Qui étaient vraiment les chrétiens cachés du Japon ?
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Qui étaient vraiment les chrétiens cachés du Japon ?
Qui étaient vraiment les chrétiens cachés du Japon ?
Propos recueillis par Bénédicte Lutaud - publié le 17/01/2017
Le Monde des Religions a écrit:Silence, le nouveau film de Martin Scorsese, raconte le périple de deux jésuites dans le Japon du XVIIe siècle où le christianisme était interdit. L’historienne Nathalie Kouamé* explique comment, malgré les persécutions, les « chrétiens cachés » japonais ont persisté durant plus de 250 ans à pratiquer leur foi dans le plus grand secret.
Après l’évangélisation du Japon par François Xavier à partir de 1549, qu’est-ce qui va conduire les autorités japonaises à interdire le christianisme ?
L’unification du Japon, dès les années 1560, marque un tournant : le général Toyotomi Hideyoshi s’en prend pour la première fois au christianisme à l’échelle nationale. À partir du shogunat (dynastie) des Tokugawa en 1603, la politique de déchristianisation va de pair avec la politique de fermeture. Le Japon souhaite maîtriser ses rapports avec l’extérieur. Les maladresses des missionnaires arrogants vont jouer en leur défaveur : l’achat d’esclaves japonais par des marchands portugais liés à la communauté des jésuites, ou la destruction, par les jésuites, de temples bouddhiques et de sanctuaires shinto. Le christianisme reste perçu comme une religion étrangère et les autorités japonaises se méfient de l’impérialisme occidental de l’époque. L’édit de proscription du christianisme de 1614 accuse ainsi la « clique des chrétiens » de vouloir « renverser le gouvernement de notre pays ».
Avec la dynastie des Tokugawa, commence une vraie période de persécution…
C’est une grande première au Japon. D’ordinaire, c’est au contraire le pays du syncrétisme et du pluralisme. À partir des années 1660, chaque Japonais doit s’inscrire dans un temple bouddhique et circuler avec un passeport attestant cette inscription. On généralise la cérémonie des fumie : les Japonais doivent piétiner des images de la Vierge Marie ou du Christ. La délation est encouragée, on multiplie les enquêtes. La grande majorité des chrétiens apostasie, mais on parle de quelques milliers à quelques dizaines de milliers de victimes exécutées.
Malgré les persécutions, des communautés chrétiennes subsistent en secret. Comment font-elles pour pratiquer leur foi et la transmettre aux générations suivantes ?
Dans les années 1680, il n’y a plus que des chrétiens cachés. Selon moi, dans certains endroits, les autorités ont dû fermer les yeux : ce sont les paysans qui géraient l’administration, et ils connaissaient bien, de l’intérieur, les villages. Ce qui rassemble ces cryptochrétiens, c’est la souscription complète à la religiosité officielle de l’époque. Jusqu’à la fin, ils vont même piétiner les fameux fumie. Ils se présentent comme de bons bouddhistes : c’est ce qui les sauve. Lors des funérailles bouddhiques, les chrétiens cachés se prêtent au jeu, mais détournent la cérémonie : ils font venir le moine qui récite des sutras, mais une fois celui-ci parti, ils récitent des prières de pénitence. Ils vénèrent des statues bouddhiques, mais en dévient le sens. C’est le cas des statuettes de Maria Kannon, la Vierge Marie prenant les traits de Kannon, un être de compassion du bouddhisme, très vénéré en Chine et au Japon sous la forme d’une divinité féminine. Tout se fait par transmission orale : le credo, les prières. Il existe des chefs de communauté, et des fonctions spécifiques comme celle du « baptiseur » : tous sont laïcs, car il n’y a plus de prêtres japonais depuis 1644. Le baptême est le seul sacrement qui subsiste.
De quelle manière cet impératif de discrétion, mais aussi le syncrétisme
de la culture japonaise, vont-ils faire évoluer leur interprétation du christianisme ?
Le culte des chrétiens cachés a été transmis oralement. Pourtant, un texte fondé sur la Bible et la tradition chrétienne populaire, daté du début du XIXe siècle, a été retrouvé : Les Commencements du Ciel et de la Terre. Il a été remis au prêtre français Bernard Petitjean, des Missions étrangères de Paris, qui découvrit les chrétiens cachés du Japon en 1865. Au bout de presque 200 ans de proscription, ce texte est resté assez fidèle à la Bible ! Mais la transmission orale et le syncrétisme ont parfois réinterprété la doctrine chrétienne. Dans l’une des versions de ce texte, la Vierge Marie est ainsi le Saint-Esprit de la Trinité. Leur religion va se mêler au bouddhisme, au shinto et aux religions populaires.
Ce n’est qu’après la réouverture du Japon que les Européens découvrent, en 1865, ces « chrétiens cachés ». Comment cela s’est-il déroulé ?
En 1854, la réouverture du Japon est actée, ainsi qu’une certaine permissivité à l’égard du christianisme, même si la proscription reste de mise jusqu’en 1873. Dans ce contexte, en 1865, les catholiques érigent une église à Nagasaki, la seule cité chrétienne qui ait jamais existé dans l’histoire du Japon, lors de l’âge d’or du « siècle chrétien ». Le père Petitjean en a la charge. Un jour, des chrétiens cachés viennent s’adresser à lui dans l’église : « Notre cœur ne diffère point du vôtre. » Dans d’autres lettres, il racontera que ces Japonais lui ont demandé où était la statue de Marie. C’est ainsi qu’il découvre ce qu’on appellera plus tard les « chrétiens cachés ».
Aujourd’hui, deux communautés coexistent au Japon : les chrétiens de l’Église « officielle », et les « chrétiens cachés », qui n’ont plus grand chose en commun. Que s’est-il passé ?
Quand les missionnaires découvrent les « chrétiens cachés » au XIX e siècle, ils s’aperçoivent que ces derniers n’ont plus tout à fait les mêmes rites qu’autrefois. De tous ces chrétiens cachés (60 000 dit-on, même si cela me paraît beaucoup), la moitié accepte pourtant de réintégrer l’Église catholique. L’autre refuse. Beaucoup souhaitent rester fidèles au culte de leurs ancêtres. En outre, nous sommes encore en période de proscription, et ils ont peur de se découvrir. Et pour cause : en 1867, deux ans après la découverte par Petitjean, survient une nouvelle vague de persécutions de sept ans. Aujourd’hui, les kakure-kirishitan (« chrétiens cachés ») sont moins de 1500 sur 126 millions d’habitants ; ils se désignent eux-mêmes par le terme de furu-kirishitan, ce qui signifie « anciens chrétiens ». Leur pratique est devenue une religion à part entière, avec des racines chrétiennes, mais aussi de fortes connotations shinto et bouddhiques. Jusqu’à aujourd’hui, cette religion n’a cessé d’évoluer, sous l’influence, par exemple, des festivités du Nouvel an (qui viennent en partie du shinto) et de la fête bouddhique des morts : O-bon. Elle se modifie aussi par le culte des martyrs. L’île de Nakae no shima, où l’on exécutait des chrétiens autrefois, est devenue un lieu de vénération où l’on va chercher l’eau bénite pour les baptêmes. Actuellement, les kakure-kirishitan sont en voie de disparition : la communauté est très âgée, et dans le contexte de la sécularisation du Japon, il n’y a plus de renouvellement.
(*) Historienne spécialiste du Japon, Nathalie Kouamé est professeur à l’université Paris-Diderot. Elle vient de publier Le Christianisme à l’épreuve du Japon médiéval ou les vicissitudes de la première mondialisation (1549-1569) [Karthala, 2016].
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