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Le nominalisme de Guillaume d’Ockham et le christianisme

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Le nominalisme de Guillaume d’Ockham et le christianisme Empty Le nominalisme de Guillaume d’Ockham et le christianisme

Message  Roque Ven 24 Juil - 13:30

Guillaume d’Ockham est d’abord un logicien, un philosophe. C’est aussi un franciscain en lutte avec le pouvoir du pape et la puissance des hauts ecclésiastiques. Si sa philosophie n’a jamais été condamnée par le Vatican, il est cependant en semi-liberté à Avignon où il est convoqué par le pape Jean XXII pour s'expliquer sur ses thèses. Il fuit et va demander protection au prince Louis de Bavière à Munich en compagnie de Michel de Céséne, général des franciscains. Tous deux seront excommuniés pour leur participation du mouvement des franciscains défendant leur vœu de pauvreté et refusant le " droit de propriété " sur leurs biens que veut leur imposer le pape.


A. Le nominalisme de Guillaume d’Ockham (1285 - 1349)


Les universaux

Pour comprendre, Guillaume d’Ockham, il faut d’abord se pencher sur la « querelle des universaux ». Celle-ci surgit d’un problème intemporel : la valeur des déterminations que l'esprit impose aux choses. « Il s'agit de comprendre comment les termes et les énoncés, éléments de tout savoir, renvoient aux choses réelles ».

Les « universaux », donc, sont les concepts universels et abstraits, comme genre, espèce, humanité, animal, beauté, nature, etc … Très schématiquement, est « réaliste » celui qui défend l’existence des « universaux » hors de l'intellect et est « nominaliste » celui pour qui les « universaux » sont de simples mots, c’est-à-dire des unités de signification, sans être pour autant des unités réelles. Abélard (1079 – 1142) affirmait déjà, avant Guillaume d’Ockham, que les universaux sont des signes du réel, non le réel lui-même.

Guillaume d’Ockham critique très efficacement les thèses des « réalistes ». Pour couper court aux développements logiques assez complexes de Guillaume d’Ockham (1, pages 22 et 23), prenons un exemple concret. Dans la vision « réaliste » aristotélicienne, le concept « d’humanité » (universel) serait réellement présent à la fois dans chaque homme et réellement présent hors de tout homme, hors de l'esprit, en Dieu par exemple, comme une chose réelle, à l'image des Formes du monde intelligible de Platon. C’est donc à partir de celle-ci que tout homme prendrait sa matière et sa forme, donc sa « substance ».

Avec le recul du temps et l’avancée des sciences, la question devient plus claire : il s’avère que cette « humanité » dans son principe est réellement inscrite non « dans l'universel des idées », mais au niveau singulier : en chaque homme. C’est l’ADN (2). C’est donc Guillaume d’Ockham qui a eu finalement raison et c’est à bon droit qu’il récuse le réalisme et la réalité substantielle des universaux - même si c'était sur des arguments et dans un contexte totalement différents de l'époque actuelle :
« Guillaume d'Ockham défend une philosophie nominaliste pour laquelle les Universaux (concepts universels et abstraits comme humanité, animal, beauté…), ne sont que des mots, des termes conventionnels, des représentations dont il récuse le réalisme, la réalité substantielle. Pour lui, la connaissance s'appuie sur les choses sensibles et singulières, l'utilisation des universaux de la métaphysique est nécessaire en sémiologie [science des signes], mais aucunement en ontologie. Les universaux sont de simples mots pour permettre à la pensée de se constituer » (1).
Initialement très hostile à la pensée de Guillaume d’Ockham par ce qu’en disaient les commentateurs chrétiens, je suis bien obligé de reconnaître le caractère juste et révolutionnaire de sa pensée. Je reprends ici quelques citations du Mémoire de Master 2 de Yann KERGUNTEUIL à l’Université catholique de Lyon (2006) qui est mon unique initiation à la pensée de Guillaume d’Ockham (1). Guillaume d’Ockham est donc un authentique novateur :
« Le nominalisme est la destruction de l'ontologie d'Aristote. Encore qu'Occam personnellement n'ait pas entendu la prendre pour cible, qu'il tire argument d'Aristote contre le « réalisme » extrême, il ruine sa philosophie, sa politique et son droit (p. 8) » (1)
« La révolution ockhamienne consiste donc à établir un parallèle entre le langage et la pensée via le concept de signe : le langage articule les signes linguistiques comme la pensée articule les signes mentaux, à la simple différence que le langage relève de la convention quand la pensée est naturelle. Cette sémiologie permet à Ockham de dissocier sémiologie de l'esprit et ontologie (p. 19) » : (1)


Les singuliers

Mais cette querelle du Moyen Age comporte, en réalité, deux problèmes : le statut des universaux et le principe d'individuation des singuliers. La sémiologie [science des signes] de Guillaume d’Ockham nous enseigne que les universaux n'ont pas d'existence ontologique, mais logique (relevant de la séméïologie).

Pour lui, n'existent, par conséquent, que des singuliers et même le concept de « relation » (universel) est dépourvu de « réalité substantielle ».
« Dans le nominalisme, la « relation » est un universel sans « réalité substantielle ». Par exemple, être père est une relation sans aucune forme de réalité, son existence est uniquement sémiologique. Dieu pourrait donc accorder la paternité à quelqu'un qui n'est pas père. Grâce à la distinction du langage et de l'ontologie, la parentalité se révèle être, comme la chevalité ou l'humanité, un signe mental qui laisse inchangée la nature singulière de l'étant. L'ordre naturel n'est pas une entité collective, il est la visée conceptuelle d'une collection de singularités. (p. ) » (1)
Or ces deux affirmations de Guillaume d’Ockham : « tout est singulier » + le « concept de relation n’est pas en soi une réalité » créent un nouveau problème. Guillaume d’Ockham doit montrer – au-delà de sa critique du cosmos aristotélicien ou de Moyen Age chrétien,  qu’il parvient à initier une vision cohérente du monde.

En effet :

Toutes les sortes de « réalisme » s'accordaient à mettre dans les individus une nature en quelque façon universelle, mais qu’en est-il du « nominalisme » pour lequel le concept universel de « nature » n’a pas de réalité substantielle ?

L'unité du « réalisme » tenait également à ses implications politiques. En la modifiant légèrement, la chrétienté a adopté l’intuition aristotélicienne que le monde est tout ordonné et hiérarchisé. Toute la société médiévale s’est construite autour du Logos créateur, pourvoyeur de raison, d’unité et d’Alliance avec Dieu, mais qu’en est-il du « nominalisme » pour lequel les concepts de « genre », « d’espèce », de « peuple » ou même de « relation » n’ont pas de réalité substantielle ?

Si l’individu, le singulier est le seul réel, par lui-même, sans aucun référant que lui-même, la parole est livrée à l’équivoque – y compris la « parole de Dieu » qui se destine à des singuliers, non à une communauté. Cette singularité absolue de chaque individu entraîne une crise de la signification, une crise du sens total, une crise morale et du droit ... et une dissolution du lien politique. Les hommes ont beau construire ensemble une tour, ils ne se comprennent plus … Toute l’entreprise est vouée à la ruine (Cf. la Tour de Babel). La source du sens n’est plus unique mais multiple.
La rupture du lien théo-onto-logique

Le pari fondamental de tout le Moyen Age avait été de construire la majestueuse « cathédrale » de la catholicité [universalité] du Logos. L’ensemble du paysage médiéval est éclairé par l’idéal d’une Raison s’élargissant aux dimensions de la foi et d’une foi se mettant en lumière par la raison. Dans un tel univers, nos idées ne peuvent pas ne pas être en alliance avec les Idées divines.

En alliance. C’est-à-dire dans l’étreinte de l’être et du connaître, de la subjectivité et de l’objectivité, de la foi et de la raison, de l’horizontalité et de la verticalité, du verbe de l’homme et du verbe de Dieu. Lorsque le symbole peut encore parler très fort. Lorsque le monde ne cesse de chanter la gloire de Dieu.

La crise nominaliste est au fond une crise de l’Alliance. Sans doute quelque chose comme une crise d’adolescence. L’homme révélé divin par grâce veut désormais se savoir divin par lui-même. Le theos doit donc le céder à l’anthropos. Il n’y a plus que l’homme à être détenteur et responsable du sens ! En schizoïdie... (3)
Guillaume d’Ockham a sans doute pressenti la difficulté. Mais il va parvenir à nouer tous ces « singuliers » - en quelque sorte éparpillés - dans un tout à nouveau cohérent grâce à ses conceptions originales de la création et de la toute-puissance de Dieu.

Guillaume d’Ockham est moine et réagit en théologien. En théologien, il recourt donc au divin pour rendre cohérente sa conception de l'individu. Le paradoxe est que le système ockhamien, berceau de l'individu moderne vivant en un monde désenchanté, trouve son origine dans une réflexion théologique. Guillaume d’Ockham trouve donc avec « Dieu » une sorte de « clé universelle » qui lui permet de combler les vides et contradictions (1, pages 33-34) créés par sa destruction de la conception ancienne. Mais son entreprise est un peu acrobatique comme on va le voir !


La cohérence des étants singuliers sans « universaux », ni « relation » entre eux

- La Création des « singuliers » - selon Guillaume d’Ockham

Dieu ne créé que des « singuliers », mais avec lesquels il conserve un contact par son action créatrice « verticale » de chaque instant. Le tout peut donc rester cohérent grâce à deux dimensions de cette toute-puissance divine selon Guillaume d’Ockham : cette action créatrice individuelle est de chaque instant (permanente) et la toute-puissance divine respecte le principe de non-contradiction (voir plus bas).

Dieu ne crée que des singuliers :
« L'action créatrice de Dieu est à chaque singularité ce que l'éclair est à son point d'impact, le monde est comme un champ au-dessus duquel l'orage plane, Dieu agit à tout moment. Ce parallèle rend compte du caractère absolu, immédiat, inconcevable, et bien sûr singulier, de l'action divine. (p. 40) »  (1)
Mais pour asseoir cette affirmation,  Guillaume d’Ockham il va devoir « bricoler » quelque peu le texte de la Genèse !
« Mais dépassant une interprétation littérale de la Bible considérant que Dieu tisse des liens entre les êtres (il crée des espèces, interdépendantes, et dépendantes d'un milieu), Ockham affirme que la Création est une juxtaposition d'actes singuliers (p. 42-43) » (1)
Moyennant quoi, Guillaume d’Ockham se donne les moyens d’une vision du monde très nouvelle pour l’époque, voire " futuriste " :
« C'est ainsi dans un même mouvement qu'Ockham dévoile la singularité des substances et du monde. Il pense un monde ouvert (tout est en permanence possible), désacralisé (il pourrait être autre, et même meilleur) et mécanique (la causalité efficiente prime). Du fait de la toute-puissance de Dieu, le monde lui-même est singulier. Cette onto-théologie a des répercussions épistémologiques sans précédent et résolument modernes sur les perspectives de connaissance. (p. 45) » (1)
Guillaume d’Ockham va même affirmer la possibilité d'une pluralité de mondes.

- La Toute Puissance divine et son principe de non contradiction selon Guillaume d’Ockham

Dans la conception de Guillaume d’Ockham, Dieu est l'Etre parfait, tout-puissant et absolument simple – rien que de très classique à cette époque.

A la différence de Saint Anselme (1034 - 1109) cependant, Guillaume d’Ockham se refuse à toute démonstration de l’existence de Dieu. Pour lui, hors du Credo, l’homme ne peut pas savoir que Dieu existe. L'homme n'a tout simplement pas les capacités pour penser rationnellement Dieu. Le fondement ultime du " nominalisme " de Guillaume d’Ockham n’est pas la régression rationnelle à l’infini vers le « moteur premier », mais le saut de la foi. C'est seulement après ce saut de la foi que le principe de non-contradiction intervient. La connaissance de Dieu ne passe pas par un Logos promoteur du sens et de la rationalité. La séparation de la foi et de la raison est radicale comme la séparation de la théologie et de la philosophie.
 
La « condition de possibilité » de l’exercice de la toute-puissance divine est le principe de non contradiction :
« La fonction du principe de non contradiction est chez Ockham de fonder cette absoluité qui, bien qu'elle occupe une place à part, a elle aussi besoin d'un fondement. Dans sa perspective, la non contradiction n'est pas une limite apportée à la puissance de Dieu mais au contraire la condition de possibilité de son exercice : elle est ce qui fonde sans devoir être fondé. La première caractéristique de Dieu est ainsi sa toute-puissance. (p.36) » (1)
Une remarque : parler de « condition de possibilité » de l’exercice de la toute-puissance divine, paraît éventuellement contradictoire avec la notion de « toute puissance ». On sent que Guillaume d’Ockham arrive un peu à la limite de possibilité de ses outils logiques.

