu. Avant que rien ne fut, [celui-ci] tenait conseil avec lui, qui est son Intelligence et sa Sagesse. Et quand Dieu décida de faire tout ce qu’il avait délibéré, il engendra ce Verbe au dehors (prophorikon), « premier-né de toute créature » (Col 1, 15), sans être privé lui-même du Verbe, mais après avoir engendré le Verbe en toutes choses avec son Verbe. » (Théophile d’Antioche. Autolycus, II, 22)
3. Irénée de Lyon (mort en 202)
« Que le Verbe, c’est-à-dire le Fils, fût depuis toujours avec le Père nous l’avons amplement montré. Mais la Sagesse, qui n’est autre que l’Esprit, était également auprès de lui avant toute création. » (AH, IV, 20, 3)
« Il a donc été montré à l’évidence que le Verbe, qui était au commencement auprès de Dieu, par l’entremise de qui tout a été fait et qui était de tout temps présent au genre humain, ce même Verbe, dans les derniers temps au moment fixé par le Père, s’est uni à son propre ouvrage par lui modelé et s’est fait homme passible. On a de la sorte repoussé l’objection de ceux qui disent : « Si le Christ est né à ce moment-là, il n’existait pas auparavant » Nous avons en effet montré que le Fils de Dieu n’a pas commencé d’exister à ce moment-là puisqu’il existe depuis toujours avec le Père; mais lorsqu’il s’est incarné et s’est fait homme, il a récapitulé en lui-même la longue histoire des hommes et nous a procuré le salut en raccourci, de sorte que ce que nous avions perdu en Adam, c’est-à-dire d’être à l’image et à la ressemblance de Dieu, nous le recouvrions dans la Christ Jésus.[/i] » [AH, III, 18,1]
Ce texte a été choisi à dessein. C’est un texte favori des unitariens qui voient en Irénée un unitarien. En effet ils prétendent qu’Irénée aurait dit : « [i]Si le Christ est né à ce moment-là, il n’existait pas auparavant » - en omettant, bien entendu, le reste du texte. Sans honte aucune !
Pour résumer, quelques expressions de ce 2ème siècle sur le Verbe, Fils Engendré et Créateur : « Dieu engendra de lui-même une certaine puissance de Verbe », « Verbe existant depuis toujours immanent dans le cœur de Dieu », « Verbe engendré au dehors sans que lui-même [Dieu], soit privé du Verbe », « Verbe engendré avant toutes choses avec son [de Dieu] Verbe », « le Verbe, c’est-à-dire le Fils, … depuis toujours avec le Père [ainsi que] la Sagesse, qui n’est autre que l’Esprit, était également auprès de lui avant toute création », « le Verbe, qui était au commencement auprès de Dieu, par l’entremise de qui tout a été fait » « … il [le Verbe] existe depuis toujours avec le Père ». Ces expressions témoignent d’une recherche parce qu’elles ne sont pas toutes parfaitement « orthodoxes » mais il existe bel et bien - dès la fin du deuxième siècle - d'une part : une foi chrétienne à l’engendrement du Verbe, Fils et Sagesse avant la création et d'autre part : une foi à l’existence du Verbe depuis toujours avec le Père – sans que la façon de joindre intellectuellement ces deux affirmations de foi soit encore explicitée.
Les premières réponses dogmatiques apparaissent à la fin du deuxième siècle stimulée de façon décisive par certaines hérésies comme l’adoptianisme et le modalisme. C’est ici qu’interviennent Hippolyte de Rome, Tertullien, Clément d'Alexandrie et Origène qui tenteront, en quelque sorte, de répondre autant que possible aux trois grandes questions issues du paradoxe chrétien formulées en tout début de ce post.
Le point de départ : le paradoxe chrétien issu de l’expérience du Christ Ressuscité
Le paradoxe chrétien est engagé dès qu’on affirme conjointement la divinité de Jésus et la fidélité au monothéisme. La divinité de Jésus étant d’abord uniquement appuyée par l’expérience des Apôtres qui sont témoins vivants du Christ ressuscité et monté au Ciel.
La proclamation du Christ Seigneur ( Dieu ) dès la Pentecôte
La divinité de Jésus de Nazareth est affirmée " à toute la maison d’Israël ". Il est ressuscité par Dieu, exalté à la droite de Dieu et a reçu du Père l’Esprit Saint qu’Il a ainsi répandu. Jésus que « Dieu a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié » va faire l’objet immédiat de la première annonce dès le jour de la Pentecôte par la bouche de Pierre sous l’action de cette large effusion l’Esprit Saint - signe « des derniers jours » (Ac 2,14-36). Paul fera des proclamations apparentées de cette foi commune (2 Th 2,13-14 ; Ro 1,2-4 ; Ep 1, 3-14) et de nouveau Pierre (1 P 1-12).
Mais la foi chrétienne qui doit être explicitée dans les différentes cultures des auditeurs
Mais cette proclamation de foi ne sera pas suffisante car ce paradoxe chrétien pose très rapidement – au moins - trois grandes questions de base aux auditeurs des Apôtres sur : l’unité et l’unicité de Dieu, sur la venue du Dieu inaccessible dans la chair, sur l’identité permanente entre Jésus de Nazareth historique et limité et le Verbe dans l’éternité :
- Comment expliciter que Jésus et le Père sont Un seul Dieu et non deux, conformément à ce que dit Jésus de Lui-même : « Mon père et moi nous sommes un. » (Jn 10, 30) ou « Père saint, garde mes disciples dans la fidélité à ton nom que tu m'as donné en partage, pour qu'ils soient un, comme nous-mêmes.» (Jn 17,11) ;
- Comment expliciter que le Verbe divin est venu dans la chair atteinte par le péché conformément à ce que dit Jésus de Lui-même : « Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde ; tandis qu'à présent je quitte le monde et je vais au Père. Ses disciples lui dirent : « Voici que maintenant tu parles ouvertement et que tu abandonnes tout langage énigmatique; maintenant nous savons que toi, tu sais toutes choses et que tu n'as nul besoin que quelqu'un t'interroge. C'est bien pourquoi nous croyons que tu es sorti de Dieu. » (Jn 15, 26-29) ou comme le dit Jean : « Il [le Verbe] était dans le monde, et le monde par lui a été fait, et le monde ne l'a pas connu. » (Jn 1,11) ou « Et le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous, (et nous avons vu sa gloire, gloire comme celle qu'un fils unique tient de son Père) tout plein de grâce et de vérité. » (Jn 1, 14)
- Comment expliquer que Jésus incarné, ici présent devant nos yeux avec ses limites et mortel, est aussi et en même temps le Verbe éternel qui était avant la création conformément à ce que dit Jésus Lui-même : «« Et maintenant, Père, glorifie-moi auprès de toi de cette gloire que j'avais auprès de toi avant que le monde fût. » (Jn 17,5) » ou « Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m'as donnés soient eux aussi avec moi, et qu'ils contemplent la gloire que tu m'as donnée, car tu m'as aimé dès avant la fondation du monde. » (Jn 17, 24) ou en Jean : « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie, car la vie s'est manifestée, et nous avons vu et nous rendons témoignage et nous vous annonçons la vie éternelle, qui était tournée vers le Père et s'est manifestée à nous, ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons, à vous aussi, afin que vous aussi vous soyez en communion avec nous. Et notre communion est communion avec le Père et avec son Fils Jésus Christ. » 1 Jn 1,1
HISTOIRE DE LA NOTION D’ENGENDREMENT ETERNEL DU FILS
L’engendrement par Dieu dans l’Ancien Testament
L’usage du mot « engendrer » concerne naturellement essentiellement la généalogie. Mais il existe un verset, très connu, où Dieu (YHWH) « S’engendre » le roi comme fils. Ce verset est appliqué d’abord à David, puis au Messie, issu de sa descendance selon la promesse. Ce titre de « Fils de YHWH » sera appliqué exclusivement au roi dans l’Ancien Testament. C’est un titre messianique qui concernera aussi Jésus. Faut-il le rappeler (… ) que dans l’Ancien Testament il n’existe aucun usage de l’expression « fils de Dieu » au sens propre. Bien noter que les anges - appelés « Fils de Dieu » dans les traductions - sont, en fait, non des « fils » mais des Élohim dans le texte hébreu.
