Lettre du Conseil Théologique musulmans de France à la Conférence des évêques de France.
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Lettre du Conseil Théologique musulmans de France à la Conférence des évêques de France.
Lettre du Conseil Théologique musulmans de France à la Conférence des évêques de France.
Messieurs,
Le livret que vous venez de publier, intitulé Dans un monde qui change retrouver le sens du politique, est sans conteste un plaidoyer pour le vivre-ensemble, comme il n’y en a pas eu ces dernières années. Soyez-en remerciés, au nom de Dieu, de Ses Créatures, croyantes et non-croyantes, et de la France, notre bien commun à tous. Le ton solennel que vous y employez correspond bien à la gravité de la situation et au climat de tension qui prévaut dans le pays et dans le monde aujourd’hui.
Nous souhaitons donc, en tant qu’institution religieuse musulmane française, apporter tout notre soutien à cette initiative qui, incontestablement, tombe à pic : la France, notre bateau commun, traverse une des périodes les plus difficiles et les plus délicates de son histoire.
- suite:
Les peurs les plus profondes, les incertitudes les plus criantes et les vicissitudes de la vie de plus en plus insaisissables font que les franges les plus fragiles de notre société, mais pas seulement, sont de plus en plus tentées par le repli sur soi, la méfiance et, par ricochet, le rejet de l’autre qui n’est autre que notre prolongation - comme nous l’enseignent nos traditions religieuses respectives. La violence du monde actuel y est, c’est établi, pour beaucoup. En effet, les différents conflits dans le monde, qui ne sont plus circonscrits dans un espace géographique précis, mais s’exportent – triste et macabre commerce – jusque dans les contrées les plus lointaines, créent de la méfiance, installent le soupçon et poussent à douter des intentions des voisins, voire des plus proches parents. Et ce n’est pas la France, victime à cinq reprises d’attentats terroristes d’une violence inouïe, plus de 250 morts, en moins de deux ans, et des centaines de blessés, qui fera figure d’exception dans cet océan de malheurs.
Ces sentiments et cet état d’esprit et de fait ne doivent nullement être balayés d’un revers de main. Ce serait une erreur fatale, un écueil gravissime dans lequel vous n’êtes pas tombés. D’autant plus que certains jouent à les attiser à des fins, semble-t-il, purement électoralistes. Une écoute active, couplée d’une parole d’apaisement, s’imposait. Et c’est ce que vous avez su faire, avec intelligence et responsabilité, à travers votre livret.
Plus que jamais notre pays a besoin de magnifier l’unité de ses enfants pour faire face à cette adversité meurtrière et mortifère qui vole la vie à notre jeunesse et fait prévariquer certains de nos responsables politiques.
Vous avez eu raison de faire comprendre que jamais nous ne pouvons remporter la guerre de la vie contre la mort, de l’amour contre la haine en nous divisant. Rappeler cette réalité, pourtant si triviale, en ces temps troubles, est une obligation qui incombe autant aux femmes et hommes de foi que nous sommes qu’à toutes les consciences susceptibles d’être entendues par les autres.
La vie est faite d’éléments antinomiques, la présence de l’un étant synonyme d’absence pour l’autre. Division et union, amour et haine sont de cet acabit dichotomique. Ne nous y trompons pas. Notre pays ne peut se remettre des assassinats lâches et inhumains de nos concitoyens en prenant pour boucs-émissaires les musulmans français.
Raison pour laquelle, nous vous exprimons avec la plus grande sincérité et avec émotion notre gratitude quant aux positions fermes et courageuses que vous avez prises dans votre écrit contre la stigmatisation de vos concitoyens de confession musulmane. Notre amour pour notre patrie exige de notre part, à nous religieux, de savoir prendre la parole pour nommer les choses par leurs noms et proposer ce que nous pensons être un remède aux maux qui frappent notre société.
Aujourd’hui, les statistiques semblent indiquer une baisse sensible des actes antimusulmans déclarés, dans notre pays. Ce serait la victoire de la conjugaison des efforts des gens de bonne volonté, comme vous, et d’autres hommes et femmes soucieux du devenir de notre pays et de ses idéaux.