Et cette toute-puissance divine joue sur deux registres – ce qui ne simplifie pas la compréhension …
« Prise en elle-même, cette puissance est absolue : elle n’a d’autre limite que celle de la non-contradiction. De ce point de vue, l’ordre du monde comporte une contingence radicale. Suspendu à la liberté de Dieu, il aurait pu être tout autre qu’il n’est. Mais, une fois posé l’ordre instauré par Dieu, il persiste selon le jeu des lois créées et instituées par Lui. « Nature » ici correspond à ce qui est institué par Dieu de par sa « puissance ordonnée » : une telle nature est donc voulue par Dieu comme un donné raisonnable, sinon rationnel. » (4)
Dieu agit à travers sa « puissance ordonnée » (potentia ordinata) - celle qui passe par les causes secondes inscrites dans la création – et sa « puissance absolue » (potentia absoluta) - celle qui s’affranchit des causes secondes. Cette distinction permet à Guillaume d'Ockham de résoudre une aporie de son système concernant la question des « accidents inséparables » (1, p. 38). Encore une fois, on a un peu l’impression que sa logique s’essouffle …

De surcroit, Dieu qui est absolument libre n’intègre aucun ordre ou aucune rationalité, aucune loi ou vérité :
« A la différence du Dieu thomiste ou scotiste, le Dieu d'Ockham n'a pas de schéma intrinsèquement bon de l'ensemble en vertu duquel il crée chaque singulier. Il est un acte pur et infini que la raison peut circonscrire sans jamais le saisir, et devant lequel elle s'incline. (p. 40) » (1)
« Ockham affirme que Dieu n'est tenu par aucune loi, ni par aucun de ses actes. Il bouleverse ainsi les concepts antiques de relation, de possible, et de causalité naturelle. Pour la tradition chrétienne, le monde résulte d'une décision de Dieu qui en constate après coup la bonté. (p 42-43 (1)
L'ordre des choses ne relève plus que d'une pure volonté dont la décision est naturelle parce que divine, mais finalement arbitraire :
« De potentia ordinata, les singuliers entretiennent des liens et forment un ensemble cohérent : la graine appelle la fleur, les causes ont des effets. Cet ordre n'est cependant qu'une des déclinaisons possibles de la puissance absolue, il peut être à tout moment brisé. Les régularités causales existent parce que Dieu les a voulues mais ne sont pas immuables pour autant. Il serait absurde de croire que Dieu a décidé d'aliéner à jamais l'expression de sa puissance. La foudre peut encore frapper. S'il le décide, « Dieu peut créer un singulier incompatible avec les existants selon l'ordre des causes secondes, il peut faire pousser un poisson dans un champ et une vache dans un nuage ». Ockham déploie entièrement son onto-théologie. Puisque seuls Dieu et ses créatures existent, les relations ne peuvent pas faire partie du monde. La causalité, dont le premier des aspects selon la puissance ordonnée est la nécessité, relève d'après la puissance absolue de l'accident. Les seules relations existantes sont verticales, fulgurantes, singulières. Elles ne concernent que Dieu et les créatures, jamais les créatures entre elles. (p. 43) » (3)
La théologie de Guillaume d’Ockham ne produit donc aucun discours rationnel sur la création et l'ordre du monde voulu par Dieu parce qu'Il joue en même temps sur des deux registres de Sa toute-puissance : la « puissance ordonnée » et la « puissance absolue ».

Quand on ajoute que « cette puissance absolue n’a d’autre limite que celle de la non-contradiction », il est objectivement difficile de comprendre comment joue cette « non contradiction » quand on passe sans cesse de la « puissance ordonnée » - obéissant aux lois du cosmos - et la « puissance absolue » - dérégulée. On a un peu l’impression d’un jeu d’illusionniste où les dérogations de la « puissance absolue » permettent de résoudre plus ou moins élégamment les apories du système logique et théologique de Guillaume d’Ockham.

Finalement, on a l’impression même que le système de Guillaume d’Ockham – en l’absence de Logos ordonnant et rendant raison du cosmos – n’est qu’une célébration d’une toute-puissance sans limite – parfois à la limite d’un Dieu hors de la raison, arbitraire – somme toute, assez éloigné du Dieu transcendant qui se communique par la révélation, voire du Verbe incarné de la Bible.

- Conclusion provisoire

L'auteur du mémoire qui nous sert de guide principal (1) ne pense pas que Guillaume d'Ockham soit parvenu à se débarrasser de toutes ses contradictions :
« Comme ses prédécesseurs, Ockham ne parvient pas à réduire les singularités du monde (ce corbeau, cet homme) à un principe ontologique pleinement explicatif et cohérent (p. 34) [ ...] En toute rigueur, Ockham n'a malgré tout pas résolu le problème de l'unité du composé forme/matière. L'une des deux contradictions demeure. « Qu'importe ! » semble-t-il dire : montrer la possibilité puis la nécessité de la singularité suffit. La raison indique le nécessaire sans pouvoir le démontrer, ceci vaut aussi bien pour l'unité intime de chaque étant que pour l'existence ou la nature3 du principe divin qui en est le fondement. C'est finalement en Dieu, non en raison, que se résolvent les apories ontologiques. (p. 39) » (1)

Notes et sources :

1) Le nominalisme de Guillaume d'Ockham et la naissance du concept de droits de l'homme. Yann KERGUNTEUIL. Mémoire de Master 2. Université catholique de Lyon. 2 2006. http://www.memoireonline.com/01/14/8694/Le-nominalisme-de-Guillaume-d-Ockham-et-la-naissance-du-concept-de-droits-de-l-homme.html
2) En fait, l’ADN, notion biologique, n’est pas tout à fait identique au concept philosophique d’humanité. Et le concept de « nature humaine », celui employé par la théologie en opposition avec la « nature divine », est encore différent.
3) http://www.meta-noia.org/anthropologie/4/f01.HTM
4) http://www.wikiberal.org/wiki/Guillaume_d'Occam

Roque

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Le nominalisme de Guillaume d’Ockham et le christianisme Empty Re: Le nominalisme de Guillaume d’Ockham et le christianisme

Message  Xavier Ven 24 Juil - 16:02

Bonjour Roque,

Ce sujet est passionnant. Malheureusement, je ne suis pas philosophe et beaucoup de points m’échappent encore.

Roque a écrit:Avec le recul du temps et l’avancée des sciences, la question devient plus claire : il s’avère que cette « humanité » dans son principe est réellement inscrite non « dans l'universel des idées », mais au niveau singulier : en chaque homme. C’est l’ADN (2). C’est donc Guillaume d’Ockham qui a eu finalement raison et c’est à bon droit qu’il récuse le réalisme et la réalité substantielle des universaux - même si c'était sur des arguments et dans un contexte totalement différents de l'époque actuelle :
Pourriez-vous développer ? Je ne vois pas en quoi la découverte de l’ADN vient détruire la notion d’une nature humaine qui soit un concept universel, indépendamment de chaque homme.


Roque a écrit: « Dans le nominalisme, la « relation » est un universel sans « réalité substantielle ». Par exemple, être père est une relation sans aucune forme de réalité, son existence est uniquement sémiologique. Dieu pourrait donc accorder la paternité à quelqu'un qui n'est pas père.
Là aussi, pourriez-vous expliquer davantage ?


Roque a écrit: « Mais dépassant une interprétation littérale de la Bible considérant que Dieu tisse des liens entre les êtres (il crée des espèces, interdépendantes, et dépendantes d'un milieu), Ockham affirme que la Création est une juxtaposition d'actes singuliers (p. 42-43) » (1)
Est-ce qu’il faut comprendre par là que pour Guillaume d’Ockham, Dieu crée à chaque instant, plutôt que de maintenir dans l’existence ce qu’Il a créé ? Désolé si ma question est complètement à côté de la plaque… :(


Roque a écrit: A la différence de Saint Anselme (1034 - 1109) cependant, Guillaume d’Ockham se refuse à toute démonstration de l’existence de Dieu. Pour lui, hors du Credo, l’homme ne peut pas savoir que Dieu existe. L'homme n'a tout simplement pas les capacités pour penser rationnellement Dieu.
Sur quoi s’appuie-t-il pour affirmer cela ?

Merci !
Xavier
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Message  Roque Ven 24 Juil - 17:56

Xavier a écrit:Bonjour Roque,

Ce sujet est passionnant. Malheureusement, je ne suis pas philosophe et beaucoup de points m’échappent encore.
Xavier, je ne suis pas non plus philosophe. Je suis médecin. Je viens seulement de passer huit jours avec le mémoire online de Yann KERGUNTEUIL que j'ai lu à trois reprises. C'est encore très léger  :) . J'ai réussi à comprendre que j'avais de fausses idées a priori sur le " nominalisme ". Guillaume d'Ockham a certainement vu juste sur plusieurs points que j'ai pu reconnaître. Mais au final - comme l'a dit l'une de mes professeures au Collège des Bernardins, il y a quelques années - sa pensée va constituer les prémisses de l'athéisme moderne.

Je n'avais jamais trouvé de développement sur le sujet de l'impact délétère du " nominalisme " sur la compréhension et/ou la logique de la foi. Maintenant c'est chose faite avec le livre de Louis Bouyer dont j'ai parlé plus haut. Si on oublie que pour Guillaume d'Ockam la raison s'incline devant la foi, on peut tirer de ses affirmations un cadre de pensée qui rend impossible la formulation d'une quelconque métaphysique ou absurde toute proposition de foi. C'est d'ailleurs l'idée de fond de ce sujet.  

Xavier a écrit:
Roque a écrit:Avec le recul du temps et l’avancée des sciences, la question devient plus claire : il s’avère que cette « humanité » dans son principe est réellement inscrite non « dans l'universel des idées », mais au niveau singulier : en chaque homme. C’est l’ADN (2). C’est donc Guillaume d’Ockham qui a eu finalement raison et c’est à bon droit qu’il récuse le réalisme et la réalité substantielle des universaux - même si c'était sur des arguments et dans un contexte totalement différents de l'époque actuelle :
Pourriez-vous développer ? Je ne vois pas en quoi la découverte de l’ADN vient détruire la notion d’une nature humaine qui soit un concept universel, indépendamment de chaque homme.
En fait, j'ai juste voulu dire que notre " humanité " a sa preuve biologique (l'ADN) au niveau individuel - tout en étant en même temps " universel ". Ce qui signifie que la réalité est inscrite dans ce qui est " singulier " ... un peu ce que pensait Guillaume d'Ockham, me semble-t-il ? C'était un essai d'image pour transposer cette question du " singulier " et de " l'universel " à l'époque moderne, mais cela n'a pas marché, je vois  :)  

En réalité la définition biologique de l'homme ne peut par être l'essence de l'homme parce que l'homme est un composé de corps et d'âme. Sa " nature " - si jamais on arrive à la saisir - est au minimum double : corporelle et visible et spirituelle et invisible.

Mais plus sérieusement que peut-on tirer de cet ADN ? Il est un bon indicateur d'une unité biologique de l'espèce humaine. Cependant cet indicateur présente une petite variation d'un individu à l'autre (1 à 2% ?) dans la même espèce, il y a aussi une différence d'un chromosome entre l'homme XY et la femme XX et même il y a des différence de nombre entre les chromosomes pour certains (Trisomie 21, Klinefelter ...). On ne peut tirer scientifiquement de l'analyse de l'ADN qu'une " statistique " qui vous fait appartenir ou qui me fait appartenir à l'espèce humaine avec une certaine probabilité de certitude et d'erreur. La science n'a pas pour rôle de délivrer une " vérité " quelconque. Il permet essentiellement d'identifier un individu avec son propre matériel génétique (avec un variation de quelques 0, .. % cependant, encore un intervalle de confiance). Au niveau d'une population, cela pourrait permettre néanmoins de fonder en raison des droits communs aux " hommes " (la statut social, politique, moral) ou " humains " (l'espèce) qu'avec une certaine probabilité sans plus. On en vient donc au fait qu'il n'y a donc pas de correspondance parfaite entre la biologie et le droit.

Pour l'instant, le moyen le plus simple de savoir qui est " humain " est qu'il ou elle est née d'un homme et d'une femme: ce qui vient à la vie par le ventre d'une femme est " humain " et devient " homme " entre ses bras. Mais avec les manipulations génétiques, ce critère simple risque d'être perturbé dans le futur .... (la souriante perspective du transhumanisme !).

Non, l'ADN ne " détruit pas la notion d’une nature humaine qui soit un concept universel, indépendamment de chaque homme ". On ne parle tout simplement plus de la même chose.

Cette notion de " nature humaine " a toujours plus ou moins été contournée, détournée ou récusée en dehors du langage de la foi. Il n'en existe pas d'équivalent ni dans la biologie (ADN), ni dans le droit au temps des Lumières, ni dans l'étude moderne de la psychologie ou de la physiologie et encore moins dans le droit positif actuel sécularisé ... pour la simple raison que sans appui sur Dieu, elle devient impossible à cerner. On a employé la notion de " nature divine " et de " nature humaine " par exemple concernant la nature humano-divine de Jésus (Concile d'Ephèse : + 351). Mais que cette notion de " nature humaine " propre à la théologie n'a pas vraiment d'équivalent en dehors de la théologie. Je pense même que dans la théologie catholique elle est fort peu développée en dehors de la double nature du Christ. A vérifier.