D’une part, Dieu (Elohim) engendre - au sens figuré bien évidemment – un peuple qui Lui rend un culte exclusif : « Le Rocher qui t'a engendré, tu l'as négligé; tu as oublié le Dieu qui t'a mis au monde » (Dt 32,1) ou à l’inverse un culte impie qui engendre des bâtards (Os 5, 7). Le mot « engendrer » est aussi utilisé au sens figuré qui signifier « produire » ou « être à l’origine de » (Jb 38,28 ; Pr 25,23), mais cette recherche est faite en français – non en hébreu ou en grec.
D’autre part, il y a le psaume employé depuis David pour l’intronisation du roi en se souvenant bien que le Messie promis à David sera de sa maison (2 S 7, 14 et Ps 89, 27s), c’est-à-dire de sa descendance. Désormais, le titre de « fils de YHWH » est un titre royal qui deviendra tout naturellement un titre messianique quand l’eschatologie prophétique visera la naissance du roi par excellence (Es 7, 14 et Es 9,1) :
« Moi, j'ai sacré mon roi sur Sion, ma montagne sainte. " Je publierai le décret: le Seigneur m'a dit: " Tu es mon fils; moi, aujourd'hui, je t'ai engendré. Demande-moi, et je te donne les nations comme patrimoine, en propriété les extrémités de la terre. Tu les écraseras avec un sceptre de fer, et, comme un vase de potier, tu les mettras en pièces. " Et maintenant, rois, soyez intelligents; laissez-vous corriger, juges de la terre ! Servez le Seigneur avec crainte, exultez en tremblant » (Ps 2, 6-11)
Premier siècle : dans le Nouveau Testament
Dans les Évangiles le Verbe-Logos et Fils Unique est engendré. Il est « en » Dieu depuis le commencement, c’est-à-dire dans l’éternité. L’emploi par Jean à cinq reprises de l’expression « Fils unique engendré » (μονογενους), la reprise du thèmes de l’engendrement de Jésus-Christ dans ses lettres et la voix du Père qui dit : « Tu es mon fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré. » (Lc 3, 22) confirme sans équivoque que Jésus-Christ peut être appelé le Verbe et l’« Engendré » (1 Jn 5, 18). Depuis Jean, ce Verbe-Logos, Fils Unique Engendré, Messie et Seigneur est un acquis théologique incontournable des chrétiens. Jean reprend les proclamations de foi de Pierre et de Paul et l’amplifie par l’adjonction du titre de Verbe-Logos à Jésus Sauveur, Messie et Seigneur – au sens de Dieu (Adonaï = Dieu).
Jean utilise à cinq reprises l’expression « Fils unique engendré » (μονογενους ) en Jn 1, 14 ; Jn 1, 18 ; Jn 3, 16 et Jn 3, 18 et 1 Jn 4, 9. Cette expression en grec – mal rendue en français par « fils unique » - est sans équivoque et signifie qu’il n’existe pas d’ « autre engendré » de cette nature. Et Jean reprend le mot « engendre » ou « engendré » à deux autres reprises en l’appliquant à Jésus dans sa première lettre :
« Quiconque croit que Jésus est le Christ est né de Dieu (εκ του θεου γεγεννηται) ; et quiconque aime Dieu qui engendre (τον γεννησαντα) aime aussi celui qui est né de Dieu (τον γεγεννημενον). » (1 Jn 5,1) ;
« Nous savons que quiconque est né de Dieu (ο γεγεννημενος εκ του θεου) ne pèche plus, mais l'Engendré de Dieu (ο γεννηθεις εκ του θεου) le garde, et le Mauvais n'a pas prise sur lui. » (1 Jn 5, 18).
Jean applique donc sciemment la notion d’ « engendré » au Fils unique de Dieu, mais aussi au Verbe de Dieu créateur venu de la gloire du Père dans la chair : « Au commencement était le Verbe (ο λογος), et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement en Dieu. Tout par lui a été fait, et sans lui n'a été fait rien de ce qui existe. […] Et le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous, - et nous avons vu sa gloire, gloire comme celle qu'un fils unique (μονογενους) tient de son Père - tout plein de grâce et de vérité. » (Jn 1, 1-3 et 14)
Le psaume 2 d’intronisation royale comme « Fils de YHWH » appliqué par l’Ancien Testament à David et au Messie est appliqué à Jésus par Paul (Ac 13, 23 ; He 1, 5 ; He 5, 5) et Luc (Lc 3, 22). Lors du baptême de Jésus : « l'Esprit Saint descendit sur Jésus sous une apparence corporelle, comme une colombe, et une voix vint du ciel : « Tu es mon fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré. » (Lc 3, 22).
Le prologue de Jean est inspiré de l’Ancien Testament
Ce prologue de Jean ne sort pas de « nulle part ». Il y a – au moins - quatre textes de l’Ancien Testament qui inspirent directement ce Prologue. Ils proviennent de la Genèse, des Psaumes et des Proverbes :
1. « Au commencement Dieu (Elohim) créa le ciel et la terre. La terre était informe et vide ; les ténèbres couvraient l'abîme, et l'Esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux. Dieu dit : … » (Gn 1, 1-3)
2. « Par la parole de Yahweh les cieux ont été faits, et toute leur armée par le souffle de sa bouche. » (Ps 33,6). Irénée de Lyon en utilisait la traduction suivante, très proche (AH, 1 ,22) : « Par le Verbe de Seigneur, les cieux ont été affermis, et par le Souffle de Sa bouche toute leur puissance par l’Esprit de Sa bouche » (Ps 33, 6).
3. « O Dieu (Elohim), ton trône est éternel, ton sceptre royal est un sceptre de droiture. Tu aimes la justice, tu détestes le mal, aussi Dieu, ton Dieu, t'a oint d'une huile de joie, de préférence à tes compagnons. » (Ps 45, 7-8 ) cette déclaration de Dieu débutant par « Tu es le plus beau des hommes, la grâce coule de tes lèvres; aussi Dieu t'a béni à tout jamais » (Ps 45, 3) donc figure du Fils de David (trône et sceptre) c'est à dire du Messie.
4. « Yahweh m'a possédée au commencement (en archè en grec qui peut se traduire aussi par « dès le principe ») de ses voies, avant ses œuvres les plus anciennes. J'ai été fondée dès l'éternité, dès le commencement, avant les origines de la terre. Il n'y avait point d'abîmes quand je fus enfantée, point de sources chargées d'eaux. Avant que les montagnes fussent affermies, avant les collines, j'étais enfantée. Lorsqu'il n'avait encore fait ni la terre, ni les plaines, ni les premiers éléments de la poussière du globe. Lorsqu'il disposa les cieux, j'étais là, lorsqu'il traça un cercle à la surface de l'abîme, lorsqu'il affermit les nuages en haut, et qu'il dompta les sources de l'abîme, lorsqu'il fixa sa limite à la mer, pour que les eaux n'en franchissent pas les bords, lorsqu'il posa les fondements de la terre. J'étais à l'œuvre auprès de lui, me réjouissant chaque jour, et jouant sans cesse en sa présence, jouant sur le globe de sa terre, et trouvant mes délices parmi les enfants des hommes. » (Pr 8, 22-31). Voir la traduction très proche aussi qu'utilise Justin de Naplouse, ci-dessous.