La responsabilité, l’amitié, la retenue et l’humanité dont vous avez su faire montre quand le père Hammel a été injustement et lâchement assassiné ont honoré l’institution ecclésiastique française, dans son ensemble. Mieux que cela, elles ont envoyé un message clair au monde et aux assassins qui pensent faire vaciller notre peuple : ils ne parviendront pas à nous diviser.
Mais, du vivre-ensemble, nous devons passer au faire-ensemble. La participation massive des français musulmans aux différentes messes organisées partout en France à la mémoire de ce prélat, martyre d’une sauvagerie abominable, qui tue indistinctement, a été un premier pas qui doit être encouragé et continué. Cassons définitivement les cloisons qui nous séparent. Nos dogmes sont certes différents, mais il y a tellement de points qui nous unissent qu’il suffirait d’en mettre quelques-uns en application pour triompher définitivement des oppositions que souvent l’histoire des hommes a mises entre nous pour nous opposer.
Pour cela, nous devons magnifier la miséricorde, la paix, la fraternité, les chanter, les enseigner, les vivre, y appeler constamment. La paix et la sécurité ne sont jamais définitivement acquises. Ce sont des objectifs qui ne peuvent jamais entièrement s’atteindre sur terre, car bien qu’ayant une part du bien en lui, l’homme fait souvent usage de la part du mal qui l’habite. Le combat pour la paix, le vivre-ensemble et la fraternité est de tous les instants.
D’autant que les menaces se multiplient de jour en jour dans notre monde villagisé. La crise syrienne montre combien certains humains par leur incurie et d’autres par leur sauvagerie manquent d’humanité. Que dire du traitement des migrants, dont on parle, parfois, avec les mots les plus désobligeants ? L’homme est un éternel voyageur, faut-il le rappeler ? Parfois, il voyage de son gré, parfois, voire souvent hélas, contre sa volonté. Pour sauver sa vie ou pour la gagner, il peut se trouver contraint de quitter, non sans regrets, sa patrie, sa demeure, les siens, bravant les dangers les plus graves.
La Bible, la Torah et le Coran, comme toutes les morales du monde, ont toujours enseigné de prendre en charge, celui que les saintes écritures musulmanes appellent le « fils du chemin », le voyageur, l’exilé, le refoulé. Ne perdons pas la face en en faisant un numéro. Quand l’édile d’une grande commune de notre pays fait placarder des panneaux dans sa ville avertissant de l’invasion des migrants, leur collant tous les sobriquets les plus nauséabonds, toutes les femmes et tous les hommes de bonne volonté, qu’ils soient de foi ou non, doivent se sentir touchés dans leur for intérieur et surtout se rendre compte qu’au lieu de baisser les bras, c’est le moment de retrousser leurs manches et de mobiliser leur intellect pour résister à cette idéologie de haine qui gagne insidieusement les plus fragiles parmi les nôtres.
Quiconque suit avec attention les déclarations belliqueuses des états-majors russes et américains, ces dernières semaines, sait que nous sommes probablement à la veille d’un conflit militaire mondial sans précédent. Nous devons tous prendre notre bâton de pèlerin pour promouvoir la paix. Refusons la fatalité de la guerre et des dictatures et exaltons la culture de la justice, du partage et de la fraternité.
La tâche est ardue, tant les ménestrels de la division, de la stigmatisation et du rejet de l’autre sont nombreux. Une seule main ne peut jamais applaudir. Nous devons conjuguer nos efforts pour unir ceux qu’ils veulent désunir, rassurer ceux qu’ils veulent ahurir, mettre de la complexité là où ils veulent imposer la culture du simplisme.
Musulman de France, convaincu de l’urgence de la situation, est prêt à se joindre à toute initiative qui ira dans ce sens.
Par ailleurs, comme vous le savez, la laïcité, ce patrimoine commun à tous les Français, a été conçue et mise en place non seulement pour que personne ne soit au-dessus des lois de la République, mais aussi et surtout pour qu’aucun citoyen ne soit victime d’ostracisme ou de traitement différencié en raison de ses croyances ou de son idéologie. Elle est venue, vous le savez mieux que quiconque, mettre un terme à un océan d’injustices et à des siècles de guerres qui ont endeuillé et entaché notre pays et son histoire. Elle n’a jamais eu vocation à lutter contre les religions, ni à régenter la manière de s’accoutrer des Français.
Aujourd’hui, elle est invoquée tantôt pour ceci, tantôt pour cela, loin des nobles desseins susdits.