J'ai lu un commentaire de Thibault Colin sur la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 et je crois que la référence à une " nature humaine " existe dans ce texte, mais qu'elle est déjà pratiquement implicite. Et cependant en l'absence d'une idée parfaitement claire on s'y gargarise d'égalité, de droit, etc .... En réalité, il ne peut s'agir rationnellement que d'égalité des citoyens, parce qu'il n'existe aucune définition strictement rationnelle ou recevable (c'est à dire sans restriction et sans reste) de cette nature humaine universelle. Par " définition strictement rationnelle de cette nature humaine universelle ", j'entends ceci :
Parler de nature humaine, c'est parler d'une essence universelle de l'homme, c'est dire qu'il existe un certains nombre de caractéristiques communes à tous les hommes sans restriction. C'est donc dire qu'il existe une définition de l'homme qui s'appliquerait à tous et à chacun d'entre eux sans reste.
:arrow: http://mapage.noos.fr/philosophie/philo/philo/cours/nature/nature_humaine/nature_humaine_cours.htm

Selon, moi, hors la foi, on ne dispose que de cette déclaration politique de 1789 (et de quelques autres déclarations dans la même style) - lesquelles ne sont que des compromis sans définition ferme - lointainement inspirées par une foi déjà dans un profond sommeil. C'est la seule fondation que la cité (le politique) ait trouvé pour cette notion capitale aux contours fuyants. Les philosophes modernes - comme Marx et Sartre - récusent toute idée de nature essentielle de l'homme : l'homme n'a pas de " nature ". Astucieux, mais très approximatif, encore ! Et rien n'empêche de balancer la totalité de cette question inopportune prochainement dans la poubelle de l'histoire. Mais justement si on est réaliste, si on garde les yeux ouverts sur les leçons de l'histoire, cette instabilité de la définition politique, sociale ou morale de " l'homme " est source d'exclusions et d'abominations - à petite et grande échelle.

Xavier a écrit:
Roque a écrit: « Dans le nominalisme, la « relation » est un universel sans « réalité substantielle ». Par exemple, être père est une relation sans aucune forme de réalité, son existence est uniquement sémiologique. Dieu pourrait donc accorder la paternité à quelqu'un qui n'est pas père.
Là aussi, pourriez-vous expliquer davantage ?
Guillaume d'Ockham pense que tout concept de " relation " est sans réalité substantielle ... cela le conduit à penser qu'être père est aussi une sorte d'illusion et qu'en réalité, c'est Dieu qui est père de chaque singulier à chaque instant. Dieu par son " pouvoir absolu " peut faire n'importe quoi (dans sa conception, on est un peu à la limite d'un Dieu totalement arbitraire), par exemple faire de ma femme un père et vice versa ... pourquoi pas ? C'est amusant.  :) Mais on voit là qu'il coupe en deux ou dissocie la notion biblique de " procréation " qui est une vraie collaboration de l'homme et de Dieu dans l'acte de création. Guillaume d'Ockham montre là la limite de son " système philosophique ". Je ne comprends pas bien comment il peut envisager la mise en œuvre de causes secondes (les lois ordinaires du cosmos) et prétendre que le " relations " ne sont pas des réalités ... pour moi la causalité est une sorte de relation, non ? Ma culture philosophique est ici insuffisante !

Xavier a écrit:
Roque a écrit: « Mais dépassant une interprétation littérale de la Bible considérant que Dieu tisse des liens entre les êtres (il crée des espèces, interdépendantes, et dépendantes d'un milieu), Ockham affirme que la Création est une juxtaposition d'actes singuliers (p. 42-43) » (1)
Est-ce qu’il faut comprendre par là que pour Guillaume d’Ockham, Dieu crée à chaque instant, plutôt que de maintenir dans l’existence ce qu’Il a créé ? Désolé si ma question est complètement à côté de la plaque…  :(
Je pense qu'il veut dire que l'acte de création ne cesse jamais et que pour lui, nous sommes réellement le produit de cet acte permanent - y compris de " paternité " - alors que toutes les idées que nous nous en faisons (avec les "universaux" par exemple) seraient fausses, illusoires. Sur le plan " intellectuel " hors la foi, il se pourrait qu'on soit en pleine interprétation délirante. Et sur le plan biblique : il maltraite fortement la Genèse !

Xavier a écrit:
Roque a écrit: A la différence de Saint Anselme (1034 - 1109) cependant, Guillaume d’Ockham se refuse à toute démonstration de l’existence de Dieu. Pour lui, hors du Credo, l’homme ne peut pas savoir que Dieu existe. L'homme n'a tout simplement pas les capacités pour penser rationnellement Dieu.
Sur quoi s’appuie-t-il pour affirmer cela ?
Je crois que cela ne s'appuie que sur son tempérament ou ses options logiques. Moi, je suis du coté de Saint Anselme : " credo, ut intelligam " : " je crois pour comprendre ". Ce qui signifie pour moi que :
1. l'acte de foi est nécessaire pour accéder au niveau de clarification des énoncés du dogme - et des idées préconçues liées - suffisant pour éventuellement comprendre et y adhérer - alors qu'en deçà du saut de la foi les énoncés du dogme - et les idées préconçues liées - sont soit déformés, soit inconnus et finalement authentiquement incompréhensible (comme le christianisme à partir du cadre de pensée du nominalisme - vus par nos contemporains) ;
2. que les énoncés de foi doivent faire l'objet d'un travail nécessaire de la raison, non pas seulement en exégèse, mais également pour identifier l'horizon philosophique de la problématique et tester ces idées philosophiques préconçues au regard de la source de la foi : la Bible. Ce travail nécessaire de raison sur la foi constitue une partie du propos de l'Encyclique Lumen Fidei de François (2013)

C'est dans ce travail d'évaluation de la compatibilité de la philosophie avec le donné biblique qu'a partiellement échoué Guillaume d'Ockham. C'est peut être un travail " inachevé " par manque de recul, manque d'autres solutions théologiques et qu'un suiveur viendra à compléter par une nouvelle intuition géniale. Mais à l'heure actuelle, on peut dire que : si - en première étape - sa philosophie voit très juste sur le plan logique, - en une seconde étape - elle ignore, déforme ou fracasse les conceptions qu'on trouve dans la source biblique (Premier et Second Testament). Le raccord philosophico - théologique se fait très mal - du point de vue de la Bible.

Il y a aussi une vision déformée de Dieu " si transcendant " qu'il serait inutile d'essayer de Le comprendre (vision qu'on va retrouver dans le courant anti-dogmatiste prévalent chez les protestants, par exemple ...). Mais cette vision d'un Dieu si transcendant qu'il est radicalement inaccessible à l'homme, n'est biblique que si - en plus de la transcendance radicale - on ajoute qu'Il se communique, qu'Il se révèle aux hommes - sans aucun mérite de leur part évidemment. Un Dieu inaccessible et accessible, donc sinon on est hors de la Bible et du catholicisme. Ainsi Guillaume d'Ockham oublie, au passage, que ce Logos incarné, Fils unique engendré (Jn 1) et Sagesse de YHWH (Pr 8, 22-31) est venu vivre l'amitié avec les hommes pour être compris et pour que nous mettions en œuvre Sa Parole, même si YHWH dit également : " Car mes pensées ne sont pas vos pensées, Et vos voies ne sont pas mes voies, Dit l'Eternel. Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, Autant mes voies sont élevées au-dessus de vos voies " (Is 55, 7-9) Le Dieu biblique inaccessible et accessible s'Il le veut n'est pas à une contradiction près :) et c'est comme ça et pour ça qu'on l'aime.

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Message  Roque Lun 27 Juil - 13:46

Le nominalisme de Guillaume d’Ockham (Suite)

Je complète mon inventaire du nominalisme de Guillaume d’Ockham par plusieurs aspects (avant de poursuivre avec son influence sur le christianisme) :

1. Le fameux rasoir d’Ockham ;
2. La théorie du « langage mental » de Guillaume d’Ockham ;
3. Une morale suspendue au décret du Dieu arbitraire ;
4. L’hégémonie du nominalisme flatte l’émergence l’individualisme et du libéralisme.


1. Le fameux rasoir d’Ockham

La règle énoncée par Guillaume d’Ockham : « Pluralitas non est ponenda sine necessitate » est un principe de parcimonie selon lequel « Les multiples ne doivent pas être utilisés sans nécessité. » Une variante : « Entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem », littéralement : « Les entités ne doivent pas être multipliées par-delà ce qui est nécessaire », est souvent attribuée à Guillaume d'Ockham sans cependant qu'il y en ait trace dans ses écrits.

Une formulation plus moderne serait que « les hypothèses suffisantes les plus simples sont les plus vraisemblables »  (5). On peut aussi proposer une paraphrase plus spécifiquement centrée sur la problématique philosophique propre à Guillaume d’Ockham :
« Recourir à l'universel pour expliquer l'individuel a pour seul effet de dédoubler artificiellement les êtres, sans expliquer quoi que ce soit. Il s'ensuit que tous les principes qui ne sont pas nécessaires à l'explication d'une chose sont superflus et doivent être rejetés (p. 26) ». (1)
Mais les modernes ont - naturellement - tendance à réinterpréter ce principe dans le cadre du rationalisme apparu plus tard au 16ème siècle ou de l’agnostico-athéisme contemporain. Voici un exemple de présentation sur un site athée :
« Il en découle le fameux principe, dit du « rasoir d'Occam », selon lequel il ne faut pas multiplier les entités sans nécessité. C'est-à-dire qu'il est inutile de chercher une explication compliquée, faisant appel à des principes hors du champ de l'expérience (essences des universaux, volonté divine, miracle...), quand une explication simple, à partir de ce que nous connaissons déjà, suffit à rendre compte d'un phénomène qui se manifeste à nos sens.

Guillaume d'Occam rejette donc les concepts de substance, de cause efficiente, de puissance ..., c'est-à-dire tout ce qui, sous prétexte de mieux comprendre la réalité, ne fait que l'obscurcir sous un voile métaphysique. Ce principe de parcimonie de la pensée, de l'élégance des solutions est un des principes de la logique et de la science moderne et fait de Guillaume d'Occam un précurseur de l'empirisme anglais ». (6)
Il est vrai (en bleu) que Guillaume d’Ockham a dit - approximativement - qu’il est inutile de rechercher des explications dans les universaux, la volonté divine ou les miracles. Vrai que sa conception de la causalité a rendu la « cause efficiente » sans objet. Vrai qu’il a rejeté les « universaux », donc les « concepts universels », et rejeté les spéculations métaphysiques complexes des scolastiques.

Mais il est faux de dire qui a rejeté « les concepts de substance et de puissance … » (« puissance … »  de quoi au fait ?). Guillaume d’Ockham dit seulement ce que la substance n’est pas : l'universel n'est pas la substance des choses, mais il ne dit pas que la substance n’existe pas. C’est juste un terme de l’ontologie de l’époque et il ne dit pas qu’il n’y a plus d’ontologie. Pour lui, simplement, les étants singuliers sont dépourvus de relation essentielle puisque le concept de « relation » n’existe pas dans sa logique. D’où le problème de cohérence d’ensemble du système signalé, plus haut (dans le précédent post). Etant donnée la configuration très particulière de l'ontologie de Guillaume d'Ockham, il en arrive à dire que l'essence des choses singulières et leur existence ne sont pas deux choses distinctes (Voir 1, pages 29 à 31).

Ensuite si cette note du site athée suggère que l’idée de « puissance de Dieu » est rejetée par Guillaume d’Ockham au même titre que la métaphysique alambiquée des scolastiques, un tel propos serait faux et tendancieux. Guillaume d’Ockham, lui-même, ce moine du 14ème siècle, est un curieux mélange d’empirisme radical et de fidéisme (une foi sans mot). Il ne faut pas perdre de vue que toute la cohérence de son système de pensée (mise en danger par l’affirmation d’étants singuliers sans relation essentielle (Cf. plus haut) – n’est assurée que par sa conception très particulière de la création et de la toute-puissance divine - avec un usage extensif (immodéré peut-être !) des notions de « puissance ordonnée » et de la « puissance absolue » de Dieu (voir le post précédent).