De ces textes de l’Ancien Testament appliqués à Jésus par les chrétiens, on peut tirer sans grande difficulté d’interprétation les notions suivantes : l’existence de la Sagesse – c’est-à-dire du Logos – avant la création, la filiation divine du Messie, la Sagesse maître d’œuvre de la création de YHWH et la venue de la même Sagesse-Logos « jouant sur le globe de sa terre, et trouvant mes délices parmi les enfants des hommes. »
Le texte 1 : Théophile d’Antioche (mort en 185) y a vu trois figures (typos) représentant le Père, le Verbe et la Sagesse (c’est-à-dire, pour lui, le Saint Esprit) et utilise pour la première fois le mot latin « trias » qui peut se traduire par « triade » plutôt que par Trinité. Le « au commencement » de la Genèse est le même que le « au commencement » de Jean 1, 1 – cette position du mot (et de la lettre « b » en hébreu) au début de l’Évangile de Jean comme au début des livres de la Bible n’est pas fortuite chez un Juif comme Jean. «Yahweh m'a possédée au commencement de ses voies, avant ses œuvres les plus anciennes. J'ai été fondée dès l'éternité » (Pr 8, 22) évoque « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement en Dieu » (Jn 1, 1-2)
Le texte 2 comprend la création comme une action conjointe entre la Parole de Yahweh et le Souffle de Sa bouche – ce qui est effectivement compatible avec Gn 1, 1-3 où on trouve bien Dieu (Elohim), la Parole et le Souffle de Dieu. Le prologue de Jean fait le lien entre le Verbe et la création et dit seulement : « Tout par lui [le Verbe] a été fait, et sans lui n'a été fait rien de ce qui existe. » (Jn 1, 3)
Le texte 3, pas très connu il est vrai, a été avec le texte 4 et le prologue de Jean une des principales sources de réflexion des Pères apologistes du deuxième siècle sur le Fils engendré (Source : Le Dieu du Salut, page 157. Histoire des dogmes sous la direction de Bernard Sesboüé. Ed Desclée. 1994. ISBN : 2-7189-0625-1). Ce texte souligne l’onction royale unique du Messie du Psaume 2 (Cf. : les textes de l’Ancien Testament): « Tu es le plus beau des fils de l'homme, la grâce est répandue sur tes lèvres; c'est pourquoi Dieu t'a béni pour toujours. » (Ps 45, 3)
Le texte 4, au contraire très connu, présente un parallèle frappant avec le Prologue de Jean. Au passage avec cette finale surprenant d’audace pour l’Ancien Testament : « … lorsqu'il posa les fondements de la terre. J'étais à l'œuvre auprès de lui, me réjouissant chaque jour, et jouant sans cesse en sa présence, jouant sur le globe de sa terre, et trouvant mes délices parmi les enfants des hommes » (Pr 8, 29-31) peut évoquer sans grande difficulté d’interprétation : « Il [le Verbe] était dans le monde, et le monde par lui a été fait, et le monde ne l'a pas connu. Il vint chez lui, et les siens ne l'ont pas reçu. […] Et le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous, (et nous avons vu sa gloire, gloire comme celle qu'un fils unique tient de son Père) tout plein de grâce et de vérité. » (Jn 1,10-11 et 14).
Finalement les seuls éléments vraiment nouveaux du Prologue de Jean par rapport aux textes de l’Ancien Testament sont le rôle de Jean : « Il y eut un homme, envoyé de Dieu ; son nom était Jean. Celui-ci vint en témoignage, pour rendre témoignage à la lumière » (Jn 1, 6-7) et l’action, le rôle et la position du Verbe-Logos : le Verbe est Jésus, Il est « en » Dieu (ou « tourné vers » Dieu selon les traductions ou " dans le sein du Père " en Jn 1,18), Il est Dieu ; le Verbe est venu dans la chair. Par la foi au Verbe Jésus les disciples reçoivent le pouvoir de devenir enfants de Dieu « Mais quant à tous ceux qui l'ont reçu, Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom » (Jn 1, 12) et « Dieu, personne ne le vit jamais: le Fils unique (μονογενους) , qui est dans le sein du Père c'est lui qui l'a fait connaître. » (Jn 1, 18). Jean fera le lien entre l’engendrement en Dieu et l’engendrement des disciples : « Quiconque croit que Jésus est le Christ est né de Dieu (εκ του θεου γεγεννηται) ; et quiconque aime Dieu qui engendre (τον γεννησαντα) aime aussi celui qui est né de Dieu (τον γεγεννημενον). » (1 Jn 5,1).
Au deuxième siècle
A l’aube du deuxième siècle, on a déjà beaucoup d’éléments « sur la future Trinité » qui vont conditionner toute la suite de la réflexion chrétienne. On ne se trouve pas du tout devant « un monothéisme comme dans le judaïsme avec rien à côté » – comme veulent le faire croire les unitariens. C’est supposer d'une part qu’un petit groupe aurait monté « un roman de science-fiction sur Dieu » en marge de l’Église chrétienne qui aurait été en totalité « unitarienne » et c'est supposer d'autre part que cette doctrine de la Trinité serait comme « sortie d’un chapeau » au 4ème siècle et aurait été substituée comme par prestidigitation à la foi commune « unitarienne ». En fait à cette époque la réflexion chrétienne repose sur :
1. Le paradoxe chrétien issu de la Résurrection, c’est-à-dire l’affirmation conjointe de la divinité de Jésus et du monothéisme ;
2. Dès l’Ancien Testament : la Sagesse personnifiée à la fois en Dieu avant la création, maître d’œuvre de la création de Dieu et vivant parmi les hommes (Pr 8, 22-31), la Parole de YHWH et le Souffle de YHWH " collaborateurs " de la création de Dieu (Ps 33, 6) l’engendrement unique du Roi Messie (Ps 45, 7-8 ) ;
3. Le Nouveau Testament, dans le Prologue de Jean ajoute à toutes ces données scripturaires antérieures : 1. l’identification de Jésus au Verbe-Logos; 2. L’affirmation que le Verbe Logos est « en » Dieu ou « tourné vers Dieu » et est Dieu - depuis le « commencement », c’est-à-dire depuis l’éternité. On retrouve le même lien entre le Verbe-Logos et l’œuvre de création que dans les Proverbes pour la Sagesse personnifiée (Pr 8, 22-31).
A la faveur du développement de la théologie du Verbe, la génération du Fils de Dieu va être rattachée à la création comme a une fin, c'est à dire que le Verbe devient une sorte de " moyen " nécessaire à la création. Cette théologie va avoir un point positif : la reconnaissance du lien entre la génération du Fils – acte libre de Dieu – avec la création et un point négatif cette théologie tend à entrainer la génération du Fils dans la contingence et dans le temps. Le sens final chrétien sera d’enraciner la création dans la génération du Fils – et non de subordonner la génération éternelle du Fils à la création du monde. Au contraire pour Arius le Verbe sera comme le moment nécessaire de la venue à l’existence de la créature.
De nombreux textes du deuxième siècle qui sont témoins de cette foi en l’Éternité du Verbe et de Son Engendrement par Dieu, notions déjà acquises en fait avec le Prologue de Jean. Nous n’en citerons que quatre parfaitement explicites de notre point de vue : Justin de Naplouse, Théophile d’Antioche et deux textes d’Irénée de Lyon.
Dans ce second siècle, il est de notre point de vue encore, impossible que montrer qu’il y a eu dans l’Église catholique un fléchissement ou un abandon du paradoxe chrétien : qui affirme conjointement la divinité de Jésus et la fidélité au monothéisme. Tous les auteurs chrétiens du 2ème siècle se sont – au contraire - « cramponnés » à ce paradoxe contre les hérésies antérieures (gnosticisme) ou naissantes (marcionisme, adoptianisme, modalisme … l’arianisme n’existant pas encore) et ont réaffirmé ce paradoxe. C’est toujours le même mécanisme mental qui est à l’œuvre : les Pères du second siècle essaient d’acclimater la foi chrétienne proclamée depuis Pierre, Jean et Paul à l’environnement philosophique de l’époque : le platonisme car le néoplatonisme de Plotin (205 à 270) n’aura d’influence qu’au courant du troisième siècle.
En pratique, cette foi chrétienne du deuxième siècle n’a pas – en elle-même besoin de formulation dogmatique achevée – « philosophiquement ficelée » - parce que le critère de « qualité intellectuelle » ultime de l’époque - pour les chrétiens - n’est pas la philosophie, mais la conformité aux Écritures – tout comme chez les Juifs. Cette foi chrétienne donc est d’abord soutenue par la pratique et les formulations liturgiques (Baptême, Repas du Seigneur) – tirées des Écritures. La foi chrétienne proclamée précède donc son explicitation philosophique, mais malgré est « non-dits », l’« objet de foi » est perçu de façon suffisamment précise pour repousser les excès de formulation et toute mise en cause de ce paradoxe.