La vigilance et l’engagement contre la déformation et la transformation de ce patrimoine, que nous nous devons de protéger, en un instrument anti-religion s’imposent à toutes les bonnes volontés, qu’elles soient ou non croyantes. La laïcité est trop chère à notre pays pour la laisser devenir un enjeu électoral comme un autre. Veillons à ce qu’elle ne soit ni transformée, ni défigurée. Ce serait un coup fatal porté à la stabilité et au vivre-ensemble.
Nous avons devant nous, vous en conviendrez, un énorme chantier qui consistera, comme toujours, à chercher à réconcilier les coeurs et les esprits. Votre écrit est un très grand pas vers cette auguste mission, c’est indéniable. Mais, il serait naïf de notre part de penser que tout seul il peut avoir raison de cette hécatombe morale et philosophique. Jetons les bases des états-généraux du vivre-ensemble hic et nunc. Nous ne pouvons plus attendre.
Le Conseil Théologique musulmans de France
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Idriss- Messages : 7124
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Re: Lettre du Conseil Théologique musulmans de France à la Conférence des évêques de France.
« Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique » : conclusion
l y a de la tristesse dans notre pays aujourd’hui. Tristesse de se voir ainsi, et de ne pas arriver à se rassembler pour l’élan dont il est capable, alors même que les épreuves et les incertitudes demandent que nous nous retrouvions. Il y aussi le risque de ne plus voir notre vie en société que négativement, oubliant combien nous avons de la chance de vivre dans ce pays, et que beaucoup envient nos conditions de vie. Allons-nous continuer à nous désoler, à nous opposer, à ne plus croire à nos capacités, mais aussi à ne plus voir tout ce qui, le plus souvent silencieusement, fait de manière bonne et heureuse la vie de ce pays : le travail bien fait, la disponibilité auprès de ceux qui souffrent, la vie de famille…? Il y a beaucoup de richesse cachée dans les cœurs, et de l’espoir qui vient de l’action de beaucoup. Et pour nous chrétiens, il y a l’invincible espérance que nous donne le Christ d’une lumière qui l’emporte sur toutes les obscurités.
- suite:
Alors, allons-nous encore laisser passer les années sans nous situer à hauteur des enjeux de responsabilité et de sens que la vie en commun nécessite ? Sommes-nous prêts à regarder les choses en face et à en tirer toutes les conséquences pour nos conduites personnelles et collectives ? Chacun, à son niveau, est responsable de la vie et de l’avenir de notre société. Cela demandera toujours courage et audace. Des qualités qui n’ont jamais déserté le cœur de notre pays.
Ces quelques réflexions qui sont loin d’être exhaustives veulent contribuer au débat et appellent à être discutées, prolongées, affinées. A partir de ce texte, nous voudrions vous inviter à prendre la parole, à échanger avec d’autres, y compris non-chrétiens, sur les enjeux de notre vie en société. Nous pensons que les vraies solutions aux problèmes profonds de notre époque ne viendront pas d’abord de l’économie et de la finance, si importantes soient-elles, ni des postures et gesticulations de quelques uns. Elles viendront de cette écoute personnelle et collective des besoins profonds de l’homme. Et de l’engagement de tous.
http://www.eglise.catholique.fr/actualites/dossiers/elections-2017/428185-conclusion/
http://www.eglise.catholique.fr/actualites/dossiers/elections-2017/428276-monde-change-retrouver-sens-politique-introduction/
Idriss- Messages : 7124
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Re: Lettre du Conseil Théologique musulmans de France à la Conférence des évêques de France.