2. La théorie du « langage mental » de Guillaume d’Ockham


Pour Guillaume d’Ockham la connaissance immédiate du singulier n’est pas seulement sensible, elle est aussi intellectuelle et intuitive. Le concept ou « signe » est émané d’une connaissance immédiate du singulier. Le « signe » est une connaissance naturelle commune à tous les hommes, donc universelle (les "universaux " sont des leurres, mais ici cette " réalité " - qui n'est finalement qu'une hypothèse ! - serait quand même " universelle ". Comprenne qui pourra !
« Ockham, au XlVème siècle parle d'un concept ex natura et n'admet pas sa conventionnalité ex institutione. Le concept est un signe naturel que l'âme possède avant de parler et d'écrire. Le signifiant, la vox, est contingente d'une langue à l'autre, mais le signifié, le concept ne dépend ni du locuteur ni de la langue: il possède universalité et nécessité. Il s'intègre dans la création. » (7)
« La logique d'Ockham repose sur la théorie du signe, objet premier de la logique. Il définit le signe comme " tout ce qui, étant appréhendé, fait connaître quelque chose d'autre". Que le signe soit un renvoi à une autre réalité relève de l'évidence, sans quoi il ne serait pas signe. Mais on trouve ici en plus l'idée que le signe "fait connaître", qu'il engendre une connaissance. Quand Saint Augustin pensait que le point de départ est toujours sensible (une enseigne, un son etc.), pour Ockham ce n'est pas nécessaire car ce peut être aussi un concept. Le concept est signe autant que le mot. C'est un signe mental qui correspond à une modification de notre âme qui réagit au contact des choses singulières. Il faut donc traiter la pensée comme un langage mental. Le signe mental est un signe naturel car tous les hommes ont la même structure intellectuelle. Il faut distinguer le signe conceptuel du mot parlé qui, lui, est conventionnel. Les mots parlés signifient de façon conventionnelle ce que les concepts signifient de façon naturelle. Le langage mental est le modèle unique qui permet de penser les langages parlés qui, eux, sont pluriels. » (8)
Guillaume d’Ockham a pensé que les concepts avaient un double rôle : ce sont des unités fondamentales de certains « acte mentaux » et des unités fondamentales de la sémantique, des signes naturels dotés de signification comme un « langage mental » non conventionnel commun à tous les êtres pensants – à l’exception de Dieu, bien entendu. Pas facile à comprendre !

Mais Guillaume d’Ockham pense de surcroît que ces deux rôles : l’un psychologique et l’autre linguistique seraient coordonnés. Pas facile à comprendre non plus. De surcroît, il pense que ces concepts – situés donc dans l’esprit – auraient des similitudes avec les images ou les impressions qui les ont fait naître. Cette similitude est comparée à la position (la saisie) de la main tenant un crayon ou une balle : ainsi le concept aurait la forme de la saisie (la main) en rapport avec l’objet – mais pas la forme de ce qui est saisi (balle ou crayon). Sujet très complexe bien expliqué par Peter King (9). Il semble comprendre que Guillaume d’Ockham ait voulu souligner que les habitus et les compétences peuvent être acquis par des processus essentiellement pratiques (occultes pour la conscience) pouvant se passer de processus mentaux.
« Et c’est exactement ce que dit Ockham sur les « concepts » universaux : ils ne sont rien de plus que des ensembles de compétences à regrouper des choses ensemble, ce que nous faisons, et c’est vraiment tout ce qu’il y a à dire. Dans Ordinatio, 1, d. 2 q. 7, ad 7 (Oth, 2, 261, 13-20) Ockham nous dit que la cognition universelle se produit naturellement dans l’âme par l’interaction avec des éléments particuliers du monde, bien que cela se fasse à notre insu (de manière occulte) ; ici aussi, je pense, nous devrions le prendre au mot et ne pas essayer d’élaborer des mécanismes causaux en son nom. Ce à quoi nous arrivons en fin de compte, une théorie psychologique non-réductive qui se passe de processus mentaux à un point sans précédent, doit avoir semblé extrêmement bizarre aux contemporains d’Ockham du quatorzième siècle. Cela semble encore bizarre aujourd’hui. » (9)
On voit avec quelle érudition et quelle prudence doit procéder toute tentative pour mettre la psychologie ou la linguistique modernes dans la prolongement de Guillaume d'Ockham.


3. Une morale suspendue au décret du Dieu arbitraire
« Au plan moral, Ockham pense que le libre arbitre est une évidence empirique. La morale dépend des libres décisions divines. Ainsi les commandements divins (y compris ceux du Décalogue) relèvent de la volonté divine. Dieu aurait pu, sans contradiction, prescrire le vol et l'adultère ainsi que la haine du Créateur. Cela ne signifie néanmoins pas qu'il faudrait contester les valeurs. Ockham oppose au droit divin, le pouvoir qu'ont les individus de juger librement tout ce qui n'est pas prescrit précisément dans l'Écriture Sainte. » (8)
Si ce site spécialisé dans la philosophie formule de façon exacte la pensée de Guillaume d’Ockham – on a là véritablement une conception d'un dieu complètement étranger à la Bible. Le Dieu de la Genèse trouve que sa création est bonne ou même très bonne (l'homme et la femme) et par Son Alliance il invite son Peuple à vivre de cette " bonté " qui provient de Lui - de Son être même -, le Dieu du Lévitique justifie sa Loi parce que Lui-même est Saint : « Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint » (Lv 19, 2 : Lv 20, 26)  etc ...

Je trouve curieuse la formule : " Dieu aurait pu, sans contradiction, prescrire le vol et l'adultère ainsi que la haine du Créateur ". Dans le précédent post, je me demandais ce que pouvait signifier ce " principe de non contradiction " qui serait pour Guillaume d'Ockham la condition d'exercice de la tout-puissance de Dieu. Je comprends ici qu'il n'y a rien à comprendre (encore) : le " potentia absoluta " de ce dieu, lui permet de ne jamais se contredire ....  8D  On voit avec quelle prudence on devra procéder pour analyser les relations de la pensée de Guillaume d'Ockham avec le christianisme.


4. L’hégémonie du nominalisme flatte l’émergence de l’individualisme et du libéralisme

Nous avons dit plus haut que  l'unité du « réalisme » tenait à ses implications politiques, il en est un peu de même du « nominalisme » avec ses implications socio-économiques. Le " nominalisme " accompagne l’émergence de l’individualisme et du libéralisme avec sa consommation de masse et son objectif de profit qui règnent en maître sur notre monde contemporain.
« Le rasoir joue contre des signifiants auquel l'effort des philosophies politiques s'attache à donner sens, tels que totalité, peuple, société, communauté, et aussi Eglise, Ordre... on devine les effets. Rien n'est plus précieux au libéralisme à la gestation duquel on assiste dès le XIVème siècle qu'une doctrine qui évacue I'universitas, c'est-à-dire toute forme de collectivité organique, avec les universaux, et ainsi rend l'individu à son destin singulier, eschatologique ou terrestre. Là réside le secret de la prise du nominalisme dans la philosophie politique anglo-saxonne (Hobbes, Locke, le pragmatisme...), comme dans l'épistémologie, avec notamment l'atomisme logique. Sur ce plan, nous sommes au XIVème siècle. À première vue, personne ne songera à mettre en relation la philosophie du langage ici étudiée et le discours contemporain de l'entreprise et pourtant l'une et l'autre relèvent du même centrage ontologique et pratique sur l'indépassable individu, seule effectivité qu'entrave l'hypostase de son impossible relève en une collectivité. De là l'anti-intellectualisme du libéralisme, l'éloge du concret, la croyance (toute théologique) dans l'harmonie de la composition des égoïsmes, constituant autant d'appels à se taire. Le parler, les mots, pour la misologie [haine de la raison] libérale font souffler un vent inutile, quitte à ce que les plus nominalistes tremblent lorsque des flatus vocis comme « peuple » et « masses » convoquent des incongruités à l'avant-plan de l'histoire. L'ordre des mots dessine donc un transcendantal honteux et compensé au Moyen Âge, dangereux et magiquement dénié dans le libéralisme, historicisé aujourd'hui, et on a envie de hasarder l'hypothèse que le transcendantal kantien n'est si solide, si anhistorique et si efficace aussi que parce que Kant scotomise toute analyse du parler. » (7)


Sources :

5)     https://fr.wikipedia.org/wiki/Rasoir_d%27Ockham
6)     http://atheisme.free.fr/Religion/Rasoir_occam.htm
7)     http://sitephilo.pagesperso-orange.fr/articles/articles_nomin.html
8)     http://sos.philosophie.free.fr/ockham.php
9)    Le rôle des concepts chez Ockham. Peter King. Philosophies, vol 32, n° 2, p. 435-447   http://id.erudit.org/iderudit/011878ar

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Message  Xavier Lun 27 Juil - 15:15

Bonjour Roque,

Roque a écrit:Guillaume d'Ockham pense que tout concept de " relation " est sans réalité substantielle ...
Est-ce que Guillaume d’Ockham entend par là que toute relation humaine est accidentelle ? Si c’est le cas, c’est aussi je crois la vision de saint Thomas d’Aquin. Il n’y a qu’en Dieu où nous trouvons des relations substantielles, c'est-à-dire des relations ayant pour fondement la substance divine.


Roque a écrit:Le raccord philosophico - théologique se fait très mal - du point de vue de la Bible.
Il se fait beaucoup mieux chez un saint Thomas d'Aquin ou un saint Bonaventure. ;)

Connaissant très mal le nominalisme, j'aurais du mal à en discuter mais il y peut-être une raison si l'Église a rejeté la philosophie de Guillaume d'Ockham et donné en exemple celle de saint Thomas d'Aquin.

Cordialement,
Xavier
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Message  Roque Lun 27 Juil - 21:20

Bonjour Xavier,

Xavier a écrit:
Roque a écrit:Guillaume d'Ockham pense que tout concept de " relation " est sans réalité substantielle ...
Est-ce que Guillaume d’Ockham entend par là que toute relation humaine est accidentelle ? Si c’est le cas, c’est aussi je crois la vision de saint Thomas d’Aquin. Il n’y a qu’en Dieu où nous trouvons des relations substantielles, c'est-à-dire des relations ayant pour fondement la substance divine.
Dire qu'une " relation est sans réalité substantielle ", ici, signifie seulement que l'idée de " relation " correspond à une interprétation, une construction intellectuelle, mais n'est pas une réalité. Un cosmos fait d'unités (de " singularités ") sans relation d'aucune sorte entre toutes ces unités, c'est comme un puzzle donc les pièces seraient disjointes et dispersées. Ce qui est certain, c'est que ce n'est rien de cohérent. C'est ce problème de cohérence du système philosophique de Guillaume d'Ockham que j'ai voulu souligner dans mon précédent post. Et je crois que je n'invente rien, car mon lien (1) qui est un mémoire de philosophie lequel identifie au moins une " aporie " non résolue par Guillaume d'Ockham.

En gros, je vois le problème de fond comme ça : sa logique - comme peut-être toute logique - " démonte " ou " déconstruit ", mais n'est pas capable de rien " remonter ". Si l'acte logique n'est pas positionné et ancrée dans un univers mental ou un système de pensée cohérents, il n'est nulle part, il n'a pas d'objectif, il n'est rien lui-même sinon du " flatus vocis " - c'est à dire " du vent " ou une boussole sans le Nord.

En fond, en écrivant, je me demande - même - dans quel mesure un tel cosmos " totalement disjoint façon puzzle " comme celui de Guillaume d'Ockham pourrait être intelligible. Si la seule opération possible est l'analyse - mais sans les " relations " - c'est à dire : sans aucune possibilité de généralisation, sans aucune possibilité de synthèse, je crois qu'aucune " compréhension " (qui signifie " prendre ensemble ") ne sera possible en dernière analyse. Sauf erreur de ma part ...  :) Au fond, je ne comprends pas bien comment Guillaume d'Ockham pouvait s'y retrouver avec son système " en désordre total " ... sauf qu'avec sa foi aveugle et son recours au " pouvoir absolu " de Dieu, il pouvait gommer ou contourner toutes les " apories " sans aucun recours à la raison. Paradoxal pour un maître de la logique médiévale !
Xavier a écrit:
Roque a écrit:Le raccord philosophico - théologique se fait très mal - du point de vue de la Bible.
Il se fait beaucoup mieux chez un saint Thomas d'Aquin ou un saint Bonaventure. ;)
Quand on essaie de tout reconstituer à partir de sa logique et qu'on se tient à cette seule option de raconter les choses de son seul point de vue - en perdant de vue le point de vue de Dieu et le donné biblique, ce raccord philosophico- théologique ne peut être que défectueux. Je ne pense pas que saint Thomas d'Aquin ou un saint Bonaventure aient intellectuellement " fonctionné " comme ça - car les religieux et moines baignent dans la Bible et en vivent habituellement chaque jour, ils ne se mettent pas dans une chambre pendant des années pour ressortir un jour en se demandant : " Mais est-ce que tout ça colle finalement avec la Bible ? ".
Xavier a écrit:Connaissant très mal le nominalisme, j'aurais du mal à en discuter mais il y peut-être une raison si l'Église a rejeté la philosophie de Guillaume d'Ockham et donné en exemple celle de saint Thomas d'Aquin.
J'ai voulu faire une description fine de la philosophie de Guillaume d'Ockham. Oui c'est complexe et pas forcément tout à fait cohérent partout. J'ai fait comme ça pour montrer que les tentatives de " récupération " de cette pensée dans l'esprit contemporain (rationalo-agnostico-athée) peuvent n'être que des simplifications hasardeuses et anachroniques.