1. Justin de Naplouse (mort en 165)
« Comme principe (archè) avant toutes créatures, Dieu engendra de lui-même une certaine puissance de Verbe (dynamin logikén) que l’Esprit saint appelle aussi gloire du Seigneur, ou encore tantôt Fils, tantôt Sagesse, tantôt Ange, tantôt Dieu, tantôt Seigneur et Verbe … elle peut recevoir tous ces noms parce qu’elle exécute la volonté du Père et qu’elle est née de la volonté qui provient du Père […] Ainsi nous voyons d’un premier feu naître un autre feu sans que soit diminué le feu auquel il a été allumé. J’en aurai pour témoin le Verbe et la Sagesse […] Il a dit par Salomon : « … Le Seigneur m’a établie principe de ses voies en toutes ses œuvres. » (Pr 8, 22) (Dialogue avec Tryphon, LXI, 1)
Nous avons choisi ce passage à dessein (en rouge) parce que les unitariens prétendent que Justin n'a jamais dit que Jésus était Dieu. Les unitariens disent « Justin dit que Jésus est un ange ». C'est vrai que Justin a développé une lecture très attentive des Ecritures dans le but de démontrer « qu’après le créateur de l’univers, il existe une autre personne qu’on appelle Dieu et Seigneur, et qui l’est réellement l’un et l’autre, elle aussi parfois désignée sous le nom d'ange, parce qu’elle annonce aux hommes tout ce que veut annoncer le Dieu créateur, au -dessus duquel il n’est pas d’autres Dieu » (Dialogue avec Tryphon, LVI, 4). Ce faisant il affirme à la fois la divinité de Jésus-Christ et l'unicité de Dieu. Cette défense du paradoxe chrétien ne se dément jamais contrairement à ce que prétendent les unitariens. Sans honte aucune ! Voir l'argumentation de Justin est dans le spoiler.
- Spoiler:
Justin pratique une analyse très précise des Écritures pour montrer qu’en certains passages il a Dieu et une autre personne à coté de Dieu, pouvant parfois être appelée « ange », mais qui est qui Dieu et Seigneur (Dialogue avec Tryphon, LVI, 4) et la Sagesse engendrée et créatrice de Pr 8, 22-31 (Dialogue avec Tryphon, LXI, 1) . Manifestement cette analyse scripturaire est au service du paradoxe chrétien : l’affirmation conjointe de la divinité de Jésus et de l'unicité de Dieu.
Les trois hommes qui apparaissent à Abraham au chêne de Mambré (Gn 18, 2) sont une apparition de Dieu (Gn 18, 1). Mais Dieu n’est pas présent en personne, Il est présent à travers ces trois que l’interlocuteur juif Tryphon identifie comme des anges. Deux « hommes » partir détruire Sodome (Gn 19, 12). Le troisième « homme » qui dit qu’il « doit revenir au temps du renouveau » (Gn 18,10). Et il revient effectivement un peu plus loin, mais il n’est ni un « ange », ni un « homme », le texte l’appelle « Dieu »: « Mais Dieu lui dit ne te fâche pas à propos du garçon et de ta servante » (Gn 21, 12). De cette façon Justin cherche à démontrer « qu’après le créateur de l’univers, il existe une autre personne qu’on appelle Dieu et Seigneur, et qui l’est réellement l’un et l’autre, elle aussi parfois désignée sous le nom d’ange, parce qu’elle annonce aux hommes tout ce que veut annoncer le Dieu créateur, au -dessus duquel il n’est pas d’autres Dieu » (Dialogue avec Tryphon, LVI, 4).
La même de démonstration est faite avec deux autres passages des Ecritures avec Jacob lors du combat avec l’ange et Moïse au buisson ardent (Dialogue avec Tryphon, LVI à LX)
2. Théophile d’Antioche (mort en 185)
« Le Verbe existe depuis toujours immanent (endiathétos) dans le cœur de Dieu. Avant que rien ne fut, [celui-ci] tenait conseil avec lui, qui est son Intelligence et sa Sagesse. Et quand Dieu décida de faire tout ce qu’il avait délibéré, il engendra ce Verbe au dehors (prophorikon), « premier-né de toute créature » (Col 1, 15), sans être privé lui-même du Verbe, mais après avoir engendré le Verbe en toutes choses avec son Verbe. » (Théophile d’Antioche. Autolycus, II, 22)
3. Irénée de Lyon (mort en 202)
« Que le Verbe, c’est-à-dire le Fils, fût depuis toujours avec le Père nous l’avons amplement montré. Mais la Sagesse, qui n’est autre que l’Esprit, était également auprès de lui avant toute création. » (AH, IV, 20, 3)
« Il a donc été montré à l’évidence que le Verbe, qui était au commencement auprès de Dieu, par l’entremise de qui tout a été fait et qui était de tout temps présent au genre humain, ce même Verbe, dans les derniers temps au moment fixé par le Père, s’est uni à son propre ouvrage par lui modelé et s’est fait homme passible. On a de la sorte repoussé l’objection de ceux qui disent : « Si le Christ est né à ce moment-là, il n’existait pas auparavant » Nous avons en effet montré que le Fils de Dieu n’a pas commencé d’exister à ce moment-là puisqu’il existe depuis toujours avec le Père; mais lorsqu’il s’est incarné et s’est fait homme, il a récapitulé en lui-même la longue histoire des hommes et nous a procuré le salut en raccourci, de sorte que ce que nous avions perdu en Adam, c’est-à-dire d’être à l’image et à la ressemblance de Dieu, nous le recouvrions dans la Christ Jésus.[/i] » [AH, III, 18,1]
Ce texte a été choisi à dessein. C’est un texte favori des unitariens qui voient en Irénée un unitarien. En effet ils prétendent qu’Irénée aurait dit : « [i]Si le Christ est né à ce moment-là, il n’existait pas auparavant » - en omettant, bien entendu, le reste du texte. Sans honte aucune !
Pour résumer, quelques expressions de ce 2ème siècle sur le Verbe, Fils Engendré et Créateur : « Dieu engendra de lui-même une certaine puissance de Verbe », « Verbe existant depuis toujours immanent dans le cœur de Dieu », « Verbe engendré au dehors sans que lui-même [Dieu], soit privé du Verbe », « Verbe engendré avant toutes choses avec son [de Dieu] Verbe », « le Verbe, c’est-à-dire le Fils, … depuis toujours avec le Père [ainsi que] la Sagesse, qui n’est autre que l’Esprit, était également auprès de lui avant toute création », « le Verbe, qui était au commencement auprès de Dieu, par l’entremise de qui tout a été fait » « … il [le Verbe] existe depuis toujours avec le Père ». Ces expressions témoignent d’une recherche parce qu’elles ne sont pas toutes parfaitement « orthodoxes » mais il existe bel et bien - dès la fin du deuxième siècle - d'une part : une foi chrétienne à l’engendrement du Verbe, Fils et Sagesse avant la création et d'autre part : une foi à l’existence du Verbe depuis toujours avec le Père – sans que la façon de joindre intellectuellement ces deux affirmations de foi soit encore explicitée.
Les premières réponses dogmatiques apparaissent à la fin du deuxième siècle stimulée de façon décisive par certaines hérésies comme l’adoptianisme et le modalisme. C’est ici qu’interviennent Hippolyte de Rome, Tertullien, Clément d'Alexandrie et Origène qui tenteront, en quelque sorte, de répondre autant que possible aux trois grandes questions issues du paradoxe chrétien formulées en tout début de ce post.
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Re: Histoire du dogme de l'engendrement éternel du Fils
Au troisième siècle
[b]Irénée de Lyon (mort en 202) s’intéresse à la manifestation du Père, du Fils et de l’Esprit « en actes » c’est-à-dire qu’il cherche dans les Écritures l’action du Père, l’action du Fils et l’action de l’Esprit. Ce faisant, Irénée de Lyon est encore loin de la Trinité conceptuelle, c’est-à-dire d’une réflexion sur « Dieu en soi », mais il traite de ce qu’il est convenu d’appeler la « trinité économique ». En effet à cette époque l’histoire du salut est dite : « économie du salut ». C’est donc une approche toute scripturaire – totalement non philosophique - comme c’était la règle au début du 2ème siècle autant chez les Chrétiens que chez les Juifs. Comme on l’a vu plus haut, Irénée de Lyon croit que « le Verbe et Fils, dès avant toute création était auprès de Dieu, par l’entremise de qui tout a été fait et existe depuis toujours avec le Père ». Le Credo d’Irénée (+180) témoigne de cette approche avec trois articles de foi à égalité : un sur le Père, un sur le Fils et un sur le Saint Esprit – les Trois étant un seul Dieu. Dès la fin du deuxième siècle - 150 ans avant Nicée - il ne manque, en fait, à ce Crédo d’Irénée que la mention : « de la même substance que le Père » pour qu’on ait pratiquement le Crédo de Nicée (+325). Il faudra donc encore 150 ans (!) pour convertir ce vocabulaire scripturaire en vocabulaire conceptuel, mais cette foi chrétienne est déjà complète parce qu'elle confesse simultanément les Trois et le Dieu Unique - même si l'articulation intellectuelle des deux propositions du paradoxe chrétien n'est pas encore conceptualisée. Cette foi trinitaire existe déjà de façon organisée (règle de foi à trois articles) avec un développement maîtrisé - dépassant la simple formulation liturgique, par exemple baptismale - en cette seconde moitié du second siècle. (Voir le spoiler).