Si les chrétiens (au moins ceux qui ne sont pas " intégristes " ou " rejetants " en bloc des musulmans) peuvent un peu entendre ce que ressentent les musulmans dans notre société actuelle, c'est pour deux raisons conjuguées et simples : ils ont aussi foi en Dieu et ils ont une mémoire historique du " régime " en place en France depuis la Révolution française. Sans être pessimiste pour autant - ils savent que la situation de " paix " religieuse résulte d'un compromis à l'échelle de l'Etat qui prend en compte des forces hostiles non seulement aux " religions ", mais aussi, de façon plus radicale, hostiles à Dieu - tout court. Ce compromis est " historique " en ce sens qu'il n'est pas nécessairement définitif. Par un brusque revirement comme l'histoire en connaît, il peut tout à fait être remis en cause, un beau matin. Ceci implique donc d'abord une participation active pour le maintien de cette régulation législative en France - le musulman comme le chrétien étant un citoyen français et ceci implique aussi de la " vigilance " : savoir garder les yeux ouverts et ne pas dormir !Ce serait une erreur fatale, un écueil gravissime dans lequel vous n’êtes pas tombés. D’autant plus que certains jouent à les attiser à des fins, semble-t-il, purement électoralistes. Une écoute active, couplée d’une parole d’apaisement, s’imposait. Et c’est ce que vous avez su faire, avec intelligence et responsabilité, à travers votre livret.
Il est salutaire que les musulmans comprennent que la tentative actuelle d'inflexion de la laïcité n'est pas " islamophobe " (pas seulement), elle vient d'un mal " structurel " dans l'équilibre des forces de notre pays. Elle vient de la pression d'une fraction partisane de notre société qui veut simplement éliminer toute expression religieuse, toute référence à Dieu quelqu’en soit la théologie. C'est l'esprit de cette République qui a conduit le " traitement " les catholiques entre en mars 1793 et juillet 1794 et qui a resurgi en 1870 (et en 1936 en Espagne). Si des musulmans sont capables non seulement de défendre leur religion, mais également de défendre une pratique apaisée de la laïcité - celle de 1905 - et non cela qui veut étendre la neutralité religieuse " à tout l'espace public " : ils rendent service à la nation française toute entière.Par ailleurs, comme vous le savez, la laïcité, ce patrimoine commun à tous les Français, a été conçue et mise en place non seulement pour que personne ne soit au-dessus des lois de la République, mais aussi et surtout pour qu’aucun citoyen ne soit victime d’ostracisme ou de traitement différencié en raison de ses croyances ou de son idéologie. Elle est venue, vous le savez mieux que quiconque, mettre un terme à un océan d’injustices et à des siècles de guerres qui ont endeuillé et entaché notre pays et son histoire. Elle n’a jamais eu vocation à lutter contre les religions, ni à régenter la manière de s’accoutrer des Français.
Aujourd’hui, elle est invoquée tantôt pour ceci, tantôt pour cela, loin des nobles desseins susdits.
La vigilance et l’engagement contre la déformation et la transformation de ce patrimoine, que nous nous devons de protéger, en un instrument anti-religion s’imposent à toutes les bonnes volontés, qu’elles soient ou non croyantes. La laïcité est trop chère à notre pays pour la laisser devenir un enjeu électoral comme un autre. Veillons à ce qu’elle ne soit ni transformée, ni défigurée. Ce serait un coup fatal porté à la stabilité et au vivre-ensemble.
Oui, même si notre inventaire ne sera pas sans doute celui des musulmans, l'expression " hécatombe morale et philosophique " me semble bien choisie. Une grande contribution de ces théologiens musulmans dans tous ces domaines est vivement attendue !Nous avons devant nous, vous en conviendrez, un énorme chantier qui consistera, comme toujours, à chercher à réconcilier les coeurs et les esprits. Votre écrit est un très grand pas vers cette auguste mission, c’est indéniable. Mais, il serait naïf de notre part de penser que tout seul il peut avoir raison de cette hécatombe morale et philosophique. Jetons les bases des états-généraux du vivre-ensemble hic et nunc. Nous ne pouvons plus attendre
Dernière édition par Roque le Mar 1 Nov - 21:18, édité 1 fois
Roque- Messages : 5064
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Date d'inscription : 15/02/2011
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Localisation : Paris
Re: Lettre du Conseil Théologique musulmans de France à la Conférence des évêques de France.
Sur mon blog, ma proposition de lecture croisée des textes du Conseil des Evêques de France et du Conseil Théologique Musulman de France (je n'ai pris que quelques points, pour ne pas être trop long, l'idée étant de permettre à des musulmans comme à des catholiques de prendre connaissance des deux textes) :
https://blogrenblog.wordpress.com/2016/11/01/retrouver-le-sens-du-politique/
https://blogrenblog.wordpress.com/2016/11/01/retrouver-le-sens-du-politique/
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>> Mon blog change d'adresse pour fuir la pub : https://blogrenblog.wordpress.com/ <<
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