Mais vous verrez, par la suite, que les obstacles pour le christianisme ne sont pas du tout sophistiqués. Ils se réduisent, je pense, à deux points principaux : 1. Un dieu en quelque sorte " abstrait " de sa création (rien à voir avec le Verbe incarné !) et 2. du côté des hommes : un empirisme radical incapable de penser la transcendance.

Cordialement.

(1) http://www.memoireonline.com/01/14/8694/Le-nominalisme-de-Guillaume-d-Ockham-et-la-naissance-du-concept-de-droits-de-l-homme.html

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Message  Roque Mar 28 Juil - 13:50

B. Les conséquence du nominalisme en théologie chrétienne

Nous ne listerons pas ici les quelques problème de compatibilité de la philosophie de Guillaume d'Ockham avec le christianisme que nous avons déjà repérés plus haut. Nous ne développerons ici qu'un seul exemple.

a. Un exemple crucial avec le concept de « relation »
« Averroès avait noté à propos du texte d’Aristote que la relation est d’une entité est « d’une entité plus ténues que les autres prédicaments, à tels point que certains n’y virent plus qu’une intention seconde. Cette entitas minima fut l’objet du long débat qui divisa les scholastiques. Une fois donnés le sujet et le terme de la relation d’une part, et d’autre part la qualité, inhérente en eux, qui est le fondement de cette relation, la question est de savoir si la relation elle-même et comme telle, ajoutait aux éléments en présence une réalité nouvelle, et de quel ordre était cette réalité.
Bien ou mal posé, tel était le problème à résoudre
. » (10)
Pour Guillaume d’Ockham - au même titre que tous les « universaux » - le concept de « relation » est dépourvu de « réalité substantielle » ? Comme dirait Roscelin de Compiègne c’est du « flatus vocis » : un souffle de voix ! Le déni du concept de « relation » détruit naturellement un élément cardinal de l'énoncé dogme de la Trinité de cette époque : " Il récuse donc la distinction de Thomas d’Aquin entre la relation et l’essence qui manifeste la cohérence du Mystère Trinitaire ".
« Guillaume d’Occam (v. 1288-1348), considéré comme le vrai fondateur du nominalisme au début du XIVème siècle, manifeste bien l’incompatibilité de cette position avec le mystère de la Trinité dont l’Eglise vit pourtant comme nous l’avons vu depuis les origines. Sa métaphysique exclut les relations réelles (Vignaux dans Dictionnaire de Théologie Catholique 11, 748) dans la ligne de Pierre Auriol. Il récuse donc la distinction de Thomas d’Aquin entre la relation et l’essence qui manifeste la cohérence du Mystère Trinitaire et exclut pareillement le lumineux principe assumé par le concile de Florence [1439, donc après Guillaume d'Ockham], et permit l’accord de sommités théologiques grecques et latines. En Dieu tout est un sauf là où il y a opposition, de relations. Ses positions sont donc ruineuses pour l’intelligence de la foi, plus précisément le réalisme de la relation ne peut être transporté en Dieu (Ibid., DTC 11, 742-748). C’est donc acrobatiquement que le théologie universitaire, formé à Londres et à Oxford, commenta comme les autres, et comme plus tard Luther, les Sentences de Pierre Lombard ; écrivain prolifique, il tenta d’enseigner le Trinité malgré sa philosophie qui lui interdisait d’y trouver une quelconque lumière (DTC 11, 777-779) : en quoi il prélude à Kant. » (11)


b. Finalement, le nominalisme est un empirisme radical  

« Qu’est ce qui est la caractéristique essentielle de la pensée d’Occam, et du nominalisme en général, en effet sinon un empirisme radical, qui réduit l’être à ce qui en est perçu, qui évacue avec la notion même de substance (*) aussi bien toute possibilité de relations réelles entre les être que toute consistance stable d’aucun d’entre eux, et finalement retire toute intelligibilité au réel et ne conçoit plus dieu que comme un insaisissable Protée (**). »

Dans ces conditions, une grâce qui change quelque chose en nous tout en étant une pure grâce de Dieu devient impensable. […] On ne voit pas, en effet, comment éviter ces conséquences dès la qu’on admet que nous sommes notre expérience et que notre expérience c’est nous. Si l’être se réduit à l’agir, et l’agir à ce qu’on en éprouve, notre expérience est fermée à toute transcendance, ou bien, à supposer que celle-ci puise tout de même y intervenir, elle ne le pourrait qu’ne se dégradant et se réduisant à une part de nous-mêmes ». (p. 164)(12)
NB (*) : il y a une mauvaise appréciation de la situation de la substance, comme sur le site athée précédemment cité. Avec sa logique Guillaume d'Ockam bouleverse profondément la notion de substance, mais ne la supprime pas du tout. Voir le chapitre sur la substance ockhamienne dans le mémoire de Yann Kergunteuil (1, pages 22 à 32)
:arrow: http://www.memoireonline.com/01/14/8694/Le-nominalisme-de-Guillaume-d-Ockham-et-la-naissance-du-concept-de-droits-de-l-homme.html
NB (**) : en simplifiant, Protée est un dieu qui fuit les hommes pour ne pas leur révéler ses secrets . « Protée est un dieu marin de la mythologie grecque. Il connaît l'avenir, mais ne le révèle que par force. Pour échapper à ceux qui le pressent de questions, il prend toutes sortes de formes. Il peut devenir non seulement un animal, mais également un élément, comme l'eau ou le feu. »
:arrow:     http://mythologica.fr/grec/protee.htm#sthash.Hn7rCeP6.dpuf

« Mais, ici comme nulle part peut-être, il devrait être évident que les notions axiomatiques sur lesquelles on a construit le théorie de la souveraineté de Dieu supposent elles-mêmes qu’on s’est rendu a priori incapable de concevoir vraiment Dieu. Des cadres de pensée tout empiriques comme ceux imposés par le nominalisme, en effet, en interdisant de penser un être qui ne soit pas mesuré par les données mêmes qui mesurent notre expérience évacuent plus radicalement que quoi que ce soit la possibilité même d’admettre aucune véritable transcendance. On s’en donne alors des ersatz paradoxaux, dont les contradictions qui leurs sont inhérentes, poussées à leur paroxysme ne font qu’étaler la stérilité profonde. Car, il faut le dire, un Dieu qui ne reste Dieu qu’aussi longtemps qu’il ne créé rien de réel, mais seulement des apparences trompeuses est le Dieu le plus incapable d’être Dieu qui se puisse penser. » (p. 171)(12)

Il est clair que le nominalisme impose à la théologie un cadre de pensée totalement empirique qui empêche d’envisager aucune véritable transcendance. Le même cadre de pensée permet cependant d’imaginer des « ersatz » trompeurs de Dieu - un dieu difforme ou protéiforme fuyant les humains, par exemple. En effet cette philosophie impose une telle déformation de l’idée de Dieu qu’Il ne peut être que totalement hors du réel (une toute-puissance " abstraite de la création " et arbitraire, autre exemple) ou impuissant, c'est à dire absurde.

Sources :

(10)         http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0776-555x_1921_num_23_89_2264
(11)         https://books.google.fr/books?id=1CX4dVoMzrsC&pg=PT188&dq=nominalisme+et+trinit%C3%A9&hl=fr&sa=X&ved=0CCcQ6AEwAWoVChMIv-yMpOTmxgIVxsAUCh3SWQv9#v=onepage&q=nominalisme%20et%20trinit%C3%A9&f=false
(12)         Du protestantisme à l'Eglise. Louis Bouyer. Ed. Cerf. 1955.

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Le nominalisme de Guillaume d’Ockham et le christianisme Empty Re: Le nominalisme de Guillaume d’Ockham et le christianisme

Message  Roque Mer 29 Juil - 18:52

Petit flash back, sur ce qui a déjà été développé sur un autre fil et qui prépare ce qui va suivre :

Spoiler:

Je reprends des citations du livre de Louis Bouyer sur le protestantisme. Ces citations visent à montrer ce qui dans le protestantisme provient en fait du nominalisme. Les intertitres sont de moi !


Les effets du nominalisme sur la doctrine luthérienne

J'avoue que c'est une critique assez dévastatrice, mais on passera ensuite aux effets du nominalisme sur la scolastique catholique. Patience !

L'influence de Guillaume d'Ockham sur Luther semble être historiquement reconnue, en précisant cependant que certains aspects de cette philosophie ont cependant été rejeté par Luther. ce n'est donc pas un simple décalque de la philosophie de Guillaume d'Ockham !
L’influence exercée par Ockham sur des penseurs aussi différents, compte tenu de la spécificité de leurs doctrines, que les théologiens conciliaires Pierre d’Ailly et Jean Gerson, ou que les « hérétiques » Wyclif et Jean Hus, se prolongera jusqu’à la Réforme. Comment s’étonner donc, dans ces conditions, que le jeune Luther ait reconnu, de son propre aveu, qu’il « était de la secte d’Ockham » ? (13)

Le nominaliste n’est - pratiquement - qu’un empirisme radical : l’être de l’autre se réduit à ce que ce que j’en perçois ; le réel se réduit à des mots et n’est plus vraiment intelligible.
« Qu’est-ce qui est la caractéristique essentielle de la pensée d’Occam, et du nominalisme en général, en effet, sinon un empirisme radical, qui réduit l’être à ce qui en est perçu, qui évacue avec la notion même de substance aussi bien toute possibilité de relations réelles entre les êtres que tout consistance stable entre d’aucun d’entre eux, et finalement retire toute intelligibilité au réel et ne conçoit plus Dieu lui-même que comme un insaisissable Protée ? » (page 164)(12)

« sola gratia » mais la grâce de Dieu efficace devient impensable et notre expérience est fermée à toute transcendance.[/b]
« Dans ces conditions, une grâce qui change quelque chose en nous tout en étant une pure grâce de Dieu devient impensable. Ou bien il y a effectivement quelque chose de changé en nous, et alors ce changement est de nous, et supposer qu’il pourrait être aussi et d’abord de Dieu revient à confondre Dieu avec la créature. On ne voit pas, en effet, comment éviter ces conséquences dès là qu’on admet que nous sommes notre expérience et que notre expérience, c’est nous. Si l’être se réduit à l’agir, et l’agir à ce qu’on en éprouve, notre expérience est fermée à toute transcendance, ou bien, à supposer que celle-ci puisse tout de même y intervenir, elle ne pourrait qu’en se dégradant et se réduisant à une part de nous-mêmes. » (page 164)(12)

« sola fide », mais les êtres sont condamnés à être des monades impénétrables ou vouées à la confusion, voire à la dissolution pure et simple.
« Ainsi avec un égal radicalisme, il s’ensuivra que la grâce, pour rester grâce, pour demeurer le pur don de Dieu, doive nous demeurer entièrement extérieure, mais aussi que la foi, pour rester nôtre, pour ne pas tomber elle-même dans cet extrinsécisme, doive rester comme enclose en nous-mêmes. Supposer, en effet, que des dogmes définis par une quelconque autorité extérieure, que des rites ayant un contenu qui déborde de quelque manière notre expérience psychologique pourraient être essentiels à notre foi, c’est pour autant l’aliéner de nous-mêmes, mettre notre vie dans quelque chose qui ne nous concerne pas, qui ne peut pas nous concerner, condamné qu‘il est à nous être non seulement extérieur, mais totalement étranger. Car, dans un pareil système de pensée, ou bien les êtres sont condamnés à rester des monades impénétrables les unes aux autres, ou bien ils sont voués à la confusion, à la dissolution pure et simple de leur individualité. » (page 165)(12)

« soli Deo gloria », mais un Dieu qui peut transformer le bien en mal et réciproquement, qui déclare juste le pécheur sans le sauver, qu’il prédestine les uns à la perdition comme d’autres au salut.
« La souveraineté de Dieu, toujours dans un tel cadre, ne sera plus qu’une totale indépendance à l’égard de tout ce que l’homme peut considérer comme loi du réel, qu’il s’agisse même de le loi morale, ou des principes logiques sans lesquels aucune pensée n’est possible. Dire que Dieu est tout-puissant, cela voudra dire qu’il puisse faire que le bien soit le mal et réciproquement, qu’un être soit autre chose que ce qu’il est, ou cela ne voudra rien dire du tout. En effet, là où l’être n’est plus qu’un mot sans substance, l’être infini ne pourra plus être autre chose que le pure et simple indéfini. Dans ces conditions, il paraitra tout naturel que Dieu « déclare juste » le pécheur, tout en le laissant pécheur comme devant, qu’il prédestine les uns à la perdition exactement comme il prédestine les autres au salut. Mieux : s’il ne faisait pas ainsi, plus rien ne le distinguerait de nous, ne le placerait dans une souveraineté transcendante. Il pourrait être plus grand que nous, sans doute, mais tout en restant dans notre ordre. Il ne serait pas le Souverain. » (page 165)(12)