1. Hippolyte de Rome (mort en 185) : Dieu engendre le Verbe comme lumière issue de la lumière, il émit comme Seigneur pour la Création.
« Son Verbe (logos) qu’il tenait en lui-même et qui était invisible au monde créé, il le rend visible. L’énonçant d’abord comme voix et l’engendrant comme lumière issue de la lumière, il émit comme Seigneur pour la Création sa propre Intelligence (noûs), et celle-ci, qui était d’abord visible à lui seul et invisible au mondé créé, il la rend visible, afin que le monde, en le voyant grâce à cette épiphanie, puisse être sauvé. » (Hippolyte de Rome, Contre Noët, 14 citant Mt 28,19)
2. Tertullien (+150 ou 160 à +220) à Carthage va expérimenter plusieurs difficultés de formulation. Mais il va les dépasser en formulant progressivement l’existence éternelle des Trois. Il va réaliser que l’enfantement par Dieu de la Sagesse des Proverbes (Pr 8, 22-31) n’implique pas la temporalité. Voici quelques difficultés de formulation, résolues plus ou moins complètement, par Tertullien :
- La représentation du Fils comme une « émission » de Dieu. Bien que Tertullien prenne le soin d’affirmer que le Fils est une « émission sans séparation du Père » (Texte 1) ce mot d’ « émission » est comprise au contraire comme une séparation et une dégradation dans le système d’émanation-dégradation platonicien. Tertullien va trouver une sorte de solution en reprenant une conception du gnostique Valentin du Plérôme comme plénitude dont la richesse s’épanouit en elle-même – donc un engendrement non à l’extérieur, mais à l’intérieur (sans tomber dans le système gnostique pour autant). Tertulien médite aussi sur l’âme riche de puissances et de facultés intérieures (Texte 2). Cette solution " d'engendrement intérieur " "en Dieu " est plus conforme avec le Prologue de Jean qui que le Verbe est « en Dieu » ou « dans le sein du Père. »
- Tertullien va d’abord nier l’éternité de la Sagesse parce qu’il lui attribue alors une origine. Or « ce qui est né ou fait n’est pas éternel, puisque cela assujetti à une fin de même qu’à un commencement » (Tertullien. Contre Hermogène 7, 2). Pour Tertullien, à cette époque, avoir un commencement est un signe de dépendance dans l’être. Son idée va évoluer avec l’analogie du discours intérieur (Texte 3) : du Verbe et de l’Écriture (Pr 8, 22 et Genèse), puis il va en venir progressivement à l’existence éternelle des Trois, notion qu’il est le premier à formuler – sans pour autant parler de génération éternelle du Fils. Tertullien réalise aussi et c’est important pour notre sujet : le « commencement » dont parlent les Proverbes (Pr 8, 22) n’implique pas la temporalité (Texte 4). Il affirme ensuite à l’existence éternelle du Verbe ce qui contredit directement sa négation initiale de l’éternité de la Sagesse créatrice et Verbe. En effet l’acte de l'intelligence de Dieu (Verbe ou Sagesse), Son intention créatrice et la disposition de Sa bonté sont éternels, c’est-à-dire sans commencement.
Texte 1 : « La véritable émission (probolè), gardienne de l’unité, nous le tenons en disant que le Fils a été proféré hors du Père mais non séparé. Car Dieu a proféré le Verbe (Sermo), ainsi que le Paraclet l’enseigne lui-même, comme la racine (promeut) la branche, et la source le fleuve, et le soleil le rayon ; car ces espèces sont, elle aussi, les « émissions » (probolai) de ces substances d’où elles sortent … mais ni la branche n’est séparée de la racine, ni le fleuve de la source, ni le rayon du soleil, pas d’avantage de Dieu ne l’est le Verbe (Sermo). » (Tertullien, Contre Praxéas 8, 5)
Texte 2 : « D’abord fondé par Dieu (conditium ab eo) pour l’œuvre de pensée sous le nom de Sagesse : « Le Seigneur m’a fondée principe de ses voies » (Pr 8, 22), il est ensuite engendré (dehinc generatus) pour l’œuvre effective : « Quand il ornait le ciel, j’étais près de lui » ; à partir de quoi […] il a été fait fils, Premier-né (primogenitus) en tant qu’il a été engendré avant toutes choses, Fils unique (unigenitus) en tant que seul il a été engendré de Dieu au sens propre (proprie), de la vulve de son cœur (de vulva cordis pisius), comme le Père lui-même l’atteste » (Ps 44, 2)
Texte 3 : « Ainsi le discours est de quelque façon second en toi … Combien plus pleinement en va-t-il de même en Dieu, dont tu es l’image et la ressemblance. Je puis donc préjuger sans témérité que Dieu, même à ce moment-là avant la constitution de l’univers, n’était pas seul : il avait en lui-même la Raison en en elle le Verbe (Sermo) qu’il faisait second à partir de lui-même en l’agitant à l’intérieur de lui-même. » (Contre Praxéas 5, 6-7)
Texte 4 : « La divinité vivante et authentique, ce n’est ni la nouveauté, ni l’ancienneté qui l’établissent, mais la seule vérité. L’éternité ne comporte pas le temps. Elle est même la totalité du temps […] Dieu est aussi étranger au commencement et à la fin qu’au temps, juge et mesure du commencement et de la fin. » (Contre Marcion, I, 8, 2-3)
Texte 5 : « Avant toutes choses Dieu était seul, étant en lui-même à lui seul et monde et lieu et tout. Seul, car en dehors de lui, il n’y avait rien d’autre au dehors. Et cependant il n’était pas seul même à ce moment-là, car il y avait avec lui celui qui est en lui, son Verbe (Ratio). Car Dieu est rationnel (rationalis) » (Contre Praxéas 5, 2)
On voit encore le parti que peuvent tirer les unitariens de ce texte (en rouge) coupé de la seconde phrase. Il faut bien voir que le texte est parfaitement contradictoire « Dieu était seul […] et cependant il n’était pas seul » ce qui constitue bien le paradoxe chrétien – énoncé en tout début de post.
Texte 6 : « La bonté suprême du Créateur qui évidemment n’est pas soudaine, n’est pas le fait d’une stimulation accidentelle et provoquée de l’extérieur, comme si l’on devait en rapporter l’origine au moment où il se mit à créer. Si en effet c’est elle qui a établi le commencement à partir duquel elle se mit à créer, elle n’a pas eu elle-même de commencement, puisqu’elle l’a produit. Sa bonté n’a pas été soumise au temps, étant antérieure au temps, elle qui a créé le temps […] On devra la concevoir éternelle innée en Dieu, perpétuelle, et par là digne de Dieu. » (Contre Marcion II, 3, 3-5)
Tertullien forge plus de 900 nouveaux mots latins en théologie ; il fixe en outre le sens de mots comme « substance » et « personne » dès cette époque.
Au début du troisième siècle existe même le mot " consubstantiel », mais en ce temps de modalisme (qui fusionne le Père, le Fils et l'Esprit en une seule personne) menaçant la foi chrétienne Denys d'Alexandrie en 250 repousse le mot " consubstantiel " (homoousios) pour désigner la nature du Fils par rapport au Père. Il craint que ce terme " consubstantiel " ne signifie une confusion des personnes divines - comme dans la doctrine de Sabellius (modalisme) condamné en 220. Le pape Denys d’Alexandrie va ensuite craindre aussi avec la définition des « hypostases ». Ce mouvement de balancier de la doctrine de l’Eglise catholique frayant son chemin entre des hérésies opposées pour construire une position moyenne - est typique, encore, du paradoxe chrétien : " confusion des personnes " : non, ou " séparation des personnes " : non, alors " union sans confusion, ni séparation " : oui.