« sola scriptura » mais une Parole de Dieu inassimilable, intraduisible en concepts humains.
« Dans la même perspective, on voit très bien comment la Parole de Dieu ne demeurera telle que si elle nous demeure entièrement extérieure. Cela ne signifie pas seulement que sa transcendance deviendra exclusive de toute immanence dans une tradition, une autorité ecclésiastique, ou aussi bien une expérience mystique. Cela signifiera encore qu’elle ne pourra être donne à l’homme que par une évacuation pure et simple de sa propre conscience, une dictée transcendante devant laquelle l’instrument humain ne peut même pas avoir un rôle passif, mais seulement s’effacer. La contrepartie sera que cette Parole lui demeurera totalement inassimilable, intraduisible d’aucune manière en son langage, en ses concepts. L’homme ne pourra l’accueillir qu’en aveugle, tout comme elle n’a pu parler par sa bouche qu’en le rendant lui-même muet. » (page 165)(12)

La logique inexorable du nominalisme appliquée aux principes religieux du protestantisme
« Toutes ces affirmations négatives peuvent paraître autant d’aberrations, mais elles sont dans la logique inexorable du nominalisme lorsqu’on l’applique aux principes religieux du protestantisme pour les exprimer intellectuellement et les systématiser. Inversement, d’ailleurs, là où l’on a fait passer le rasoir d’Occam, autrement dit où l’on applique sa critique de toute métaphysique tant soit peu réaliste, supposer une grâce qui intervient en nous-mêmes, c’est supposer que la grâce n’est qu’un mot pour désigner quelque chose qui en réalité est de nous, ou de même nature que nous au point de pouvoir être fait nôtre purement et simplement. Supposer une foi qui serait, d’autre part, soutenue à un au-delà de nous-mêmes, voire qui nous entraînerait vers lui, c’est nous demander pour autant de ne plus être nous-mêmes, de détruire notre individualité personnelle, de nous aliéner par rapport à nous-mêmes. Supposer un Dieu qui nous fait agir et qui nous fait être vraiment, c’est supposer un Dieu qui se diminue pour autant. Supposer une Parole qui puisse être assimilée par nous, monnayée sans dégrader  totalement, dans des ordres ou des promesses qui ne soient pas purement symboliques, provisoires, susceptibles d’être aussitôt démenties, demandant même dans un sens de l’être, c’est supposer une Parole qui cesse d’être celle de Dieu pour devenir sans plus une parole humaine parmi d’autres. » (page 166)(12)

La contre argumentation des catholiques – elle-même – prise dans le piège du nominalisme
« De fait, on n’a saisi tout le tragique du drame protestant que lorsqu’on a constaté que les premiers catholiques qui entreprirent de réfuter les constructions protestantes, restant prisonniers des mêmes cadres que les Réformateurs n’avaient point songé à mettre en question, ne purent les réfuter sans méconnaître pour autant la vérité incluse dans leurs affirmations. Pas un instant en effet, on ne sortait de l’alternative : ou une grâce qui nous sauve seule, mais alors qui nous sauve sans nous toucher : ou une grâce qui nous sauve avec notre concours indépendant d’elle-même, si bien que c’est à proprement parler toujours nous qui devons-nous sauver nous-mêmes ; ou une foi qui est foi en notre foi : en notre expérience immédiate, et finalement en elle seule, - ou une fois qui n’est qu’une démission pure et simple de nous-mêmes ; ou un dieu qui est tout, cependant que l’homme et le monde à la lettre ne sont rien, - ou un monde, un homme qui ont des pouvoirs, une valeur limitée mais réelle, et un Dieu qui n’est au plus que le premier d’une série, une créature agrandie, mais non le créateur ; ou une Parole qui nous demeure absolument étrangère, que l’homme ne peut que trahir et non pas traduire, et qui n’a pas de sens possible pour lui, - ou une parole qui n’est en fin de compte que la sienne, où c’est lui qui fait les demandes et qui ose mettre sur le compte de Dieu ce qui n’est que se propre élucubration. » (page 167)(12)

Source :

(12)         Du protestantisme à l'Eglise. Louis Bouyer. Ed. Cerf. 1955
(13)         http://www.wikiberal.org/wiki/Guillaume_d'Occam

Roque

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Message  Roque Ven 31 Juil - 19:40

J'en veux particulièrement aux " chrétiens " qui opposent sèchement la foi à la raison. On l'a oublié mais le fidéisme (la foi sans les mots pour le dire) a été condamnée par l'Eglise catholique en 1838.

Mais en lisant ce livre de Louis Bouyer, je découvre à quel point certains penseurs du protestantisme ont été loin dans leur séparation systématique de la foi et de la raison, loin contre la raison - comme s'il était nécessaire de jouer la raison contre la foi et vice versa.

J'avais toujours cru - jusqu'à présent - que l'accusation de dépréciation, voire de déni de la raison (Cf. : les simplismes de Michel Onfray sur le christianisme) s'adressait d'abord au catholicisme, mais ces secteurs - anciens probablement - du luthéranisme méritent encore bien plus ce reproche. Et cette dichotomie foi/raison - qui est un extraordinaire levier polémique pour l'athéisme moderne - résulte directement de la part de philosophie nominaliste qui est à la base de la théologie de Luther.

Comme l’a noté M. Jacques Maritain dans Trois Réformateurs, à propos de Luther, et en le citant à maintes reprises,…

« Ce n’est pas seulement à la philosophie, c’est essentiellement à la raison que le Réformateur déclare la guerre. La raison ne vaut que dans un ordre exclusivement PRAGMATIQUE pour l’USAGE de la vie terrestre. Dieu ne nous l’a donnée que… « pour qu’elle gouverne ici-bas, c’est-à-dire qu’elle a le pouvoir de légiférer et d’ordonner sur tout ce qui regarde cette vie, comme le boire, le manger, les vêtements, de même aussi ce qui concerne la discipline extérieure et une vie honnête. » (Weim., XLV, 621, 5-8 (1538)). Mais dans les choses spirituelles, elle est non seulement… « aveugle et ténèbres » (Weim., XII, 319, 8 ; 320, 12), elle est vraiment… « la p… du diable, elle ne peut que blasphémer et déshonorer tout ce que Dieu a dit ou fait » (Weim., XVIII, 164, 24 – 27 (1524-1525)), elle est le plus féroce ennemi de Dieu » (« Rationem attrocissimum Dei hostem », in Galat. (1531), Weim., XV, P. I, 363, 25).
:arrow: http://www.ichtus.fr/la-domination-de-la-pensee-unique-consequence-du-nominalisme/
La raison « est vraiment… la p… du diable, elle ne peut que blasphémer et déshonorer tout ce que Dieu a dit ou fait » ... ça vaut son pesant de cacahuètes, non ?

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Message  Roque Dim 2 Aoû - 19:43

Le postulat (*) du nominalisme.

On l’a compris, la philosophie nominalisme postule une extériorité absolue de Dieu par rapport à Ses créatures, dont les hommes : les hommes ne peuvent pas rejoindre Dieu par eux-mêmes et Dieu pour être vraiment Dieu ne «  fait » rien de réel, de concret ou d'intelligible parmi les hommes. Ce postulat philosophique fait que certaines relations entre Dieu et les hommes sont " inconcevables ". Vu d'un point de vue extérieur au nominalisme, ce postulat conduit - de façon surprenante - à décréter des " limites " à l'action de Dieu parmi les hommes. On peut donc immédiatement pressentir que quelque chose " sonne faux " dans cette conception de Dieu. Mais continuons néanmoins à développer les conséquences de ce postulat philosophique pour mieux en discerner le contenu.


Le ver dans le fruit du christianisme

Et cette philosophie nominalisme va être une des bases de la théologie de Luther et de la première génération des protestants, dont Calvin, Zwingli et d’autres. Désormais le « ver du nominalisme est dans le fruit du christianisme », il va permettre d’identifier un certain nombre de situations incompatibles avec la transcendance et la souveraineté absolue de Dieu ou encore d'« impossibilités » de Dieu envers les hommes.

1. La grâce de Dieu sauve sans rien changer dans l’homme sauvé - c’est la théorie de la justification forensique - parce que la grâce de Dieu ne reste grâce qu’à condition de rien donner de réel (principe négatif adjoint à « sola gracia ») ;

2. La foi n’est la véritable foi qui sauve que si l’homme n’est en rien changé par rapport à ce qu’il était avant - parce que la foi ne communique à l‘homme aucun pouvoir de faire des bonnes œuvres, pas même la bonne œuvre intérieur de l’amour de Dieu (principe négatif adjoint à « sola fide ») ;

3. La justification par la foi et la religion personnelle vident l’Eglise, ses sacrements et ses dogmes de toute réalité d’en haut - parce que la religion individuelle appuyée sur la foi qui sauve sont exclusifs de tout autre moyen de salut (principe négatif adjoint à « la justification par la foi et religion individuelle ») ;

4. La véritable gloire rendue à Dieu implique que l'homme renonce à toute prétention au mérite ou à la sainteté - parce que Dieu ne peut s’affirmer qu’en imposant l’anéantissement à sa créature (principe négatif adjoint à « soli Deo gloria ») ;

5. La Parole de Dieu transcendante est exclusive de toute immanence, elle demeure radicalement extérieure à l’homme - parce qu’elle implique que l’homme s’efface, l’accueille en aveugle et en soit rendu muet. La Parole est condamnée à être inassimilable, intraduisible et à n’être jamais vraiment connue. L’autorité souveraine des Saintes Ecritures équivaut à la négation radicale de toute autorité de l’Eglise - (donc du « kérygme » apostolique antérieur à la rédaction du Nouveau Testament) -, de sa tradition ou du Magistère (principe négatif adjoint à « sola scriptura »).

Ces cinq affirmations négatives qui sont intimement et délibérément liées aux cinq affirmations positives du protestantisme peuvent légitimement apparaître comme aberrantes - et donc incroyables - au protestant d'aujourd'hui, mais elles sont historiquement attestées dès la première génération du protestantisme comme le soutient Louis Bouyer dans son livre :
:arrow:     https://dialogueabraham.forum-pro.fr/t2713-les-differences-entre-catholicisme-et-protestantisme#56232


Le handicap essentiel de cette théologie infectée par le postulat nominaliste

Il en résulte une théologie rendue incapable de penser le don de Dieu, l’intervention de la grâce dans l’homme, l’appartenance de l’homme à Dieu ou la réalité de la relation entre Dieu et l’homme.
« Qu’il s’agisse du « sola gratia, sola fide » sous l’un ou l’autre de ses aspects, du « soli Deo gratia » ou de l’autorité souveraine des Saintes Ecritures, l’élément négatif qui surgit dans la systématisation d’orientation polémique des principes positifs semble être toujours le même. On dirait qu’il y a une impossibilité pour la théologie protestante élaborée, d’accepter que Dieu puisse mettre quelque chose de lui en l’homme de telle sorte que l’homme l’ait bien effectivement et que, cependant, le don reste au donateur. Ou, ce qui revient au même, il semble impossible, fut-ce après intervention de la grâce, que l’homme soit jamais à Dieu ; on dirait qu’il ne pourrait lui appartenir qu’en cessant d’être comme être distinct, qu’en s’anéantissant. Ce qui revient à dire qu’il ne peut exister de relation réelle entre Dieu et l’homme. » (page 162)(12)


Ce postulat (*) conduit à la plongée dans l'abyme innommable : " sans nom "

Ce postulat (*) fait que la philosophie nominaliste diverge - essentiellement - de l'approche biblique parce que :

- la Bible ne « pense » pas Dieu à partir de l’homme, mais l’inverse elle pense l’homme à partir de Dieu ; et
- la Bible ne présume pas des limites d’action de Dieu et prescrit aucune condition de validité à l’action à Dieu – à la différence du nominaliste qui prétend fixer des « règles » à Dieu d’après sa propre logique ;
- Etc …

La philosophie nominaliste met d'un coté Dieu en quelque sorte " à part " dans Sa transcendance et de l'autre coté prétend exercer une « prise rationnelle » sur l’action de Dieu dans ce monde créé - à la différence de la Bible qui se contente d’écouter et d’accueillir toute cette Vie et cette Parole qui viennent de Dieu dans l’adoration. La vision du nominalisme qui ne peut concevoir de relation réelle avec le Dieu Créateur et Père, ne peut concevoir de relation réelle avec la Parole de Dieu communiquant sens et vérité n’est pas issue de la Bible. Elle est même en contradiction frontale avec la Bible. La dichotomie radicale que cette philosophie impose entre Dieu et l’homme est, plutôt, la parfaite expression de l'« esprit de division et d’éloignement de Dieu » - totalement étranger au Souffre de YHWH - mais qui s’accorde très bien avec l’image construite d’un dieu (donc idolâtrique), protéiforme, arbitraire, sans vérité - et recherchant l’anéantissement de l’homme dans l'abyme innommable : " sans nom ".