LA GENERATION EN DIEU N’IMPLIQUE PAS LA TEMPORALITE : CONSEQUENCES THEOLOGIQUES
L’abandon de la représentation platonicienne d’une « émission extérieure » du Fils et la suppression de la temporalité – notion encore inconnue du platonisme - suppriment d’un coup toute « dégradation dans l’être », toute « dépendance dans l’être » et toute « origine et succession temporelle» induisant par exemple l’idée d'un Fils venant « après » le Père. Ce virage théologique supprime aussi toute idée de « changement en Dieu » au sens où il y aurait eu - en Dieu - un « avant : sans le Fils » et un « après : avec le Fils ». Bien considéré, ce virage théologique n'est pas un innovation mais une compréhension plus conceptuelle d'un texte comme Pr 8, 22-31 ou du premier chapitre de la Genèse, une vue plus juste sur " Dieu au commencement ", c'est à dire " dans l'éternité ", c'est à dire : " Dieu en soi ". Cette proposition une véritable avancée car elle est plus acceptable à la fois sur le plan scripturaire et sur le plan philosophique. Contrairement à ce que disent les unitariens, il ne s'agit pas d'une trahison ou d'un détournement des Ecritures Saintes, mais- tout au contraire - d'un approfondissement et d'une clarification de leur compréhension.
Tertullien conclut que l’intention créatrice de Dieu – liée fortement à cette époque à la figure du Verbe-Logos, Sagesse et Fils - est : « éternelle innée en Dieu, perpétuelle, et par là digne de Dieu. » (Contre Marcion II, 3, 3-5).
Il faut reconnaître qu'à cette époque la question de l’unité des Personnes est non résolue sur le plan conceptuel – c'est à dire sur le mode philosophique – mais quelle est claire sur le mode scripturaire et dans la confession de foi : le " Dieu unique " est constitutif du paradoxe chrétien - jamais démenti dans l'Eglise catholique. (Textes 5 et 6).
[b]Irénée de Lyon (mort en 202) s’intéresse à la manifestation du Père, du Fils et de l’Esprit « en actes » c’est-à-dire qu’il cherche dans les Écritures l’action du Père, l’action du Fils et l’action de l’Esprit. Ce faisant, Irénée de Lyon est encore loin de la Trinité conceptuelle, c’est-à-dire d’une réflexion sur « Dieu en soi », mais il traite de ce qu’il est convenu d’appeler la « trinité économique ». En effet à cette époque l’histoire du salut est dite : « économie du salut ». C’est donc une approche toute scripturaire – totalement non philosophique - comme c’était la règle au début du 2ème siècle autant chez les Chrétiens que chez les Juifs. Comme on l’a vu plus haut, Irénée de Lyon croit que « le Verbe et Fils, dès avant toute création était auprès de Dieu, par l’entremise de qui tout a été fait et existe depuis toujours avec le Père ». Le Credo d’Irénée (+180) témoigne de cette approche avec trois articles de foi à égalité : un sur le Père, un sur le Fils et un sur le Saint Esprit – les Trois étant un seul Dieu. Dès la fin du deuxième siècle - 150 ans avant Nicée - il ne manque, en fait, à ce Crédo d’Irénée que la mention : « de la même substance que le Père » pour qu’on ait pratiquement le Crédo de Nicée (+325). Il faudra donc encore 150 ans (!) pour convertir ce vocabulaire scripturaire en vocabulaire conceptuel, mais cette foi chrétienne est déjà complète parce qu'elle confesse simultanément les Trois et le Dieu Unique - même si l'articulation intellectuelle des deux propositions du paradoxe chrétien n'est pas encore conceptualisée. Cette foi trinitaire existe déjà de façon organisée (règle de foi à trois articles) avec un développement maîtrisé - dépassant la simple formulation liturgique, par exemple baptismale - en cette seconde moitié du second siècle. (Voir le spoiler).
- Spoiler:
Le Credo d’Irénée (entre 170 et 202) :
« Et voici la règle de notre foi, le fondement de l’édifice et ce qui donne fermeté à notre conduite : Dieu Père incréé, qui n’est pas contenu, invisible, un Dieu, le créateur de l’univers ; tel [est] le tout premier article de notre foi.
Mais comme deuxième article : le Verbe de Dieu, Fils de Dieu, Christ Jésus Notre Seigneur, qui est apparu aux prophètes selon le genre de leur prophétie et selon l’état des économies du Père ; par qui toute chose a été faite ; qui, en outre à la fin des temps, pour récapituler toute chose s’est fait homme parmi les hommes visible et palpable, pour détruire la mort, faire apparaître la vie et opérer une communion de Dieu et d’homme.
Et comme troisième article : le Saint Esprit par lequel les prophètes ont prophétisé et les Pères ont appris ce qui concerne Dieu et les justes ont été guidés dans la voie de la justice et qui, à la fin des temps a été répandu d’une manière nouvelle sur l’humanité pour renouveler l’homme sur toute la terre en vue de Dieu ». (Démonstration de la prédication apostolique, n° 6 ; SC 62, p. 39-40)
1. Hippolyte de Rome (mort en 185) : Dieu engendre le Verbe comme lumière issue de la lumière, il émit comme Seigneur pour la Création.
« Son Verbe (logos) qu’il tenait en lui-même et qui était invisible au monde créé, il le rend visible. L’énonçant d’abord comme voix et l’engendrant comme lumière issue de la lumière, il émit comme Seigneur pour la Création sa propre Intelligence (noûs), et celle-ci, qui était d’abord visible à lui seul et invisible au mondé créé, il la rend visible, afin que le monde, en le voyant grâce à cette épiphanie, puisse être sauvé. » (Hippolyte de Rome, Contre Noët, 14 citant Mt 28,19)
2. Tertullien (+150 ou 160 à +220) à Carthage va expérimenter plusieurs difficultés de formulation. Mais il va les dépasser en formulant progressivement l’existence éternelle des Trois. Il va réaliser que l’enfantement par Dieu de la Sagesse des Proverbes (Pr 8, 22-31) n’implique pas la temporalité. Voici quelques difficultés de formulation, résolues plus ou moins complètement, par Tertullien :
- La représentation du Fils comme une « émission » de Dieu. Bien que Tertullien prenne le soin d’affirmer que le Fils est une « émission sans séparation du Père » (Texte 1) ce mot d’ « émission » est comprise au contraire comme une séparation et une dégradation dans le système d’émanation-dégradation platonicien. Tertullien va trouver une sorte de solution en reprenant une conception du gnostique Valentin du Plérôme comme plénitude dont la richesse s’épanouit en elle-même – donc un engendrement non à l’extérieur, mais à l’intérieur (sans tomber dans le système gnostique pour autant). Tertulien médite aussi sur l’âme riche de puissances et de facultés intérieures (Texte 2). Cette solution " d'engendrement intérieur " "en Dieu " est plus conforme avec le Prologue de Jean qui que le Verbe est « en Dieu » ou « dans le sein du Père. »
- Tertullien va d’abord nier l’éternité de la Sagesse parce qu’il lui attribue alors une origine. Or « ce qui est né ou fait n’est pas éternel, puisque cela assujetti à une fin de même qu’à un commencement » (Tertullien. Contre Hermogène 7, 2). Pour Tertullien, à cette époque, avoir un commencement est un signe de dépendance dans l’être. Son idée va évoluer avec l’analogie du discours intérieur (Texte 3) : du Verbe et de l’Écriture (Pr 8, 22 et Genèse), puis il va en venir progressivement à l’existence éternelle des Trois, notion qu’il est le premier à formuler – sans pour autant parler de génération éternelle du Fils. Tertullien réalise aussi et c’est important pour notre sujet : le « commencement » dont parlent les Proverbes (Pr 8, 22) n’implique pas la temporalité (Texte 4). Il affirme ensuite à l’existence éternelle du Verbe ce qui contredit directement sa négation initiale de l’éternité de la Sagesse créatrice et Verbe. En effet l’acte de l'intelligence de Dieu (Verbe ou Sagesse), Son intention créatrice et la disposition de Sa bonté sont éternels, c’est-à-dire sans commencement.