Un peu comme je l'ai dit plus haut, j'en veux beaucoup à ces " chrétiens " qui mettent en balance une prétendue grandeur de Dieu et l'anéantissement de l'homme. Par manque de culture, j'ai - jusqu'à présent - cru que les accusations de Michel Onfray - précisément dans ce sens - s'adressaient en priorité au catholicisme, mais ces secteurs - anciens probablement - du luthéranisme méritent encore bien plus ce reproche. Cette dichotomie " gloire de Dieu/anéantissement de l'homme " est un extraordinaire levier polémique pour l'athéisme moderne. Tout cela résulte directement de la part de philosophie nominaliste qui est à la base de la théologie de Luther.


Source :

(12)         Du protestantisme à l'Eglise. Louis Bouyer. Ed. Cerf. 1955

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Message  Roque Mer 28 Oct - 14:40

LA RESPONSABILITE DES CATHOLIQUES

L’incapacité des penseurs catholiques contemporains des Réformateurs

Les penseurs catholiques contemporains de la Réforme ont été incapables en même temps de réfuter les affirmations erronées et de prendre en compte les apports positifs de la Réforme. Ils ont jeté le bébé avec l’eau du bain.
« De fait, on n’a saisi le tragique du drame protestant que lorsqu’on a constaté que les premiers catholiques qui entreprirent de réfuter les constructions protestantes, restant prisonniers des même cades que les Réformateurs n’avaient point songé à mettre en question, ne purent les réfuter sans méconnaitre pour autant la vérité incluse dans leurs affirmations. Pas un instant, en effet, on ne sortait de l’alternative : ou une grâce qui sauve seule, mais alors qui nous sauve sans nous toucher ; ou une grâce qui nous sauve avec notre concours indépendant d’elle-même, si bien que c’est à proprement parler toujours nous qui devons nous sauver nous-mêmes ; ou une foi qui est foi en notre foi : en notre expérience immédiate et finalement en elle seule – ou une foi qui n’est qu’une démission pure et simple de nous-mêmes ; ou une Dieu qui est tout, cependant que l’homme et le monde à la lettre ne sont rien, - ou un monde, un homme qui ont des pouvoirs, une valeur limitée, mai réelles, et un Dieu qui n’est au plus que le premier d’une série, une créature agrandie, mais non le créateur ; ou une Parole qui nous demeure absolument étrangère, que l’homme ne peut que trahir et non pas traduire, et qui n’a de sens possible que pour lui, - ou une parole qui n’est en fin de compte que la sienne, où c’est lui qui fait les demandes et les réponses et qui ose mettre sur le compte de Dieu ce qui n’est que sa propre élucubration.
Le débat entre Luther et Erasme est un premier et remarquable exemple de cette impasse. On y voit très bien l’incapacité des penseurs contemporains des Réformateurs, prisonniers tout comme ceux-ci d’une philosophie viciée, soit d’admettre ce qu’il y avait de positif dans la Réforme, soit de déceler la racine de toutes ces erreurs. D’où la persuasion accrue chez les Protestants du bien-fondé de leur système, de la nécessité de l’admettre avec toutes ses conséquences pour sauvegarder efficacement les intuitions positives auxquelles ils tenaient, et, encore une fois avaient pleinement raison de tenir.
Le titre même du traité d’Erasme contre la systématisation luthérienne sur la justification avertit déjà qu’on va passer à côté du problème sans le voir : De libero arbitrio. Et le titre de la réplique de Luther illustre magnifiquement l’irrémédiable gravité du malentendu qui va s’ensuivre : De servo arbitrio.
Erasme voit parfaitement que Luther fait fausse compagnie non seulement à la tradition ecclésiastique, mais à l’Evangile et à saint Paul lui-même en échafaudant une chimère qu’un salut qui nous sauverait sans nous retirer aucunement à notre état de péché. Mais prisonnier comme Luther des catégories nominalistes, il sera incapable de formuler nettement la vraie réponse : que la grâce est grâce, pur don de Dieu, non pas en ce qu’elle ne donne rien de réel, mais au contraire en ce qu’elle nous donne, pour autant que nous restons dans sa dépendance, la réalité que nous sommes totalement d’acquérir par nous-mêmes. Il va, bien loin de là, chercher à sauver le libre-arbitre de l’homme indépendamment de la grâce. Tout son traité sera pour montrer non pas comment la grâce régénère la nature, mais comment la nature n’est pas si profondément blessée qu’elle ne puisse encore faire quelque chose d’efficace pour son salut. »
[…]
Au contraire, pour saint Bernard, comme pour toute la tradition authentique, c’est dans un sens Dieu qui fait tout, et dans un autre l’homme qui a tout à faire, car il a tout à faire sien, mais il ne le peut, il ne peut absolument rien faire qui vaille pour le salut, sinon dans une dépendance totale à l’égard de la grâce. Cette position, on peut le dire, apparait comme absolument inexistante, voire inimaginable aussi bien aux yeux d’Erasme que de Luther » (pages 166-168)

La vraie position théologique qui a échappé à tous les contemporains des Réformateurs  

Avec le rejet de la réalité des universaux par Guillaume d’Occam, c’est la relation de l’homme à la réalité qui est mise en cause. Les théologiens - tant catholiques que protestants - de cette époque ont été incapables de souligner que l’homme touche à sa réalité dans sa dépendance radicale - reconnue de lui-même - à son créateur. C’est d’ailleurs la seule réalité que l’homme puisse expérimenter. Réduit à lui-même l’homme ne peut expérimenter aucune réalité.
« La vraie position théologique, fidèle intégralement aux données de la révélation serait que l’homme n’est lui-même que dans la dépendance radicale reconnue de lui-même à l’égard du créateur, mais que, dans ces conditions, la création n’est pas une fiction juridique ou autre, mais la réalité la plus réelle qui soit. L’homme sauvé, c’est donc l’homme replacé par la foi dans la conscience de cette absolue dépendance, mais, par là même, recouvrant la vie à la source. Il peut paître étrange, mais il est indiscutable que cette position, à travers toute cette malheureuse controverse, ne paraissait même pas s’est présentée à l’esprit d’aucun des deux adversaires. Tout le tragique du drame protestant est là. » (page 169)

La Contre-Réforme a cédé à la facilité : autoritarisme contre subjectivisme radical

L’appui de l’Eglise catholique sur son pouvoir temporel a faussé le débat.
« Quant au subjectivisme radical inhérent aux formulations luthériennes de la foi […] Sans qu’on puisse la vérifier sur un cas aussi précis et déterminé que la controverse sur le libre-arbitre, il est trop certain que la Contre-Réforme n’a que trop cédé à la facilité en répondant au subjectivisme sans frein efficace de la Réforme pour un autoritarisme sans nuance. Rien ne pouvait plus solidement et plus malheureusement implanter dans la conviction vécue des protestants l’idée que toute religion personnelle doit être pour autant farouchement individualiste. Exalter sans contrepartie l’autorité, faire de la soumission la plus aveugle à celle-ci la tessère [jeton ou ticket d’entrée] de l’orthodoxie, ce pouvait être et ce fut une rame efficace pour défendre les catholiques de tout ce qui pouvait les acheminer vers le protestantisme. Mais ce fut aussi l’un des arguments négatif les plus efficaces en fait pour convaincre à tort les protestants qu’ils en sauveraient  une de leurs convictions les plus   chères et les plus justifiées qu’en rejetant non seulement l’autoritarisme, mais le principe d’autorité, au point d’établir pratiquement le libre-examen à la place » (pages 169-170)

L’effondrement catholique sur la question de la prédestination

L’effondrement de l’enseignement traditionnel catholique a conforté les protestants dont les calvinistes dans leurs affirmations erronées. Avec le temps ce « faux problème » est complètement sorti du questionnement protestant.
« […] Dieu apparaissant désormais [aux calvinistes] comme le véritable auteur aussi bien de la prédestination des justes au salut  ou de la perdition des impies. Nulle part peut-être ne saisit mieux comment c’est en fait le cadre de pensée nominaliste qui accule ici ou bien à rejeter le mystère, ou à la réduire à l’absurde. Dès l’instant que l’être absolu se confond avec une pure et simple indétermination, ou bien Dieu n’est en rien cause, au sens strict, de notre salut, ou bien il le sera ni plus ni moins de notre perdition, puisque le bien et le mal n’ont en soi rien qui les distingue mais ne s’opposent que par une décision entièrement arbitraire du Tout-Puissant.
Cependant les controversistes catholiques contemporains de la Réforme seront si peu capables eux-mêmes de dénoncer le sophisme qui a est à la base de cette identification fallacieuse qu’ils n’auront pas d’autre ressource que d’abandonner pratiquement le dogme même de la prédestination. Le dominicain Pierre de Soto, l’un des premiers à promouvoir une renaissance du thomisme, a décrit en des termes qu’on ne peut dépasser cet effondrement de l’enseignement traditionnel face au protestantisme. D’où l’inévitable réaction des calvinistes, qui sera en grande partie au siècle suivant celle aussi des jansénistes : si les catholiques ne croient plus eux-mêmes pouvoir défendre la prédestination, si clairement affirmée par saint Paul, saint Jean, saint Augustin et les conciles contres pélagiens, sans céder sur toute la ligne à Calvin, comment ne pas croire que le calvinisme, avec sa rigueur logique inexorable, soit la seule voie possible pour sauver une affirmation incontestablement capitale ? » (page 170)

L’inconcevable méprise sur l’ « analogia entis » et des théologiens catholiques asservis aux cadres de pensée fallacieux du nominalisme

Une cécité théologique - difficilement compréhensible - que ce soit du côté catholique ou du côté protestant.
« Si nous passons enfin au domaine de la théologie de la Parole, l’acharnement avec lequel nous voyons un Karl Barth s’attaquer au principe thomiste de l’ « analogia entis » nous apparaîtra comme singulièrement révélateur et de l’aveuglement sui est à la base de toute la construction anti-catholique du protestantisme, et de l’aveuglement des catholiques eux-mêmes du XVIème siècle qui a concouru à la rendre incorrigible.
Pour lui, parler d’une « analogie de l’être » et en faire le principe de toute théologie, c’est admettre que la parole humaine et la Parole de Dieu sont de même ordre, que la pensée humaine et les données de la révélation sont susceptibles de s’harmoniser comme des composantes qui seraient sur le même plan. D’où la possibilité de construire une synthèse doctrinale où pensée humaine et révélation divine seraient si bien fusionnées que la pensée humaine, en fait, assimilerait purement et simplement à elle-même le « donné révélé ».
Cependant, pour quiconque connaît le sens et la portée véritables de l’ « analogie » dans le système thomiste, il est évident que cette interprétation revient à la confondre avec l’une des deux erreurs possible qu’elle a précisément pour but d’éviter. Mais quiconque aussi connait l’histoire de la scolastique nominaliste qui a continué à travers tout le XVIème siècle de se donner pour l’héritière de la grande tradition théologique médiévale, alors qu’elle en était le reniement pratique, connaît du même coup la seule justification apparente que l’inconcevable méprise de Barth puisse se trouver. Et cette justification, ce n’est pas douteux, ce sont des catholiques qui la lui donnent mais seulement, en se montrant asservis aux cadres fallacieux que les protestants eux-mêmes, et Barth moins que personne, n’ont jamais songé à critiquer.
L’analogie de l’être, en fait, n’est qu’une manière philosophique de nier tout ensemble que la Parole de Dieu soit une parole de même nature que la parole de l’homme, et donc réductible à celle-ci, ou qu’elle soit une Parole sans rapport avec la parole humaine, et donc totalement inassimilable pour celle-ci, totalement inapte à créer elle-même aucun vrai dialogue.
[…]        
Cependant, il faut l dire aussi, rien n’a plus contribué, et sans doute encore aujourd’hui ne contribue davantage, à ancrer les protestants comme Barth dans la conviction que l’analogia entis n’est en fait qu’un univocité réduisant la Parole divine à des paroles humaines et la captant tout entier dans celles-ci, sinon le nominalisme pratique de tant de théologiens catholiques, mêmes thomistes, à le reconnaitre, à en dégager les exigences pour notre pensée humaine, mais, fut-ce inconsciemment, à le réduire, à le dissiper, à le digérer pour ainsi dire dans des catégories toutes faites qu’on lui suppose naïvement adéquates ne peut que consolider les protestants dans l’assurance qu’il n’y a pas d’autre alternative qu’une Parole divine noyée dans l’humain, acceptée seulement pour autant qu’on l’aura réduite à sa mesure et conformée à ses a priori. »  (page 171-173)  

Toutes les hérésies produites par le protestantisme existaient en germe dans le catholicisme bien avant les Réformateurs.

Toutes les affirmations erronées intégrées aux affirmations positives du protestantisme étaient présentes dans la scolastique catholique avant la Réforme.
Toutes les « hérésies » que le protestantisme a pu arriver à produire par cette voie [absence de rejet du cadre de pensée nominaliste], loin d’être des créations, fut-ce des créations déviées par le poids mort d’une pensée routinière elle-même non réformées, apparaissent comme déjà plus ou moins préformées dans la pensée nominaliste avant les Réformateurs.
Qu’il s’agisse de la justification forensique, d’une notion de la foi toute subjectiviste (enfermant la foi en elle-même, au lieu d’y voir ce par quoi l’intelligence de l’homme peut être attirée par Dieu à se dépasser elle-même), d’une notion de la souveraineté de Dieu qui la confond avec un arbitraire au fond purement anthropomorphique, ou d’une conception de la Parole de Dieu qui, d’une part, la rend non seulement inassimilable, mais inexprimable, informulable, - rien de ceci n’est une nouveauté protestante. Toutes ces conceptions étranges, et par quelque coté malsaines, voire monstrueuses, qui devaient se trouver appliquées si vite comme des masques congénitaux, sur les principes religieux de la Réforme qu’elles ont défiguré d’emblée, longtemps avant la Réforme avaient été élaborées et les Réformateurs n’ont fait que les reprendre à peu près telles quelles.
Occam et Biel après lui ont construit cette idée sans précédent dans la tradition que la justification ne consiste à proprement parler que dans l’acceptation de l’homme par Dieu, et que cette acceptation, en soi, n’a aucun lien intrinsèque avec une modification quelconque du justifié lui-même. S’ils continuent pourtant d’admettre que la justification est accompagnée de la régénération, de la charité restaurée dans l’âme du juste, ils ient qu’il y ait aucun lien entre les deux. Ils affirment qu’il doit en être ainsi puisque l’Ecriture et la tradition paraissent l’affirmer, mais que Dieu aurait pu aussi bien « justifier » le pécheur restant dans son péché.
D’autre part, pour eux et pour toute l’école issue d’Occam, la foi adhère aux vérités contenues dans l’Ecriture, proposée par l’Eglise, mais elle n’y adhère nullement pour un motif objectif, transcendant à elle-même, quel qu’on l’imagine. Toute leur dialectique va montrer qu’un tel motif, en effet, ne saurait qu’être illusoire. Jamais un « fidéisme » aussi rigoureux n’a été proposé, jamais autrement dit, on n’a ainsi conçu la foi comme reposant toute entière sur elle-même, ne trouvant qu’en elle-même sa justification. Si, cependant, ils lui donnent encore, comme le feront les Réformateurs après eux, un contenu tout fait, venant de l’Ecriture ou de l’Eglise, c’est parce qu’en fait la foi qu’ils envisagent est la foi de chrétiens, mais il n’est absolument rien dans leurs principes qui permette d’établir cette foi-là plutôt qu’aucune autre, ni, à vrai dire, qui justifie le moins du monde l’apparence conservée à la foi de viser un au-delà d’elle-même, un au-delà de la conscience du croyant. (p. 173-174)

La « théologie nominaliste » est la négation de la possibilité d’aucune théologie.

Le système de Guillaume d’Occam est une sorte de schizophrénie entre un agnosticisme sans issue et une foi étrangère à toute logique humaine appuyée par le seul argument d'autorité des Ecritures. C’est donc l’échec du discours articulé et cohérent sur Dieu. Guillaume d'Occam tranche nettement avec la tradition antérieure : il inaugure l'idée d'une séparation radicale - et systématique - entre la raison et la foi. Cependant, là où il n'y a pas à proprement parler de « logos », il n'y a pas non plus de « théo-logie ».
La notion par ailleurs de la « potentia absoluta » est la clef de toute la théologie occamienne, ce qui revient à dire que cette théologie n’est à vrai dire qu’une négation de la possibilité d’aucune théologie. Dieu, en effet, dans un tel système n’apparait comme n’étant Dieu qu’en tant qu’il est au-delà du vrai et du faux, du bien et du mal. Vrai, faux, bien ou mal ne sont que des déterminations tout hypothétiques qu’ils a prises en fait : mais on ne voit pas pourquoi il n’aurait pas pu les prendre tout au rebours, ni davantage ce qui pourrait empêcher qu’il les renversât.
[…]
Enfin, d’où vient cette façon d’opposer purement et simplement la Parle de Dieu, sous son enveloppe exclusivement bibliques, à toutes les autres autorités, à la tradition ou au magistère, à l’autorité ecclésiastique aussi bien qu’à la raison humaine, et d’autre part d’en rendre les affirmations « incomposables » avec aucune vérité acquise par une autre voie, si bien qu’on aboutisse soit à l’idée d’une double vérité, soit à l’idée que la vérité est inaccessible à l’intelligence humaine ? - C’est sans doute le plus caractéristique de la théologie nominaliste, perpétuellement balancée entre un agnosticisme sans issue et des affirmations imposées par l’argument d’autorité scripturaire comme par un Deus ex machina. De celui-ci d’ailleurs, il apparaît à plein dans le nominalisme lui-même combien son efficacité est illusoire, puisque les conséquences de la philosophie admise au point de départ seront développées en fait jusqu’au bout, sans aucune déférence autrement que verbale à l’enseignement scripturaire le plus flagrant, tandis que celui-ci demeure lettre morte dès lors qu’il entrera en conflit avec sa philosophie.
Il nous faut donc conclure ce chapitre en disant que l’aspect négatif, « hérétique », de la Réforme, non seulement ne découle point de ses principes positifs, non seulement ne résulte point d’une nécessité quelconque inhérente à leur développement ou à leur défense, mais apparaît au contraire comme la survivance dans le protestantisme de ce qu’il y avait sans doute de plus irrémédiablement vicié et corrompu dans la pensée du catholicisme médiéval finissant. » (p. 175-176)

Source :

(12)         Du protestantisme à l'Eglise. Louis Bouyer. Ed. Cerf. 1955

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Message  Idriss Mer 28 Oct - 20:45

Roque a écrit:
La raison « est vraiment…  la p… du diable, elle ne peut que blasphémer et déshonorer tout ce que Dieu a dit ou fait » ... ça vaut son pesant de cacahuètes, non ?

Salam
je n'ai pas tous lu et je vais peut-être dire une grosse bétise, mais la pensée de Luther n'est pas de l'ordre de la révélation, où d'une intuition supra-rationnelle...C'est très rationnel, raisonnable comme pensée non?
Dire les œuvres ne valent rien dans l'économie du salut, on ne fait pas de commerce avec Dieu ...etc c'est logique , enfin cela tient la route d'un point de vu de la raison ...Mais pas beaucoup plus .
Luther ne se tire-t-il pas une balle dans le pied? N'est-ce pas l’hôpital qui se moque de la charité?
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Message  Roque Jeu 29 Oct - 12:36

Spoiler:

Idriss a écrit:
Salam
je n'ai pas tous lu et je vais peut-être dire une grosse bêtise, mais la pensée de Luther n'est pas de l'ordre de la révélation, où d'une intuition supra-rationnelle...C'est très rationnel, raisonnable comme pensée non?
Non, c’est un peu plus compliqué que ça. L’analyse de Louis Bouyer est que Luther et ses contemporains protestants ont fait un mixte entre la Révélation et la philosophie de Guillaume d’Ockham. Les affirmations positives (toutes vraies) et les affirmations négatives (toutes fausses et toutes issues de la philosophie de Guillaume d'Ockham) sont très intimement intégrés dans le luthéranisme, puis dans le calvinisme. Elles sont résumées dans le spoiler ci-dessous.

Mais pour faire simple (!), l’idée fixe qui va bouleverser ce qui a été transmis par la Bible est celle d’une transcendance que Dieu, telle qu'il y a une coupure complète entre la transcendance de Dieu et notre expérience de chrétien (ça c'est Guillaume d'Ockham, pas la Bible !). Ce postulat a de multiples conséquences : la grâce de Dieu ne réalise rien de concret dans l’homme, l’acte de foi est réduit à un acte individuel (« solipsiste » en fait) coupé de tout appui extérieur, l’idée d’un Dieu est celui d'un Dieu « arbitraire » au-delà du bien et du mal, la transcendance de Dieu rend l’homme incapable d’aucune œuvre bonne devant Lui et la Parole de Dieu est si transcendante qu’elle est finalement inassimilable et intraduisible. Je développe un peu ce qui a été dit plus haut :

1. L’homme « justifié » par la foi – dès ici-bas - n’est en aucune manière délivré de son péché, absolument rien ne change chez lui (c’est la « justification forensique »). La grâce de Dieu n’est vraiment « divine » que parce qu’elle ne produit rien de concret dans l’homme Notre expérience est totalement fermée à la transcendance. Cette conception de la grâce n’est absolument pas biblique ;

2. L’acte de foi est enclos en nous-mêmes, enfermé dans notre expérience psychologique – aucun élément extérieur, dépassant cette expérience psychologique individuelle, ne peut être essentiel à cet acte de foi. Chercher des appuis pour la foi hors de soi (rites, sacrements) c’est s’aliéner, mettre notre vie dans quelque chose qui ne nous concerne pas, qui ne peut pas nous concerner. Cela revient - en fait - à mettre l’individu au centre de la foi et à l’origine de l’acte de foi, alors que dans la Bible la foi nait de l'écoute de la voix de Dieu qui précède l'homme et qui est bien " extérieure " à l'homme - en ce sens que la foi est reçue de Dieu ;

3. Dieu est tellement transcendant qu’il peut transformer le bien en mal et réciproquement, Il peut déclarer « juste » le pécheur sans le sauver, il peut prédestiner les uns à la perdition comme d’autres au salut. Cette conception d’un Dieu si transcendant qu’Il peut être « arbitraire » - de notre point de vue – est exactement celle de Guillaume d’Ockham – mais cette conception n'est absolument pas biblique ;

4. L’homme « justifié » par la foi ne peut produire aucune véritable bonne œuvre devant Dieu ; La transcendance de Dieu écrase tout mérite humain : l’idée de progression en sainteté devant Dieu est exclue ; c’est même une idée assez détestable – mais ce déni d'une éventuelle sanctification n’est absolument pas biblique ;

5. L’autorité souveraine des Ecritures écrase toute autre autorité humaine : que ce soit celle de la tradition ou celle de l’Eglise. A la limite, la Parole de Dieu est inassimilable, intraduisible en concepts humains. On est là à l’extrême opposé de la notion de « Parole de Dieu » dans le Coran, cette « Parole de Dieu » du Coran étant d’abord faite pour être comprise te mise en pratique. Cette « extrinsécité » (c’est-à-dire « étrangeté radicale ») de la Parole de Dieu par rapport à notre condition humaine s’oppose complètement à l’idée que l’inspiration biblique serait d’abord une lecture humaine de l’expérience et de l’histoire donnée par Dieu à Son peuple.

Spoiler:

Le protestantisme moderne a sans doute gommé ces outrances et aberrations, mais d'après le livre de Louis Bouyer le protestantisme dU 16ème siècle (Luther, Zwingli, Calvin) c'était ça aussi ! Aussi inacceptable que le " catholicisme " des Borgias, par conséquent ! L'hyper rationalité provient du fait que le " fil rouge de cette doctrine luthérienne " est une construction autour d'une seule idée, une idée fixe (mais pas la Bible) sur cette sorte de super-transcendance de Dieu. C'est le propre de l'homme d'être mené par une idée fixe !
Idriss a écrit:Dire les œuvres ne valent rien dans l'économie du salut, on ne fait pas de commerce avec Dieu ...etc c'est logique , enfin cela tient la route d'un point de vu de la raison ...Mais pas beaucoup plus .
Luther ne se tire-t-il pas une balle dans le pied? N'est-ce pas l’hôpital qui se moque de la charité?
Oui, on ne fait pas de commerce avec Dieu ... Cette idée de super-transcendance d'un Dieu redevenu en quelque sorte inaccessible semble probablement " la plus épurée possible " et les protestants en sont sans doute très fiers. Ils reprochent aux catholiques " l'incarnation " de leur religion dans des pratiques identifiables, dans des moyens servant d'appui à la dévotion et à la foi. En un mot, ils pensent que les catholiques ont des pratiques si concrètes qu'elles en sont idolâtriques.

Mais le Dieu de la Bible n'est pas que transcendent, Il est à la fois " tout Transcendant " et " tout Proche ", " tout Autre ", tout Lui appartient et Il est partout chez Lui. Le Dieu biblique est totalement paradoxal dès les premières pages de la Genèse : c'est à la fois le Dieu inaccessible et le Dieu qui Se Révèle, c'est à dire que si l'homme n'a pas de voie d'accès vers Dieu, par contre - en sens inverse - Dieu est parfaitement libre. Quand Dieu le veut il se fait proche comme un ami, comme un frère ou comme Son Fils Unique soumis aux même tourments que tous les autres hommes. Tenter de chasser ce paradoxe, cette aporie (cette " impossibilité " logique) c'est réduire Dieu à ce qu'on veut en concevoir et ... cette tentative de rationalisation ou de simplification de la représentation de Dieu (permanente dans l'histoire), c'est l'essence même de l'hérésie. Il faut laisser à Dieu cette marge de " contradiction " (apparente) qui est incompréhension pour les hommes, sinon on Le manque complètement (il n'y a pas besoin d'aller jusqu'à la Trinité pour rencontrer ce problème  :) ).

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