Texte 1 : « La véritable émission (probolè), gardienne de l’unité, nous le tenons en disant que le Fils a été proféré hors du Père mais non séparé. Car Dieu a proféré le Verbe (Sermo), ainsi que le Paraclet l’enseigne lui-même, comme la racine (promeut) la branche, et la source le fleuve, et le soleil le rayon ; car ces espèces sont, elle aussi, les « émissions » (probolai) de ces substances d’où elles sortent … mais ni la branche n’est séparée de la racine, ni le fleuve de la source, ni le rayon du soleil, pas d’avantage de Dieu ne l’est le Verbe (Sermo). » (Tertullien, Contre Praxéas 8, 5)
Texte 2 : « D’abord fondé par Dieu (conditium ab eo) pour l’œuvre de pensée sous le nom de Sagesse : « Le Seigneur m’a fondée principe de ses voies » (Pr 8, 22), il est ensuite engendré (dehinc generatus) pour l’œuvre effective : « Quand il ornait le ciel, j’étais près de lui » ; à partir de quoi […] il a été fait fils, Premier-né (primogenitus) en tant qu’il a été engendré avant toutes choses, Fils unique (unigenitus) en tant que seul il a été engendré de Dieu au sens propre (proprie), de la vulve de son cœur (de vulva cordis pisius), comme le Père lui-même l’atteste » (Ps 44, 2)
Texte 3 : « Ainsi le discours est de quelque façon second en toi … Combien plus pleinement en va-t-il de même en Dieu, dont tu es l’image et la ressemblance. Je puis donc préjuger sans témérité que Dieu, même à ce moment-là avant la constitution de l’univers, n’était pas seul : il avait en lui-même la Raison en en elle le Verbe (Sermo) qu’il faisait second à partir de lui-même en l’agitant à l’intérieur de lui-même. » (Contre Praxéas 5, 6-7)
Texte 4 : « La divinité vivante et authentique, ce n’est ni la nouveauté, ni l’ancienneté qui l’établissent, mais la seule vérité. L’éternité ne comporte pas le temps. Elle est même la totalité du temps […] Dieu est aussi étranger au commencement et à la fin qu’au temps, juge et mesure du commencement et de la fin. » (Contre Marcion, I, 8, 2-3)
Texte 5 : « Avant toutes choses Dieu était seul, étant en lui-même à lui seul et monde et lieu et tout. Seul, car en dehors de lui, il n’y avait rien d’autre au dehors. Et cependant il n’était pas seul même à ce moment-là, car il y avait avec lui celui qui est en lui, son Verbe (Ratio). Car Dieu est rationnel (rationalis) » (Contre Praxéas 5, 2)
On voit encore le parti que peuvent tirer les unitariens de ce texte (en rouge) coupé de la seconde phrase. Il faut bien voir que le texte est parfaitement contradictoire « Dieu était seul […] et cependant il n’était pas seul » ce qui constitue bien le paradoxe chrétien – énoncé en tout début de post.
Texte 6 : « La bonté suprême du Créateur qui évidemment n’est pas soudaine, n’est pas le fait d’une stimulation accidentelle et provoquée de l’extérieur, comme si l’on devait en rapporter l’origine au moment où il se mit à créer. Si en effet c’est elle qui a établi le commencement à partir duquel elle se mit à créer, elle n’a pas eu elle-même de commencement, puisqu’elle l’a produit. Sa bonté n’a pas été soumise au temps, étant antérieure au temps, elle qui a créé le temps […] On devra la concevoir éternelle innée en Dieu, perpétuelle, et par là digne de Dieu. » (Contre Marcion II, 3, 3-5)
Tertullien forge plus de 900 nouveaux mots latins en théologie ; il fixe en outre le sens de mots comme « substance » et « personne » dès cette époque.
Au début du troisième siècle existe même le mot " consubstantiel », mais en ce temps de modalisme (qui fusionne le Père, le Fils et l'Esprit en une seule personne) menaçant la foi chrétienne Denys d'Alexandrie en 250 repousse le mot " consubstantiel " (homoousios) pour désigner la nature du Fils par rapport au Père. Il craint que ce terme " consubstantiel " ne signifie une confusion des personnes divines - comme dans la doctrine de Sabellius (modalisme) condamné en 220. Le pape Denys d’Alexandrie va ensuite craindre aussi avec la définition des « hypostases ». Ce mouvement de balancier de la doctrine de l’Eglise catholique frayant son chemin entre des hérésies opposées pour construire une position moyenne - est typique, encore, du paradoxe chrétien : " confusion des personnes " : non, ou " séparation des personnes " : non, alors " union sans confusion, ni séparation " : oui.
- Spoiler:
Denys d'Alexandrie a, par contre, insisté sur la distinction des hypostases divines de la Trinité imprécisément définie il est vrai avec une terminologie non fixée. Le pape Denys a alors craint une trop grande distinction des hypostases, ce qui a donné la " querelle des deux Denys ". Sans cette imprécision de langage génératrice de confusion et de querelles, le dogme de la Trinité aurait pu - très théoriquement - être défini en 250, soit avec 85 ans d'avance entre prenant : 1. Ce que Denys d'Alexandrie a promuu : les « hypostases » ET AUSSI 2. Ce qu'il avait lui-même refusé : " homoousios " !
Ironique : le vocabulaire déjà là, mais la conception d'ensemble n'était pas mûre !
LA GENERATION EN DIEU N’IMPLIQUE PAS LA TEMPORALITE : CONSEQUENCES THEOLOGIQUES
L’abandon de la représentation platonicienne d’une « émission extérieure » du Fils et la suppression de la temporalité – notion encore inconnue du platonisme - suppriment d’un coup toute « dégradation dans l’être », toute « dépendance dans l’être » et toute « origine et succession temporelle» induisant par exemple l’idée d'un Fils venant « après » le Père. Ce virage théologique supprime aussi toute idée de « changement en Dieu » au sens où il y aurait eu - en Dieu - un « avant : sans le Fils » et un « après : avec le Fils ». Bien considéré, ce virage théologique n'est pas un innovation mais une compréhension plus conceptuelle d'un texte comme Pr 8, 22-31 ou du premier chapitre de la Genèse, une vue plus juste sur " Dieu au commencement ", c'est à dire " dans l'éternité ", c'est à dire : " Dieu en soi ". Cette proposition une véritable avancée car elle est plus acceptable à la fois sur le plan scripturaire et sur le plan philosophique. Contrairement à ce que disent les unitariens, il ne s'agit pas d'une trahison ou d'un détournement des Ecritures Saintes, mais- tout au contraire - d'un approfondissement et d'une clarification de leur compréhension.
Tertullien conclut que l’intention créatrice de Dieu – liée fortement à cette époque à la figure du Verbe-Logos, Sagesse et Fils - est : « éternelle innée en Dieu, perpétuelle, et par là digne de Dieu. » (Contre Marcion II, 3, 3-5).
Il faut reconnaître qu'à cette époque la question de l’unité des Personnes est non résolue sur le plan conceptuel – c'est à dire sur le mode philosophique – mais quelle est claire sur le mode scripturaire et dans la confession de foi : le " Dieu unique " est constitutif du paradoxe chrétien - jamais démenti dans l'Eglise catholique. (Textes 5 et 6).
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Re: Histoire du dogme de l'engendrement éternel du Fils
Mon billet sur la confusion de nombreux musulmans sur cette question depuis plus d'un millénaire : http://blogren.over-blog.com/article-fils-engendre-109335035.html
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...S'il me manque l'amour, je suis un métal qui résonne, une cymbale retentissante (1 Cor XIII, 1)
>> Mon blog change d'adresse pour fuir la pub : https://blogrenblog.wordpress.com/ <<
Re: Histoire du dogme de l'engendrement éternel du Fils
J'ajoute vite fait quelques textes d'Origène d'Alexandrie (185 - 254) pertinents pour le sujet.
Origène – comme Tertullien (150 ou 160 à 210) son contemporain – comprend que la Sagesse, identifiée au Fils – bien qu’engendrée du Père - n’a jamais commencé à exister. « Génération » du Fils et « création » sont envisagée conjointement en un Dieu qui est éternellement dans la joie avec la Sagesse, Fils Unique – dans laquelle la création est depuis toujours préfigurée. Le Fils appartient si bien à l’être du Père que nier l’éternité du Fils ferait affront au Père Lui-même (Traité des principes I, 2,3).
Texte 1. « Où l’on dira que Dieu n’a pas pu engendrer cette Sagesse avant qu’il ne l’ait engendrée, de sorte qu’il a mis au monde ensuite ce qui n’existait pas auparavant, ou bien qu’il pouvait, certes, l’engendrer, mais – supposition qu’on ne doit pas faire – qu’il ne le voulait pas. L’une et l’autre hypothèses sont absurdes et impies, cela est clair, qu’on imagine que Dieu ait progressé de l’impuissance à la puissance ou que, pouvant le faire, il ait négligé ou différé d’engendrer la Sagesse. C’est pourquoi nous savons que Dieu est toujours Père de son Fils unique, né de lui, tenant de lui ce qu’il est, sans aucun commencement cependant. » (Traité des principes, I, 2, 2)
Texte 2. « Comment peut-il être dit qu’il fut un moment où le Fils n’aurait pas été ? Cela revient à dire qu’il fut un moment où la Vérité n’aurait pas été, où la Sagesse n’aurait pas été, où la Vie n’aurait pas été, alors que dans tous ces aspects (d’être) est dénombrée parfaitement la substance du Père » (Traité des principes, IV, 4, 1)
Texte 3. « Dieu le Père a toujours été, il a toujours eu un Fils Unique qui est appelé en même temps Sagesse […] Cette Sagesse est celle qui faisait toujours la joie de Dieu quand il eut achevé le monde, pour que nous comprenions par là que Dieu toujours se réjouit. Dans cette Sagesse, qui était toujours auprès du Père, la création était toujours présente en tant que décrite et formée et il n’avait jamais eu de moment où la préfiguration de ce qui allait être ne se trouvait pas dans la Sagesse » (Traité des Principes I, 4, 3).
Texte 4. « Si « tout ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement » (Jn 5,19), puisque le Fils fait tout comme le Père, l’image du Père est formée dans le Fils (deformatur in filio) qui assurément est né de lui comme une volonté de lui, procédant de l’intelligence (velut quaedam voluntas eius ex mente procedens) […]. C’est ainsi que l’être subsistant du Fils est engendré par lui ». (Traité des Principes I, 2, 6).
Texte 5. « Si le Sauveur est sans cesse engendré par le Père [...], de même, toi aussi, si tu possèdes l’Esprit d’adoption ...
Bien entendu, Origène sera calomnié par les unitariens qui l’ont accusé d’avoir dit qu’il « y eu un temps où le Fils n’a pas été ».
Texte 6. « Comment peut-il être dit qu’il fut un moment le Fils n’aurait pas été ? Cela revient à dire qu’il fut un moment où le Vérité n’aurait pas été, où la Sagesse n’aurait pas été, où la Vie n’aurait pas été, alors que dans tous ces aspects (d’être) est dénombrée parfaitement la substance du Père. » (Traité des principes IV, 4,1).
Ce passage nous a été conservé par Athanase (mort en 373) qui nous donne le texte grec de la phrase : « il y eu [un temps] où il n’était pas ». Celle-ci sera utilisée par la controverse arienne (Athanase. Sur les décrets du Concile de Nicée 27 1-2).
Finalement, Origène va se positionner contre les monoarchianistes et les unitariens.
CONCLUSION
Tous ces textes attestent du fait que la notion d'engendrement éternel du Fils [et Sagesse] est acquise dès le milieu du 3ème siècle - ce qui fait qu'il n'y a ni antériorité, ni supériorité du Père par rapport au Fils. Ceci ouvre la voie à la définition verse la Trinité consubstantielle au Concile de Nicée en 325, environ 80 ans plus tard. Origène en est arrivé non seulement à l’idée que le Fils est engendré « depuis toujours », mais encore qu’il est « sans cesse engendré ». Par ailleurs la Sagesse, c'est à dire le Verbe et le Fils est mis en relation avec la substance du Père et en quelque sorte les " aspects " de Dieu - ce qui est déjà une ébauche d’énoncé, certes maladroit, sur ce que sera beaucoup plus tard la Trinité.
Origène – comme Tertullien (150 ou 160 à 210) son contemporain – comprend que la Sagesse, identifiée au Fils – bien qu’engendrée du Père - n’a jamais commencé à exister. « Génération » du Fils et « création » sont envisagée conjointement en un Dieu qui est éternellement dans la joie avec la Sagesse, Fils Unique – dans laquelle la création est depuis toujours préfigurée. Le Fils appartient si bien à l’être du Père que nier l’éternité du Fils ferait affront au Père Lui-même (Traité des principes I, 2,3).
Texte 1. « Où l’on dira que Dieu n’a pas pu engendrer cette Sagesse avant qu’il ne l’ait engendrée, de sorte qu’il a mis au monde ensuite ce qui n’existait pas auparavant, ou bien qu’il pouvait, certes, l’engendrer, mais – supposition qu’on ne doit pas faire – qu’il ne le voulait pas. L’une et l’autre hypothèses sont absurdes et impies, cela est clair, qu’on imagine que Dieu ait progressé de l’impuissance à la puissance ou que, pouvant le faire, il ait négligé ou différé d’engendrer la Sagesse. C’est pourquoi nous savons que Dieu est toujours Père de son Fils unique, né de lui, tenant de lui ce qu’il est, sans aucun commencement cependant. » (Traité des principes, I, 2, 2)
Texte 2. « Comment peut-il être dit qu’il fut un moment où le Fils n’aurait pas été ? Cela revient à dire qu’il fut un moment où la Vérité n’aurait pas été, où la Sagesse n’aurait pas été, où la Vie n’aurait pas été, alors que dans tous ces aspects (d’être) est dénombrée parfaitement la substance du Père » (Traité des principes, IV, 4, 1)
Texte 3. « Dieu le Père a toujours été, il a toujours eu un Fils Unique qui est appelé en même temps Sagesse […] Cette Sagesse est celle qui faisait toujours la joie de Dieu quand il eut achevé le monde, pour que nous comprenions par là que Dieu toujours se réjouit. Dans cette Sagesse, qui était toujours auprès du Père, la création était toujours présente en tant que décrite et formée et il n’avait jamais eu de moment où la préfiguration de ce qui allait être ne se trouvait pas dans la Sagesse » (Traité des Principes I, 4, 3).
Texte 4. « Si « tout ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement » (Jn 5,19), puisque le Fils fait tout comme le Père, l’image du Père est formée dans le Fils (deformatur in filio) qui assurément est né de lui comme une volonté de lui, procédant de l’intelligence (velut quaedam voluntas eius ex mente procedens) […]. C’est ainsi que l’être subsistant du Fils est engendré par lui ». (Traité des Principes I, 2, 6).
Texte 5. « Si le Sauveur est sans cesse engendré par le Père [...], de même, toi aussi, si tu possèdes l’Esprit d’adoption ...
(pas fini !)
Bien entendu, Origène sera calomnié par les unitariens qui l’ont accusé d’avoir dit qu’il « y eu un temps où le Fils n’a pas été ».
Texte 6. « Comment peut-il être dit qu’il fut un moment le Fils n’aurait pas été ? Cela revient à dire qu’il fut un moment où le Vérité n’aurait pas été, où la Sagesse n’aurait pas été, où la Vie n’aurait pas été, alors que dans tous ces aspects (d’être) est dénombrée parfaitement la substance du Père. » (Traité des principes IV, 4,1).
Ce passage nous a été conservé par Athanase (mort en 373) qui nous donne le texte grec de la phrase : « il y eu [un temps] où il n’était pas ». Celle-ci sera utilisée par la controverse arienne (Athanase. Sur les décrets du Concile de Nicée 27 1-2).
Finalement, Origène va se positionner contre les monoarchianistes et les unitariens.
CONCLUSION
Tous ces textes attestent du fait que la notion d'engendrement éternel du Fils [et Sagesse] est acquise dès le milieu du 3ème siècle - ce qui fait qu'il n'y a ni antériorité, ni supériorité du Père par rapport au Fils. Ceci ouvre la voie à la définition verse la Trinité consubstantielle au Concile de Nicée en 325, environ 80 ans plus tard. Origène en est arrivé non seulement à l’idée que le Fils est engendré « depuis toujours », mais encore qu’il est « sans cesse engendré ». Par ailleurs la Sagesse, c'est à dire le Verbe et le Fils est mis en relation avec la substance du Père et en quelque sorte les " aspects " de Dieu - ce qui est déjà une ébauche d’énoncé, certes maladroit, sur ce que sera beaucoup plus tard la Trinité.
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